Eliance
Tout a commencé comme ça : « nous vous demandons de l'aide en ce jour », et un Thomas inhabituellement déstabilisant dans ses confessions de faiblesses et son besoin de soutien adressés à ses vassaux et sa famille.
Ou plutôt, tout a commencé comme ça : « Bonjour, je suis Eliance », une année plus tôt, quand la Ménudière a débarqué dans sa vie et que le jeune noble a accepté à bras ouverts la jolie gueuse boueuse au vocabulaire rongé comme une sur à part entière. Passée la frontière perturbante d'un Thomas tout en « nous », Eliance a appris à connaître ses facettes dissimulées, quelques-unes de ses angoisses et elle a surtout appris à l'aimer malgré le secret permanent qui entoure cet homme. D'ailleurs, elle l'aime en tête-à-tête autant qu'elle le déteste au milieu du monde, tant elle le trouve changeant. Et puis ces gens qui l'entourent, le détestant ou l'adulant tour à tour, ces gens et leurs manières nobles dépareillent avec la moitié de sur aux murs plus roturières. Si leur père commun a enseigné à Eliance les comportements adéquats en haute société, elle les a laissé de côté aussitôt la maison conjugale fuie. Les retrouver à présent serait pour elle perdre la Eliance qu'elle a créé, après tant d'efforts pour oublier celle qui n'existait pas ou si peu auparavant.
Mais peut-être que tout a réellement commencé avec un « il faut sortir Thomas de là » lancé en taverne lors d'une confrontation ami-sur. Il faut dire que leur sujet principal de discussion a résidé en Thomas. Ainsi, ils ont pu partager leurs inquiétudes, leurs sentiments, leurs idées, aussi. Et des idées, chacun en a eu à la pelle. Toutes se recoupent tant ils ont une vision similaire de l'homme qui les rassemble autour d'une table, ainsi que des besoins dudit homme pour retrouver le sourire. Quelqu'un a dit un jour « Du rhum, des femmes, de la bière, nom de Dieu ». La recette qui collerait à la peau du Secret, d'après un Caton et une Eliance, serait plutôt « De la liqueur, de l'opium et des femmes pas chiantes ».
Caton s'occupera de la femme ou des femmes. Les critères ont été déterminés rapidement avec une précision déconcertante pour ceux qui ont pu écouter la conversation. Belle bien sûr, intelligente mais pas trop, drôle à souhait, pas chiante pour un écu, pas exigeante sur l'avenir, légère en somme, fraîche, et non vénale. Thomas a déjà une femme à couvrir de cadeau, celle-là devra se contenter des merveilleux moments non quantifiables qu'il saura lui procurer et devra rester à sa place, soit aucune ! L'éventualité d'une rencontre à plusieurs n'est pas écartée non plus, seulement il sera sans doute déjà dure de trouver une femme adéquate, alors six (soit une par jour en comptabilisant l'épousée)... passons.
Eliance s'occupera de l'opium. Pas qu'elle en connaisse des revendeurs, mais trouver une femme lui semblait bien trop compliquée et elle s'est dit qu'au pire du pire, elle pourrait chourer l'opium de son cher mari dès qu'il sera rentré de son périple amoureusement extra-conjugal. Comme attendre, elle en a marre, elle prend les devants sur l'opium, bien décidée à en trouver par elle-même. Un nouveau défit que de montrer qu'elle peut se débrouiller toute seule.
La pluie bat le pavé, trempant tout sur son passage, rendant les ruelles glissantes et collantes de boue. Une petite forme floue s'avance, s'arrêtant ça et là sous un porche quelques minutes, pour repartir rapidement, foulant le sol dans des petits pas caractéristiques à la race féminine, jusqu'à une autre entrée de bouge. Le quartier n'est pas des plus malfamé. Simplement une succession de bouges relativement bien fréquentés, avec des portiers pour faire la circulation et parfois reluquer une donzelle qui s'égare, constitue la ruelle.
La donzelle, elle est là, planquée sous sa capeline et son capuchon, se protégeant de l'averse, du froid cinglant et du regard des passants comme elle peut. Les épaules se sont un peu voûtées sous la volonté de se faire discrète. Mais quand elle s'arrête devant le premier portier, c'est bien une rougeur pas discrète du tout qui s'invite sur le visage d'Eliance.
La quête est lancée. De la détente à son frère, elle saura en trouver. Foi de Ménudière ! Mais où ?...
Les porches s'enchaînent avec le même genre de réponse désespérément négative.
Une chose est sûre, ces petites bêtes ne grouillent pas de partout comme Eliance l'a pensé. La soirée se passe, l'opium court toujours et Eliance s'agace. Le retour à l'auberge se fait alors que le clocher sonne minuit. Les frusques retirées dégoulinent sur le plancher de la chambre, marquant le bois de larges auréoles, tandis que la flambée réchauffe tout ça, y compris une Ménudière congelée, emmitouflée dans deux couvertures, qui tente de se réchauffer contre un minuscule chat sur sa paillasse désespérément vide d'époux. Les paupières s'abaissent, alors que quelques mots passent la barrière de ses lèvres qui remuent à peine, s'adressant en quelque sorte au félin couché en boule contre elle.
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Ou plutôt, tout a commencé comme ça : « Bonjour, je suis Eliance », une année plus tôt, quand la Ménudière a débarqué dans sa vie et que le jeune noble a accepté à bras ouverts la jolie gueuse boueuse au vocabulaire rongé comme une sur à part entière. Passée la frontière perturbante d'un Thomas tout en « nous », Eliance a appris à connaître ses facettes dissimulées, quelques-unes de ses angoisses et elle a surtout appris à l'aimer malgré le secret permanent qui entoure cet homme. D'ailleurs, elle l'aime en tête-à-tête autant qu'elle le déteste au milieu du monde, tant elle le trouve changeant. Et puis ces gens qui l'entourent, le détestant ou l'adulant tour à tour, ces gens et leurs manières nobles dépareillent avec la moitié de sur aux murs plus roturières. Si leur père commun a enseigné à Eliance les comportements adéquats en haute société, elle les a laissé de côté aussitôt la maison conjugale fuie. Les retrouver à présent serait pour elle perdre la Eliance qu'elle a créé, après tant d'efforts pour oublier celle qui n'existait pas ou si peu auparavant.
Mais peut-être que tout a réellement commencé avec un « il faut sortir Thomas de là » lancé en taverne lors d'une confrontation ami-sur. Il faut dire que leur sujet principal de discussion a résidé en Thomas. Ainsi, ils ont pu partager leurs inquiétudes, leurs sentiments, leurs idées, aussi. Et des idées, chacun en a eu à la pelle. Toutes se recoupent tant ils ont une vision similaire de l'homme qui les rassemble autour d'une table, ainsi que des besoins dudit homme pour retrouver le sourire. Quelqu'un a dit un jour « Du rhum, des femmes, de la bière, nom de Dieu ». La recette qui collerait à la peau du Secret, d'après un Caton et une Eliance, serait plutôt « De la liqueur, de l'opium et des femmes pas chiantes ».
Caton s'occupera de la femme ou des femmes. Les critères ont été déterminés rapidement avec une précision déconcertante pour ceux qui ont pu écouter la conversation. Belle bien sûr, intelligente mais pas trop, drôle à souhait, pas chiante pour un écu, pas exigeante sur l'avenir, légère en somme, fraîche, et non vénale. Thomas a déjà une femme à couvrir de cadeau, celle-là devra se contenter des merveilleux moments non quantifiables qu'il saura lui procurer et devra rester à sa place, soit aucune ! L'éventualité d'une rencontre à plusieurs n'est pas écartée non plus, seulement il sera sans doute déjà dure de trouver une femme adéquate, alors six (soit une par jour en comptabilisant l'épousée)... passons.
Eliance s'occupera de l'opium. Pas qu'elle en connaisse des revendeurs, mais trouver une femme lui semblait bien trop compliquée et elle s'est dit qu'au pire du pire, elle pourrait chourer l'opium de son cher mari dès qu'il sera rentré de son périple amoureusement extra-conjugal. Comme attendre, elle en a marre, elle prend les devants sur l'opium, bien décidée à en trouver par elle-même. Un nouveau défit que de montrer qu'elle peut se débrouiller toute seule.
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La pluie bat le pavé, trempant tout sur son passage, rendant les ruelles glissantes et collantes de boue. Une petite forme floue s'avance, s'arrêtant ça et là sous un porche quelques minutes, pour repartir rapidement, foulant le sol dans des petits pas caractéristiques à la race féminine, jusqu'à une autre entrée de bouge. Le quartier n'est pas des plus malfamé. Simplement une succession de bouges relativement bien fréquentés, avec des portiers pour faire la circulation et parfois reluquer une donzelle qui s'égare, constitue la ruelle.
La donzelle, elle est là, planquée sous sa capeline et son capuchon, se protégeant de l'averse, du froid cinglant et du regard des passants comme elle peut. Les épaules se sont un peu voûtées sous la volonté de se faire discrète. Mais quand elle s'arrête devant le premier portier, c'est bien une rougeur pas discrète du tout qui s'invite sur le visage d'Eliance.
- - Sauriez pas où que j'peux trouver d'l'opium ?
- Nan ma p'tite dame. Qu'y en a pas par 'fez nous. L'ta'fernier est un braf' type.
- Tant pis... merci !
La quête est lancée. De la détente à son frère, elle saura en trouver. Foi de Ménudière ! Mais où ?...
Les porches s'enchaînent avec le même genre de réponse désespérément négative.
- - Pas d'ça chez nous gueusaille ! Fous-moi l'camp d'là !
...
- C'pas pour toi ma belle, ça pourrit les pensées c'machin-là.
...
- T'ey' pas dans l'bon'g coin'g, minadiou. Tout l'monde sayt' ça !
...
Une chose est sûre, ces petites bêtes ne grouillent pas de partout comme Eliance l'a pensé. La soirée se passe, l'opium court toujours et Eliance s'agace. Le retour à l'auberge se fait alors que le clocher sonne minuit. Les frusques retirées dégoulinent sur le plancher de la chambre, marquant le bois de larges auréoles, tandis que la flambée réchauffe tout ça, y compris une Ménudière congelée, emmitouflée dans deux couvertures, qui tente de se réchauffer contre un minuscule chat sur sa paillasse désespérément vide d'époux. Les paupières s'abaissent, alors que quelques mots passent la barrière de ses lèvres qui remuent à peine, s'adressant en quelque sorte au félin couché en boule contre elle.
- Faudra que j'en parle à Atro...
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