Eliance
La nuit hivernale a pris possession des plaines. Le claquement des sabots et les grincements de roues ont résonné en passant les portes de Poligny, en bon hymne d'adieux, pour ensuite se confondre avec les bruits plus lointains de la campagnarde nocturne. L'harnachement aura pris du temps et retardé quelque peu le départ. Pas l'harnachement des chevaux, qui a été effectué par des hommes habitués. Non. Plutôt le harnachement d'une Meringue à sa selle. Entre voyager en charrette aux côtés des enfants et sous le regard congelé de la Reyne-mère, monter avec un des oncles d'Atro dans une proximité dont elle n'est pas coutumière et se ficeler à une selle pour ne pas chavirer de la monture, elle a préféré de loin la dernière idée. Il aura fallu qu'elle grimpe sur le bête dans un premier temps, pour s'enrouler les guiboles de cordes histoire de les ficeler à la sangle de la selle. Ainsi, elle évitera tout incident de déséquilibre. Ainsi, elle pourra n'embêter personne. Ainsi, elle pourra être seule dans la nuit.
Son cheval suit celui de Edoran, puisqu'il est le sien. Comme si la bête suivait son maître quoiqu'il arrive. Docile, paraît-il, il ne devrait pas faire d'écarts intempestifs et devrait l'amener à bon port. Elle attend de voir. Pour Eliance, un cheval est une bête sauvage. Mieux vaut monter un buf pour plus de sûreté. Elle a toujours eu peur de ces créatures si vives. Elle a peur de ça, comme elle a peur de tout. La frayeur est un peu son pain quotidien, à la Meringue qui a peur du moindre regard froid ou vicieux d'un bourru. Les ficelles tirent sur ses jambes, s'enfoncent dans sa peau, s'y frottent. La sensation est désagréable, pourtant, elle n'y prête pas attention. Les chemins sont faits de souffrance salvatrice. C'est pour ça qu'elle les aime. Les bottes qui accrochent la peau jusqu'à la saigner, les jambes fourbues qui avancent sans force, les bruits inquiétants de la nuit, sont autant d'éléments qui lui font oublier d'autres souffrances plus profondes et la font s'inquiéter pour autre chose que ses tourments internes.
Voyager à cheval ne lui a jamais convenu. Pas assez de souffrance, de fatigue, trop de temps pour réfléchir. Celui-ci est différent. Les cordes sont là à glisser, frotter, enserrer, confinant les pensées ménudiériennes par leur seule présence. Eliance tient sur son cheval. C'est un fait. Elle ne tombera pas cette nuit. Elle se laisse aller au pas du canasson, à son balancement. Elle aussi se fait docile sur sa monture. Son dos s'est relâché, recouvert par la lourde cape laineuse, ses mains se sont posées sur le pommeau de la selle, ses prunelles claires se contentent de se poser vaguement sur les crins du canasson qui se dandinent au rythme de ses pas. Un capuchon l'isole un peu des autres. Du moins de leurs éventuels regards que permet la lune presque pleine.
Ainsi isolée, Eliance se laisse aller à ses pensées sombres et tortueuses, les laissant s'enfuir dans des larmes silencieuses qui glissent sur ses joues pour être rapidement séchées par le vent cinglant et froid. Ce vent est intransigeant et ne permet aucune défaillance. Les larmes séchées s'amassent sur sa peau, laissant des traînées rougeâtres derrière elles qui perdureront encore quelques heures après l'aube, quelques heures après sa reprise en main de la figure qu'elle donne à ses compagnons de route. D'aucuns y liront ses activités nocturnes, d'autres seulement une sale tronche.
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Son cheval suit celui de Edoran, puisqu'il est le sien. Comme si la bête suivait son maître quoiqu'il arrive. Docile, paraît-il, il ne devrait pas faire d'écarts intempestifs et devrait l'amener à bon port. Elle attend de voir. Pour Eliance, un cheval est une bête sauvage. Mieux vaut monter un buf pour plus de sûreté. Elle a toujours eu peur de ces créatures si vives. Elle a peur de ça, comme elle a peur de tout. La frayeur est un peu son pain quotidien, à la Meringue qui a peur du moindre regard froid ou vicieux d'un bourru. Les ficelles tirent sur ses jambes, s'enfoncent dans sa peau, s'y frottent. La sensation est désagréable, pourtant, elle n'y prête pas attention. Les chemins sont faits de souffrance salvatrice. C'est pour ça qu'elle les aime. Les bottes qui accrochent la peau jusqu'à la saigner, les jambes fourbues qui avancent sans force, les bruits inquiétants de la nuit, sont autant d'éléments qui lui font oublier d'autres souffrances plus profondes et la font s'inquiéter pour autre chose que ses tourments internes.
Voyager à cheval ne lui a jamais convenu. Pas assez de souffrance, de fatigue, trop de temps pour réfléchir. Celui-ci est différent. Les cordes sont là à glisser, frotter, enserrer, confinant les pensées ménudiériennes par leur seule présence. Eliance tient sur son cheval. C'est un fait. Elle ne tombera pas cette nuit. Elle se laisse aller au pas du canasson, à son balancement. Elle aussi se fait docile sur sa monture. Son dos s'est relâché, recouvert par la lourde cape laineuse, ses mains se sont posées sur le pommeau de la selle, ses prunelles claires se contentent de se poser vaguement sur les crins du canasson qui se dandinent au rythme de ses pas. Un capuchon l'isole un peu des autres. Du moins de leurs éventuels regards que permet la lune presque pleine.
Ainsi isolée, Eliance se laisse aller à ses pensées sombres et tortueuses, les laissant s'enfuir dans des larmes silencieuses qui glissent sur ses joues pour être rapidement séchées par le vent cinglant et froid. Ce vent est intransigeant et ne permet aucune défaillance. Les larmes séchées s'amassent sur sa peau, laissant des traînées rougeâtres derrière elles qui perdureront encore quelques heures après l'aube, quelques heures après sa reprise en main de la figure qu'elle donne à ses compagnons de route. D'aucuns y liront ses activités nocturnes, d'autres seulement une sale tronche.
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