Vous est-il déjà arrivé de voir bondir des chevaux d'écume sur la crête des vagues ?...
Avez-vous déjà noyé votre regard entre le ciel et la mer à l'horizon... sans plus savoir où finit l'un et où commence l'autre ?
Avez-vous jamais ressenti cette ivresse de ne plus savoir dans quel élément vous évoluez ?... Air... Mer... Vent... nuages... Nuages dans lesquels ce qui nous reste de candeur enfantine nous découvrons des dragons et des baleines...
Vol de nuages sous les ailes des goélands... Vol de mouettes jacassantes se faufilant entre eux... Rois et reines des ciels océans...
Mille souvenirs assaillent ma mémoire alors que mes pas hasardeux me mènent au petit port de Mimizan... Images d'enfance au bord des falaises de Cork mon village natal... Perpétuel manège des éléments dansant le ballet de la liberté... Nature en fête... parfois sauvage, mais toujours fascinante... arrogante même, de nous rappeler notre triste condition d'êtres enchaînés à la terre...
Seuls les marins semblent échapper à cette pesanteur accablante.
Je m'assied au bord de l'estacade, les pieds ballants au dessus des vagues ronflantes, le regard perdu au large... Je tires de ma besace un demi quignon de pain et, pris d'une fausse faim, je le grignotte distraitement... un vol de mouette tourne autour de moi... Je lève la tête en souriant... Elles sont partout pareilles ces bestioles... farouches et à la fois téméraires... du moment qu'il y a quelque friandise à glaner.
Il me revient un jeu d'enfant. Nous jetions des bouts de pain en l'air et nous amusions de voir ces volatiles gracieux les happer au vol, nous rasant presque la tête pour notre plus grande joie !
- Allez... Hop... Attrapez !...
Joignant le geste à la parole, je lance une mie en l'air... le pain n'a pas le temps de se perdre dans l'eau que déjà un de ces beaux oiseaux s'en empare en criant...
Je me surprend à rire tout seul, comme quand j'étais enfant...
Au bout d'un moment de ce petit jeu, je me retrouve à court de pain... La fête est finie. Les mouettes l'ont compris et s'envolent vers d'autres jeux, d'autres chasses...
Et, le coeur heureux, un sourire aux lèvres et des myriades d'étincelles au fond de mes prunelles, je reprends ma contemplation de l'Océan.
C'est alors que je remarque au large une frêle embarcation errant gracieusement au gré de la houle légère. Le ciel est clair... lumineux. Le regard porte loin et on dit que j'ai la vue perçante.
La barque semble vide... Je fronce les sourcils... Un accident ?... Une noyade ?... Je forces le regard et sur la crête d'une vague, non loin de la barque... Une Sirène !... Non !... Deux Sirènes !...
Ces créatures chimériques, mi-femmes mi-poissons dont les Anciens parlaient étaient supposé dormir au fin fond de la mémoire des Hommes... Les vieux marins de Cork nous contaient des histoires fabuleuses où il était question de ces créatures capables, rien que par leur chant, d'envoûter des équipages entiers, tel Ulysse attaché au mât de sa nef pour lui éviter de succomber à leurs charmes et de les rejoindre au fond des mers...
Je frotte mes yeux incrédules et regarde du mieux que je peux. Non. Je ne rêve pas...
S'ébattant dans de joyeuses éclaboussures autour de l'esquif, je distingues nettement deux bustes joliment galbés de femmes d'apparence magnifique, pour autant que la distance me permette d'en juger.
La beauté du spectacle me cloue sur place... incapable d'articuler le moindre mot... Suis-je le seul à les voir ?... Je me retourne vivement... je suis seul... Personne ne me croira... Tant pis... je garderai ce secret pour moi.
Je reportes vivement le regard sur la scène... Oh !... Les "Sirènes" se hissent dans la barque... déjà, l'une d'entre elle y a pris pied !
Par Eithne !
Mes "Sirènes" ne sont que des pêcheuses !... Je savais bien que ce n'était qu'une légende... Aengus... tu ne changeras jamais... toujours prêt à croire en l'Oiseau Bleu !...
Je ris de ma propre déconvenue, de ma candeur...
Mais, je me console rapidement car, les Dieux me pardonnent, le spectacle de ces jeunes naïades dévêtues est tout aussi troublant. L'une d'elle à la plastique magnifique, tourne le dos à mon regard et m'offre la vue d'un cascade de cheveux de jais collés à sa peau ambrée... Vagues sombres venant mourir sur la grève blanche d'une croupe tendrement rebondie.
Je rougis soudain, gêné d'avoir ainsi violé un secret, une intimité à l'insu des jolies nageuses. Je ne peux rester là. Je ne voudrais pas qu'elles sachent ma présence ce n'est guère courtois d'épier ainsi la nudité de jeunes femmes inconscientes d'être observées de la sorte.
Je me secoue enfin. Me lève et, le rouge aux joues et le coeur battant, je reprends le chemin du village en soupirant.