Eliance
La prudence est de mise. C'est rare, pour la Ménudière plus habituée à cheminer où la brise la pousse que de savoir à l'avance la trajectoire précise qui sera empruntée. Mais voilà, ça, c'était avant. Du temps où les chemins se parcouraient en famille et donc en petit comité, l'Italien et les jumeaux seulement à ses côtés. Le temps d'avant l'Italie, avant le bastonnage, avant les blessures, avant Annecy, avant l'abandon et le terrible choix, avant la Tarte. Avant le déclin. Avant, c'était mieux. Mais le hasard a chamboulé l'ordre établi et Eliance s'est vu contrainte de poursuivre son chemin différemment. Abandonnés en arrière l'époux et ses enfants. Abandonnés en arrière les jours sans lendemain, le plaisir de découvrir une ville nouvelle, de se tromper de chemin, de tourner en rond. En intégrant la petite troupe d'Atro, elle a dit adieu à cette manière de voyager, de regarder la vie. Elle l'a fait pour survivre, pour ne pas succomber à cette falaise qui lui chante la sérénade de liberté inlassablement.
Le départ d'Annecy a donc été préparé longuement par le second en chef, j'ai nommé Mike. Désinvolte, léger, à la limite de la débilité parfois, et pourtant, depuis les remparts franchis, la Ménudière trouve le blond tellement parfait en chef (mais n'allez pas lui dire..). Outre le côté prétentieux et tyrannique qui ressort de temps à autre, il arbore un quelque chose qui lui sied à merveille. Le blond dubitatif semble s'épanouir à donner des ordres, à organiser la chose, à s'inquiéter de la sûreté de ses ouailles. C'est un autre Mike qui chevauche en tête. Un Mike plus sûr de lui. Un Mike qui prend confiance, peu à peu, entouré de sa Dragonne, des mioches et de ses amis. Mais ça aussi, c'était avant. Avant de rencontrer une nouvelle armée un peu tendue des braies. Avant que les soldats se chauffent les épées et viennent les défouler sur la troupe de mercenaires pourtant aussi sage qu'une rangée de salades. C'était avant que le voyage tourne au désastre.
Car c'est bien ce qu'il s'est passé. Un désastre. Chacun sur son cheval, ou plutôt chacun à deux sur son cheval, puisque les montures sont occupées par deux, pour plus de facilité dans l'emprunt des bestioles (pour ne pas dire le vol), mais aussi pour le confort de chacun. Mike ne rechigne pas à garder son Atro au chaud contre lui, Ric ne semble pas vouloir non plus se défaire de sa Pimp, les mioches sont au chaud sous des couvertures dans la charrette et Eliance tolère que les mains de Sileo se posent sur elle dans un unique soucis pratique de stabilité sur la monture. Bien sûr, les femmes ont une place privilégiée, à l'avant, entre les bras plus ou moins virils de leur cavalier respectif, pouvant s'assoupir aisément sans avoir à s'inquiéter du chemin emprunté, Eliance la première, qui dans cette proximité toutefois un peu gênante, trouve le moyen de retrouver un sommeil plus calme que lorsqu'elle doit affronter la nuit seule.
Et c'est ce qu'elles font toutes plus ou moins, cette nuit-là. Seul le bruit des sabots résonne dans l'air alentour, s'invitant dans la torpeur nocturne, faisant taire les quelques animaux qui profitent de la pénombre pour chasser, les laissant immobiles et muets devant le passage de la troupe qui est surveillée comme potentiellement dangereuse. Point de conversation, l'heure est au calme. L'arrivée est proche et tous le savent, impatients qu'ils sont de parvenir aux portes de la prochaine et dernière ville où siège le but de la chevauchée. L'ami de Pimp se tient là-bas, c'est en tout cas ce qui est dit. Là-bas, ils pourront se recroqueviller sur de vrais paillasses, savourer la cuvée du coin, se reposer à l'abri d'un mur de chambrée, s'abriter de la pluie glaciale qui n'épargne personne, avant de repartir pour un autre but, dans une autre direction.
Mais les douze sabots (oui, oui, recomptez, le compte est bon) ne sont plus les seuls à frapper le sol. Ceux qui se font entendre au loin percutent la terre avec plus de violence, plus de cadence. Ils sont nombreux, bien plus nombreux que les douze sabots de la petite troupe. Instinctivement, toutes les montures se sont immobilisées, sous l'ordre ou non de leur cavalier et les esgourdes se font aiguisées, à l'affût. Le souffle est retenu, le sang cogne plus fort dans chaque veine. S'il n'était attentif à la chevauchée qui se rapproche, chacun pourrait entendre le sang de son voisin pulser et rebondir dans son corps à un rythme effréné. C'est en tout cas ce qui se produit dans le corps de la Meringue. Elle angoisse. Elle a peur. Elle est effrayée. Une cavalcade pareille lui rappelle l'attaque des italiens, violente, fulgurante, sanglante.
Mourir, oui, mais pas d'une épée. Si elle meurt, elle veut mourir libre. Elle veut communier avec sa falaise. Un instant, elle ferme les yeux pour voir le précipice qui sait l'apaiser. Un instant qui lui paraît des heures. Les sabots furieux se rapprochent. C'est inévitable. Et pourtant, Eliance espère qu'ils passent simplement, sans s'arrêter. Elle prie pour que ce ne soit rien. Elle a l'espérance tenace, parfois, même devant la triste évidence et marmonne quelques mots, les répétant à voix basse comme une litanie, une ultime supplique.
Ils vont passer... pas nous voir... ils doivent pas nous voir... ils font que passer... ils nous voient pas... tout va bien... tout va bien...
_________________
Le départ d'Annecy a donc été préparé longuement par le second en chef, j'ai nommé Mike. Désinvolte, léger, à la limite de la débilité parfois, et pourtant, depuis les remparts franchis, la Ménudière trouve le blond tellement parfait en chef (mais n'allez pas lui dire..). Outre le côté prétentieux et tyrannique qui ressort de temps à autre, il arbore un quelque chose qui lui sied à merveille. Le blond dubitatif semble s'épanouir à donner des ordres, à organiser la chose, à s'inquiéter de la sûreté de ses ouailles. C'est un autre Mike qui chevauche en tête. Un Mike plus sûr de lui. Un Mike qui prend confiance, peu à peu, entouré de sa Dragonne, des mioches et de ses amis. Mais ça aussi, c'était avant. Avant de rencontrer une nouvelle armée un peu tendue des braies. Avant que les soldats se chauffent les épées et viennent les défouler sur la troupe de mercenaires pourtant aussi sage qu'une rangée de salades. C'était avant que le voyage tourne au désastre.
Car c'est bien ce qu'il s'est passé. Un désastre. Chacun sur son cheval, ou plutôt chacun à deux sur son cheval, puisque les montures sont occupées par deux, pour plus de facilité dans l'emprunt des bestioles (pour ne pas dire le vol), mais aussi pour le confort de chacun. Mike ne rechigne pas à garder son Atro au chaud contre lui, Ric ne semble pas vouloir non plus se défaire de sa Pimp, les mioches sont au chaud sous des couvertures dans la charrette et Eliance tolère que les mains de Sileo se posent sur elle dans un unique soucis pratique de stabilité sur la monture. Bien sûr, les femmes ont une place privilégiée, à l'avant, entre les bras plus ou moins virils de leur cavalier respectif, pouvant s'assoupir aisément sans avoir à s'inquiéter du chemin emprunté, Eliance la première, qui dans cette proximité toutefois un peu gênante, trouve le moyen de retrouver un sommeil plus calme que lorsqu'elle doit affronter la nuit seule.
Et c'est ce qu'elles font toutes plus ou moins, cette nuit-là. Seul le bruit des sabots résonne dans l'air alentour, s'invitant dans la torpeur nocturne, faisant taire les quelques animaux qui profitent de la pénombre pour chasser, les laissant immobiles et muets devant le passage de la troupe qui est surveillée comme potentiellement dangereuse. Point de conversation, l'heure est au calme. L'arrivée est proche et tous le savent, impatients qu'ils sont de parvenir aux portes de la prochaine et dernière ville où siège le but de la chevauchée. L'ami de Pimp se tient là-bas, c'est en tout cas ce qui est dit. Là-bas, ils pourront se recroqueviller sur de vrais paillasses, savourer la cuvée du coin, se reposer à l'abri d'un mur de chambrée, s'abriter de la pluie glaciale qui n'épargne personne, avant de repartir pour un autre but, dans une autre direction.
Mais les douze sabots (oui, oui, recomptez, le compte est bon) ne sont plus les seuls à frapper le sol. Ceux qui se font entendre au loin percutent la terre avec plus de violence, plus de cadence. Ils sont nombreux, bien plus nombreux que les douze sabots de la petite troupe. Instinctivement, toutes les montures se sont immobilisées, sous l'ordre ou non de leur cavalier et les esgourdes se font aiguisées, à l'affût. Le souffle est retenu, le sang cogne plus fort dans chaque veine. S'il n'était attentif à la chevauchée qui se rapproche, chacun pourrait entendre le sang de son voisin pulser et rebondir dans son corps à un rythme effréné. C'est en tout cas ce qui se produit dans le corps de la Meringue. Elle angoisse. Elle a peur. Elle est effrayée. Une cavalcade pareille lui rappelle l'attaque des italiens, violente, fulgurante, sanglante.
Mourir, oui, mais pas d'une épée. Si elle meurt, elle veut mourir libre. Elle veut communier avec sa falaise. Un instant, elle ferme les yeux pour voir le précipice qui sait l'apaiser. Un instant qui lui paraît des heures. Les sabots furieux se rapprochent. C'est inévitable. Et pourtant, Eliance espère qu'ils passent simplement, sans s'arrêter. Elle prie pour que ce ne soit rien. Elle a l'espérance tenace, parfois, même devant la triste évidence et marmonne quelques mots, les répétant à voix basse comme une litanie, une ultime supplique.
Ils vont passer... pas nous voir... ils doivent pas nous voir... ils font que passer... ils nous voient pas... tout va bien... tout va bien...
_________________