Eliance
[Octobre 1462 - Annecy]
Tout a commencé par une somptueuse lettre du second officiel en chef.
« DÉPART CE SOIR ET QUE PERSONNE NE SE LOUPE BANDE DENFOIRÉS !
[...] Si dormeur il y a, il ne sera pas attendu, il devra nous suivre à distance, il voyagera seul, tout seul, et se fera bouffer par des loups, ou pire séquestré par un vieux moine sans dent qui lui sucera lorteil jusqu'à los ! [...] »
Allez savoir pourquoi, tout le monde est arrivé à l'heure sur la place du marché. Aucun absent à déclarer. Même les mioches n'ont pas fait d'histoires. On pourrait appeler ça la magie du pouvoir et de l'autorité, mais ce serait mal connaître le Mike qui a plutôt été piqué par quelque mouche ensorcelée avant de rédiger cet appel au départ barré, que même sa femme (parce que maintenant ils sont mariés, ça y est !) ne s'explique pas.
Mais en fait, non. Tout a réellement commencé quelques jours plus tôt par une première lettre rédigée par la femme du second où on pouvait lire...
« En avant bande de mécréants ! »
... et qui sonnait l'heure du départ véritable. C'est avec cette missive que tous ont su que Annecy serait quitté rapidement. C'est avec ce pli que les baluchons ont été fait, les chambres vidées, les réserves constituées.
Qui de la lettre d'Atro ou de Mike a poussé la troupe au départ ? On ne saura jamais. Le résultat est le même. Et sur la place du marché, tous sont réunis autour de Pimp et de ses chevaux (volés, il va sans dire), chacun tentant de déterminer quelle monture serait la plus adéquate pour l'emporter jusqu'à la destination finale sans trop d'encombres. Autant préciser que pour Eliance, le départ est compliqué. Quitter la ville, son Italien, les jumeaux, grimper sur une bestiole qui va la flanquer par terre dès les premières foulées nécessitent une force qu'elle n'a pas. Pas de courage en vue donc,mais une volonté inflexible de suivre Atro et Mike partout où ils iront. Alors quand Sileo choisit un canasson, elle grimpe derrière lui (passons le poussage de fesses par une Atro bien décidée à embarquer sa copine coûte que coûte) et s'accroche à sa chemise comme si sa survie en dépendait, avant même que le cheval ait bougé d'un sabot.
La saison des départs s'est donc entamée ce soir du 20 octobre avec une joyeuse troupe plutôt morne qui a franchi les portes de la ville dès la nuit tombée. Les bras épinglés à l'Aveugle, la Ménudière a regardé longtemps les lueurs citadines, dans une torsion de tête peu confortable, craignant de quitter des yeux les murs qui renferment ceux qui font sa famille. Au détour d'un tournant, la ville a fuit l'horizon et Eliance n'a eu d'autre choix que de se reporter sur l'avant. L'Aveugle gère la stabilité des deux sur le canasson, elle s'occupe de la direction et des rennes. Dans les faits, la monture suit ses copains et la Meringue n'a aucune aide directionnelle à apporter pour le moment, trop occupée de toute manière à sangloter le plus silencieusement possible dans le dos de l'Aveugle pour évacuer toute la tension accumulée depuis plusieurs jours. Elle aurait préféré nettement marcher pour oublier ses tourments dans les douleurs de ses orteils. Au lieu de ça, elle se contente de tremper consciencieusement la chemise de l'Aveugle une bonne partie de la nuit, la tête reposant dans son dos.
Les nombreuses nuits passées à arpenter sa chambre à Annecy, les tensions dans sa cervelle, le balancement du cheval, sans doute la proximité rassurante d'un bonhomme, amènent la Ménudière épuisée à fermer les yeux, un instant. Un instant où le sommeil effleuré du bout des songes est vide de cauchemars. Effleuré, parce qu'aussitôt assoupie, Eliance glisse irrémédiablement sur le poil lisse de la croupe du cheval, entraîné par son corps relâché. Elle glisse et se réveille en sursaut, raccrochant ses mains dans un sursaut sur les bras de l'Aveugle. Elle ne tombera pas cette nuit-là. Mais elle ne dormira pas non plus.
Et ils s'éloignent, toujours plus.
C'est terminé. Tout est terminé...
Ou peut-être pas.
Quelques heures après l'aube, un pigeon viendra tournoyer au-dessus de sa tête, apportant des mots doux, ceux de l'Italien resté derrière, abandonné.
Des mots qui permettront d'accompagner l'inexorable fuite en avant d'une Meringue en perdition.
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Tout a commencé par une somptueuse lettre du second officiel en chef.
« DÉPART CE SOIR ET QUE PERSONNE NE SE LOUPE BANDE DENFOIRÉS !
[...] Si dormeur il y a, il ne sera pas attendu, il devra nous suivre à distance, il voyagera seul, tout seul, et se fera bouffer par des loups, ou pire séquestré par un vieux moine sans dent qui lui sucera lorteil jusqu'à los ! [...] »
Allez savoir pourquoi, tout le monde est arrivé à l'heure sur la place du marché. Aucun absent à déclarer. Même les mioches n'ont pas fait d'histoires. On pourrait appeler ça la magie du pouvoir et de l'autorité, mais ce serait mal connaître le Mike qui a plutôt été piqué par quelque mouche ensorcelée avant de rédiger cet appel au départ barré, que même sa femme (parce que maintenant ils sont mariés, ça y est !) ne s'explique pas.
Mais en fait, non. Tout a réellement commencé quelques jours plus tôt par une première lettre rédigée par la femme du second où on pouvait lire...
« En avant bande de mécréants ! »
... et qui sonnait l'heure du départ véritable. C'est avec cette missive que tous ont su que Annecy serait quitté rapidement. C'est avec ce pli que les baluchons ont été fait, les chambres vidées, les réserves constituées.
Qui de la lettre d'Atro ou de Mike a poussé la troupe au départ ? On ne saura jamais. Le résultat est le même. Et sur la place du marché, tous sont réunis autour de Pimp et de ses chevaux (volés, il va sans dire), chacun tentant de déterminer quelle monture serait la plus adéquate pour l'emporter jusqu'à la destination finale sans trop d'encombres. Autant préciser que pour Eliance, le départ est compliqué. Quitter la ville, son Italien, les jumeaux, grimper sur une bestiole qui va la flanquer par terre dès les premières foulées nécessitent une force qu'elle n'a pas. Pas de courage en vue donc,mais une volonté inflexible de suivre Atro et Mike partout où ils iront. Alors quand Sileo choisit un canasson, elle grimpe derrière lui (passons le poussage de fesses par une Atro bien décidée à embarquer sa copine coûte que coûte) et s'accroche à sa chemise comme si sa survie en dépendait, avant même que le cheval ait bougé d'un sabot.
La saison des départs s'est donc entamée ce soir du 20 octobre avec une joyeuse troupe plutôt morne qui a franchi les portes de la ville dès la nuit tombée. Les bras épinglés à l'Aveugle, la Ménudière a regardé longtemps les lueurs citadines, dans une torsion de tête peu confortable, craignant de quitter des yeux les murs qui renferment ceux qui font sa famille. Au détour d'un tournant, la ville a fuit l'horizon et Eliance n'a eu d'autre choix que de se reporter sur l'avant. L'Aveugle gère la stabilité des deux sur le canasson, elle s'occupe de la direction et des rennes. Dans les faits, la monture suit ses copains et la Meringue n'a aucune aide directionnelle à apporter pour le moment, trop occupée de toute manière à sangloter le plus silencieusement possible dans le dos de l'Aveugle pour évacuer toute la tension accumulée depuis plusieurs jours. Elle aurait préféré nettement marcher pour oublier ses tourments dans les douleurs de ses orteils. Au lieu de ça, elle se contente de tremper consciencieusement la chemise de l'Aveugle une bonne partie de la nuit, la tête reposant dans son dos.
Les nombreuses nuits passées à arpenter sa chambre à Annecy, les tensions dans sa cervelle, le balancement du cheval, sans doute la proximité rassurante d'un bonhomme, amènent la Ménudière épuisée à fermer les yeux, un instant. Un instant où le sommeil effleuré du bout des songes est vide de cauchemars. Effleuré, parce qu'aussitôt assoupie, Eliance glisse irrémédiablement sur le poil lisse de la croupe du cheval, entraîné par son corps relâché. Elle glisse et se réveille en sursaut, raccrochant ses mains dans un sursaut sur les bras de l'Aveugle. Elle ne tombera pas cette nuit-là. Mais elle ne dormira pas non plus.
Et ils s'éloignent, toujours plus.
C'est terminé. Tout est terminé...
Ou peut-être pas.
Quelques heures après l'aube, un pigeon viendra tournoyer au-dessus de sa tête, apportant des mots doux, ceux de l'Italien resté derrière, abandonné.
Des mots qui permettront d'accompagner l'inexorable fuite en avant d'une Meringue en perdition.
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