Eliance
Elle a gardé longtemps la clé, rangée avec attention au fond de la bourse. Longtemps elle l'a tâtée du bout des doigts. Longtemps elle s'est assurée de sa présence inconditionnelle. Mais jamais elle n'est venu voir ce que cette clé ouvre. La timidité, le besoin incessant de fuir, la peur de décevoir.
Parce que son frère, pour elle, c'est à la fois tout et rien. Elle se résigne à n'être pas grand chose pour lui, évitant ainsi de le décevoir davantage que ce qui est déjà fait. Mais dans son âme, il est LE frère, sa moitié de frère et pourtant le seul, l'unique. Elle a bien appris en avoir d'autres, deux en l'occurrence plus une demi-sur. La demi-sur est restée inconnue même après des heures à parler. Théran a essayé, mais le résultat n'a pas été plus concluant. Quant à l'aîné, inconnu au bataillon. Alors Thomas reste LE frère, SON frère. Celui qui est là, celui qui la couve, celui qui la console, celui qui l'a accueilli tout de suite à bras ouverts dans sa vie. Il est aussi celui qui sermonne, celui qui rabaisse parfois, celui qui vexe, celui qui reste secret. Mais qu'est-ce qu'elle peut l'aimer. Depuis toujours, elle déteste le quitter, elle adore le retrouver. C'est sans doute ce qui explique ses récurrents départs pour des contrées lointaines, sans véritable but, seulement celui de s'éloigner pour mieux revenir.
Le voyage en Italie a été l'excuse pour le revoir cette fois-ci, et c'est autour d'une choppe qu'ils se sont serrés dans les bras et qu'ils ont causé de tout et de rien, comme d'habitude. Mais ce sont bien deux petits mots qui ont choqués la cadette et modifiés tous ses plans. Des innocents « je » et « tu », dans une seule et même phrase. Ça a été merveilleux. Une phrase qui disait quelque chose du genre « Je t'aime. Écris-moi. Je répondrais toujours, moi. Content de t'avoir revu, trop court, mais content. » Outre le fait que les déclarations de la sorte sont inhabituelles sortant de la bouche du Talleyrand, ce qui encore plus extraordinaire, c'est le « je ». Le « tu », il l'avait déjà employé une fois. Mais le « je »... Thomas qui se raconte en « je » et plus « nous » ! C'est bien ça qui l'a laissé sur le cul. C'est bien ça qui l'a poussé à prendre le chemin du domaine le soir-même. Il aurait pu lui dire « je t'emmerde » ou « je veux plus te voir », le plaisir aurait été le même. C'est bien ces deux mots-là qui en disent le plus pour elle, qui ont le plus de sens, laissant les autres au rang de vulgaires outils inutiles.
Une sensation étrange. Une envie de le voir davantage. Oui. Une envie. Une des rares qu'elle identifie. Simplement l'envie d'être avec lui, de le voir rire, vivre, d'être un peu à ses côtés. Peu importe les mystères qui entourent le frère, elle ne goûte plus que le plaisir simple de le voir, sans chercher plus loin.
Et là, elle a décidé qu'elle veut un moment avec lui. Alors elle a demandé à ses compagnons de périple un départ différé, une seule et unique soirée dans le coin et c'est accompagnée de Diego qu'elle a pris le chemin du domaine, se faisant indiquer par des paysans le bon chemin. Pour une fois, elle n'a pas mis de belle robe chic, elle est restée dans sa tenue poussiéreuse de voyage. Tenue dans laquelle elle a trouvé une poignée d'écus venus de nul part, sans doute glissés discrètement par Thomas aux moments des adieux. Il sait qu'elle aurait refusé, sans quoi. Les pièces lui ont tirée un sourire et un secouage de caboche. Tenue plus pratique aussi pour monter à cheval. Car c'est bien à cheval qu'ils se rendent dans le sud, se soumettant aux habitudes de voyage de leurs compagnon. Si l'Italien est relativement à l'aise sur la monture, la Ménudière calée contre son dos l'est beaucoup moins, s'accrochant à son homme comme une tique dans le cou d'un chien, rebondissant maladroitement sous le galop du canasson, râlant à chaque escale de la douleur fessière qui se fait lancinante.
Mais les râlages ont été mis de côté et le sourire a pris largement le dessus sur le visage de la rousse. La route n'aura pas été longue, le domaine est en vue. Son coeur s'est accéléré à la vue de la bâtisse, son âme à prier pour que le frère soit bien là et pas dans un troquet ou chez une maîtresse. La monture est arrêtée d'un mouvement de rennes et Eliance est la première à poser le pied à terre. Le temps de s'épousseter rapidement, de jeter un regard au Dracou pour l'inviter à la suivre. Une main lui est même tendue, dans un objectif de réconciliation durable. Car c'est bien les tourments profonds qui agitent une fois de plus le couple Corellio. Mais ça, c'est une autre histoire. Les marches sont gravies et le petit poing cogne sur la porte tandis que l'autre main serre plus fort celle de l'Italien sous le coup de l'attente.
Elle n'a même pas pensé à qui pourrait être là. Ses autres frères, la nouvellement femme de Thomas ou tout autre personne invitée dans le coin, amante comprise. Non. Elle pense juste à lui, son frère. Et à cette clé qui repose au fond de sa bourse et dont elle n'ose pas se servir.
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Parce que son frère, pour elle, c'est à la fois tout et rien. Elle se résigne à n'être pas grand chose pour lui, évitant ainsi de le décevoir davantage que ce qui est déjà fait. Mais dans son âme, il est LE frère, sa moitié de frère et pourtant le seul, l'unique. Elle a bien appris en avoir d'autres, deux en l'occurrence plus une demi-sur. La demi-sur est restée inconnue même après des heures à parler. Théran a essayé, mais le résultat n'a pas été plus concluant. Quant à l'aîné, inconnu au bataillon. Alors Thomas reste LE frère, SON frère. Celui qui est là, celui qui la couve, celui qui la console, celui qui l'a accueilli tout de suite à bras ouverts dans sa vie. Il est aussi celui qui sermonne, celui qui rabaisse parfois, celui qui vexe, celui qui reste secret. Mais qu'est-ce qu'elle peut l'aimer. Depuis toujours, elle déteste le quitter, elle adore le retrouver. C'est sans doute ce qui explique ses récurrents départs pour des contrées lointaines, sans véritable but, seulement celui de s'éloigner pour mieux revenir.
Le voyage en Italie a été l'excuse pour le revoir cette fois-ci, et c'est autour d'une choppe qu'ils se sont serrés dans les bras et qu'ils ont causé de tout et de rien, comme d'habitude. Mais ce sont bien deux petits mots qui ont choqués la cadette et modifiés tous ses plans. Des innocents « je » et « tu », dans une seule et même phrase. Ça a été merveilleux. Une phrase qui disait quelque chose du genre « Je t'aime. Écris-moi. Je répondrais toujours, moi. Content de t'avoir revu, trop court, mais content. » Outre le fait que les déclarations de la sorte sont inhabituelles sortant de la bouche du Talleyrand, ce qui encore plus extraordinaire, c'est le « je ». Le « tu », il l'avait déjà employé une fois. Mais le « je »... Thomas qui se raconte en « je » et plus « nous » ! C'est bien ça qui l'a laissé sur le cul. C'est bien ça qui l'a poussé à prendre le chemin du domaine le soir-même. Il aurait pu lui dire « je t'emmerde » ou « je veux plus te voir », le plaisir aurait été le même. C'est bien ces deux mots-là qui en disent le plus pour elle, qui ont le plus de sens, laissant les autres au rang de vulgaires outils inutiles.
Une sensation étrange. Une envie de le voir davantage. Oui. Une envie. Une des rares qu'elle identifie. Simplement l'envie d'être avec lui, de le voir rire, vivre, d'être un peu à ses côtés. Peu importe les mystères qui entourent le frère, elle ne goûte plus que le plaisir simple de le voir, sans chercher plus loin.
Et là, elle a décidé qu'elle veut un moment avec lui. Alors elle a demandé à ses compagnons de périple un départ différé, une seule et unique soirée dans le coin et c'est accompagnée de Diego qu'elle a pris le chemin du domaine, se faisant indiquer par des paysans le bon chemin. Pour une fois, elle n'a pas mis de belle robe chic, elle est restée dans sa tenue poussiéreuse de voyage. Tenue dans laquelle elle a trouvé une poignée d'écus venus de nul part, sans doute glissés discrètement par Thomas aux moments des adieux. Il sait qu'elle aurait refusé, sans quoi. Les pièces lui ont tirée un sourire et un secouage de caboche. Tenue plus pratique aussi pour monter à cheval. Car c'est bien à cheval qu'ils se rendent dans le sud, se soumettant aux habitudes de voyage de leurs compagnon. Si l'Italien est relativement à l'aise sur la monture, la Ménudière calée contre son dos l'est beaucoup moins, s'accrochant à son homme comme une tique dans le cou d'un chien, rebondissant maladroitement sous le galop du canasson, râlant à chaque escale de la douleur fessière qui se fait lancinante.
Mais les râlages ont été mis de côté et le sourire a pris largement le dessus sur le visage de la rousse. La route n'aura pas été longue, le domaine est en vue. Son coeur s'est accéléré à la vue de la bâtisse, son âme à prier pour que le frère soit bien là et pas dans un troquet ou chez une maîtresse. La monture est arrêtée d'un mouvement de rennes et Eliance est la première à poser le pied à terre. Le temps de s'épousseter rapidement, de jeter un regard au Dracou pour l'inviter à la suivre. Une main lui est même tendue, dans un objectif de réconciliation durable. Car c'est bien les tourments profonds qui agitent une fois de plus le couple Corellio. Mais ça, c'est une autre histoire. Les marches sont gravies et le petit poing cogne sur la porte tandis que l'autre main serre plus fort celle de l'Italien sous le coup de l'attente.
Elle n'a même pas pensé à qui pourrait être là. Ses autres frères, la nouvellement femme de Thomas ou tout autre personne invitée dans le coin, amante comprise. Non. Elle pense juste à lui, son frère. Et à cette clé qui repose au fond de sa bourse et dont elle n'ose pas se servir.
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