Voilà, c'est sorti. Elle a craché le morceau. Elle aurait préféré croquer dix graines de moutarde et taire toute cette foutue vérité. Mais Eliance est quand même fière de pas avoir fui cette fois, fière d'avoir affronté le problème bien droit dans les yeux.
Sauf que s'ensuivent un torrent de larmes, un cri strident, et pshittt !!... plus de môme... Pour sûr, celle-là, c'est bien la fille de sa mère : un foutu caractère et une prédisposition pour la débandade.
Elle reste quelques instants sur le cul, par terre, comme un âne, avec tous les poivrots qui la scrutent sans vergogne. En se relevant, elle croise le regard interloqué de l'italien :
« Ben quoi ! j'ai rien fait moi ! pourquoi qu'elle se tire ?! »
L'impression d'avoir agit comme il faut, et pourtant, elle sent bien que quelque chose cloche. Elle est loin de s'imaginer qu'un peu de tact aurait pas été du luxe. Elle a pas anticipé la réaction de la gamine. D'ailleurs, elle a pas envisagé que cela puisse être compliqué d'entendre ces choses quand on est haut comme trois pommes et demi. Elle n'a pensé qu'à elle.
Après réflexion tardive la réflexion, hein ! , elle aurait dû pas tout dévoiler d'un coup.
Après réflexion, elle aurait dû rien dire à propos de la Jaquemine...
Après réflexion... qu'est-ce qu'elle se sent nulle ! idiote ! insensible ! maladroite ! inutile ! mauvaise mère ! pourrie jusqu'à la moelle !
Un comble quand même ! à peine mère qu'elle est déjà plus que médiocre, elle est à chier ! déplorable ! minable ! désastreuse...
Son incapacité à gérer les problèmes lui saute d'un coup au visage.
D'ordinaire, elle oublie, mais là... est-ce qu'elle peut ignorer volontairement cette fois... une gosse, SA gosse, SA fille ?
Elle est en colère la rousse. En rogne contre elle-même, contre cette mioche qui comprend rien à ses bonnes intentions, contre Diego qui aurait dû lui dire comment faire, lui qui a déjà vécu ça ou presque, contre ces péquenots qui la dévisagent et la jugent sûrement déjà sans rien connaître de l'histoire, contre ce tavernier de malheur qui a crié son nom,... contre le royaume entier !
Le comptoir soutient ses états d'âme, ainsi que ses coudes et ses yeux dévastés. Ça cogite ferme là-haut. Sauf que c'est plus le bordel qu'autre chose ! La mioche, le problème, est partie, et pourtant, Eliance est en rien soulagée. Pire, elle culpabilise sévère. C'est qu'elle songe même plus à l'abandonner sa fille... Elle VEUT la retrouver ! Elle veut pas être aussi nulle que ses parents. Elle veut donner une chance à cette gamine qui n'a rien demandée finalement. La hantise des chiards est remisée dans un coin sombre de sa cervelle. Elle change la rousse ; elle se découvre un peu plus à chaque soucis rencontré, à chaque épreuve gérée, surmontée. Elle devient plus forte à force d'erreurs stupides accumulées.
« Faut que je la rattrape ! »
Elle a tourné les talons aussi sec, bien décidée à réparer ses erreurs. Mais aussi sec, la voilà de retour...
« Cré nom de nom ! je connais même pas son nom à la 'tiote... j'vas pas arpenter les rues si je peux pas beugler quéque chose ! »
Elle ressort la lettre de Jaquemine et la relit rapidement.
« Elle pouvait pas l'écrire quelque part comment qu'elle l'a appelé, non ?! foutue rebouteuse ! »
À nouveau accoudée au comptoir, le crâne soutenu dans ses mains, la rousse réfléchit, essayant de trouver LA bonne idée qui pourra lui faire rattraper le coup.
« Et pis tant pis si j'ai rien à crier. J'vais chercher avec mes yeux !
Diego, vous m'aidez ou bien ? »
Question posée à moitié, puisque ça ressemble plus à un ordre. Elle voit pas ce qu'il pourrait faire d'autre que l'aider tiens ! D'ailleurs, elle l'a déjà attiré dehors. Les voilà tous deux devant la porte de l'établissement.
« Z'avez qu'à partir de ce côté, moi j'vais de celui-là, et on se rejoint ici.
Regardez dans tous les coins hein ! j'suis sûr elle s'est cachée la vicieuse ! »
Un dernier regard gratifiant, ainsi qu'un baiser posé aux coins des lèvres du brun, suivi d'un murmure, un aveu...
« Merci... je sais pas ce que je ferais sans vous... »
et la rousse s'empresse d'aller scruter les recoins de chaque ruelles, à la recherche de sa fille.