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[RP]Malheur à qui veut barrer ce qu'il fut

Anicet, incarné par Jibril
Las ! Combien ces jours, combien ces nuits pouvoient estre longues depuis que le temps s’estoit arresté pour tous ces bons maistres qu’avoient été Maistre Valatar et Maistre Maryan.

Combien depuis ces temps, l’ennuy avoit peu à peu gagné la place en le beaulx domaine de Culan. Non que rien ne se passast. Mais depuis les funérailles du Baron d’Aupic, en elles-mesme point fort réjouissantes, seules quelques visites inutiles agitoient les longues - si longues - journées de la maisonnée.

Il y avoit là Petit-Lévan, le palefrenier fol, qui entretenoit conversation avec Anicet, mais ce dernier préferoit de loin la doulceur d’un nid de feuilles chues de par la cime d’un arbre sur lequel s’asseoir, dormir. Resver devenoit un honneur confié par le Très-Haut pour bénir les doulces, mais si longues, journées.

La petite laitière, fille de feu maistre Luruchon, qui avoit occupé la ferme laitière bien longtemps au bas-village avant que de passer de vie à trépas après qu’une de ses vaches se fust vengée de luy, la petite laitière, donc, estoit montée, la veille. Elle avoit commercé son lait dans la grange avec Petit-Lévan pendant une demi-heure et la négociation avoit été si rude qu’elle en avoit encor moulte paille dans les cheveux. Ils dusrent partir en inimitiés, car il ne luy avoit finalement pas pris son lait.

Ainsi de ponctuelles visites animoient par moments le domaine. Sinon, Anicet en faisoit le tour entre chaque repos. Il ne manquoit jamais de passer par la chapelle, qui n’estoit plus guère utilisée qu’occasionnellement, lorsque Dame Anne y faisoit le rare honneur d’une visite. Dans la chapelle, gisoient en leurs enfeulx les maistres des lieulx. Valatar, le chaste. Père aimant, époulx attentionné. Maryan, la sobre. Dont le calme naturel jalousoit simplement le dévouement à l’aultre. Mentaïg, l’avenante. Son ouverture d’esprit avoit fait d’elle la femme la plus courtisée du duché. Gabriel, le tolérant. Ouvert à tous, il ne jugeoit jamais l’autrui que comme aultre luy-mesme. Homme des Bois, le vivace. Toujours si enthousiaste en tout, qu’il sembloit estre partout à la fois.
Caressant discrètement la pierre de chacun des enfeulx, Anicet pria doulcement pour luy-mesme. Il prit place en un prie-Dieu, puys dormit jusqu’au suivant éveil.

Il entreprit alor ce qui devoit estre son dernier tour de garde avant que de s’en retourner en sa chambrée, certain qu’une fois de plus, ryen ne perturberoit cette tâche qu’il s’assignoit chaque soir.


Vieil homme! Porte nous ripaille et tu auras la vie sauve.

Cette voix qui luy parvint de par delà le muret fit sursalter pauvre Anicet. Se retournant de sa légendaire vivacité, il prist courage pour porter réponse. C'estoit un homme seul qui luy parloit, de petite taille et de carrure médyocre, mais il portoit coutel byen oiguysé.

Partez cy vite, ami. Car suis moyns vieil que pouvez le croire, et le castel est gardé de moult guerriers qui n'ont eu crainte de tant ennemys que le Berry en eust.

Quelques pas plus loyn, transy de terreur, Petit-Levan jeta de par le muret un fromage qui pourtant, de grand goust, luy venoit de Normandye par la petite Luruchon. Anicet ne sust poynt si ce fut l'odeur ou le contentement quy fit partir l'indésirable. Mais il se résolut à prévenir Madame.

Un courrier ne feroit qu'affoler vainement. Cette foys, c'estoit trop. Trop de mausoise gens quy venoient chercher querelle autour du castel. Anicet avoit décidé: demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, il partiroit. Il savoit byen qu'elle ne l'attendoit pas. Mais il yroit par la forest, il yroit par la montagne, jusques en loyntaine Bourgogne.

Et byen qu'il eust pu demeurer loyn d'elle plus longtemps, il marcha les yeux rivés sur ses pensées, sans ryen voir au dehors, sans entendre nul bruyt, seul, sans porter les armes de ses maistres, le dos courbé par les ans, les mains croisées, tryste de s'éloigner des seules terres qu'il connoissoit, et il marchoit de jour comme de nuyt. Il s'attardoit souvent pour dormir dans l'or du soyr qui tomboit, et resvoit aux chevaux, au loi, descendant vers Sancerre.

Puys enfin, il arrivoit. Il arrivoit par un matin de temps sy clair qu'il crust avoir marché toute la saison. Estoit-ce jà juillet et les temps de moissons? Lorsqu'il vist les armes du duché de Culan scintiller à ses yex sur les hauteurs de la ville, un sourire de fierté vint perturber le mouvement étrange que faisoient tous-jours ses lèvres lorsqu'il avoit trop marché. Passant la grille, il fut introduit par Bacchus, qu'il aimoit guère mais qu'il connoissoit byen. Il passa par le petit chemin pavé où on luy proposa d'attendre l'arrivée de Madame, luy signifiant qu'il la dérangeroit sans doute.
Anne_blanche
L'hiver avait été pénible, le printemps le serait sans nul doute.
C'est sur ce constat qu'Anne se leva, en ce matin de mars. Elle était rentrée tard la veille de Dijon, où elle avait passé la journée à s'ennuyer. Les discussions, au Conseil, n'avaient plus le caractère insupportable du mandat précédent, mais n'en étaient pas plus émoustillantes.

Elle n'avait pas reçu depuis des semaines de nouvelles de son fils. Il fallait bien avouer qu'elle n'en demandait guère. L'ennui engendre la lassitude, et la simple idée de noircir un parchemin de conseils ou de reproches fatiguait la duchesse de Courtenay.
Anne-Marie allait très bientôt quitter Sémur. Depuis longtemps déjà Anne savait que sa fille n'avait aucun avenir en Bourgogne : tout y était trop figé. Et même si la demoiselle n'était pas tombée amoureuse du vicomte Fred, feudataire du Domaine Royal, c'est là-bas qu'Anne l'aurait conduite. C'est seulement sur les terres de Sa Majesté qu'une Culan pouvait donner sa pleine mesure.
Ou en Berry.

Une vague de nostalgie la submergea. Et puisqu'il faisait beau, presque trop chaud pour une matinée de fin d'hiver, Anne sortit sur la première terrasse, derrière la maison, et s'avança jusqu'à la balustrade. A sa droite, la masse du château de Sémur dominait la vallée de l'Armançon, nettement visible en contrebas, puisque les arbres qui le masquaient en été étaient encore sans feuilles. A gauche, un mur aveugle fermait la terrasse, et même en se penchant on n'apercevait de ce côté que les frondaisons des arbres fruitiers qui poussaient dans le verger, sur la pente.
Et droit devant, c'était le Berry. Bien sûr, on ne le voyait pas. Mais Anne savait qu'il était là, et que si ses yeux avaient été plus perçants, l'air plus transparent, le relief bourguignon plus plat, elle aurait cru pouvoir toucher du doigt la colline de Sancerre, là-bas, par-delà la Loire. Le jour viendrait où elle pourrait y retourner, sans risquer d'être assassinée par les sbires de son grand-oncle d'Aigurande.
Douze années. Douze longues années s'étaient écoulées depuis la mort, à quelques semaines d'intervalle, de sa mère, puis de son frère, enfin de son époux. Douze années depuis qu'elle avait tenté un retour en Berry, et n'y avait rencontré, concentrée sur sa tête, que la haine accumulée à l'endroit de sa parentèle. Douze années qu'elle avait trouvé refuge ici, à Sémur, auprès de Dame Marie-Alice.
Elle avait vieilli, avait franchi le sommet de la trentaine, glissait désormais inexorablement sur la mauvaise pente.

Anne tendit vers un bourgeon de poirier, au ras de la balustrade, sa main gantée. Son geste s'arrêta. Un poirier, la poire, la poire de Sancerre... Pourquoi tout la ramenait-elle au Berry, ce matin-là ?
Au Conseil, la veille, on en avait encore parlé. Les brigands du Fatum s'y assemblaient, disait-on. Viendraient-ils en Bourgogne ? Anne n'y croyait guère. Mais elle partageait l'inquiétude des élus et des consultants. L'objet en était différent, simplement. Eux avaient peur pour la Bourgogne, elle pour ses serviteurs et ses tenanciers berrichons.


Dame Anne !

Oui, Bacchus ?


Le gros cocher s'était approché à pas de loup, malgré sa corpulence. A cette heure matinale, il était parfaitement sobre.

Dame Anne, c'est Maître Anicet.

Ani... Il est mort ?


Impossible. Anicet était vieux, certes, mais cela faisait tellement longtemps qu'il pouvait bien durer encore un peu.

Non, Dame ! Le Très-haut soit loué, il n'est point mort. Il est là.

Anne se méprit encore.

Il est las ? Rien d'étonnant, à son âge. Mais aussi, pourquoi n'accepte-t-il pas plus d'aide ? Petit-Levan pourrait le seconder bien mieux qu'il ne le...

Les farouches dénégations de Bacchus, qui agitait silencieusement son index, la coupèrent dans son élan.

... eh bien ?

Il est là, Dame Anne. Ici, quoi. Dans la grand-salle. J'y ai ben dit que c'était point l'heure mais il veut point attendre.


Anne n'entendait plus.
La place d'Anicet était à Culan. De tout temps, Anne l'y avait connu fidèle au poste, traînant après ses vieilles chausses, avec le poids des ans, toute la lassitude du monde. Anicet à Sémur, c'était pire qu'une faute : une incongruité.

Elle poussa la porte de la grand-salle elle-même, dans sa hâte de comprendre ce que le vieil homme faisait en Bourgogne. Mais même l'inquiétude ne pouvait inciter Anne à faire fi de son calme ordinaire, au moins en apparence.


Anicet, le bonjour. Ne restez point debout. Venez çà, près du feu, et vous restaurez avant que de me conter la raison de votre visite.

A moins que le vieil Anicet n'ait beaucoup changé, la réserve de patience d'Anne risquait d'être fort entamée avant qu'elle ne sût ce qui avait poussé le vieillard en Bourgogne. Elle s'assit donc, les mains sagement posées dans son giron, prête à affronter la lenteur faite homme.
_________________
Anicet.
Lorsqu’il luy estoit arrivé de rencontrer le Bacchus, Anicet estoit toujours à Culan. C’estoit jà byen mésagréable, mais au moyns, c’estoit en castel connu et confortable. Ycelieux, c’estoit dans une demeure de ville, petite et fort laide aux yeulx de qui avoit connu Culan.

Laide, petite, par trop chaude. Ou trop fraische. Anicet n’aimoit guère imaginer la pauvre vie que devoit mener Madame en cet hostel miserable.

Oh ! Il avoit vécu, lui mesme, dans une chaumière minuscule avec son pauvre père, sa pauvre mère, que le Très-Haut les garde, ses sept frères ( Aristophile, Brestlitovscque, Céquiqui, les jumeaux Drablan et Edredon, Frayberry, Georgeon) et ses troys sœurs (Halleberry, Icicépapary, Jéronima). Mays enfin, luy n’estoit pas de telle race. La noblesse est vertue de la race, disoit souvent feu Gabriel de Culan, dernier mâle à avoir hérité du titre.

Mays Ycelui s’en estoit allé combattre hérétiques en terres helvétiques et n’en estoit jamais revenu.

Debout dans cette petite salle qu’on nommoit estrangement la grande salle, Anicet craignoit l’arrivée de Madame. C’est qu’il ne l’avoit pas revue depuis byen longs temps, et qu’elle avoit pu prendre du caractère de sa mère. Et ycelle n’aimoit guère estre dérangée lorsqu’elle s’occupoit… on ne sauroit dire à quoi.

Mais elle entra. Resplendissante. Elle ressembloit à feu son père. Mays avec quelque chose de différent. Qu’estoit-ce ? Anicet demeura coi quelques instants.


Anicet, le bonjour. Ne restez point debout. Venez çà, près du feu, et vous restaurez avant que de me conter la raison de votre visite.

Quel empressement… Il préféra demeurer quelques instants à regarder sa maistresse pour byen cerner ce qui la distinguoit du premier Culan qu’il avoit servi. L’image de son ancien maistre le fit frémir. Puys il remarqua byen la différence.

Madame estoit en fait femme, tandis que Monsieur estoit homme. Mays il y avoit autre chose, plus fort encor : Madame estoit en vie, tandis que Monsieur estoit en trépas.
Satisfait de son constat, il ôta son chapeau et s’inclina. Son dos luy fit un léger mal qu’il tenta de dissimuler. Ravi de répondre à l’invitation, il s’assit à l’endroit désigné par Madame.

Et comme elle luy avoit proposé de se restaurer, il dust se résoudre à obéir.
C’est que les fruits qui gisoient sur la table près du feu alloient pourrir s’ils n’estoient pas ingérés. Anicet en prit une poire. Comme elle n’estoit pas bonne, il fit une mine de dégoust mays pour ne poynt offenser son hostesse, il ne dit ryen et la termina.
Recrachant pépin, il ouvrit grand la bouche pour parler. Un peu d’air entra et c’est un étrange bruyt qui sortit. Comme s’il avoit bu, ce qui n’estoit pourtant pas le cas.


Mahips, dit-il, avant de se reprendre très dignement, Madame honore le vieil Anciet d’estre reçu par elle malgré les nombreuses occupations qui l'accablent. Puisse-t'elle pardonner mon intrusion dans son sy petit hostel. Je viens pour avertir Madame, mais qu’elle ne craigne pas pour son byen, car le castel est entre les mains de Petit-Lévan qui a byen grandi et sait désormais faire bon œuvre.

Il prit une longue inspiration, hésita à reprendre une poire pour la faim, puys se ravisa.

Cependant, je doys avertir Madame que le Berry va mal. Sans nul doute sait-elle que depuys l’exil de la famille Culan, le duché est en faillite. Au jour qu’il est, pas un jour ne passe sans que brigands n’approchent du castel. Je sais byen les repousser, les effrayer, et il m’a été donné par le Très-Haut la force et le courage d’en occire certains. Aussi sont-ils byen moyns nombreux qu’auprès des autres castels. Mays j’ai cru qu’il falloit que Madame sache.

Il avoit encor à la rassurer en luy contant les nouvelles qu’il avoit reçu de la domesticité d’Ainay-le-Vieil où les choses alloient byen pis. Mays il jugea qu’il avoit assez parlé. Il préféra laisser à Noble Dame le soin du jugement.
Anne_blanche
Il l'observa, placide et attentif, si longuement qu'Anne se demanda si elle n'avait plus le nez au milieu de la figure, ou si le voyage avait tellement épuisé le pauvre Anicet qu'il allait tomber là, non point raide mort, mais en petit tas de poussière. Elle avait beau le bien connaître, et depuis sa naissance, il faut bien avouer qu'elle avait eu douze ans pour se déshabituer de ses manières, et qu'elle était assez mal à l'aise.

Enfin, le vieillard se décida à un semblant de révérence, qu'Anne accepta d'une inclinaison de tête. Elle avait bien eu envie de lui dire qu'il était inutile, à son âge, qu'il se conformât au protocole au point de s'en faire gémir les os, mais elle se retint en se remémorant qu'il est fort malséant de rappeler aux gens qu'ils sont plus proches de la tombe que du berceau.

Quand il fut assis, elle eut un petit soupir de soulagement : enfin elle allait connaître la raison du long voyage qu'Anicet s'était imposé.
Mais rien ne vint. Quelle idée, aussi, que de lui propose une collation ! D'autant que le fruit qu'il avait choisi n'était manifestement pas à son goût. Cela, Anne pouvait le comprendre : les poires n'ont aucune saveur quand on a connu l'incomparable moelleux de celles de Sancerre.

Une poire, un pépin et un hoquet incongru plus tard, le digne serviteur se décida enfin... à sa façon. Etait-il possible qu'il eût ainsi toujours tourné autour du pot ? Oui... oui, sans aucun doute. S'en étaient-elles amusées, sa soeur Blanche et elle, quand elles l'écoutaient rendre à leur mère, qui ne s'offusquait point de sa lenteur puisqu'elle avait l'esprit à ses robes, son rapport quotidien.
Mais Anne n'était point Maryan. Elle voulait savoir, et tout ce qu'elle avait, c'était un


...mais qu’elle ne craigne pas pour son byen...

Comme si de savoir Culan entre les mains de Petit-Lévan, même "byen grandi", pouvait rassurer en quoi que ce soit la propriétaire !

S'ensuivit un long discours - long pour Anicet - qu'il fallut décrypter.
Résistant farouchement à la tentation de poser des questions, qui auraient obtenu des réponses sibyllines, Anne se leva et vint s'asseoir exactement en face du vieux serviteur.


Vous avez bien fait de venir me le dire, Anicet. Je vous en suis très reconnaissante.

Et in-petto :

Voyons... Anicet a bien dû tuer en rêve quelques malfrats, mais en rêve seulement. Quoi qu'il en soit, Culan est bien gardé. Et mon oncle d'Aigurande, tout félon qu'il soit, ne laisserait personne s'en prendre à un seul château du Berry. Cependant, Anicet est ici.


Oui, il était ici, avait parcouru à pied soixante lieues, avait abandonné à un garçon d'écurie le soin de garder le castel...

Anicet, vous allez demeurer ici quelques temps. Cette maison de ville vous paraîtra certes bien modeste, mais il y a de l'ouvrage pour vous.

Dans l'esprit d'Anne, il ne faisait aucun doute qu'Anicet avait eu peur. Il n'avait plus personne, en Berry, du sang des Culan, vers qui se tourner. Il était venu vers elle, et elle se sentit prise pour le vieil homme d'un élan de tendresse.


Je m'en vais faire savoir à la Duchesse de Bourgogne l'odieuse situation que vous me décrivez. Nul doute qu'elle en tiendra le roi informé. Et dès que les brigands seront chassés du Berry, nous irons à Culan. Bacchus va vous montrer vos quartiers.


Elle retourna à son écritoire, pour faire connaître à Anicet que l'entretien était terminé, et se mit à son courrier.
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Anicet.
Le Roy ! Qu’avoit-il dit… A parler à Duchesse, on s’expose à plus grand que soi. Voilà que le Roy alloit estre au tenu informé du modeste rapport produit par le vieil Anicet. Et si cestuy-là n’aimoit point ce qu’il entendroit ? Et s’il décidoit de retirer ses fonctions au pauvre Anicet ? Qu’alloit-il devenir ?

Et dans les mesmes temps, s’il amoit la vaillance du modeste portier venu avertir le Royaume en parcourant 60 lieues par ses propores moyens. Lors, ce seroit la gloire.

Las ! La gloire ne vint pas. Passèrent les jours dans cet hostel médiocre. Anicet, fidèle à son historique fonction, qu’il exerçait depuis les anciens temps, trouva une souche près de l’entrée de l’hostel, et y resta assis le jour durant, annonçant (trop fort) les visiteurs lorsqu’il s’en présentait.

Il s’en présentait d’ailleurs fort peu. Madame, en revanche, sortoit beaucoup. S’il avoit été demandé à Anicet, il auroit répondu qu’elle sortoit trop, et que c’estoit place d’une noble Dame que de recevoir. Mais personne ne luy demandoit. Lors il ne disoit ryen.
Souvent, assis les heures durant sur la souche d’un arbre, il songeoit à Petit-Lévan. Le jeune palefrenier n’estoit plus le fol qu’il avoit été plus jeune. Il négoçioit avecque le tact d’un commerçant. Nul doute que Culan estoit désormais entre bonnes mains, et qu’au retour de Madame, le castel seroit toujours d’aussi belle tenue qu’à son départ.

Une semaine passa. Puis deux. Le Roy n’avoit toujours pas donné de réponse, et toujours Dame Anne de rappeler que Sa Majesté étudioit le voies les plus susres.
C’estoit au temps qu’arbres fleurissent, herbes et bois et prés verdissent, et les oiseaux en leur latin, chantent doucement au matin. Tout à la contemplation de ces chants, Anicet fut interrompu par un tout autre latin, qu’il ne comprenoit guère plus.


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Estoit-ce byen du latin? Cela y ressembloit fort, mais Anicet, grande en estoit sa peyne, n’eut nulle occasion de l’apprendre. Mesme quand Dames Anne et Blanche, petites, se proposoient de le luy foire savoir, il préféroit l’ignorer : il en estoit de sa catégorie. Le latin pour les clercs, le lapin pour les nobles, le pépin pour les valets.

Toujours estoit-il que l’on parloit latin – ou presque – dedans l’entrée de l’hostel de Culan. La voilx estoit inconnue, et de toutes les façons, ce ne pouvoit estre Bacchus qui ne parloit qu’à peyne le Berrichon, moyns bien encor le François, alor le latin… Surtout qu’en ce début de matinée, Bacchus avoit jà du boire assez pour ne pas parler du tout.

Le vieil s’approcha de la voix, et vit – stupeur – un vagabond. Il malsentoit, malparloit, et n’avoit en réalité nulle place ycelieu. Brandissant haut son bras en un geste épique, et hurlant à la manière dont on le faisoit du temps de Lévan II, Le Très-Haut oit pitié de son asme, il entreprit de foire déguerpir l’indésirable qui, néanmoins, devoit avoir la vingtaine d’années toult au plus, et faisoit bien quelques pouces de plus que luy…


DEHORS, MANANT, OU GARDE SERA APPELÉE !

Naturellement, c'estoit oublier qu'il n'y avoit jamais eu garde en l’hostel de Culan.
Jibril
Entre 30 et 35 ans, visiblement. La chevelure châtain claire camouflée par une capuche de bure. Djibril ne savait ni où il était, ni comment il y était arrivé, ni ce qu’il faisait là. Il ne savait plus grand-chose à vrai dire. Le chemin n’était pas laid en cette claire matinée. Le ciel s’illuminait et la bise se faisait sentir. Il faut dire que le jeune homme était peu vêtu : parti de Jérusalem où le climat était nettement plus clément, il n’avait pu obtenir que peu d’habits en route.

Mais revenons un petit peu en arrière.

Huit mois plus tôt, Jérusalem brillait. Entre les marchés païens, les bruyantes querelles de voisinages, et les appels à la prière averroïstes, Djibril s’était réfugié dans le calme du Saint-Sépulcre, église de Christos, pour prier avant son départ vers la France. Rien n’effaçait pourtant la douleur qu’il gardait en lui. Douleur physique et douleur de l’âme. Cette douleur physique, c’est un gros caillou qui lui semblait coincé depuis des mois dans l’intérieur de son ventre. Cette souffrance de l’âme, c’était une absence. Laquelle? il ne saurait dire.

Il s’était éveillé un matin, dans un hospice de Jérusalem. Nu, un drap seulement pour la décence. Un homme d’église s’était alors approché. Il tenta de l’apostropher, mais les seuls mots qui parvenaient à sortir de sa bouche étaient un latin incohérent.

L’homme lui parla d’une voix douce, un message qu’il ne comprit pas. Il n’apprendrait que plus tard à comprendre la langue des lieux. Mais toujours, ce serait ce jargon latin qui prendrait la place des mots qu’il voudrait dire.


Djibril ? sembla demander le clerc en le montrant du doigt. Mais ce pauvre Djibril ne comprenait pas ce que ce mot voulait dire. Il l’accepta pour prénom, faute d’en savoir davantage.

En quelques semaines, on le laissa sortir du dispensaire. Il apprit très vite à comprendre les rudiments de cette langue, sans être capable de ne prononcer que du latin que les meilleurs latinistes ne comprenaient pas eux-même. Il pouvait bien écrire, lorsqu’il trouvait du parchemin ou du papier. Mais la plupart du temps, cela ne servait à rien, car les rares personnes qui savaient lire ne lisaient pas le français, seule langue qu’il parvenait à coucher sur le papier.

Pourquoi l’appelait-on Djibril ? Parce qu’il avait été retrouvé étendu par terre aux portes de Jérusalem. Tous ses biens, s’il en avait eus, lui avaient été volés, à l’exception d’une carte enroulée, à laquelle était apposé un sceau au nom de Gabriel de Culan. Chacun déduisit alors qu’il était ce Gabriel, et le nom étant imprononçable pour les locaux, il était devenu Djibril.




Pourtant, Djibril était persuadé de ne pas être ce Gabriel, dont ni le nom ni le sceau ne lui disaient quoi que ce fût. Plusieurs années passèrent. Il vivait grâce à de menus travaux pour le compte de l’Eglise aristotélicienne de Jérusalem, et cherchait, par tous les moyens, à savoir qui était ce Culan. Aucun livre du presbytère ne mentionnait Culan. Aucun des moines, pèlerins, prêtres ne connaissait ce nom. Jusqu’au jour où il rencontra un évêque qui, ayant apprécié la discrétion dont avait su faire preuve Djibril pour faire entrer les filles de joies dans sa chambre, lui indiqua simplement :

Faransa.

Il lui fut alors facile de retrouver la France sur sa précieuse carte, et de se mettre en route.

Près de huit mois plus tard, il était à Lyon. Le problème fut le même qu’au départ : sans parler, impossible de se faire entendre. Personne ne savait lire dans les tavernes. Le curé sur lequel il tomba lui fut alors d’une aide précieuse. Par chance, le nom de Culan lui évoquait quelqu’un. Ce n’était pas un Gabriel, mais une Damoiselle. Qu’à cela ne tienne, il n’avait guère d’autre piste.
Le curé en question lui offrit à boire et à manger, un lit où dormir, et lui indiqua la route de Vienne pour le lendemain. Arrivé à Vienne, il se dirigea directement vers l’église, où le curé lui fit savoir que cette Anne de Culan était en fait en Bourgogne, où elle possédait un hôtel. Mais il ne savait pas dans quelle ville. Il lui indiqua vaguement la route et le laissa repartir.

C’est ainsi qu’au bout de quelques jours supplémentaires, c’est un Djibril affamé et épuisé qui était devant les grilles de l’hôtel de Culan. Un bel et grand hôtel, près du château de Sémur, visiblement entretenu, mais sans surveillance. Le blason à l’entrée correspondait bien au scel de la carte. Le soulagement était évident dans les yeux du pauvre vagabond. On saurait lui expliquer qui il était. On lui rendrait la parole.

Un vieillard grommelant tout seul dans sa barbe passa à proximité. La fatigue, l’émotion, le froid lui firent oublier l’espace d’un instant, qu’il ne pouvait parler en langage intelligible. Ou peut-être pensa-t-il qu’il était guéri ?


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Dit-il.

Le vieillard leva le bras. Que cela voulait-il donc dire ? Quelle étrange coutume cherchait-il à imiter ? Il menaça ensuite, sous forme de hurlement, d’appeler la garde. Aussitôt, pour apaiser son étrange interlocuteur, il sortit le rouleau et montra le sceau…

_________________
Anicet.
Stupeur.

Quel estoit cet homme qui, sale, inaudible, d’une arrogante jeunesse maugré son évidente pauvreté, osoit porter sur luy une trace de feu le Maistre ? Qui estoit ce latiniste des bas-fonds ? Comment avoit-il rencontré l’évesque?

Une idée saugrenue traversa le vieil. Si ce jeune malsentant estoit luy-mesme un clerc, pèlerin ? Cela pourroit donner sens au latin, à la bure, et à la probable rencontre avec feu l’évesque de Genève, maudite soit cette cité pour des siècles et des siècles.

Puys Anicet, qui se targuoit de n’estre point idiot, fit preuve de la plus grande des perspicacités en songeant qu’il pouvoit byen s’agir de quelque ruse pour se foire passer pour clerc. Il pouvoit byen avoir volé cette carte scellée voilà des années par Seigneur Gabriel. Il estoit peut-estre l’évesquicide, revenu chez Culan pour en finir avec le reste de la famille.
Anicet fit semblant de ne pas avoir compris le terrible plan de l’assassin. Il s’inclina en avant de luy, et le conduisit en la grande salle. Luy porta collation avec l’hospitalité la plus mal intentionnée qui fust.

Il accourut alor vers Bacchus pour luy confier mission, la plus importante que le domaine n’oit connu ja. Du moins de la part d’un valet.


Bacchus, mon ami, Mentit-il . Je n’oserois déranger Dame Anne. Pensez-vous estre assez en faveur pour la prévenir qu’un homme d’un peu plus de trente années vestu tel un pèlerin, aux yeux et chevelure clairs et parlant latin s’est introduit dans l’histel avec en main le scel de feu Monseigneur Gabriel ?

Ainsi, songea le portier, Dame Anne qui est le plus fin esprit de la famille Culan, aura compris d’elle-mesme le danger et s’abstiendra absolument de venir mettre sa vie en péril.
Pour l’étonnement de chacun, Bacchus sembloit avoir compris la mission, et monta prévenir Madame, tandis qu’Anicet se tenoit contre la porte de la grande salle.
Anne_blanche
Anne était partie la veille, en fin de matinée, pour Dijon. Avant la fin du processus électoral, qui mettrait en place un nouveau Conseil, lequel n'aurait aucune raison objective de lui garder sa place de consultante, elle voulait une fois de plus tirer la sonnette d'alarme. Les rapports d'Anicet avaient été transmis.
Anne s'était toujours fait des Conseils une haute opinion, et bien qu'ayant participé à 12 ou 14 d'entre eux, tant en Dauphiné qu'en Bourgogne, elle gardait sa foi intacte. Dans sa grande naïveté, elle s'imaginait toujours que la mauvaise foi et la malhonnêteté trop souvent rencontrées n'auraient plus cours en le nouveau Conseil. Il n'en était jamais rien, évidemment. Aujourd'hui comme naguère, l'on devait choisir son camp, et ne point cracher sur le camp adverse était immédiatement suspect.

Elle avait quitté Dijon avant l'aube, quand les résultats avaient été connus, laissant ses clefs à disposition du futur régent ou de la future régente. Elle avait hâte de rentrer, de retrouver son hôtel perché au-dessus de la ville, comme un nid dans les frondaisons. Elle aurait dû, très certainement, se coucher quelques heures, pour effacer la fatigue du voyage. Tous ses muscles le lui réclamaient. Mais Anne n'avait jamais considéré son corps que comme un outil malcommode, et ne le ménageait pas. Il le lui rendait bien : sa maigreur, que seule la vieille Matheline pouvait contempler, la faisait ressembler à une enfant de treize ans.

Assise seule dans la cathèdre de sa chambre, où elle sirotait une tisane avant de repartir pour la Mairie, elle remâchait sa rancœur. Ce mandat qui se terminait avait été aussi éprouvant que tous les précédents. Mais qu'espérer de plus quand on a affaire à une collection d'individus que rien ne rassemble, hormis l'ambition ? Elle se sentait humiliée, comme une enfant prise en faute. Quand donc cesserait-elle d'avoir confiance en la nature humaine ?

Il faisait froid, dehors. L'hiver ne renonçait pas si aisément. La cheminée de la chambre dispensait une chaleur pétillante, bien agréable. Les mains tendues à la flamme, Anne se remémorait les autres camouflets, un surtout, celui qui l'habillait de deuil depuis la mort de son frère.

Un courant d'air glacial lui glissa sur le cou, alors que la porte s'ouvrait. Contrariée, Anne abandonna sa pose alanguie - les serviteurs n'ont pas à connaître des faiblesses de leurs maîtres.


Dame Anne !

Par les sabots roses d'Aristote ! Que prenait-il à Bacchus d'entrer ainsi chez elle au lieu d'envoyer une servante ?
Prête à entendre le pire, Anne se leva et fit face. Sous le regard glacial de sa maîtresse, le bon gros cocher perdit un peu contenance. Il sentait déjà la vinasse, et le savait. Il avait, pour se réchauffer après le voyage retour de Dijon, usé libéralement des bons flacons de la cuisine, et pour faire bonne mesure leur avait adjoint quelques-uns remontés de la cave pour l'occasion. Il retira son bonnet, qui lui échappa des mains. Il aurait bien voulu le ramasser, mais n'osait, de peur que le poids de sa tête ne l'entraîne en avant ; ses lèvres s'agitaient sur des mots informulés, ses pieds se soulevaient l'un après l'autre comme les pattes d'un chat dans la neige.


Eh bien, Bacchus ?

Cinglante. Les deux pieds se reposèrent l'un près de l'autre, le bonnet fut promptement ramassé.

Dame Anne, c'est Maître Anicet qui m'envoie.

Un marmouset n'aurait su produire autant de mimiques que celles qui se succédèrent alors sur le visage du bon gros cocher. Dans son effort pour se remémorer les paroles de l'intendant, il plissa le front, fronça les sourcils, pinça les lèvres, scruta les poutres, porta un index pas très propre à ses lèvres, et finit par se lancer.

Monseigneur Gabriel s'est mis en selle pour un pèlerinage à l'hostel. Il parle latin avec Maître Anicet. Il est tout blond comme feue notre pauvre maîtresse, qu'a dit Maître Anicet.

Il ne sembla pas remarquer que tout le sang s'était retiré du visage d'Anne, le laissant plus blanc que sa guimpe. Le front plus plissé que jamais, il ajouta.

Mais j'ai pas bien compris, Dame Anne. Ça peut pas être notre Monseigneur Gabriel à nous, vu qu'il est trespassé de tantôt dix-huit ans.

Il faillit recevoir la plus magistrale gifle de toute sa vie. Anne arrêta de justesse le mouvement de son bras.

Où est-il ?

Par les sabots d'Aristote, elle en aurait le cœur net, et le plus tôt serait le mieux.
Elle s'interdit de réfléchir à la situation. Tout ce qu'elle pourrait se dire sonnerait faux, et elle le savait.


Bacchus ne répondant pas assez vite à son gré, elle se mit en quête de l'endroit où se terrait Anicet, et le trouva debout devant la porte de la grand-salle. Elle en ressentit un intense soulagement, mêlé à une non moins intense déception. L'espoir fou que son frère était là, bien vivant, l'avait tenaillée durant sa course dans les salles de l'étage et le grand escalier, bien qu'elle se fût efforcée de le repousser.
Devant le vieil Anicet, Anne ne pouvait décemment pas montrer ses émotions. Elle se composa un visage, espérant que le vieillard avait une assez mauvaise vue pour n'avoir pas perçu le changement, et s'adressa à lui sans pouvoir cependant se retenir de regarder la porte, comme si elle avait pu voir à travers.[/i]

Le bonjour, Anicet. M'expliquerez-vous le conte que me fit tantôt Bacchus ?


N'y tenant plus, elle poussait l'huis tout en parlant, et se retint au battant, cherchant à apercevoir, dans la pénombre, le visiteur annoncé par le cocher.

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Anicet.
L’heure avançoit. Combien de temps falloit-il à un cocher pour ascendre et descendre les degrés de si petite demeure ? Tout dépendoit de l'itinéraire choisi par Bacchus, à qui il arrivoit d'avoir drosle d'idée. Le bougre eut été capable de foire tout le tour de la France pour revenir à l'étage.

Il n’auroit jamais dust confier à Bacchus cette mission trop importante pour sa teste aussi petite que luy estoit grand.

Il arresta de marcher un instant. Petit-Lévan estoit peut-estre en danger si la machination qui visoit les Culan parvenoit jusqu'au castel. Anicet portoit sans l'avouer quelque tendresse pour le petit cheval-garçon. Il n’estoit d'ailleurs plus si petit qu’il avoit été auparavent. Il mesuroit mesme bien quelques pouces de plus que luy. Faudroit-il alors l’appeler Grand-Lévan ? Certes non, ce serait le confondre avec un ancien souverain et luy foire byen trop grand honneur. Moyen-Lévan, alor ? Anicet résolut qu’il faudroit continuer de l’appeler Petit tant que cela siéroit aux Maistres, puisque Petit il restoit de par la taille de son âme.

Mais las, voilà que le fil ténu de sa pensée estoit perdu. De quoi songeoit-il jà tantost ? Cela parloit de quelque chose… Et puys, quelle heure pouvoit-il byen estre, à présent ? Au moins 25h du soir, paroissoit-il.

Un bruyt de fracas se fit ouïr dans les degrés. Dame Anne !

Ce ne pouvoit estre qu’elle. Personne d’autre ne pouvoit venir si vite sans tomber. Mais que venoit-elle foire ycelieux ? Elle alloit tomber au piège de l’assassin qui reposoit derrière la porte ! On l’entendoit d’ailleurs foire semblant de ronfler. Traistre !

D’une fascinante célérité, Anne accourut. Anicet songea qu’elle aussi avoit byen grandie depuys qu'il l'avoit vue naistre Quand petite avec sa soeur elle couroit jà dans le parc du castel, et qu'il devoit se retenir de ne point tomber quand les filles l'entouroient de cordes. Il commença de luy dire.


Je n'avois pas vu Madame si véloce depuys que...

Elle luy coupa parole, semblant bien plus préoccupée à ouvrir cette porte pour rencontrer celuy dont Anicet estoit maintenant certain qu’il s’agissoit d’un culanicide. Et tout à pousser la porte, elle sembla murmurer quelque parole à destination du vieil valet.

Le bonjour, Anicet. M'expliquerez-vous le conte que me fit tantôt Bacchus ?

Mal heur ! Il n’avoit pas entendu toute la phrase. Cela parloit de Comte et de tuba, mais au juste, qu’avoit-elle voulu dire ? Alloit-elle assister à un concert chez quelque Seigneur local? Résigné, il dut luy foire répéter la question.

Plairoit-il à Madame de reprononcer sa phrase, que son humble serviteur puisse y répondre dans la certitude d’avoir entendu byen ?

Elle ne répondit pas, et pénétra presque dans la chambre. Anicet se tint prest à s'interposer si le fol, dans son délire meurtrier, osoit s'en prendre à la belle veuve.
Jibril
Assis près de la fenêtre, Djibril mangeait les fruits qui lui avaient été portés, tout en se demandant ce qu’il faisait ici. Peut-être avait-il eu tort. Il pensait, en venant ici, n’avoir rien à perdre et tout à gagner. Mais l’air suspect de ce valet lui faisait reconsidérer les choses. Il n’était pas impossible qu’il soit tombé dans le piège d’une étrange famille. Ce Gabriel de Culan dont il ne savait rien encore, était peut-être le sinistre individu qui l’avait blessé et fait perdre la mémoire aux portes de Jérusalem. Aussi, était-il vraiment sage de demeurer dans la gueule du loup ? Il risquait de perdre son unique bien sur cette terre : la vie.

Méfiance. Il redéposa la coupe de fruits, songeant à Cléopâtre. Derrière la lourde porte, on entendait marcher. Non comme l’agitation habituelle d’un lieu fréquenté par du personnel de maison. Marcher de façon constante et régulière, comme si un coutilier attendait son heure dans le couloir. Djibril posa genou à terre et murmura :


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Ce qui ne voulait rien dire, mais aurait dû être prononcé ainsi, si cette affreuse malédiction n’avait pas fait son œuvre :

Dieu Créateur de toutes choses, nous te remettons cette journée !
Guide-nous dans notre sommeil, nos rêves, nos pensées les plus intimes,
Toi qui sais tout, purifie-les afin qu'ils soient conformes à Ta volonté.
Toi le Très-Haut, qui a tout prévu, mais nous laisse libre de notre destin,
Inspire ceux qui s’écartent de Ta parole Divine,
Pour qu’ils nous aident à préserver le monde.


Puis, croisant les bras sur la table, s'égara à un repos auquel l'immense fatigue de sa route et la chaleur de la salle l'invitait.

Le temps passa sans qu’aucune présence ne dérangeât l’invité, dont les paupières tendaient à s’alourdir à mesure que la couche se révélait confortable. Il se répétait en son for intérieur « Je vais tenir, ne pas dormir. Je vais tenir, ne pas dormir… » Et ces mots dansaient dans sa tête comme une berceuse caresse la peau d’un nourrisson. Il revoyait la mer interminable près de laquelle il avait tant marché pour retrouver les Culan. Ses reflets, ses éclats, les bruit langoureux de l’écume sur le sable. Il revoyait le ciel bleu qu’Aristote prodiguait à la Grèce, son pays natal. Dehors, tout cela était loin. Le ciel était noir, la terre était blanche et la mer n’existait pas. Quelle chaleur il avait dû subir en traversant le levant ! Les grandes étendues rocheuses se rappelaient à lui, et ses yeux, pour le coup, étaient vigoureusement fermés.

Soudain, la porte grinça. D’un bond, le jeune homme se raidit. La porte avait à peine été entrouverte, et il ne parvenait pas à distinguer qui était à l’entrebâillement. Il entendit simplement la voix du valet hurler qu’il n’avait pas entendu ce que lui avait dit une Dame. Une… Dame ? Que venait donc faire ici une Dame ? Djibril, inquiet, fut si surpris par ce qu’il vivait qu’il ne put s’empêcher de demander :


Quod fusce bibendum justo?
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Anne_blanche
Que faisait-elle là ? Quel espoir insensé l'avait poussée à dévaler le grand escalier, comme une enfant au matin de sa fête ? Alors même qu'elle ouvrait la porte de la salle, Anne sentait l'envahir une rage froide, contre cet ivrogne de Bacchus, qui ne comprenait rien à rien, contre le vieil Anicet, qui ne comprenait pas grand-chose non plus, et surtout contre elle-même, qui s'était jetée comme une idiote à la rencontre de ses souvenirs sur la foi de paroles en l'air.

Mais une autre part d'elle-même, pétrie d'orgueil, la poussait à passer outre. Non, elle n'était pas idiote. Non, ce n'était pas à la rencontre de Gabriel qu'elle venait en cette pièce. Il y avait là un usurpateur, ni plus ni moins.


Plairoit-il à Madame de reprononcer sa phrase, que son humble serviteur puisse y répondre dans la certitude d’avoir entendu byen ?


Anne ne répondit pas. Il lui aurait fallu hurler pour que ses paroles franchissent la barrière du tympan durci d'Anicet. Or, dans cette salle, un homme dormait. Qui sait comment peut réagir un homme que l'on réveille brutalement, quand il se trouve dans un lieu inconnu ? Mais l'hôtel de Culan lui était-il vraiment inconnu ? Du fond de sa terrible myopie, Anne ne voyait de la pièce que ce qu'elle en connaissait par cœur, sa cathèdre seigneuriale à sa droite, tout près de la cheminée où l'on n'avait pas encore allumé le feu, les dressoirs le long du mur de gauche, aux fenêtres donnant sur la cour d'accès, son lutrin, près du cousiège prenant vue sur la terrasse, les coffres, les tapisseries. La lumière du matin dorait le tout, en longs rais, rythmés par l'écartement des fenêtres, dans lesquels flottait la poussière de la nuit passée.
Instinctivement, Anne se signa.


Quod fusce bibendum justo?

Elle repoussa plus largement la porte, mais sans entrer. Bacchus n'avait pas menti, au moins sur ce point-là. L'inconnu parlait latin. Quoique... Les mots utilisés étaient latins, aucun doute là-dessus. Mais Anne ne comprenait pas le sens, seulement les mots.
Dans son dos se tenait Anicet, lent et lourd. Elle tendit la main pour réclamer une quelconque marque, un sceau, un signe de reconnaissance confié à l'inconnu par son maître. La marque ne vint pas, Anne eut un claquement de langue agacé, et finit par s'avancer de deux pas dans la salle.


Je suis Anne de Culan.

Son cœur battait à tout rompre. Elle ne distinguait pas les traits de l'homme assis tout droit, à contre-jour, à la petite table qu'on avait dressée pour lui. Il avait le cheveu clair, semblait jeune, un peu moins qu'elle-même cependant.
Gabriel aussi avait les cheveux clairs. Enfant, il avait été aussi blond que Mère.
Elle fit un autre pas, qui la mena tout près d'un coffre, tourna légèrement la tête pour demander :


Anicet, un siège, je vous prie.

Et pour être certaine qu'il comprenne, elle désigna du doigt l'escabelle près de la cheminée.

Comme toujours quand elle se sentait perdre pied, elle se réfugia dans un rite. Le plus approprié, ici, était celui de l'hôtesse.


Pardonnez-moi, Messire, de venir ainsi troubler votre repos. Êtes-vous bien à votre aise ?

Son éblouissement s'atténuait, ses pauvres yeux avaient eu le temps de s'accoutumer. L'inconnu avait eu de quoi se restaurer. En faisait foi une coupe de fruits abandonnée sur la table. Comprenait-il ce qu'elle disait ? Elle ajouta, par acquit de conscience :


Valesne* ?

* Comment vous portez-vous ?

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Jibril
Dans sa précipitation, Djibril avait oublié la malédiction qui le frappait. La dame en question, probablement surprise par son jargon, eut un claquement de langue agacé. Elle ouvrit la porte, découvrant sa silhouette. Le jeune homme plissa les yeux dans l’espoir de mieux distinguer son interlocutrice, en vain.

Je suis Anne de Culan.

Elle avait dit ces mots dans un souffle rapide. La voix semblait jeune, quoique sûre d’elle. Ce n’était pas une enfant, mais certainement pas une vieille femme. Contrairement au valet, elle ne semblait pas cacher quelque chose. Du moins n’inspirait-elle aucune crainte à Djibril. Mais ayant connu les fourberies de l’humanité, il demeurait sur ses gardes. Il se frotta les yeux, le temps pour la jeune femme de demander qu’on lui apporte un siège. Il voyait ses traits: ceux d'une femme qui paraissait douce, quoique déjà fatiguée par la vie. Son ton avait été très sec, en s'adressant au valet. Ce dernier, d'ailleurs, ne répondit pas à la requête. Puis, d'une voix autrement plus accueillante, le visage tourné vers Djibril, plongée dans la douce lueur du jour, elle s'adressa de nouveau à lui.

Pardonnez-moi, Messire, de venir ainsi troubler votre repos. Etes-vous bien à votre aise ? Valesne ?

La pauvre Maîtresse des lieux avait dû être décontenancée par son latin. Ainsi s’adressa-t-elle à lui en latin. Mais même s’il l’avait souhaité, il n’aurait pas pu lui répondre. Agitant la tête à la recherche de n’importe quel moyen d’écrire, il se résigna en voyant que la salle ne contenait rien de tel.

Mane sero cogniscit animalis !

S’écria-t-il, en agitant désespérément les mains pour tenter de faire comprendre par un geste qu’il désirait écrire. Sa main gauche figée prenait la forme d’un parchemin tandis que sa main droite formait dans les airs des volutes et des horizontales. Le regard perdu vers le visage indistinct de la jeune femme, Djibril sentait qu’il approchait plus que jamais de la connaissance de son passé. Cette personne devait détenir la clef. Au moins connaîtrait-elle le sceau apposé sur la carte, et son propriétaire, puisqu’elle en avait le même nom. Si elle savait lire – ce dont Djibril ne pouvait douter puisqu’elle parlait latin – alors il pourrait établir le contact de façon plus cohérente, et il apprendrait sans doute beaucoup sur son histoire.

Durant tout son voyage, il avait eu en tête ce moment. Bien sûr, pour lui, il ne se passerait pas comme ça. Ce ne serait pas une femme, mais un homme d’église. Ce ne serait pas dans un espace clos, mais dehors au grand soleil. La compréhension ne posait pas non plus de problème dans son imagination. Mais avec toutes ses différences, ce moment arrivait quand même. Il était là. Il s’agissait maintenant de ne pas le laisser échapper, et de faire comprendre son étrange histoire à cette jeune femme, dont il faudrait aussi déterminer avec clairvoyance si elle était amie, ou hostile.

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Anicet.
Quelque muette tractation avoit court dans la pièce où se trouvoit l’hoste improbable. Madame, qui sembloit ne pas oser entrer complètement, fit à Anicet un discret signe de la main pour luy dire de veiller après elle à ce que l’inconnu ne la tuasse pas. Le vieil jugea que ce n’estoit plus de son aage, mais obéit, ravi de voir que les grands esprits, qu’ils fussent nobles ou de roture, se rencontroient toujours. Elle avoit compris le danger, il assumoit de l’en protéger.

Sans un bruyt, elle fit alor deux pas vers l’intérieur de la pièce obscure. Elle murmura de nouvel, probablement une prière, à moyns que ce ne fut pour Anicet, qui n’osa redemander de répéter. La première foys, elle n’avoit pas répondu, elle ne le feroit certainement guère plus la seconde.

Vint un troisième murmure, cette foys clairement en direction du valet. Elle avoit tourné la teste, et désignoit du doigt l'escabelle. Dans sa grande clairvoyance, Anicet comprit d’un seul instant. Il estoit inutile de le luy répéter, il falloit qu’il portast l'escabelle à la Maistresse pour luy permettre d'en user en bouclier face aux assauts de l'intrus.

Il alloit le foire. Vraiment. Mais au moment de saisir l’objet, il luy glissa des doigts. Ce sont choses quy arrivent. Mesme aux meilleurs. Malheureusement, la chute de ce vieil mobilier en fit casser l'un des fragiles pieds. Oh le siège pouvoit tenir, mais dans un équilibre précaire qui n'auroit sans doute guère plu à Madame de Culan. Une hésitation toucha le valet: devoit-il luy tendre le siège qui la placerait de biais, pour qu'elle pu s'en servir de bouclier, ou devoit-il courir dans l'antichambre chercher un autre siège pour l'asseoir?

L’on vit alor le vieil homme courir autant qu’il le pouvoit vers l'antichambre. Son genou émit un bruit de cloche creuse, si byen que l'escabelle saisie, il revint en boistant.

A sa grande surprise, la conversation sembloit engagée entre Madame qui parloit François, comme toute personne respectable, et le vil meurtrier, qui parloit toujour latin. Anicet tendit l'escabelle saine à sa maistresse et alla s'asseoir non loin sur l'escabelle chancelante masser son douloureux genou.
Anne_blanche
Au lieu de répondre à sa question, l'inconnu se mit à explorer la pièce du regard, sans toutefois quitter son siège. Dans le mouvement, il découvrit un peu plus de sa chevelure, très claire.
Un fracas, sur sa droite, fit sursauter Anne, l'arrachant à la fascination qu'exerçait sur elle l'inconnu. Elle tâcha de se reprendre.
Anicet s'agitait. Au lieu de soulever l'escabelle par le siège, comme aurait fait tout un chacun, il l'avait saisie par le pied et l'avait laissée choir. Et au lieu de tourner vers Anne la cathèdre toute proche, il laissait au sol le tabouret brisé et courait en chercher un autre dans le corridor.
Anne enregistrait la scène, avec une sorte de détachement, comme si une part d'elle-même demeurait maîtresse de maison, soucieuse de l'attitude incongrue de son personnel, alors qu'une autre part restait hermétique à ces contingences. Tout ce qui comptait, c'était l'inconnu aux cheveux clairs, et tout ce qu'elle voulait, c'était s'enfermer avec lui dans une bulle, pour comprendre.


Mane sero cogniscit animalis !

Machinalement, Anne prit l'escabelle tendue par le vieil Anicet, sans plus s'interroger sur la raison qu'il avait de la lui tendre, justement, au lieu de la poser. La gorge serrée, elle la plaça bien en face du visiteur, consciente qu'elle lui concédait ainsi l'avantage, puisqu'il pouvait la voir en pleine lumière, alors qu'il demeurait à contre-jour. Pour ne pas se laisser submerger par une émotion qu'elle ne s'expliquait pas, elle se raccrochait aux détails. La poussière voletait toujours, les servantes n'avaient pas encore eu le temps de changer la jonchée, il était si tôt !
Encore un pas.
Le regard d'Anne s'abaissa sur les mains de l'inconnu. Elle ne voulait pas voir son visage. Il faisait mine d'écrire. Il réclamait une plume, du parchemin. Anne plissa le front. La croyait-il sourde ? Pourquoi écrire, alors qu'il pouvait parler ?

Un nuage masqua la lumière. Anne releva les yeux, rencontra enfin ceux de l'inconnu.


Gabriel ...

Le murmure lui avait échappé. Ce n'était pas Gabriel, ce ne pouvait être Gabriel. Oh ! Comme elle aurait voulu que ce fût Gabriel !
Au bord des longs cils noirs perla une larme, aussitôt refoulée. Gabriel aurait eu l'âge de ce jeune homme. Ses traits étaient encore flous, la dernière fois qu'elle l'avait vu, alors qu'il montait dans ce coche qui allait le conduire vers Genève. Ils avaient encore la douceur de l'enfance. Ceux de l'inconnu étaient plus durs, plus mâles.
Elle détourna les yeux, chercha Anicet. A sa grande surprise, elle le découvrit affalé sur un trépied bancal. Il se massait le genou. Anne eut une moue de contrariété. Le temps que le vieillard comprenne ce qu'elle voulait, la nuit serait passée.
Puisque l'inconnu voulait écrire, qu'il écrive ! De sa besace abandonnée près du lutrin, Anne tira la tablette de cire qu'elle y trimballait depuis son plus jeune âge. Un stylet de buis y était attaché. Timidement, elle fit encore un pas en direction de l'inconnu, tendit l'objet. Sa voix était rauque quand elle demanda :


Comprenez-vous ce que je dis ? Intelligesne quod dico ?

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Jibril
Enfin quelqu’un qui semblait le comprendre. La jeune femme lui tendit timidement une tablette et un stylet. Il allait pouvoir écrire et montrer qu’il n’était pas un imbécile. Quelque chose pourtant, gênait l’invité impromptu qu’il était : son interlocutrice s'étant assise face à lui, il pouvait en observer le visage de près. Elle avait presque son âge, comme il l’avait devinée. Un petit peu plus jeune, visiblement. Très belle, aussi. Pourtant, quelque chose dans son regard trahissait comme un mélange de crainte, d’espoir et de chagrin. C’était précisément cette expression qu’il ne saisissait pas. Un malheur certain avait dû la toucher pour qu’elle porte ainsi les yeux d’une veuve à son âge. Jusqu'à sa tenue semblait évoquer le grand deuil blanc. Djibril se doutait bien que ce n’était pas son intrusion qui la mettait dans cet état, mais il ne parvenait pas à interpréter les regards que la maîtresse des lieux lui lançait.

Il saisit néanmoins la tablette. C’était une tablette de cire semblable à celle dont se servaient les jeunes disciples du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Djibril, lui, ne se rappelait pas en avoir utilisé souvent. C’est pourtant une chose étonnante qu’il n’ait pas songé, de tout ce temps, à en garder une sur lui pour se faire comprendre. Il faut dire que le silence auquel il s’était habitué en arrangeait plus d’un dans la communauté des aristotéliciens de la cité.

Sa main tremblait. Il sentit que les premiers mots qu’il écrirait allaient déterminer le reste de sa vie. S’il paraissait grossier, idiot ou intéressé, Anne de Culan se détournerait. S’il était excessif en politesses, il se perdrait, n’obtiendrait rien que le gîte d’un jour, et devrait à jamais accepter de vivre sans connaître son passé. Sans même savoir son nom. Un juste équilibre allait devoir être trouvé, et il s’agirait, si tel était le bon plaisir de la noble Dame qui lui faisait face, de le conserver aussi longtemps que la conversation, bien mal partie, durerait.

Il saisit de la main gauche la tablette, et le stylet serré entre son index et son pouce droit, il écrivit, d’une graphie maladroite :


Que Madame daigne excuser mon intrusion énigmatique. On m’a jeté un sort, et j’ai des raisons de croire que vous pouvez m’aider. Je comprendrais bien sûr si Madame ne souhaitait pas que je la dérangeasse. Je comprends parfaitement votre français, je puis l’écrire, mais ma langue m’en interdit l’expression.

Il s’efforça alors de faire une révérence à celle qui l’avait accueilli avec des égards incongrus compte tenu de son état, puis lui tendit la tablette. Il aurait souhaité en écrire davantage, mais l’objet était de petite taille et son écriture plus grande et irrégulière qu’il ne l’aurait fallu. Au moins savait-il écrire (faute de savoir qui le lui avait appris), ce qui n’était certes pas le cas de tous les sujets de France. La tête baissée, il attendit une réaction de son hôtesse, craignant qu’elle ne le fasse quitter les lieux, l’abandonnant au grand extérieur : règne intrépide de la solitude et de l'errance. Tandis que la Dame lisait, il n’osait relever ne serait-ce qu’une paupière, et se perdait dans la contemplation du sol. Le regard qu’il avait capté quelques minutes plus tôt l’avait paradoxalement intimidé autant qu’il l’avait mis en confiance. Il ne voulait pas, par un jeu de regard déplacé, disconvenir à Anne de Culan.

Quoique pieds nus, il était dans ses petits souliers…

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