Anicet, incarné par Jibril
Las ! Combien ces jours, combien ces nuits pouvoient estre longues depuis que le temps sestoit arresté pour tous ces bons maistres quavoient été Maistre Valatar et Maistre Maryan.
Combien depuis ces temps, lennuy avoit peu à peu gagné la place en le beaulx domaine de Culan. Non que rien ne se passast. Mais depuis les funérailles du Baron dAupic, en elles-mesme point fort réjouissantes, seules quelques visites inutiles agitoient les longues - si longues - journées de la maisonnée.
Il y avoit là Petit-Lévan, le palefrenier fol, qui entretenoit conversation avec Anicet, mais ce dernier préferoit de loin la doulceur dun nid de feuilles chues de par la cime dun arbre sur lequel sasseoir, dormir. Resver devenoit un honneur confié par le Très-Haut pour bénir les doulces, mais si longues, journées.
La petite laitière, fille de feu maistre Luruchon, qui avoit occupé la ferme laitière bien longtemps au bas-village avant que de passer de vie à trépas après quune de ses vaches se fust vengée de luy, la petite laitière, donc, estoit montée, la veille. Elle avoit commercé son lait dans la grange avec Petit-Lévan pendant une demi-heure et la négociation avoit été si rude quelle en avoit encor moulte paille dans les cheveux. Ils dusrent partir en inimitiés, car il ne luy avoit finalement pas pris son lait.
Ainsi de ponctuelles visites animoient par moments le domaine. Sinon, Anicet en faisoit le tour entre chaque repos. Il ne manquoit jamais de passer par la chapelle, qui nestoit plus guère utilisée quoccasionnellement, lorsque Dame Anne y faisoit le rare honneur dune visite. Dans la chapelle, gisoient en leurs enfeulx les maistres des lieulx. Valatar, le chaste. Père aimant, époulx attentionné. Maryan, la sobre. Dont le calme naturel jalousoit simplement le dévouement à laultre. Mentaïg, lavenante. Son ouverture desprit avoit fait delle la femme la plus courtisée du duché. Gabriel, le tolérant. Ouvert à tous, il ne jugeoit jamais lautrui que comme aultre luy-mesme. Homme des Bois, le vivace. Toujours si enthousiaste en tout, quil sembloit estre partout à la fois.
Caressant discrètement la pierre de chacun des enfeulx, Anicet pria doulcement pour luy-mesme. Il prit place en un prie-Dieu, puys dormit jusquau suivant éveil.
Il entreprit alor ce qui devoit estre son dernier tour de garde avant que de sen retourner en sa chambrée, certain quune fois de plus, ryen ne perturberoit cette tâche quil sassignoit chaque soir.
Vieil homme! Porte nous ripaille et tu auras la vie sauve.
Cette voix qui luy parvint de par delà le muret fit sursalter pauvre Anicet. Se retournant de sa légendaire vivacité, il prist courage pour porter réponse. C'estoit un homme seul qui luy parloit, de petite taille et de carrure médyocre, mais il portoit coutel byen oiguysé.
Partez cy vite, ami. Car suis moyns vieil que pouvez le croire, et le castel est gardé de moult guerriers qui n'ont eu crainte de tant ennemys que le Berry en eust.
Quelques pas plus loyn, transy de terreur, Petit-Levan jeta de par le muret un fromage qui pourtant, de grand goust, luy venoit de Normandye par la petite Luruchon. Anicet ne sust poynt si ce fut l'odeur ou le contentement quy fit partir l'indésirable. Mais il se résolut à prévenir Madame.
Un courrier ne feroit qu'affoler vainement. Cette foys, c'estoit trop. Trop de mausoise gens quy venoient chercher querelle autour du castel. Anicet avoit décidé: demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, il partiroit. Il savoit byen qu'elle ne l'attendoit pas. Mais il yroit par la forest, il yroit par la montagne, jusques en loyntaine Bourgogne.
Et byen qu'il eust pu demeurer loyn d'elle plus longtemps, il marcha les yeux rivés sur ses pensées, sans ryen voir au dehors, sans entendre nul bruyt, seul, sans porter les armes de ses maistres, le dos courbé par les ans, les mains croisées, tryste de s'éloigner des seules terres qu'il connoissoit, et il marchoit de jour comme de nuyt. Il s'attardoit souvent pour dormir dans l'or du soyr qui tomboit, et resvoit aux chevaux, au loi, descendant vers Sancerre.
Puys enfin, il arrivoit. Il arrivoit par un matin de temps sy clair qu'il crust avoir marché toute la saison. Estoit-ce jà juillet et les temps de moissons? Lorsqu'il vist les armes du duché de Culan scintiller à ses yex sur les hauteurs de la ville, un sourire de fierté vint perturber le mouvement étrange que faisoient tous-jours ses lèvres lorsqu'il avoit trop marché. Passant la grille, il fut introduit par Bacchus, qu'il aimoit guère mais qu'il connoissoit byen. Il passa par le petit chemin pavé où on luy proposa d'attendre l'arrivée de Madame, luy signifiant qu'il la dérangeroit sans doute.
Combien depuis ces temps, lennuy avoit peu à peu gagné la place en le beaulx domaine de Culan. Non que rien ne se passast. Mais depuis les funérailles du Baron dAupic, en elles-mesme point fort réjouissantes, seules quelques visites inutiles agitoient les longues - si longues - journées de la maisonnée.
Il y avoit là Petit-Lévan, le palefrenier fol, qui entretenoit conversation avec Anicet, mais ce dernier préferoit de loin la doulceur dun nid de feuilles chues de par la cime dun arbre sur lequel sasseoir, dormir. Resver devenoit un honneur confié par le Très-Haut pour bénir les doulces, mais si longues, journées.
La petite laitière, fille de feu maistre Luruchon, qui avoit occupé la ferme laitière bien longtemps au bas-village avant que de passer de vie à trépas après quune de ses vaches se fust vengée de luy, la petite laitière, donc, estoit montée, la veille. Elle avoit commercé son lait dans la grange avec Petit-Lévan pendant une demi-heure et la négociation avoit été si rude quelle en avoit encor moulte paille dans les cheveux. Ils dusrent partir en inimitiés, car il ne luy avoit finalement pas pris son lait.
Ainsi de ponctuelles visites animoient par moments le domaine. Sinon, Anicet en faisoit le tour entre chaque repos. Il ne manquoit jamais de passer par la chapelle, qui nestoit plus guère utilisée quoccasionnellement, lorsque Dame Anne y faisoit le rare honneur dune visite. Dans la chapelle, gisoient en leurs enfeulx les maistres des lieulx. Valatar, le chaste. Père aimant, époulx attentionné. Maryan, la sobre. Dont le calme naturel jalousoit simplement le dévouement à laultre. Mentaïg, lavenante. Son ouverture desprit avoit fait delle la femme la plus courtisée du duché. Gabriel, le tolérant. Ouvert à tous, il ne jugeoit jamais lautrui que comme aultre luy-mesme. Homme des Bois, le vivace. Toujours si enthousiaste en tout, quil sembloit estre partout à la fois.
Caressant discrètement la pierre de chacun des enfeulx, Anicet pria doulcement pour luy-mesme. Il prit place en un prie-Dieu, puys dormit jusquau suivant éveil.
Il entreprit alor ce qui devoit estre son dernier tour de garde avant que de sen retourner en sa chambrée, certain quune fois de plus, ryen ne perturberoit cette tâche quil sassignoit chaque soir.
Vieil homme! Porte nous ripaille et tu auras la vie sauve.
Cette voix qui luy parvint de par delà le muret fit sursalter pauvre Anicet. Se retournant de sa légendaire vivacité, il prist courage pour porter réponse. C'estoit un homme seul qui luy parloit, de petite taille et de carrure médyocre, mais il portoit coutel byen oiguysé.
Partez cy vite, ami. Car suis moyns vieil que pouvez le croire, et le castel est gardé de moult guerriers qui n'ont eu crainte de tant ennemys que le Berry en eust.
Quelques pas plus loyn, transy de terreur, Petit-Levan jeta de par le muret un fromage qui pourtant, de grand goust, luy venoit de Normandye par la petite Luruchon. Anicet ne sust poynt si ce fut l'odeur ou le contentement quy fit partir l'indésirable. Mais il se résolut à prévenir Madame.
Un courrier ne feroit qu'affoler vainement. Cette foys, c'estoit trop. Trop de mausoise gens quy venoient chercher querelle autour du castel. Anicet avoit décidé: demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, il partiroit. Il savoit byen qu'elle ne l'attendoit pas. Mais il yroit par la forest, il yroit par la montagne, jusques en loyntaine Bourgogne.
Et byen qu'il eust pu demeurer loyn d'elle plus longtemps, il marcha les yeux rivés sur ses pensées, sans ryen voir au dehors, sans entendre nul bruyt, seul, sans porter les armes de ses maistres, le dos courbé par les ans, les mains croisées, tryste de s'éloigner des seules terres qu'il connoissoit, et il marchoit de jour comme de nuyt. Il s'attardoit souvent pour dormir dans l'or du soyr qui tomboit, et resvoit aux chevaux, au loi, descendant vers Sancerre.
Puys enfin, il arrivoit. Il arrivoit par un matin de temps sy clair qu'il crust avoir marché toute la saison. Estoit-ce jà juillet et les temps de moissons? Lorsqu'il vist les armes du duché de Culan scintiller à ses yex sur les hauteurs de la ville, un sourire de fierté vint perturber le mouvement étrange que faisoient tous-jours ses lèvres lorsqu'il avoit trop marché. Passant la grille, il fut introduit par Bacchus, qu'il aimoit guère mais qu'il connoissoit byen. Il passa par le petit chemin pavé où on luy proposa d'attendre l'arrivée de Madame, luy signifiant qu'il la dérangeroit sans doute.