Anne_blanche
Sa question n'obtint pour toute réponse qu'une main tendue, avidement lui sembla-t-il, vers sa tablette de cire. Anne s'attendait à ce qu'il y gravât des dessins naïfs, comme ceux que font les enfants dans la poussière de l'été, quand ils jouent aux rébus. Cela lui paraissait logique. Or, dans la mauvaise lumière dispensée par la torche, elle le vit écrire.
La chose lui amena un nouveau froncement de sourcils. Il se moquait. Par Dieu, il se moquait ! Quel sabir allait-il utiliser ? Ce faux latin dont il usait ? Elle eut envie de lui reprendre la tablette des mains, sans délicatesse, et de repartir pour Dijon ou Paris, en recommandant au vieil Anicet de confier l'inconnu dans l'instant à la maladrie la plus proche. A défaut de le guérir, l'enfermement lui apprendrait qu'on ne se moque point en vain.
La curiosité étant cependant ce qu'elle est, Anne ne put s'interdire de déchiffrer, à l'envers, les mots que l'on écrivait. Mais elle n'y parvint pas. Les ombres portées et sa mauvaise vue le lui interdirent.
Elle restait là, debout devant ce vagabond qui serrait si fort son stylet qu'on voyait venir le moment où il faudrait lui en fournir un autre. Elle ne voulait pas attendre, elle ne voulait pas être le jouet de ce maraud qui s'amusait à ses dépens, et elle restait là, en proie à une vague colère qui peu à peu montait.
L'homme se leva enfin, s'inclina devant elle en lui présentant la tablette. Il y avait dans toute son attitude un mélange de crainte et de volonté, d'humilité et d'espoir, qu'elle ne comprenait pas. Or, Anne n'aimait pas ne pas comprendre. Ce lui était même insupportable. Elle en ressentait une véritable douleur, pire sans doute qu'une brûlure ou la morsure d'un chien enragé.
Toute la tablette était couverte d'une grande écriture maladroite. Le vagabond savait écrire, certes, mais ignorait manifestement l'usage du stylet dans la cire. Si Anne avait été plus à son aise, elle n'eût point manqué de se demander pourquoi elle mettait un certain acharnement à refuser de voir les qualités de son vis-à-vis, à rabaisser systématiquement ses compétences. Elle se serait interrogée sur ce dédain qu'elle voulait ressentir - et se fût sentie bien misérable en constatant qu'elle n'y parvenait point.
Mais elle était fort mal à l'aise. L'image de Gabriel ne cessait de se surimposer à celle du vagabond. Sa mauvaise humeur augmentant à chaque seconde, elle lut la tablette.
Que Madame daigne excuser mon intrusion énigmatique. On ma jeté un sort, et jai des raisons de croire que vous pouvez maider. Je comprendrais bien sûr si Madame ne souhaitait pas que je la dérangeasse. Je comprends parfaitement votre français, je puis lécrire, mais ma langue men interdit lexpression.
Un sort, vraiment ! Une réplique cinglante lui vint aux lèvres. Le vieil Anicet allait devoir cesser de se masser le genou pour se saisir incontinent de ce mauvais plaisant.
Vous ...
Il ne bougeait pas. Il ne la regardait pas. Il courbait humblement la tête, et ses cheveux si clairs accrochaient les lueurs de la torche.
Se fût-il moqué qu'il l'eût regardée. Il eût cherché sur son visage, ou même simplement dans sa posture, le résultat de sa gausserie.
Il fallait prendre une décision. La situation devenait ridicule. Une dame veuve, au petit matin, dans la même pièce qu'un inconnu sans recommandation, avec pour tout chaperon un vieux valet dolent, voilà un beau spectacle ! L'alternative était simple, le choix de l'issue beaucoup moins. Ce fut la poignante immobilité de l'homme qui emporta la décision.
Comment ... ?
Elle dut s'y reprendre à deux fois, vaguement effrayée à l'idée que l'étrange maladie qui frappait l'inconnu l'ait touchée à son tour, tant sa voix avait du mal à porter.
En quoi puis-je vous aider ?
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La chose lui amena un nouveau froncement de sourcils. Il se moquait. Par Dieu, il se moquait ! Quel sabir allait-il utiliser ? Ce faux latin dont il usait ? Elle eut envie de lui reprendre la tablette des mains, sans délicatesse, et de repartir pour Dijon ou Paris, en recommandant au vieil Anicet de confier l'inconnu dans l'instant à la maladrie la plus proche. A défaut de le guérir, l'enfermement lui apprendrait qu'on ne se moque point en vain.
La curiosité étant cependant ce qu'elle est, Anne ne put s'interdire de déchiffrer, à l'envers, les mots que l'on écrivait. Mais elle n'y parvint pas. Les ombres portées et sa mauvaise vue le lui interdirent.
Elle restait là, debout devant ce vagabond qui serrait si fort son stylet qu'on voyait venir le moment où il faudrait lui en fournir un autre. Elle ne voulait pas attendre, elle ne voulait pas être le jouet de ce maraud qui s'amusait à ses dépens, et elle restait là, en proie à une vague colère qui peu à peu montait.
L'homme se leva enfin, s'inclina devant elle en lui présentant la tablette. Il y avait dans toute son attitude un mélange de crainte et de volonté, d'humilité et d'espoir, qu'elle ne comprenait pas. Or, Anne n'aimait pas ne pas comprendre. Ce lui était même insupportable. Elle en ressentait une véritable douleur, pire sans doute qu'une brûlure ou la morsure d'un chien enragé.
Toute la tablette était couverte d'une grande écriture maladroite. Le vagabond savait écrire, certes, mais ignorait manifestement l'usage du stylet dans la cire. Si Anne avait été plus à son aise, elle n'eût point manqué de se demander pourquoi elle mettait un certain acharnement à refuser de voir les qualités de son vis-à-vis, à rabaisser systématiquement ses compétences. Elle se serait interrogée sur ce dédain qu'elle voulait ressentir - et se fût sentie bien misérable en constatant qu'elle n'y parvenait point.
Mais elle était fort mal à l'aise. L'image de Gabriel ne cessait de se surimposer à celle du vagabond. Sa mauvaise humeur augmentant à chaque seconde, elle lut la tablette.
Que Madame daigne excuser mon intrusion énigmatique. On ma jeté un sort, et jai des raisons de croire que vous pouvez maider. Je comprendrais bien sûr si Madame ne souhaitait pas que je la dérangeasse. Je comprends parfaitement votre français, je puis lécrire, mais ma langue men interdit lexpression.
Un sort, vraiment ! Une réplique cinglante lui vint aux lèvres. Le vieil Anicet allait devoir cesser de se masser le genou pour se saisir incontinent de ce mauvais plaisant.
Vous ...
Il ne bougeait pas. Il ne la regardait pas. Il courbait humblement la tête, et ses cheveux si clairs accrochaient les lueurs de la torche.
Se fût-il moqué qu'il l'eût regardée. Il eût cherché sur son visage, ou même simplement dans sa posture, le résultat de sa gausserie.
Il fallait prendre une décision. La situation devenait ridicule. Une dame veuve, au petit matin, dans la même pièce qu'un inconnu sans recommandation, avec pour tout chaperon un vieux valet dolent, voilà un beau spectacle ! L'alternative était simple, le choix de l'issue beaucoup moins. Ce fut la poignante immobilité de l'homme qui emporta la décision.
Comment ... ?
Elle dut s'y reprendre à deux fois, vaguement effrayée à l'idée que l'étrange maladie qui frappait l'inconnu l'ait touchée à son tour, tant sa voix avait du mal à porter.
En quoi puis-je vous aider ?
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