Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Pour un peu de silence

Judas
    [ -Il faut la faire taire...

    Il soupira. La faire taire à tout jamais.]*


La pièce du petit castel de Courceriers sentait la moisissure, un mélange de poussière et de mort. Incommodé par cette atmosphère lourde que l'on devait à l'abandon d'une partie du bâtiment qui n'avait pas été rénovée , Judas portait à son nez un mouchoir d'une main, et disposait des fioles sur une étagère de l'autre.


- Es tu certain que son coeur se soit arrêté ?

Une grosse carafe bouchonnée fut à son tour disposée près des fioles, son contenu trouble ballotant dans ses entrailles . Il se retourna brièvement pour apercevoir à la lueur d"une unique chandelle le visage adolescent de son jeune protégé. Hugo était revenu du manoir de nuit après avoir suivit les consignes de Judas, découvrant par la même occasion le Fief du seigneur aux gants. L'homme avait assigné le jeune homme à une bien lourde tâche, qu'il redoutait avoir été bâclée.

Imaginez un peu, Isaure titubante se relevant et allant rameuter les suivantes de toute la maisonnée pour dénoncer le pauvre jeune sicaire... Le jeune pendu pour avoir tenté d'assassiner la jeune épouse , Judas soupçonné d'avoir commandité l'odieux forfait. Foutredieu non, il fallait que les Mains Rouges aient encore oeuvré avec brio, sans trembler, sans bavure. Sans laisser aucune éclaboussure que l'on attribuerait au Maitre des lieux. Certes, Judas s'était absenté la nuit du crime, pour autant tout le monde savait le peu d'amour que se portaient les époux... Et vu le peu d'amis que s'était fait le VF dans aux alentours de leur dernière demeure...

Il plaça un pot d'onguent sur le bord de l'étagère et se tourna définitivement dans l'exigu de l'endroit, plaçant la chandelle au niveau du visage d'Hugo. Eclairant par la même occasion un milliers de bocaux de toutes tailles sur les autres étagères dont la minuscule pièce était remplie.



- Raconte-moi comment tu t'y es pris.


* De Judas à Hugo, RP " Le retour de l'épouse Prodigue"
_________________
Hugo_




Mal à l’aise dans l’exiguïté de la pièce nouvelle, le dogue ne bougeait pourtant pas, écrasé tout autant que fasciné par les effluves âcres lui piquant le nez, suivant des yeux chacun des gestes déployés par Judas à l’onde oscillante d’une bougie.
L’endroit lui était encore inconnu, amenant sur le visage du jeune homme la discrète impatience des chiens dressés, les sens tendus vers chaque nouvelle ombre, cherchant à en percer le confort. Spectre pale dans cette étrange mise en scène où sa curiosité des plantes soumettait son imagination à une prudente réflexion sur les fioles qui se dessinaient plus ou moins nettement, il ne suffit que de la voix du démiurge pour le rappeler à l’ordre, la mandorle lumineuse venant brièvement le mettre en perspective au regard soucieux du Maitre

- Es-tu certain que son cœur se soit arrêté ?


Vous avez dans la voix, l’inquiétude fatale qui teint chaque souffle qui espère…
De l’espoir, nait le doute, la crainte, l’inquiétude des futurs qui n’aboutissent pas, mais, Maitre… Les Mains Rouges n’ont rien d’hasardeuses…



La chandelle fut finalement posée sur l’une des étagères, projetant les ombres insensées d’un fatras de bocaux sur les murs rongés d’humidité sous l’œil attentif du garçon.

- Raconte-moi comment tu t'y es pris.

Soumis à l’ordre, le limier hocha la tête, retrouvant au fil d’une seconde nébuleuse, l’image gravée à sa prunelle de ce champ d’herbes hautes aux sommets givrés par les journées d’hiver, ployant sous le dessin du corps menu d’Isaure l’aube d’un cercueil entaché de sang. Il frémit sous l’égide d’un frisson dévalant sa nuque, ressentant fugitivement la morsure du froid dans lequel il avait abandonné le corps, si proche encore du meurtre perpétré qu’il ressentait toujours, malgré les avoir soigneusement savonnés, le battement sourd du pouls de la jeune épouse à ses doigts.


Il était près de minuit qu’elle ne dormait toujours pas.

La demande de Judas avait eu ce jour-là, la teinte simple des ordres qui ne souffrent plus d’une quelconque contrariété. La ferveur chancre d’Hugo avait fait le reste, malade dont les symptômes avaient été soigneusement entretenus forgeant la personnalité du sauvage en celle d’un monstre qui ne devait rien à ce monde d’ennui, si ce n’était la ferveur à l’homme qui aujourd’hui lui demandait des comptes, instrument fatal qui ne trouvait à vivre qu’à l’errance des chemins boisés et du prix du sang.
L’imagination sollicitée d’Hugo avait donc œuvré, servant et l’intérêt, et l’intéressé, usant de la plus légitime des douleurs pour justifier le drame qui avait suivi, nourrissant patiemment au fil des heures, son plan des crises bruyantes d’Isaure et de ses longs silences de prière.


Son état ayant empiré avec la tombée de la nuit, les domestiques lui ont fait porter une infusion qu’ils avaient agrémentée de mélisse pour l’endormir. Je n’ai eu qu’à y rajouter une goutte de ciguë … Trop peu pour l’empoisonner, assez pour la rendre malléable, poursuivit il en égrenant mentalement les propriétés les plus appréciables de l’apiacée. L’idée s’était imposée d’elle-même, avec une évidence déconcertante, éloignant les soupçons pouvant peser sur ce mari désigné coupable par une attitude qui ne laissait entrapercevoir aucune mansuétude à l’attention de sa femme et qui, incontestablement, aurait toute sa légitimité.

Une demi-heure plus tard, je suis entré dans sa chambre pour l’y trouver inconsciente. Je l’ai tournée, dos à la porte et plié ses genoux pour lui donner l’air endormi. J’ai remplacé la tasse de tisane par une nouvelle…, rapportait-t-il, méthodique, égrenant, métronome, chaque action sans le moindre sens du discours, vide de chacune des sensations qu’auraient pu enthousiasmer l’emphase inquiétante du morbide, mais pointilleux jusqu’au moindre des détails, trouvant sa fierté à la perfection du service rendu dans ce rapport tissé par les angoisses de l’échec… J’en ai vidé la moitié dans le coin le plus sombre de la pièce et reposé la tasse sur sa table de chevet, puis, je suis ressorti et j’ai attendu qu’une domestique aille vérifier comment elle se portait…

Comme prévu, la camériste était redescendue pour annoncer aux autres que la jeune femme dormait enfin, et chacun avait poussé un soupir de soulagement à l’idée que cette soirée se terminait enfin.
Le lendemain, ils ne trouveraient pas leur maitresse, mais à l’inspection inquiète de la chambrée, une flaque de tisane suggérant qu’elle n’en avait pas bu et trompé leur vigilance en prétendant avoir trouvé le sommeil. Pourraient ils seulement s'en vouloir?


J’ai annoncé mon départ dans l’instant une fois que la nouvelle est parvenue aux autres domestiques que Madame dormait en signalant que je vous rejoignais ici même. Quand j’ai été certain qu’ils avaient rejoint leurs quartiers, alors je suis allé la chercher …

Un sourire juvénile s’empara des traits du garçon, illuminant le visage d’une satisfaction pleine d’en venir enfin au résultat d’un travail minutieux, ceignant son front d'un contentement dévot, ses yeux nuageux rivés aux miroirs sombres et attentifs de Von Frayner.


Alors Maitre, en votre nom, j’ai ordonné le silence.
A tout jamais.



Judas
Que fallait-il retenir de la mort d'Isaure, ces quelques heures dernières , aboutissement d'un fardeau pénible ...? La délivrance sûre et irrévocable de l'homme qui s'est toujours emprisonné lui même, la réponse facile à des complications qu'il avait lui même provoquées. S'il l'avait aimée un peu... Ne serait-ce qu'un tout petit peu ... Judas se serait salit les mains, sans doute, pour la première fois de sa vie. Lorsqu'Hugo s'interrompit, brisant le requiem monotone de sa folie entretenue, les prunelles foncées de Judas tombèrent immanquablement sur ses jeunes mains. Instruments jolis de ses machinations qui épargnaient aux siennes un déshonneur que son âme-cloaque embrassait depuis bien longtemps. Toutes ces fois où sans les salir il s'était jeté à la gueule de la compromission, proie consentante et prédateur conscient de manquer de tendresse. Tuer de ses mains lui paraissait si méprisable , et peut-être pourtant si ... Admirable. Hugo lui apparaissait tel un chien, méritant et soumis, intriguant de n'être incapable de s'épanouir sans l'Autre. Tout ce qu'il n'était pas.

Il avait noté chaque détail au fil du récit palpitant , pesant et mesurant dans quelle mesure ils pouvaient être compromettants, ingénieux ou péremptoires. Judas savait que le jeune garçon n'avait pas l'âme pernicieuse, mais que comme toute bête , celle-ci se modelait aux désirs de son Maitre. Resté sur le fil de l'histoire, tenu en haleine , Frayner déboucha une fiole au contenu clair et le pressa.


- Et , après? N'omet rien je veux connaitre les moindres détails de cette nuit.


    Je veux en jouir, à défaut de l'avoir vécue .


L'avait-il écorchée vive? Assommée? Isaure avait-elle compris? Judas avait soudainement pris le faciès du diable, affamé à l'appétit malsain, avide d'éléments nourriciers . Les yeux fixes et la bouche sèche, il déglutit avant d'y vider le petit contenant .

_________________
Hugo_



Le regard s’attarda un instant sur la fiole pour tâcher d’en percevoir le contenu tandis que la voix poursuivait, mécanique céleste nimbant la concision des mots d’un gout d’une poésie qui n’appartenait qu’à la soif de sang de Judas:

J’ai choisi un poignard parmi ceux qu’elle possédait…

Les yeux attentifs ne s’attardent pas longtemps sur le choix à faire, âme verte vide de toute compassion, destinée à accomplir sa tâche avec la résolution de la perfection, au mépris de la cruauté à employer, adamantine créature qui s’enthousiasme d’une errance boisée tout autant que du meurtre.
Isaure n’est pas femme à posséder des lames, et celles exposées ont cette indécence de la beauté sans la moindre efficacité. La plus vieille n’est pas la plus émoussée, et soupesée à ses doigts, le pouce jaugeant du fil qu’elle offre, elle trouve grâce à ses yeux à la découverte d’une armoirie qu’il ne connait pas. Qu’importe le symbole, quelle que soit sa véracité, il est toujours important dans ces circonstances; les témoins se chargeront d’eux-mêmes de lui inventer une et de la lier avec l’évidence d’un savoir falsifié, au drame qui se noue.


Nous avons descendu les marches et pris par la petite porte…

La nuit empoigne les pupilles claires une fois qu’ils sortent de la pierre, pétrifiant le souffle d’une buée lourde aux lèvres juvéniles, reliquat de brume à celles de la jeune femme qu’il soutient d’une main à sa taille, le bras droit saisi et enroulé autour de la nuque. Le givre a redessiné les alentours, tapis d’écume qui drape la campagne et la fige en une nymphe joyeuse qui n’attend plus que les rires des enfants pour s’ébrouer et métamorphoser son linceul en paysages chimériques. Mais d’enfant, ici, il n’y a plus ; il ne reste que le linceul.
Isaure gémit doucement sous le fouet sec d’une petite bourrasque sans pour autant quitter le marasme de son étourdissement. Ses yeux papillonnent lentement, hagards, tandis que sur sa peau court un premier frisson.


Nous avons profité du gel pour rejoindre l’écurie sans laisser de traces…

Quelques flocons épars tombent à l’aube d’un hiver qui sera rigoureux, mais maintes fois piétinée par les allées et venues des domestiques et des chevaux, la terre qui serpente jusqu’aux écuries est figée jusqu’à ses ornières, vague de boue solidifiée qui creuse ses sillons inégaux en un chemin chaotique jusqu’à l’abri où renâcle le cheval de la malheureuse épouse.

Je l’ai hissée sur l’animal et je suis monté dessus à mon tour… Une cavalière, un cheval
, égrena-t-il au fil d’un sourire discret qui ne s’adressait plus à Judas mais à la sagesse de son apprentissage, doucement nostalgique de cet instant où enfin, le manoir avait été dans son dos, où il avait pu respirer à plein poumons quand il s’était astreint, composition d’un rôle obligatoire, à se faire minéral durant les interminables heures de cette soirée, lui, l’insensé végétal.

Le pas du cheval laisse une première empreinte nette dans le chemin poudreux, témoignage d’une fuite orchestrée avec minutie et qui, pourtant, passerait pour une folie, éternelle grâce de la préméditation qui travestit les actes pour fusionner les frontières de qu’ils sont et ce qu’ils paraissent.
Hugo est jeune, tout au plus a-t-il l’âge d’Isaure, même le poids est équivalent, et s’ils pèsent tous deux aux reins de la monture plus lourdement que son habituelle cavalière, il n’a rien d’insurmontable. Au pire, laisseront-ils sur quelques pas l’évidence possible d’une charge suspecte, mais c’est là un détail qui nécessiterait un œil avisé qu’ici, personne ne possède.

J’ai fait partir la monture au galop…

Devant eux, les terres s’étendent, arrondies par la glace, contreforts d’arbres percés de quelques clairières qui à l’automne chantaient encore de mille bruissements et qui, pour l’heure, n’appartiennent plus qu’au silence. Un claquement de langue encourage la monture à accélérer le pas, quand un dernier coup de talon la met définitivement au galop, soulevant dans le chaos brusque de sa précipitation, de petits monticules blancs échouant sur les abords d’une route étouffée.
Isaure est folle ; n’est-il pas normal qu’elle court, elle qui fuit le moelleux de sa chambre pour affronter la solitude d’un cœur meurtri par la disparition, vide de cet enfant qui soumettait la douleur de son destin à la candeur de son sourire ?


…jusqu’à l’étang qu’elle préfère.

A la morsure du gel, les abords de la lagune ont figé quelques longs roseaux desséchés dont les plumeaux blancs ondulent mollement au vent qui s’engouffre dans la clairière bordée de forêt. Souple, le limier quitte l’assise du cheval avant de le délester du poids mort qu’est la maitresse de maison, engourdie par le froid et égarée par les plantes, restant quelques instants immobile en la tenant au creux ses bras, les nuageuses remarquant l’œil rond d’un corbeau posé sur eux à la lisière du bois, quand elle cherche inconsciemment la chaleur en se blottissant contre lui, ultime réflexe de vivant pour celle qui sera bientôt morte.

Je l’ai agenouillée et tenue droite car elle n’y arrivait pas seule…

Isaure balbutie quelques mots, enchevêtrés de latin, entrecoupés de silence interrogatifs en percevant la bise qui prend son élan au terrain clairsemé et noue autour des peaux chaudes, le ruban de ses morsures. Le tissu précieux de sa robe épouse les joncs fraichement pliés par les sabots du cheval où se noient sans distinction les empreintes légères du jeune homme tandis qu’un fil de broderie s’accroche à une tige plus rigide que les autres, et abime l’ouvrage de la manche.
La tête brune dodeline, tombe lourdement en avant et se balance sans plus de force à l’aube d’un corsage boutonné de pudeur dans le gémissement plaintif de l’accablante perte du contrôle du corps. Elle ne sanglote plus depuis qu’ils ont quitté le manoir, l’instinct soumis à l’irrégularité des choses, cherchant à percer dans l’opacité des sens, une explication hors de portée.


Il fallait qu’elle pleure…

Perfectionnistes, méticuleuses jusqu’aux moindres détails peignant l’ensemble des tableaux qu’elles offrent, les Mains Rouges se penchent alors pour cueillir l’oreille d’un murmure, déversant au lobe, la seule mélodie qu’il savait pouvoir le mener au but, abandonnant au bruissement du vent, le prénom d’Amadeus.

C'est là qu'il s’est mis à neiger, précisa-t-il au fil d'un sourire candide, saisi par l'image troublante de la bouche hoquetant au supplice, exhalant dans les traits défaits de son visage, l’inégalable parfum des âmes condamnées par la main du Démiurge.



Judas
Hugo était un être fascinant. Le fond de ses prunelle ponctuait, l'étirement de ses lèvres colorait, tout en sa déficience mystique animait un tableau pourtant figé, aussi noir que noir, et Judas s'y raccrochait bientôt sans plus de pudeur . Suspendu à ses lèvres, grisé déjà par la teinture qu'il venait d'ingurgiter , le seigneur s'était peu à peu appuyé contre le mur humide , ses yeux fous ancrés, figés dans ceux de son jeune limier. Le temps s'était ralenti, Isaure s'étendait dans ses bras . Judas se surpris à sentir sa peau chaude et à sentir son souffle léger plus intimement qu'il ne l'avait jamais voulu. Isaure était si légère... Comme Marie. Spectre de jeune fille se laissant faucher sans résistance. Il imagina les sentiments qu'il aurait pu avoir ... Jusqu'à ce qu'Hugo brise le fil.

Judas secoua un peu la tête, ton partagé soudain entre ses nuances de colère et de compassion . Isaure avait eu le malheur de haïr son époux autant qu'il la haïssait, petite épouse de dix sept années naïve de croire vaincre aux jeux de la perfidie son seigneur vieillissant.


- Je t'avais demandé de la faire taire. Pas de la faire pleurer.


    Je la détestais sans doute moins que je ne le pensais .



Mais que pensait-elle ! Petite sotte. Que pensait-elle... l'enlèvement d'Amadeus pour lui faire mettre genoux à terre avait été la dernière carte de Judas. Epoux patient qui avait semé sur les sentiers de la jeune fille la mort en bouquet. Dix sept automnes définitivement balayés par le froid et la haine.


- Si seulement elle m'avait donné un fils...

Mais aucun regret ne perçait ses réflexions. Il laissa la pièce aux fioles dans la pénombre, halo lumineux suivant les mouvements de sa main et bientôt de ses pas, laissa Hugo lui emboiter le pas avant de refermer soigneusement sa porte. La petite clef resta dans le creux de son gant.


- ... Plutôt que de l'apathie.

    Je lui aurais laissé quelques années.


La chandelle enveloppa les deux silhouettes masculines dans une bulle perçant la ténébreuse coursive du castel.

_________________
Hugo_




Mais Maitre…, fit la voix du sicaire sans s’ourler de la moindre vexation, mû par cette certitude du geste exécute à la faveur de ses arts, suivant le pas lancé du Maitre au travers de la coursive… on pleure lorsque l’on se suicide.

A l’évocation de l’enfant, le corps se tend d’un sursaut de vie, et les lèvres rougies par la bise tentent d’en dessiner les syllabes sans succès, délayant au souvenir brumeux du poupon l’incapacité à l’honorer, éveillant dans le cœur d’Isaure, l’insurmontable douleur de la perte. Le visage se tord, étincelle de mobilité avant de se déformer au prix des sanglots, étirant le sourire juvénile d’Hugo.

J’ai tranché chaque artère…

La lame entaille sans mal la chair, inondant dans la seconde, l’ourlet dentelé de blanc des poignets avant de couler en une mince filet au creux de la paume où il s’étale, peinant à retrouver le sillon de son chemin, pour, finalement, quelques secondes plus tard, longer les doigts délicats et tomber en goutte à goutte au sol givré, disparaissant dans le fouillis de racines herbeuses.

… et je l’ai renversée en arrière, face au ciel…

Étrange cercueil, qui sous les flocons dansants, enveloppe de ses tiges frêles, la silhouette étendue, le froid et la drogue chassant la douleur pour ne laisser sur le visage de la maitresse de maison que le masque glacial d’une infinie tristesse.
Comprend-elle ce qui se trame, se demande le jeune homme penché au-dessus d’elle, sondant le regard bleu voilé qui lui passe au travers, tendu vers ce ciel ingrat qui n’a pas pris le temps d’exaucer ses prières, embrassant d’abord celles de son époux.
Il a l’habitude des regards les plus désespérés au seuil de son savoir, des supplications chuchotées, des repentirs de dernière minute, mais rien ne vient, juste le silence troublé par le cheval à quelques mètres d’eux. Isaure reste résolument muette de l'ultime affront perpétré à sa réputation de farouche bigote, le regard entravé de larmes, comme absente de sa propre mort, et s’il n’en éprouve pas la moindre satisfaction, il ne peut s’empêcher d’apprécier le calme de la cérémonie.


J’ai laissé le cheval, poursuivit il, revoyant la silhouette de l’équidé s’ébrouer en faisant quelques pas vers les bords de l’étang avant de faire pivoter son cou vers l’un des chemins fréquentés par les paysans dont les plus matinaux ne tarderaient pas à emprunter le passage forestier, et j’ai rejoint la lisière de la forêt.

Sous le pas léger, les feuilles crissent à peine, cacophonie dans les bois endormis que les feuillus persistants protègent encore de la chape neigeuse, et si l’œil rond du corbeau pèse encore à son dos, Hugo sait que nul autre indice n’indique sa route. Il avance sans presser le pas, coule le long des troncs, se noie à un tapis de mousse bruni de gel et s’abreuve une dernière fois de l’odeur de l’écorce épaisse avant de rejoindre le sentier où l’attend sa monture.

Il se peut qu’à cette heure-ci, le corps ait été découvert,
conclut-il en regardant le bout du couloir devant eux au fil d’une impatience innocente, comme si les portes allaient s’ouvrir pour faire apparaitre un domestique éploré par la nouvelle et parachever l’œuvre que le démiurge lui avait commandé


Judas
Sur les lèvres du jeune homme, l'évidente vérité de la tâche accomplie. Chaque mot transportait en lui des bribes de la scène dans son éclatant machiavélisme, rendant à Judas l'assurance qu'il réclamait.

- Demain, nous irons là où tu l'as laissée. Il faut être certain que tout soit en ordre.

En ordre. Une façon bien à lui de dire propre. Dénué de preuves. Et si le corps avait été retrouvé, pourquoi ne pas simuler l'effroi, condamner une servante et mettre la frêle dépouille en terre. L'affaire serait classée. Judas serait très officiellement veuf.

Etrangement, le seigneur avait en lui cette quiétude que seul Hugo savait lui assurer, de quelques mots bien placés, de quelques actes toujours parachevés. Comme il l'avait prédit lorsqu'il avait décidé de le recueillir un jour sur le parvis de l'église, Hugo était destiné à de grandes choses; et abritait en lui de grandes choses. Gonflé d'orgueil face à ce fils qu'il s'était cousu sur mesure, Judas endoctrinait pour son plaisir, pour son confort. Marionnettiste admirant son pantin, il voyait en les Mains Rouges une formidable oeuvre dépassant celle de sa propre vie. Une source de satisfaction inépuisable.

Il posa sa senestre sur la joue du jeune garçon et dans un mouvement presque solennel posa ses lèvres minces sur les siennes, dans un baiser chaste et prude démonstratif de sa rare satisfaction.


- Va te coucher maintenant, nous partons dans quelques heures pour le manoir.

_________________
Hugo_




Curieuse balade qui soumettait les orgueils et les appétences à l’éclat d’un jour nouveau, embaumant l’âme du dogue de l’inexplicable bien être qui saisissait tout homme ayant contenté ses exigences et éclairé les vertigineux abysses de son Maitre.

Demain, le paysage serait assurément plus beau encore, veiné de blanc et de givre, les silhouettes frêles des joncs crêpant les bords de berges où avait été abandonnée Isaure…
On ne trouverait pas le corps, emporté depuis longtemps par les paysans dont le chemin avait fini par croiser aux premières lueurs de l’aube, celui de la Von Frayner, ne laissant à leur voracité de charognards que la forme toujours présente, quoiqu’indéterminée, du linceul plié au poids de la maitresse de maison pendant quelques heures, tiges cassées, tordues, qui finiraient fatalement par reprendre la hauteur de leurs semblables jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’autre de visible, que le temps passant, inexorablement, et la terrifiante détermination du Seigneur.
Demain seraient à eux, et cette perspective revigora l’adolescent de cette nuit de cavale, de cette douce torpeur qui suivait chaque meurtre et qui, chez certains, achevait de perdre l’âme quand elle engourdissait celle d’Hugo d’une béate absence.


J’ai accompli mon devoir sous l’œil noir de la corneille.
J’ai juré le silence à ses lèvres chevrotantes et marqué du prix du sang, la dette contractée.
Pour Vous Maitre, les Mains Rouges ont fait éclore un soleil neuf aux têtes squelettiques des résineux.
Je Vous montrerai la mousse gorgée de sang, le coin de ciel qu’elle a regardé, et peut être alors, entendrons nous les arbres fredonner pour Vous, quelques un de ses pleurs au travers du vent agitant leurs branches…
Alors, demain, au chant clair de l’alouette, Vous serez couronné.



La filiation du baiser eut l’effet du baume sur l’impatience, tarissant la nervosité du chien comme l’eut fait la main s’attardant à la gueule en une caresse satisfaite, amenant un sourire dévot à répondre à l’ordre donné, créature à cet instant au chaud d’une place esquissée uniquement pour elle et sa parfaite maladie.


Monstrueux Judas, tu as eu ce que tu voulais.
La mort te suit à chacun de tes pas et dessine pour toi, les œuvres les plus exsangues. Il te suffit désormais de dire pour que le fil des mains juvéniles s’empare en ton nom de chaque poussière que tu souhaiteras t’offrir, pour en parer chacun de tes rêves.
Bois Judas, mange, ripaille… Tu le mérites… Tu as conquis la Camarde aujourd’hui.

Enjoint au repos, ce fut dans la paille de l’écurie que le jeune homme le trouva, encore ignorant de l’endroit qui lui était réservé dans cette demeure venteuse à laquelle s’était exilé le Démiurge, désireux de clore les paupières aux senteurs des herbes dont l’hiver le privait et d’entendre en guise de berceuse, les renâclements sporadiques des montures dans leurs box jusqu'à ce que sonne l'heure du réveil.

Dors, fils des forêts. Dans quelques heures, tu joueras au sacre de ton maitre.



Aude..
L'inquiétude l'avait saisie à l'aube de cette matinée glaciale. La nuit était encore présente lorsque la jeune servante était sortie du lit, revêtant cotte et cotardie d'une teinte beige et souliers. C'est sans bruit que les escaliers en colimaçon, empruntés habituellement par le personnel, furent descendus afin de la mener en cuisine où la vie se réveillait doucement après la soirée agitée de la veille où ils s'étaient tous inquiétés de l'état de santé de leur maîtresse, accueillant les gens du manoir remplissant leurs estomacs de pain au seigle dur. Aude salua en silence les domestiques à son arrivée, prenant place sur le banc, avant de vaquer à quelques occupations matinales puis de se diriger vers la chambrée de la maîtresse de maison qui devait être encore au lit à cette heure. Il lui incombait, comme tous les matins, de réveiller sa maîtresse, de rétablir l'ordre du lit seigneurial, l'aider à s'habiller et de ranger ce qui devait l'être afin que dame Isaure puisse évoluer dans un environnement agréable, suite à son lever. Toutefois, lorsque l'huis fut poussé, l'étonnement la prit lorsque le lit vide de la jeune femme apparut à elle et que, prunelles parcourant la pièce, nulle trace de sa maîtresse ne fut trouvée. Songeant que, peut-être, celle-ci s'était réveillée au chant du coq mais s'inquiétant tout de même de son état, Aude se mit en quête de la retrouver, poussant les portes croisées sur son passage, parcourant les grandes pièces de la maisonnée, questionnant chaque personne croisée, mais en vain. La demeure bouillonnait à présent, en alerte face à la disparition d'Isaure, alors que tout un chacun se félicitait la veille d'avoir réussi à la sortir de cette mauvaise passe.

Une inquiétude sourde grandissait en elle, il n'était pas dans la nature d'Isaure de partir ainsi, sans en avertir la maisonnée et encore moins ne pas laisser sa camériste lui revêtir ses atours. Ses recherches, au bout d'un long moment de pérégrination, la menèrent alors au sein de l'écurie où le constat que sa monture avait disparue fut fait rapidement. Son cœur s'arrêta net, l'esprit en ébullition, empli de questionnements et d'incompréhension face à cette absence. Sans vraiment réfléchir où la menaient ses pas, Aude sortit de l'écurie, visage glacé et souliers crissant sur la neige fraîche, prenant la direction du chemin si souvent emprunté par Isaure. Quelque chose la poussait à suivre cette direction, sans vraiment comprendre pourquoi, ou peut-être était-elle mue par le souvenir imprimé en elle, celui de ces balades en plein été les entraînant, chemin serpentant, vers l'étang qui devait s'être recouvert de gel et de glace. Le parcours fut long, le froid saisissant chaque parcelle de son corps, rendant ses os glacés et faisant s'entrechoquer ses dents sans pouvoir les arrêter. Enfin l'étang scintillant de gel apparut dans son angle de vision et le pas s’accéléra dans l'espoir d'y retrouver sa maîtresse et sa monture pour une balade matinale après une nuit éprouvante. Mais nulle vision ne vint la cueillir, et les berges de l'étang restèrent désespérément vides et silencieuses. Et c'est en amorçant son demi-tour afin de rentrer dépitée au manoir qu'elle l'entendit.

Cette voix...tendant l'oreille, c'est apeurée qu'elle reconnut celle du maître de maison traversant le brouillard hivernal, son timbre lui crispant les mâchoires involontairement. Paniquée, Aude chercha autour d'elle un lieu où se cacher, car déjà deux silhouettes s'approchaient d'elle, mouvements saccadés lui faisant perdre l'équilibre plusieurs fois, respiration haletante de cette peur commençant à lui vriller les entrailles. Au moment où la voix se fit plus forte, la jeune fille réussit à se glisser derrière un arbre de taille imposante, essayant de calmer les battements de son cœur, positionnant sa dextre devant ses lèvres pour que sa respiration et la buée s'échappant de ses lèvres gercées par le froid ne la trahissent pas.
Judas
Les chevaux avaient gagné le manoir dans un tambour sourd, compte à rebours macabre ramenant le Maitre en sa demeure. Il annonça aux premiers gens venus à sa rencontre que l'enfant n'avait pas encore été retrouvé, qu'il faudrait rester discret avec son épouse pour préserver son état et qu'il repartirait dans l'heure pour aller vers l'est, là où peut-être, s'établirait une piste plus conséquente. Que tout le monde devait faire battue autour du domaine avant la nuit pour ramener Amadeus à la maison, plutôt que de rester au chevet d'une mère passive. La réponse attendue arriva sur un plateau d'argent, brique venant bâtir et sceller la machination de Judas. Babillé, hésitant, le couperet tomba malgré tout.

La jeune Maitresse a disparu dans la nuit à son tour, sans doute... Partie à la recherche de son enfant, inconsolable .


Le Frayner mima la complainte, la colère puis la détermination. La maison fut ébranlée de ses cris, de ses coups assénés au mobilier et de ses ordres cinglants.


Allez vers l'ouest! Que seule la matriarche reste en les murs pour le retour éventuel d'Isaure. Je veux que tout le monde parte sur le champ vers l'ouest du domaine!


Lorsque tout le monde partit du coté indiqué, le Maitre des lieux et son jeune sbire rejoignirent l'endroit indiqué par les Mains Rouges où la jeune noble avait rendu son dernier soupir, dans une procession silencieuse . Bien loin de la mascarade servie à la valetaille auparavant, c'est froid et serein qu'il gagna les abords de l'étang, avide d'en finir avec cette interminable nuit d'hiver qui s'était installée sur le Manoir . Ce qu'ils découvrirent les laissa interdits. Mais point longtemps. Frayner leva le nez vers Hugo.


Tu penses qu'un animal l'aurait emportée...?

La question n'en était pas une. Le seigneur était un chasseur hors pair. Le terrain était propre et net, recouvert d'un léger manteau de neige fraiche, nulle dépouille et nulle trace indiquant qu'elle pouvait avoir été trainée au sol. Ses yeux se posèrent sur l'étang à l'onde inerte puis la pointe de sa botte gratta le gel pour en découvrir l'herbe.


Si le corps n'est pas là où tu l'as laissé, c'est très embarrassant.


La langue de Judas vint glisser sur ses incisives, lèvres closes d'agacement. Amadeus était au chaud avec l'Anaon pour quelques jours. Mais Isaure elle, demeurait désormais réellement morte et disparue. Le paysage semblait s'être figé sur ce triste constat, Judas observa le terrain comme un tombeau vide, qui ne recelait pas les trésors escomptés. La nuit ne portait pas toujours conseil en fin de compte.

_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)