Alyx Quand on lavait fait demander en tant que Maître-tisserande, Alyx du Nordet en avait été fort surprise. Dabord incrédule devant la requête du baron de Marchecoul, sinterrogeant sur les personnes layant recommandées, elle avait fini par saisir cette opportunité et prendre la route vers les terres de Retz. Elle rédigea un court billet à lintention du baron et le lui envoya au plus tôt.
Citation:
Messire Equemont du Salar, baron de Marchecoul et Chevalier du Cerbère
Demat,
Jai bien reçu votre mandat de me présenter en votre demeure afin dy travailler en tant que Maitre-tisserand. Jaccepte votre proposition et mengage à me mettre à la tâche dès mon arrivée en vos terres.
Veuillez accepter mes salutations les plus distinguées.
Alyx du Nordet, Maitre-tisserande
Suite à cette requête, il lui fallait retourner en Bretagne. Il ny avait rien de tel dans les projets quAlyx avait élaborés, la femme voulant plutôt quitter cette région et ces gens. La fuite nétait certainement pas la solution mais elle ne connaissait rien dautre pour soulager ce sentiment douloureux qui la brûlait. Cette fusion dangereuse de fierté écorchée, de vengeance et damour bafoué; sentiments quelle se devait de calmer avant den être complètement consumé.
Il lui fallait apaiser cette sourde colère avant de poser un geste quelconque qui allait avoir une incidence sur sa vie. Navait-elle pas tout laissé tomber suite au mécontentement ressenti dans sa précédente vie normande ? Navait-elle pas troqué une vie confortable et des fonctions prestigieuses pour celle d'une nomade qui ne lui convenait aucunement ? Fallait-il que la rousse soit orgueilleuse
Elle se rendit donc sur les terres de Retz, suivant les indications du baron. La solitude de la route lui fit du bien, elle eut du temps pour réfléchir et tenta de redevenir pieuse en visitant toutes les églises quelle croisa en chemin. Son travail de maître-tisserande lenthousiasmait et plus la distance samoindrissait entre elle et sa destination, plus elle était satisfaite davoir accepté de se mettre à louvrage dans la demeure du baron de Marchecoul. Il navait rien de mieux que de soccuper les mains et lesprit afin de guérir le cur. Enfin cest ce quAlyx tentait désespérément de croire.
Au bout de quelques jours, elle fut aux portes du domaine. Avant de sapprocher des gardes, la rousse observa limposante demeure de pierres et les terres environnantes. Le lieu était majestueux et il tardait déjà à la tisserande de connaître les requêtes exactes du baron. Avait-il besoin de tapisseries pour en draper les murs de son château, de tenues dapparats pour la Dame de son cur ou encore de linges de maison ? Quimporte la besogne, Alyx du Nordet pouvait le contenter car sa dextérité était notoire, sur les terres du Poitou comme en Normandie. Pour ce qui était de la Bretagne, cétait le moment parfait pour faire ses preuves.
Allant vers la vigie, elle demanda au garde :
Demat ! Jai été mandé par le baron. Mon nom est Alyx du Nordet, Maitre-tisserande.
Dans l'attente d'une réponse, elle épousseta ses habits et retint les rênes de son destrier.
Alyx Cétait comme être sur un champ de bataille. Malgré le fait de se savoir en contrôle de ses capacités et de ses armes, dy être présent sans aucune contrainte et de savoir comment affronter ladversaire, cétait le moment où le doute sinstallait insidieusement dans lesprit du guerrier. Le moment où toute la préparation du monde navait plus aucune importance. Linstant où les prières et les souvenirs les plus anciens remontaient à la mémoire. Le temps où le prénom maternel et lodeur y étant associés semblaient être la plus belle chose qui existe. La minute où la seule chose qui semblait la plus éclairé était de prendre ses jambes à son cou et de déguerpir.
Voilà comment se sentait Alyx lorsquelle débarqua chez le baron de Machecoul. La seule chose qui la retint fut le fait quelle semblait être attendue. Fort heureusement pour le baron, car la tisserande neut pas le temps de réfléchir et de quitter les lieux. Elle fut rapidement prise en charge par le garde qui semblait avoir des ordres précis concernant lendroit où il devait conduire la femme. Elle le suivit donc sagement de par les dédales encombrés du château. Décidément, lendroit était au beau milieu dune importante réfection si elle se fiait aux échafauds quelle apercevait, ici et là, ainsi quaux propos que le lhomme lui tenaient dans un langage presquintelligible. Celui-ci qui la devançant de par les salles et réduits, ne sembarrassait pas trop de se tourner vers la rousse et de poser sur elle des regards égrillards.
Cest lorsquils furent aux portes des appartements du maître de lieux que les choses se corsèrent. Un autre domestique, visiblement dune hiérarchie supérieure au premier, déboula dans un état dirritation contre le deuxième. Léchange qui sen suivit laissa la tisserande bouche bée. Non pas quelle neut jamais entendu ce type de langage (à vrai dire, elle avait entendu bien pire) mais létonnement que les serviteurs se vilipendent en sa présence la saisit. Alyx regarda derrière elle, songea à ce moment précis de reprendre la route vers lendroit le plus dangereux du royaume pour apaiser son agitation.
Pourtant, elle ne fit rien, car le garde avait réussi à la perdre complètement dans ce castel labyrinthique. Elle regarda derrière elle et se rendit compte quelle ne savait plus de quel côté était le Nord. Elle se tournant vers les gueulards ayant pour seule pensée de les faire taire. Son souhait fut exaucé à la seconde près lorsque la porte devant laquelle ils se trouvaient souvrit avec fracas. Un homme à la carrure imposante neut quà prononcer une parole :- Hors de ma vue.
Cétait le baron en personne et Alyx retint son souffle. Non pas que la rousse fut impressionnée de rencontrer une personne titrée, elle avait eu son lot de rencontre lorsquelle était en Normandie, mais la prestance du baron était imposante. Lhomme linvita à entrer dans la pièce dun geste élégant et la rousse fut en mesure de mieux voir son visage lorsquelle passa près de lui.
Le baron de Machecoul était grand, dépassant la tisserande dun moins une tête. Comme dit précédemment, son port était remarquable, imposé par sa grande taille. Il avait les cheveux blonds et les yeux dune couleur encore indéfinie, la tisserande nayant pas encore osé glisser un regard vers ceux-ci. Légèrement intimidée, elle répondit à sa présentation par un signe de tête et une légère révérence, puis elle se décida à prononcer quelques mots.
Je suis ravie de faire votre rencontre, Messire le Baron. Comme vous le savez, je me nomme Alyx du Nordet, Maître-tisserande. La rousse releva la tête et fit un petit sourire à lhomme avant de poursuivre : Jai fait un excellent voyage, la saison est parfaite pour les déplacements. Je vous remercie de vous en enquérir et ainsi que de votre accueil.
Alyx resta debout devant l'homme sans s'en laissé imposer par sa grandeur, son titre ou l'importance de sa personne. Pourtant, elle se sentait comme une petite souris devant un chat. Elle n'en montra rien, forte et fière, elle attendit la réponse de l'homme.
Equemont Dans le doute, le Salar lui servit un petit muscadet frais, vin local qui pouvait être âpre aux entournures. Le flacon fut délicatement ouvert et le nectar versé dans une timbale bronzée. En remettant le bouchon, il se retourna pour jeter un coup d'il à la femme. De dos, ses cheveux flottaient légèrement. Il n'avait jamais réellement apprécié les rousses, mais sa présence en Bretagne l'avait amené à revoir son jugement. Surtout depuis qu'il avait eu ce pauvre petit écuyer Tegonnec, qui malgré sa chevelure de feu, montrait une certaine intelligence. Il en était mort, le bougre. Saisissant les deux verres servis, il revint devant elle et lui tendit la boisson tout en l'écoutant. La fixant de ses azurs profonds, il entreprit de reculer pour se glisser dans son fauteuil et croisa les jambes.
- Et bien voilà, vous avez remarqué certainement que le château est en restauration. En effet, lorsque le Prince de Retz m'a confié ces terres qui ont appartenu à feu son père le Grand Duc Elfyn de Montfort, il a voulu que je reprenne les bâtiments en main. Voyez le désastre de ces pierres abandonnées.
Tout en expliquant son affaire, Equemont se leva pour mieux se situer dans l'espace, et faisant des aller-retours, il allait de la cheminée à la porte.
- Si je vous ai fait venir, vous vous en doutez, ce n'est pas pour rien. Tout est à faire. Les teintures, les draperies, enfin tout ça... Je n'y connais pas grand chose, et je n'ai plus de femme pour s'occuper de cela. Voilà ma proposition. Vous passez quelques jours ici et refaites les teintures de cette salle aux armes de Machecoul. Si votre travail me sied, je vous en demanderai plus. Cela vous convient-il ?
Les yeux du Salar se posèrent sur sa manche de mantel. Il était bien connu que sans femme, l'homme se laissait aller, et voilà que depuis quelques temps, il était seul. Un trou dans le tissu qui lui couvrait le bras finit par lui brûler l'il. Aurait-il le courage de lui demander ce bas service ? S'humilier jusque là ?
Rapidement il plongea son index dans la béance et fronça les sourcils pour décrypter la Rousse. Ne fallait-il pas vérifier les petites choses avant de se lancer dans de grands travaux ? Il se laissa convaincre lui-même par cet argument.
- Hum. J'ai... disons un autre petit service à vous demander avant. Quelle misère quand même ! Savez-vous rapiécer ?
Et voilà qu'Equemont montre la disparition de son index dans la fente. C'est un baron miteux !
Alyx En regardant les cheveux du baron, Alyx se surprit à se demander pourquoi elle sobstinait à dire quelle naimait pas les blonds. Cétait jolie cette teinte de blé mûr, nacrée de soleil ! La femme avait dailleurs eu deux blonds comme prétendants... Bon, ces relations avaient été des échecs percutants mais ce nétait pas une raison pour mettre tous les blonds dans le même panier. Affaire classée, elle aimait désormais les blonds.
Outre ces pensées capillaires, une partie de son cerveau écouta avec attention les paroles du baron de Machecoul. Il y aurait du boulot pour un sacré moment si elle prouvait à lhomme quelle pouvait relever le défi. Faire des tentures et des draperies étaient très différents que la fine couture dune robe dapparat mais la tisserande savait exécuter cette tâche. Dailleurs, elle se souvint davoir aidé son maître à draper un manoir seigneurial aux abords de La Rochelle alors quelle était encore une apprentie. Elle saurait.
Pendant que son hôte arpentait la pièce de long en large, elle se surprit à observer sa démarche et ses gestes. Il semblait sûr de lui comme la plupart des nobles quelle avait croisés dans son existence. Physiquement bien développé, il devait avoir la musculature proportionnelle aux exercices équestres et descrime auxquels il devait sadonner comme la majorité des magnanimes personnages des royaumes.
Elle but une petite gorgée de vin frais, se retenant de ne point vider sa timbale cul-sec, le voyage lavait assoiffée mais ce nétait pas le moment de boire plus que raison. Le liquide était délicieux et son ignorance en matière de vin lempêcha den identifier la provenance. Elle laissa le vin couler dans sa gorge, savourant la fraîcheur et les arômes qui firent mieux aimer la situation dans laquelle elle sétait mise.
Puis, le baron lui indiqua un trou dans la manche de son mantel, lui demandant si elle savait ravauder. Elle faillit sétouffer, toussota légèrement et se leva pour voir létat du dit trou. Cétait un accroc infime qui laissa supposer à la rousse que le blond baron portait une attention particulière aux petits détails.
Je puis réparer cela de suite
si vous permettez.
Elle posa sa timbale sur un guéridon et fouilla dans la besace quelle portait encore en bandoulière. Elle en retira un petit étui de cuir, pas plus gros quun poing dhomme, quelle déroula sur le bureau. Cétait une trousse de couture contenant quelques aiguilles, des épingles, du fils et des brins de laine de différentes teintes, une corde de mesure, un minuscule ciseau et deux ou trois petites pièces de tissus pouvant être utilisées en rapiéçage. Rapidement, Alyx prit une longueur de fil assortis à létoffe foncé du mantel et enfila une aiguille. Elle sapprocha du baron retourna le bord de sa manche et reprisa laccroc avec dextérité. En retourna le bord de la manche, elle frotta lendroit avec ses doigts; il ny paraissait rien.
Voilà...
Alyx leva les yeux vers le visage du baron et lui sourit.
Pour ce qui est de cette pièce
jimagine bien une tapisserie courte au-dessus de la cheminée comportant vos armoiries. Pour les tentures et draperies, il est mieux de les installer sur les murs du nord et près des ouvertures que vous désirez fermer
Je puis terminer cette pièce en quelques jours si vous me permettez de voir un drapier pour les tissus
Jaurais besoin de vos armoiries pour les broder
Quelles sont les teintes que vous désirez utiliser dans cette pièce ? Du bleu serai joli...
Elle entreprit de fermer sa trousse de couture et de la reposer dans sa besace. Lorsque ce fut fait, elle glissa une main sur les tapisseries recouvrant les fauteuils et ajouta en regardant le baron :
Je vous suggère le bleu car c'est assorti aux tapisseries de ces fauteuils. Il serait dommage de ne pas les garder, elles sont encore très belles...
Elle avait assez parlé. Alyx reprit sa timbale de vin, en but une gorgée et attendit le verdict du baron.
Alyx Ce nétait pas si douloureux que davoir une audience chez le baron de Machecoul. Alyx avait su sexprimer et donner ses idées sans se faire mettre au cachot, ou pire, couper la tête. Bien que lhomme nai en rien un air typiquement sanguinaire, le château offrait au visiteur une allure si délabrée que lon pouvait croire quil y avait des geôles cachées dans tous les coins de la demeures.
Elle avait tout de même gagné son pari et le baron lui proposa de rester quelques jours pour refaire la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Il avait même acquiescé à sa requête de quérir un drapier, car la tisserande navait pas le temps de se mettre à son métier, ni dattendre la pousse de la laine sur le dos des moutons. Elle songeait déjà à un bleu profond où les armes se découperaient avec beauté.
Pour votre blason, Messire, il mimporte le modèle, tant que je puis y voir correctement vos couleurs
À ce mot, Alyx leva les yeux sur le visage de lhomme. Bleus, ses yeux étaient bleus. Comment navait-elle pas encore remarqué cela ? Sa respiration sarrêta quelques secondes ainsi que le flux sanguin irrigant son cerveau, ce qui causa un silence de plusieurs secondes. Elle secoua la tête, sinterrogeant sur ce trouble et poursuivit :
je pourrai faire une liste pour cette servante
afin quelle me procure les matières et les outillages dont jaurai besoin pour mexécuter
Il linvita à le suivre. Comment refuser cette ordonnance quand cest pour lamener à ces appartements ? Elle nen croyait pas ses oreilles ! Alyx souleva lourlet de ses jupes afin de dégager ses pieds et fouler le sol plus prestement. Ai-je mentionné que le baron était grand ? Il avait un coup de pied large, proportionnel à la longueur de ses jambes et la rousse trottinait en boitillant derrière lui.
Le blond ouvrit la porte des dits appartements et Alyx découvrit de grandes pièces sales aux meubles tout aussi malpropres. La Brunehaut aurait du boulot à rendre le tout convenable. À chacun ses batailles, parait-il
Avec lair de celle qui navait rien vu de la crasse, Alyx se tourna vers le baron et déclara :
L'endroit est...grand...
Est-ce possible de me faire apporter les sacoches qui sont sur la selle de mon destrier, je vous prie ? Elles contiennent mes affaires personnelles
Alyx La misère des châtelains résidait-elle chez lincompétence des gueux à leur service ? Cétait la conclusion quAlyx fit en voyant léclair de rage passer dans lil bleu du baron. Il sembla furieux en constatant létat des appartements quil avait compté mettre à la disposition de la tisserande. Ce fut donc illico un retour de par les escaliers, les antichambres et les réduits. Elle suivi lhomme avec adresse malgré sa claudication qui se faisait de moins en moins présente grâce aux bons soins des nonnes du Trégor. Prières et emplâtre sur la cuisse de la femme faisaient parfois des miracles ! Du moins, elle l'espérait.
Cest dans un salon dagréable dimension que le baron Machecoul la laissa, le temps de régler quelques détails qui semblaient dune importance extrême; engueuler le personnel. Les éclats de la voix de lhomme parvinrent aux oreilles de la tisserande sans quelle ne puisse en entendre les propos, aussi elle nosa pas approcher de trop près, peu intéressée (ou effrayée) quelle était dentendre tout ce qui se disait.
Alyx arpenta plutôt le salon où régnait en maître le portrait du baron, accroché bien en vue au-dessus de limposante cheminée. Il dominait la pièce de son regard pénétrant, la pose belle et altière lui donnait un certain panache. Sur le mur à sa droite, un autre portrait plus petit représentait une belle femme au teint clair dont la tisserande identifia comme étant possiblement lépouse dEquemont de Salar. Qui d'autre ? Une de ses maîtresses ? Des portraits dune telles factures avaient lhabitude dêtre exposés dans les pièces importantes dune résidence afin den apprécier la vue le plus souvent possible. Se trouvait-elle dans le salon particulier du baron ? Lidée la surprit quà moitié car malgré la superficie du château, sa réfection semblait si importante que peu de pièces pouvaient être habitables pour le moment.
Toujours sous la douce musique de la voix mécontente du baron, Alyx retira sa cape et se délesta de sa besace qui commençait à peser sur son épaule. Elle posa ses effets sur un fauteuil et dans lattente, décida de rédiger la liste promise pour la dénommée Brunehaut. Elle se pencha sur le secrétaire disposé près dune fenêtre, prit une plume, un morceau de vélin et inventoria les articles nécessaire à la confection des draperies et tentures sur une colonne, et dressa les articles dont elle désirait voir les échantillons du drapier sur une autre colonne. Le pli dans la main droite, elle souffla sur lencre pour la faire sécher tandis que ses pensées senvolèrent dans le paysage verdoyant déployé sous ses yeux de par louverture de la lucarne.
Les gonds de la porte grincèrent légèrement et une vieillarde au sourire édenté sapprocha dAlyx en demandant :
- Comment m'dame trouve-t-elle son couchage, a-t-elle tout ce qui lui faut ?
Le
couchage ? La rousse de jeter un il sur la porte entrouverte, juste à côté, qui dévoile un imposant lit à colonne. Le sourire de la vieille est sans équivoque, de celle qui est complice de maintes galantes visites pour son blond maître. Comment être surprise de ce genre d'activités pour un bel homme comme lui ? Pourtant, il y avait méprise de la part de la vieille, il faudrait que lhomme lui passe sur le corps pour quelle accepte de partager sa couche
enfin, manière de parler. Alyx n'était pas ce genre de femme, trop vieille pour ces frivolités. Fanée. Triste. Fichue à jamais.
Elle répondit tout de même à la vieillarde avec un air quelle voulait au-dessus des commérages.
Je nai point visité la chambre encore
Je suis persuadé que tout sera à ma convenance.
-Avez-vous c'te liste de course que j'm'en arrange ?
Un sourire à la vieille et de lui tendre le vélin recouvert de son écriture fine et mouvante en lui disant :
Remettez cette liste à Brunehaut, cest elle que le baron a désigné pour m'aider pour le travail
La vieille ricana et quitta prestement la chambre. Probablement que la mémère alla retrouver les autres domestiques pour bavasser à propos de la physiologie de la damoiselle que Machecoul sétait trouvé. La tisserande savait comment une réputation se fait et se défait, elle en avait cure mais ne pu sempêcher de regarder limage que lui refléta un petit miroir rond, placé près de la cheminée. Comment un homme comme Equemont de Salar pu sattendrir devant une image si banale que la sienne quand il pouvait avoir dans son lit toutes les nobles jouvencelles de Bretagne ? La rousse observa son reflet, recoiffa quelques mèches folles du bout des doigts et agrafa plus sobrement son corsage qui en laissait trop voir. Décidément, le Salar nest pas homme à se laissé attendrir, ni par femmes ou domestiques
Pourtant, cest ce même baron qui eut la délicatesse de toquer à la porte de ses propres appartements afin d'inviter la tisserande à visiter ses terres. Ces jours devraient être instructifs, sinon divertissants, songea notre rouquine en acquiesçant dun sourire au baron.
Je serai ravie de visiter vos terres
dautant que je nai pas encore ce quil me faut pour me mettre à luvre
Jespère que votre domestique saura trouver tous les effets que jai indiqués sur la liste. Un petit silence et réflexion que l'homme n'aimait peut-être pas bavarder plus qu'il n'en faut, un haussement d'épaules discret avant dajouter : Je ne peux que vous remerciez pour vos
pour ces appartements
Equemont Quelques jours plus tard, dans les appartements du baron de Machecoul
Equemont s'était levé de bon heure ce matin-là pour aller humer l'air embrumé et pour aller observer l'évolution des travaux avant que les ouvriers ne se remettent à la tâche. Il avait ouï dire de rumeurs à son encontre au hasard d'une rue, laissant à penser que "L'baron ne crachait pas sur'lrousses". De lassitude, il avait laissé dire et toujours déçu par cet âme humaine si étroite, il s'en était allé à la tour principale. L'escalier était terminé et il eut la joie de l'emprunter pour monter directement à ses appartements. Il fit appeler par son valet la Brunehaut afin de savoir si la tisserande était en état de le recevoir. Il ne l'avait pas recroisée depuis cette balade équestre où ils avaient parcouru plusieurs lieues pour montrer les points clés de ces terres qu'il aimait.
Discrètement il s'était retiré et avait passé ses journées à houspiller les hommes pour qu'ils travaillent, à inspecter, à ordonner. Et une fois par jour, il se prenait à aller au caveau familial, pour remuer le passé. Ce rituel quasi religieux lui apportait une certaine paix à l'âme, et vaguement en sortant de ce souterrain ombragé, il percevait l'espoir d'une vie nouvelle. Aller chez les morts pour trouver un regain de vie. La vie n'était qu'un paradoxe en somme.
Le voilà donc à être introduit auprès de cette rousse aux doigts fins. La saluant d'une légère inclination de tête, il l'observa un court instant afin de juger dans quel état d'esprit elle se trouvait. Un sourire s'étendit sur ses lèvres alors qu'il commença à parler.
- Demat, j'espère que vous passer un séjour confortable. Je me permets de m'enquérir de vos nouvelles et de vous demander où vous en êtes. Puis-je vous importuner quelques instants ?
Ne vous y trompez pas, il n'est pas dans la nature du Salar d'être obséquieux. Il veut juste marquer qu'ils sont entre personnes d'éducation. Parce qu'il est souvent épuisé de devoir se mettre au niveau des gueux pour communiquer avec ses serviteurs. Alors pour une fois qu'une personne -normale- débarque à Machecoul, il en profite.
- Montrez-moi donc votre uvre, afin que j'observe cela de plus près.
Alyx Il lui avait fallu trois jours pour exécuter la requête du baron. Il ne lui restait quà terminer quelques détails et ourler le dernier rideau. La tisserande avait beaucoup travaillé et bien peu dormi, tant louvrage avait occupé ses mains et ses soucis son esprit. Au soir, quand ses yeux étaient trop fatigués et que ses doigts nobéissaient plus aux points de broderie, elle se chargeait de sa correspondance. Pendant son séjour chez le baron de Machecoul, Alyx du Nordet avait appris sa nomination comme vice-chancelier de Norvège, un royaume du Nord dont le peuplement ne cessait de saccroitre.
Alyx avait peur. Elle ne savait plus où résidait son avenir et bien que sa raison lui dictait de tout laissé tomber encore une fois et de faire le long voyage vers le Nord, son cur lui disait le contraire. Pourquoi chercher les chimères aussi loin ? Il lui faudrait le courage dabandonner ses charges prestigieuses et de retourner dans sa modeste maison du Trégor. Elle se remettrait au tissage, à la couture et gagnerait sa vie au mieux. Lorsque le deuil de Marcus sera finalement terminé, elle pourrait peut-être songer à dautres émois; de ceux qu'elle se refusait. Pour le moment, la rousse usait ses mains et était satisfaite du travail accomplit ici-lieu, chez le baron.
Lorsque celui-ci débarqua justement pour sen enquérir, Alyx laccueillit avec un sourire, lui montrant fièrement son uvre.
-Vous ne mimportunez pas du tout
Bien au contraire, cela me fait plaisir de vous revoir, Messire !
Dun geste ample, elle lui montra les tentures dun bleu profond qui pendaient aux fenêtres de la pièce retenues par des cordelles dorées.
-Voyez, les tentures sont presque terminées, il ne me reste quà ourler le dernier pan
Ce matin, un ouvrier a suspendu la tapisserie comportant vos armes
Espérant quelle vous plaise.
Elle désigna le dessus de la cheminée où pendait une belle tenture de même teinte que les draperies ou la femme avait cousu les armoiries du baron, brodant en ton sur ton les garnitures, terminant la finition dune jolie frange dorée. Cétait sans soute le morceau qui lui avait pris le plus de son temps et le rendu était admirable.
Alyx fit quelques pas vers le fauteuil posé derrière le bureau principal, posant ses mains sur le dossier afin de mieux voir le visage quEquemont de Salar, pour juger delle-même sa réaction.
-Le seul fauteuil dont les tapisseries étaient irrécupérables était celui de votre bureau
Elle lissa létoffe neuve qui recouvrait désormais les coussins du fauteuil et ajouta : J'ai remédié à la chose en recouvrant les sièges de ce joli tissu azur tissé de blanc et dor
Le drapier avait des merveilles. Que pensez-vous de mon travail ?
Alyx Il y a de ses propositions qui tombent au bon moment. Celle que Machecoul lui fit était une de celles-là, une main tendue au-dessus du précipice dans lequel la femme allait se jeter tête première. La spirale de labîme devenait trop attirante et travailler à la réfection de ce château était la parenthèse idéale permettant à Alyx de remettre son esprit et son cur en état et den rapiécer les accrocs. Il y a de ses déchirures plus difficile à repriser que dautres
même pour une tisserande.
Les mains toujours posées sur le dossier du fauteuil principal, elle jouait avec le dé à coudre recouvrant son index; cadeau précieux que son Maître lui avait offert à la fin de sa formation. Le temps sétait écoulé rapidement depuis son départ des ateliers de La Rochelle. Depuis, il semblait à Alyx dêtre au prise dune étrange sentence voulant que tout ce quelle entreprenait, autre que les faits du métier, soient vouées à de flagrants échecs. Maintenant, elle saisissait son droit et son privilège de changer et renverser ce cruel verdict. Cétait le moment opportun.
Le baron navait pas été des plus expressifs en découvrant son travail. Il avait toutefois exprimé son contentement et son souhait quelle poursuive ses activités dans les autres pièces du château était une preuve de satisfaction.
La tisserande sourit à Equemont de Salar en songeant quil navait jamais osé lappeler par son nom, ni par sa désignation de « Maître », cétait à se demander sil sen souvenait ou sil se sentait mal à laise davoir retenu les services dune femme pour exécuter ces travaux. Elle espérait se tromper, après tout, lhomme semblait peu démonstratif.
Contournant limposant bureau, elle se déplaça vers le baron afin de donner suite à son offre. Les étoffes de ses jupes frissonnèrent sous le mouvement dans un chuintement délicat. Décidément, la tisserande avait meilleure allure que le jour de son arrivée, ayant troqué son habit de voyage pour une robe plus légère. Le feu de sa chevelure avait été dompté dans un chignon ce qui lui donnait un air plus soignée.
-Heureuse que vous soyez satisfait de mon travail. Aussi, jaccepte de le poursuivre dans les autres pièces du château. Pour le faire, jaurai besoin de connaître vos attentes pour chaque pièce et me donner vos idées et les couleurs que vous désiriez y avoir
Cependant, jai une requête à faire avant de mexécuter
Dun regard assuré, elle leva le menton vers le visage du baron et poursuivit :
Je préfèrerai que vous repreniez lusage de vos appartements
Ceux de létage me siéent très bien, la première salle serai convertie en atelier de couture, la lumière y est parfaite. Je saurai fort bien men contenter
Pour ce qui est de la compagnie
ne vous tourmentez pas pour moi. Je saurai très bien vivre seule
Jai lhabitude. De toute façon, jaurai du boulot !
Les commères, les rois, les putasses ou les nonnes; aucunes des étiquettes posées sur les êtres naffectaient le jugement dAlyx. Elle avait vu tant de nobles personnes êtres les pires criminels et les plus sots des gueux savérer dune générosité émouvante. Lhumain était ainsi fait, se croyant le devoir de construire des castes pour y ranger les âmes, y classer les esprits. Cétait ainsi beaucoup plus facile que de sapprocher de lautre et davoir le mérite de léchange; le gain de la connaissance de létranger.
Parfois, il valait mieux rester seul dans la chambre dun château en réfection que daller vers lautre. Non pas par crainte ou par manque desprit de découverte mais simplement retenue par la peur de soi-même.