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[RP] Cache ta misère, mon pote

Alyx
Inventorier les habits amenés dans ses sacs révéla à Alyx être une manière cartésienne d’occuper son esprit. Les robes, les chemises, les jupons, les jupes se classaient dans les alvéoles hermétiques de son imagination se subdivisant de par leur couleur, de la finesse de leur étoffe et de l’occasion où elle se devait de les porter. Elle les agença, les décousit, les garnit de nouvelles dentelles, les imaginant créer des toilettes des plus sophistiquées, robes que la tisserande n’avait encore jamais cousues et jamais portées. Le temps passa ainsi, rapide chapelet de secondes où ces pensées frivoles calmèrent la surprise qu’Alyx éprouvait suite à l’invitation du baron.

Si la diplomatie lui avait appris une chose, c’était de dissimuler à la perfection ses émotions. Là-dessus, la rousse en était devenue presque experte et seuls ses proches, de moins en moins nombreux, pouvaient être témoins de ses éclats de rire et de ses colères. Elle avait l’habitude de contrôler les sentiments qui la frôlaient et entraient pernicieusement en elle, comme ce pincement étrangement agréable qu’elle avait ressentie en entendant Equemont de Salar prononcer son prénom.

Elle tourna la tête en la direction de l’homme. Appuyé sur la corniche de la fenêtre, il était encadré des tentures azures qu’elle avait confectionnée de ses propres mains. L’image sembla incongrue à la femme, comme si l’un et l’autre, tentures et baron, ne s’appartenaient pas, enfin pas encore.

Ses habits maintenant inventoriés dans son esprit et quatre ou cinq secondes de passées, le choix de la rousse s’était penché sur sa robe bleu-vert; celle destinée pour Orléans, celle qui n’avait jamais été portée, celle qui agrémenterait l’œil du baron et de ses invités. La frivolité de cette pensée fit presque honte à la femme; elle était bien plus qu’une chair où suspendre de jolies robes. Une partie d’elle frissonna pourtant en détachant les paroles que l’homme avait dites « …vous voir paraître à mes côtés ». Ces mots résonnaient-ils encore sur les murs du salon où étaient-ils mal interprétés dans la cervelle de la rousse ?

Elle sourit au baron.


-Si vos invités tiennent à ce que vous leur présentiez l’artisan de vos tentures et tapisseries, alors je paraitrai, messire le baron… Cela sera un honneur pour moi. Je vous remercie de l'invitation...

Elle fit un pas et se tourna légèrement afin d’être face à l’homme.

-Je comprends aussi que vous ne soyez pas captivé par le choix des couleurs et tissus pour draper le reste du château…Vous êtes un homme d’armes et avez d’autres occupations. Soyez donc assuré que je poursuivrais dans la même splendeur que dans cette pièce…un mélange de bon goût et de sobriété. Ce qui est, selon moi, la définition de la beauté.

Valait mieux changer de sujet, ne pas s'étendre sur cette invitation, ne pas demander le nom des invités, ne pas y penser. Pas encore. Juste se laissé bercer par des illusions de la jouvencelle qu'elle n'était plus depuis longtemps. Juste s'imaginer ne pas être seule le temps d'un soir et peut-être rire, ressentir encore et surtout fuir cette peur.
Equemont
    Grand salle voûtée du donjon, au loin l’appel aux vêpres sonne aux cloches de l’abbaye de La Chaume


Depuis son arrivée dans ses terres de Retz, les seigneurs du coin, le regardaient avec envie, jaloux de sa faveur auprès de leur suzerain, le Prince Taliesyn de Montfort. Ils avaient ouï dire de ce fait d’armes qui lui avait valu pareille récompense, et leur cœur, pour les meilleurs d’entre eux, aspirant à la chevalerie, ils voyaient combien il était honorable de gagner son adoubement en prouvant sa bachelerie* au combat. En recevant ce messager lui annonçant une visite, il s’était d’abord demandé de quel genre de manigance il s’agissait. Il n’était pas en mesure, selon le code de l’honneur de refuser, une pareille visite dont il ne voyait que l’effronterie. Ce godelureau allait chevaucher avec ses culverts pour une courtoisie à un homme qu’il haïssait ? Improbable.

A none, le baron avait prévenu la ribaude qui officiait dans le tenancement des cuisines. Connue de tous pour ses manières frivoles, cette Aliénor en question menait son office avec autorité et faisait en sorte que tout soit à la convenance des convives. Equemont ne s’en était jamais plaint, aussi il ne prêtait pas attention aux racontars de vilains. Ensuite il s’était rendu voir son sénéchal Tancrède du Gradou, un jeune homme qu’il avait repéré comme étant un peu plus affuté que ses compains, et à qui il avait confié le commandement de la garnison. Quelques hommes en armes et propre sur eux suffiraient à faire démonstration de puissance. Mais aussi à déjouer une malsaine tentative d’une nobliau trop ambitieux.

Ainsi fut fait. Le guet appela donc vers l’heure des vêpres pour signaler un attroupement se dirigeant sur eux. Le baron parut et chercha des yeux la Rousse conviée. Il était vêtu d’une dalmatique bleue, à la couleur de ses azurs, sous laquelle on distinguait des chausses de la même couleurs, éperonnées, on était chevalier, ou pas… A son côté Almire pendait, toujours désireuse de rétablir la Justice divine en cette terre de pécheurs. Dans la cour intérieure, sur le perron du donjon, le maître des lieux attendait qu’ils franchissent l’enceinte par le pont-levis fraichement rénové. Un pied posé sur la rambarde de pierre, les deux mains croisées sur son genoux, il observait tous ces gens à qui il devait protection et assistance.

Les cavaliers firent leur entrée, accoutrés comme pour le carnival de Venise. « En voilà une bande d’hypocrites », ne put s’empêcher de penser Equemont. Ils se répandirent en courbettes et compliments sur l’avancement des travaux. Un éclair fusa dans l’esprit du Salar. Ils venaient l’espionner. « Peu me chaut leur fatuité » se formula le Blond.

Sans même sourire, il les invita céans à le suivre vers la salle préparée à cet endroit.


- « Faîtes dire à Dame Alyx qu’elle s’assiéra à ma dextre, et ce promptement. » souffla-t-il à Aliénor.

Le banquet avait été installé en arc de cercle dans la salle, laissant un faldistoire légèrement surélevé au centre pour le maître des lieux. Equemont désigna les places à ses convives et entreprit de présenter la tisserande.

- « Voici Dame Alyx du Nordet, qui à ma demande, a entreprit une campagne de restauration iceliec. »

Il conforta sa présentation d’un geste de la main, tout en réalisant que ces ignares n’avaient que faire d’un parement de goût. Peu importe, il avait fait son devoir, maigre récompense pour la remercier de paraître à son côté. Les plats se succédèrent au rythme des discussions vaines. Ainsi était fait le monde, et plus le vin coulait, plus les langues se déliaient. Lorsqu’Equemont sentit qu'il fallait mettre un terme au banquet, il se leva. Il proposa à Alyx de la raccompagner. Les autres auraient leur couchage indiquée par Aliénor. Avant de quitter la pièce, il demanda à Tancrède de faire placer un garde devant la porte de la dame. Il ne pourrait se pardonner une bévue. Qu’un de ce bougres tentent de jouir de la Rousse... Il se ferait un plaisir de l'égorger !

* Bravoure chevaleresque

_________________
Alyx
C’était une fourberie de mauvais goût. Rarement au cours de sa vie, Alyx n’avait assisté à une telle scène. Des plus modestes banquets de son Artois natal jusqu’aux réceptions du Château de Caen, en passant par les cérémonies du royaume angloys, alors qu’elle représentait le chambellan, rien n’avait été semblable à ce qu’elle vécue ce soir-là.

Les convives qui se présentèrent au baron de Machecoul ressemblaient à tous autres nobliaux que la rousse avait déjà rencontrés. De par leurs accoutrements exagérément chargés et leurs airs faussement distingués, ils se valaient tous et Alyx saisit les motifs pour lesquelles la masse ne pouvait les blairer. On ne respecte que ceux qui nous respecte; parait-il.

Ce fut donc dans une ambiance avinée que la femme parut aux côtés du baron. Elle avait porté une attention particulière à sa toilette; une robe cyan aux broderies bleues et blanches au col et aux manches finement décorées de dentelles et de rubans de soie aux teintes chatoyantes. Elle fut mal à l’aise, faisant office d’objet décoratif parmi la tablée tonitruante et masculine.

Le Salar l’avait prévenu qu’il avait l’intention de la présenter à ses connaissances mais jamais la femme avait songé qu’elle sera l’objet d’une telle humiliation. Devant l’assemblé, le baron la montra tel un objet rare, une curiosité aussi étrange que si elle fut un singe. Le visage d’Alyx tourna au cramoisi, seul indice permettant à l’œil aguerrit de comprendre qu’une sourde colère grondait en elle. L’insulte avait fusée, aussi violente qu’une gifle. Elle repoussa son assiette, incapable d’avaler une seule bouchée et se contenta de vin jusqu’à ce que le banquet se termine.

Sans un mot, le baron la ramena à sa chambre. Contrariée et habitée d’un mélange d’émotions, elle retira sa robe et revêtit prestement ses habits de voyage. Elle passa son épée et fit ses sacs. Le baron de Machecoul n’avait pas besoin d’elle, n’importe qu’elle putain ou gueuse sachant ravauder un bout de guenille pouvait prendre sa place. La sienne n’était plus ici et c’était sans doute ce banquet que le Salar avait attendu pour l’en informer. C'était si amusant pour un noble de ridiculiser une artisane qui suait sang et eau pour gagner son pain et peut-être la chance de vivre mieux. Les invités de ce soir avait eu un bon spectacle. Quelle idiote elle faisait !

Debout devant la fenêtre de sa chambre, Alyx du Nordet attendait que le jour se lève. À l’aube, elle reprendrait la route vers un autre échec.
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