Anaon
↬ Anjou, bien plus tôt ↫
Silence.
Profané par les éclatements secs de la pluie sur le verre.
Un point igné, repoussant les ombres dégoulinantes de ce jour sans soleil.
Silence.
La pipe est coincée entre ses lèvres. L'allumette ne vient pourtant pas en calciner l'herbe. Son travail commence. Elle se prépare à devenir un concept. Insaisissable. Ne rien laisser d'elle, aucune odeur, aucun parfum, aucune fragrance d'herbe brulée. C'est pourquoi elle n'allume pas sa pipe, passée aux lèvres pourtant dans un geste réflexe. Elle gonfle ses poumons du goût imaginaire qui apaise et concentre ses réflexions. Ses narines se tapissent un second temps de cette vague odeur de souffre qui marque encore plus son illusion. L'allumette se consume lentement dans sa main, recroquevillant le petit roseau soufré d'un arabesque tortueux et noirci. Quand la mèche incandescente vient lécher sa peau, elle écrase sans vergogne la flamme entre ses deux doigts nus. La douleur furtive lui fait à peine frémir un sourcil. Elle ne bouge pas.
La pluie claque contre les carreaux dans son dos. Assise sur une chaise, la sicaire a braquée ses azurites sur la porte en face d'elle. Elle a passé une jambe par-dessus la tête du chien allongé pour le tenir au calme dans son giron. Elle attend. Elle guète l'ondée qui s'amenuise. Le fracas s'assourdir. Puis cette porte voisine qui s'ouvre et se referme dans un feutré qui est un ouragan à la surface de son esprit. Elle se tient immobile. Nul état d'âme ne doit jouer. Nul empressement ne doit la corrompre. Mentalement, elle compte, les marches qui grincent à peine sous le poids qui les descend de l'autre côté de la cloison. Elle compte, les enjambées qui le sépare de l'entrée de l'auberge. Le temps qu'il faut, pour ouvrir la porte et la refermer. Elle attend. Puis lentement la mercenaire se lève et se tourne vers la fenêtre. En contrebas, elle voit une silhouette se faufiler dans les ruelles. Un point se forme dans sa poitrine. Dévoré par un sang-froid qui ne doit souffrir d'aucun écueil. Il est temps.
La balafrée gagne sa porte, imitée par la molosse qui la suit. Elle y pose l'oreille. Puis elle pousse le battant pour n'ouvrir qu'un interstice où elle glisse son regard. Rien. La silhouette sort dans le corridor, refermant sa chambre avec autant de silence qu'elle l'a ouverte. Ses pas s'approchent de la porte voisine contre le bois de laquelle elle pose à nouveau l'esgourde. L'il en parcoure ensuite l'encadrement, soutenu d'un doigt qui longe minutieusement la découpe à la recherche de ces subterfuges stupides mais redoutables qui trahissent les intrusions indésirables. Sans un mot, elle sort de la poche de son manteau un large fil de fer replié. La tige s'emboîte dans la serrure. Les prunelles d'un bleu sombres surveillent les entours alors qu'elle joue du panneton improvisé dans la rainure. L'attention s'intéresse au canin qui serait le premier à réagir si un inopportun faisait mine de se dévoiler. L'Anaon n'est pas une professionnelle du crochetage. Mais l'avantage de ces vieilles serrures à garniture...
Clap.
C'est qu'elles sont d'une facilité déconcertante à déjouer quand on sait comment s'y prendre. La balafrée observe un temps de latence. Aucune réaction derrière le battant. Quittant à peine le couloir des yeux, l'intruse entrouvre la porte, laissant son chien s'y engouffrer le premier. La truffe revient bien vite se montrer par l'embrasure, lui confirmant que la pièce est vide. Sans attendre, la mercenaire s'y faufile à son tour.
Le pêne retourne dans sa gâche dans un claquement léger, isolant à nouveau la chambre du couloir. Par précaution, la sicaire recommence à nouveau son inspection le long du chambranle, avant de se tourner vers le ventre de la pièce où elle se fige.
La sicaire se plie à un mutisme violent. Une chambre, banale. Qui prend pourtant pour elle des allures de sacré méprisable. Malgré tout le poids de ce constat, la balafrée n'a pas le temps de s'émouvoir. Les prunelles fouillent pour trouver par où commencer, jetant leur dévolu sur un sac devant lequel elle s'agenouille. Elle fait sauter les attaches, dégageant le rabat pour plonger la main dans les entrailles de tissus. Des vêtements pliés, que les mains intruses poussent avec une précaution folle. Que cherche-t-elle ? Elle ne sait trop. Un indice. Une piste. Le fragment d'une preuve qui pourrait la mettre sur la voie de ce qu'elle convoite si ardemment depuis tellement longtemps. Ses mains se faufile sous le linge, à la recherche d'une pochette cachée, d'un objet ou de quoi que ce soit d'autre. Fenrir en profite pour venir renifler à son tour cette odeur inconnue, se voyant bien vite rappeler à l'ordre par un claquement de doigts et un index autoritaire qui le renvoie immédiatement se poster derrière la porte. Mieux vaut ne pas laisser l'odeur du chien imprégner quoi ce soit. Les azurites plongent à nouveau dans le sac. Ce sont ces chemises qu'il porte, ces braies qu'il met. Ces bouts de tissus anodins ont pour elle des airs de reliques haïssables. Tout cela se rapporte à Lui. A la fois elle en est ivre... Et s'en brûle les doigts de dégoût. Les dents se serrent. Il n'y a rien qui l'intéresse ici. La sicaire prend le temps de refermer minutieusement le sac, pour le laisser à l'identique de son état trouvé. Puis elle se redresse, cherchant ailleurs.
Autres sacoches. Tiroirs de la petite table. La sicaire tâtonne la paillasse en quête d'un objet caché dans la matelassure quand un grognement de son chien la fige dans son mouvement. Le molosse montre les crocs. L'échine de la sicaire se tire alors qu'elle tend l'esgourde. Complainte des marches. Puis une porte qui claque. La balafrée se détend. Sans doute la première ou la seconde chambre desservie par le couloir. L'inquisitrice continue son investigation vaine jusqu'à poser les yeux sur une table qu'elle n'a pas encore inspecté.
Sur le plateau brun aux bois usés, un petit carré jaunâtre se détache dans la lumière tremblotante hachée par la pluie mourante. D'un bord qui se relève, la sicaire peut voir quelques lettres d'encre courir sur le vélin vaguement replié. Un mot reçu, où peut-être pas encore envoyé. L'Anaon s'en approche lentement. Ce peut être rien. Ce peut être tout. Les doigts se saisissent du mot qu'ils déplient.
Les prunelles luisent.
Musique : " Before The Storm ", Hitman Blood Money, composée par Jesper Kid.
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| © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |