Eunice.
- 5 janvier 1463 - Bourgogne - A l'approche de Nevers
Le silence prédomine. Seul le bruit provenant des rouages de la charrette que peinent à tirer deux chevaux, et les pas de ces derniers ripant sur le sol recouvert dune pellicule de glace se font entendre. Une troisième monture progresse, légèrement en retrait. Un alezan aux reflets cuivrés que monte avec aisance la Rosenthals.
Dans la charrette, à couvert du froid, les enfants dorment. Friede également. Seules, Eunice et celle qui lui a proposé de faire route à ses côtés, Ambrosia, restaient éveillées. De la Rosenthals, on ne saurait apercevoir que le visage tandis que le reste de son corps était dissimulé dessous un large mantel, sans oublier le port dune peau épaisse, souvenir d'un frère auprès duquel elle vivait encore il y a quelques jours à peine.
L'hiver avait ses rigueurs, ses douleurs, mais aussi ses beautés éphémères qui nous laissaient de marbre et silencieux.
Il était là, avec ses brumes givrantes, accompagnées des fumerolles des tailles de sarments et l'esprit exempt de toutes pensées, elle observait, admirait le paysage qu'un rayon de soleil venait tout juste d'égayer de sa lumière. Muette et contemplative, elle rêvait de sentir une once de chaleur afin de pouvoir s'y réchauffer.
Longeant les coteaux en pentes, ils avançaient, s'enfonçant dans ce que l'on croirait être une mer de vigne. Au dessus des coteaux, s'étendaient plateaux calcaires et falaises abruptes se dressant comme un rempart et marquant la limites des terres cultivées.
Nevers n'était alors plus très loin. Les premières maisons se faisaient visibles. Les villages de petites maisons vigneronnes ou de demeures bourgeoises se serraient dans leur espace, avec leur toits de laves et cette église au loin, scintillante d'avoir gelée.
Soulagée, la Rosenthals expira, contente que s'achève bientôt leur périple, et toute aussi réjouie que rien de malencontreux ne leur soit arrivés. Mais l'on avait souvent tort de se réjouir trop vite. Trop, au point d'avoir à en payer le prix.
Et parce que d'un coup de talon donné dans les flans de l'Alezan, celui-ci s'était mis à accélérer. Que l'attelage fit de même, voilà que la fin du voyage prendrait une toute autre tournure. Le passage du convoi sembla avoir dérangé un groupe de sangliers qui se trouvait là et qui affolés, s'étaient mis à courir jusqu'à venir se jeter dans les jambes des équidés.
Le choc fut rude, d'une extrême violence et en l'espace de quelques instants le silence n'était plus, brisé par le hennissement déchirant des chevaux appartenant à l'attelage et les cris de ceux ,qui, un peu plus tôt encore, dormaient paisiblement.
Mais un énième cri se fit entendre. Un cri d'effroi qui se transforma en un murmure étranglé. La Rosenthals venait de quitter le dos de sa monture, se jetant à même le sol, cherchant de ses mains à saisir, ou palper tout du moins du bout de ses doigts l'un des corps sur lesquels la charrette venait de se renverser. Dessous, les plaintes, les pleurs, et cette main qu'elle prit soudain et qui se dévoila à elle. Ce fut là la seule chose qu'elle parvint à mettre à jour, n'osant davantage malmener le corps à laquelle elle appartenait. Et cette main sans réaction qu'elle tint dans la sienne fut aussitôt reconnue. Elle appartenait au plus jeune des Rosenthals : Sandeo.
Lâchant la main sur le sol, elle se remit sur pieds en chancelant pour s'approcher d'Ambrosia. Ses mains encerclant ses épaules de toutes ses forces, et son regard pénétrant le sien, elle l'implora d'aller trouver secours.
- -" Ambrosia ! Allez ! * Déjà la jeune femme était conduite vers l'Alezan, invitée à le chevaucher pour se rendre sur Nevers. * "Et demandez secours à la première personne que vous verrez ! Faites vite ! Je vous en supplie ! "
A nouveau, Eunice se rua vers les accidentés pour s'agenouiller tout près d'eux. Face aux pleurs de Zachary qu'elle reconnu et aux gémissements émis par leur nourrice, elle ne pouvait que les soutenir prononçant quelques mots :
- -" Je suis là. Tout ira bien vous verrez ! Quelqu'un va venir pour vous tirer de là... "
Puis saisissant cette petite main que la vie semblait avoir quittée pour la porter à ses lèvres, la couvrant de baisers, les larmes se mirent à rouler sur ses joues. Elle, qu'un passé tragique avait rendue inébranlable, qui avait su trouver rémission à son chagrin après qu'Amadheus soit venu lui confier la garde de ses fils, venait de laisser éclater les sanglots témoignant de cette terrible douleur qu'elle pouvait une fois de plus ressentir.
_________________