Anaon
L'Anaon écoute, oreille tendue, bouche toute conquise par le breuvage qui y coule en un mince filet continu. Pensées se posent sur le petit silence qui prend forme
Bouh !
Sursaut dans son eau, elle se jette à l'autre bout du baquet en entend le paravent branler et manquer de lui tomber sur la poire.
_ NaaoooOoOooOOOoOn !
Ô désespoir ! Dans la précipitation, au milieu des petites plumes surnageant l'eau parfumée, l'hypocras s'est versé, diluant parmi les fragrances de rose un filet d'une teinte toute vinasse. Déconfite, elle lorgne sa coupe vide et son bain maintenant dilué. Et c'est avec déconvenue et résignation qu'elle empoigne le drap de bain à sa portée.
Naon, vous flanquez les j'tons ! J'ai l'impression d'avoir six ans quand vous haussez le ton....
Un sourire en coin s'étire brièvement sur sa mine désillusionnée par ce bain écourté, passant en même temps la jambe par-dessus le rebord alors qu'elle s'enroule dans le coton. Elle se sèche lentement, ôtant les minuscules rémiges qui auraient eu la bonne idée de lui coller à la peau, non sans s'esclaffer à l'entente du dégoût soudain du Renard:
_ Humf ! Gonzesse !
Le drap s'échoue à ses pieds, les mains se posent sur ses hanches, et nue comme un vers, elle détaille consciencieusement les flacons d'huile étalées sous ses yeux.
_ Tout d'abord Sabaude, sachez que lorsque que vous vous retrouvez sous le nez de Calyce, vous pourriez vous clamer puceau et innocent que je vous croirais volontiers et sans même douter ! Après tout, dans ces instants vous êtes plus charmant encore qu'une adorable jouvencelle... et puis vous n'avez pas de descendance, et je n'ai jamais glissé mon nez dans votre chambre pour voir ce que vous pouviez ficher avec les donzelles que vous rameniez ! Alors ma foi, vous avez tout le bénéfice du doute...
La rose a eu sa préférence, elle a recueilli une fine perle huileuse au creux de sa paume et ses mains en oignent soigneusement sa peau qui se ravie du subtil parfum.
_ Du reste... Sachez que je ne chante pas si mal que ça ! Je ne saurai donc en faire une torture.
Les mains s'ancrent à son cou avant de l'abandonner, pour attraper la robe alanguie sur le haut d'un paravent. S'il n'en tenait qu'à elle, elle se serait couchée en Ève sur son lit, satin de sa peau en seule couverture pour y ronronner comme un chat béat d'avoir été choyé. Mais le "cadeau" de Sabaude est passé docilement, ronchonnant un instant de constater que le décolleté bien choisi par le Vicomte ne s'est pas refermé depuis.
La main se tend pour agripper son baluchon réservé plus tôt, et l'Anaon emmène ses pieds nus de l'autre côté des paravents.
_ Comme il est dommage ! Mais dans mes souvenirs excellents au demeurant - il n'a été fait nulle mention... de... fromage et...
Le nez se pose sur le décor et surtout sur le tapis de plume qui jalonne le sol. Combats de poules ou dévêtement d'un ange ? Voilà une ambiance des plus idylliques dites-moi. Chimérique surtout. Jouant des orteils dans le duvet, ses pas la mènent bien vite à la cheminée repérée et surtout à l'écrin de coussins dans lequel elle se vautre allégrement. Ouvrant le sac de toile, elle étale ses victuailles réservées. Un hrydromel, un saucisson au beaufort, un bout de pain et dans une boîte en étain, le Saint Graal : Le chèvre frais à la ciboulette ! Le sésame est rapproché d'elle pour couper toute tentative de chapardage du goupil... Et de tendre le bras.
_ Apportez-donc le couteau, faites pas l'radin !
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| © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |