Flaminia.marionno
Cette bâtisse ne s'est pas levée d'un coup dans Lyon, non pas. Elle a toujours été là, c'était auparavant l'échoppe d'un tisserand qui a préféré gagner la Capitale en quête de réussite. Aux abords du marché donc, où l'on peut assister à la vie lyonnaise depuis les fenêtres des maisons bourgeoises. Et sur cette bâtisse qui a été remise à neuve, du fronton duquel on a retiré la plaque d'étain représentant des ciseaux, il y a à la place un peigne d'étain aussi mais pâtiné à la feuille d'or. Il s'agit de ne pas lésigner sur les dépenses, surtout pas de celles qui pourraient attirer la clientèle.
Quelle clientèle ? Mais les dames enfin ! Toutes ! Qu'elles soient bourgeoises, nobles à la sauvette ou couronnées de longue date au sang bleu, elle n'est pas bégueule et un écu est un écu. Le regard est porté à l'entour, sur les murs tendus de tapisserie, sur les étagères garnies de petits pots, de petites fioles au derrière du comptoir d'un beau noisetier. Les ongles tapotent à intervalles réguliers dessus comme pour exorciser son angoisse, son impatience. Elle a tout misé dans cette affaire, un rire sardonique à cette pensée qui lui échappe. Tout .. Ou presque. Comparer son ancienne villa vénitienne à cette bâtisse même cossue ne peut que lui arracher une grimace de douleur. C'est l'orgueil qui veut ça. C'est son orgueil qui l'a perdue de prime abord et qui continue, mais elle n'en tirera pas de leçon sinon ça se saurait.
Elle avait tout pour elle, elle avait la réputation de sa mère qui l'a portée aux sommets de leur art, elle avait sa réputation qu'elle s'est forgée de main de maître pendant des années, elle avait ses admirateurs et clients, elle avait même réussi à se faire marier par l'un d'eux. Elle avait tout, et cet abruti de vieillard avait eu l'outrecuidance de calancher d'une crise d'apoplexie un soir d'orgie. Ah ! aglio, fravaglio, fattura che non quaglio .. Et pour clore l'affaire, voilà que le fils de son défunt époux avait remis la main sur son héritage, veuve éplorée qui n'avait pas été mise sur le papier. Elle avait pleuré tant et si bien, avec cette élégance qui ne l'avait jamais quittée. Elle avait tant pleuré et n'avait eu pour seul remerciement qu'une proposition aussi salace que méprisable. Etre esclave sous son propre toi ? Plutôt mourir. Ah ça, les bretons auraient eu bien des leçons à recevoir des italiens en terme d'orgueil. Plutôt la mort que la souillure, plutôt la mort que d'être rabaissée au dessous de sa condition.. Oui mais voilà, impossible de revenir à son ancienne vie, impossible d'affronter la honte dans les yeux de sa mère, et les regards détournés des clients qu'elle avait savamment méprisé des mois auparavant. Ah foutue fierté..
Et voilà comme elle s'était retrouvée en France. Elle avait eu dans l'idée originale de reprendre son ancien commerce, mais le dernier regard jeté à sa fille laissée derrière elle avait quelque peu ébranlé ses ambitions. Elle avait été si fière de sa mère, si fière de leur position de curtigianas onestas mais sa réputation était entâchée là-bas chez les doges, et quand son périple l'avait mené de villes en villes, elle avait remarqué que les mots traversaient plus vite l'espace que les personnes. La France l'aiderait à rebondir, mais la France était-elle aussi tolérante ? Aussi luxueusement et sulfureusement tolérante que l'hypocrite Italie ? Impossible de le savoir, et reprendre le commerce initiale de sa grand-mère lui avait paru être une parfaite idée et si elle venait à fonctionner, si elle retrouvait ne serait-ce que l'once de la richesse de sa vie d'avant, alors il serait toujours tant de faire revenir sa fille.
En attendant, tapotant des doigts, elle attend que les clientes viennent à franchir la porte, maintenant qu'elle a fait parvenir dans les villes du Dauphiné la rumeur qu'une boutique proposant des soins pour rendre leurs femmes parmi les plus belles de France a ouvert à Lyon dans le quartier marchand. Et sur la devanture de la maison bourgeoise quelques mots surplombent le fronton :
Marionno, oui. Comme Flaminia Marionno, vénitienne de son état, à la peau d'albâtre préservée du soleil méditérrannéen par des onguents et pommades de sa composition, les mêmes qui lui font la peau si douce au lustre si juvénile au dépit des années qui ont passé et de sa maternité d'il y a quelques saisons. Oui, la courtisane a plus de vingt printemps, vingt-six exactement mais n'allez pas lui dire qu'on le sait, mais elle cultive son art avec talent et soin, et son corps, son visage sont ses outils de travail, et elle n'en paraît pas plus de vingt voire moins. Sa beauté naturelle réhaussée par quantités d'artifices et autant de soins dont elle se targue d'avoir la recette unique, n'aurait pas tant d'effet sans cette grâce qu'elle a acquise avec le temps et les années de métier qu'elle occupait avant. Le plus vieux métier du monde, oui mais à la mode d'Italie, avec intelligence et culture. Et c'est son savoir qui l'a poussée à en apprendre plus encore sur les plantes pour exacerber encore plus sa beauté.
Qu'on la laisse user de son talent, qu'on la laisse parler de ce qu'elle fait le mieux, la beauté, et elle sera la plus heureuse. Payez la pour cela et vous aurez une femme comblée.
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© Elissa Ka - Tous droits réservés.
Quelle clientèle ? Mais les dames enfin ! Toutes ! Qu'elles soient bourgeoises, nobles à la sauvette ou couronnées de longue date au sang bleu, elle n'est pas bégueule et un écu est un écu. Le regard est porté à l'entour, sur les murs tendus de tapisserie, sur les étagères garnies de petits pots, de petites fioles au derrière du comptoir d'un beau noisetier. Les ongles tapotent à intervalles réguliers dessus comme pour exorciser son angoisse, son impatience. Elle a tout misé dans cette affaire, un rire sardonique à cette pensée qui lui échappe. Tout .. Ou presque. Comparer son ancienne villa vénitienne à cette bâtisse même cossue ne peut que lui arracher une grimace de douleur. C'est l'orgueil qui veut ça. C'est son orgueil qui l'a perdue de prime abord et qui continue, mais elle n'en tirera pas de leçon sinon ça se saurait.
Elle avait tout pour elle, elle avait la réputation de sa mère qui l'a portée aux sommets de leur art, elle avait sa réputation qu'elle s'est forgée de main de maître pendant des années, elle avait ses admirateurs et clients, elle avait même réussi à se faire marier par l'un d'eux. Elle avait tout, et cet abruti de vieillard avait eu l'outrecuidance de calancher d'une crise d'apoplexie un soir d'orgie. Ah ! aglio, fravaglio, fattura che non quaglio .. Et pour clore l'affaire, voilà que le fils de son défunt époux avait remis la main sur son héritage, veuve éplorée qui n'avait pas été mise sur le papier. Elle avait pleuré tant et si bien, avec cette élégance qui ne l'avait jamais quittée. Elle avait tant pleuré et n'avait eu pour seul remerciement qu'une proposition aussi salace que méprisable. Etre esclave sous son propre toi ? Plutôt mourir. Ah ça, les bretons auraient eu bien des leçons à recevoir des italiens en terme d'orgueil. Plutôt la mort que la souillure, plutôt la mort que d'être rabaissée au dessous de sa condition.. Oui mais voilà, impossible de revenir à son ancienne vie, impossible d'affronter la honte dans les yeux de sa mère, et les regards détournés des clients qu'elle avait savamment méprisé des mois auparavant. Ah foutue fierté..
Et voilà comme elle s'était retrouvée en France. Elle avait eu dans l'idée originale de reprendre son ancien commerce, mais le dernier regard jeté à sa fille laissée derrière elle avait quelque peu ébranlé ses ambitions. Elle avait été si fière de sa mère, si fière de leur position de curtigianas onestas mais sa réputation était entâchée là-bas chez les doges, et quand son périple l'avait mené de villes en villes, elle avait remarqué que les mots traversaient plus vite l'espace que les personnes. La France l'aiderait à rebondir, mais la France était-elle aussi tolérante ? Aussi luxueusement et sulfureusement tolérante que l'hypocrite Italie ? Impossible de le savoir, et reprendre le commerce initiale de sa grand-mère lui avait paru être une parfaite idée et si elle venait à fonctionner, si elle retrouvait ne serait-ce que l'once de la richesse de sa vie d'avant, alors il serait toujours tant de faire revenir sa fille.
En attendant, tapotant des doigts, elle attend que les clientes viennent à franchir la porte, maintenant qu'elle a fait parvenir dans les villes du Dauphiné la rumeur qu'une boutique proposant des soins pour rendre leurs femmes parmi les plus belles de France a ouvert à Lyon dans le quartier marchand. Et sur la devanture de la maison bourgeoise quelques mots surplombent le fronton :
- Maison Marionno
Ce qui est unique chez moi, c'est vous.
Marionno, oui. Comme Flaminia Marionno, vénitienne de son état, à la peau d'albâtre préservée du soleil méditérrannéen par des onguents et pommades de sa composition, les mêmes qui lui font la peau si douce au lustre si juvénile au dépit des années qui ont passé et de sa maternité d'il y a quelques saisons. Oui, la courtisane a plus de vingt printemps, vingt-six exactement mais n'allez pas lui dire qu'on le sait, mais elle cultive son art avec talent et soin, et son corps, son visage sont ses outils de travail, et elle n'en paraît pas plus de vingt voire moins. Sa beauté naturelle réhaussée par quantités d'artifices et autant de soins dont elle se targue d'avoir la recette unique, n'aurait pas tant d'effet sans cette grâce qu'elle a acquise avec le temps et les années de métier qu'elle occupait avant. Le plus vieux métier du monde, oui mais à la mode d'Italie, avec intelligence et culture. Et c'est son savoir qui l'a poussée à en apprendre plus encore sur les plantes pour exacerber encore plus sa beauté.
Qu'on la laisse user de son talent, qu'on la laisse parler de ce qu'elle fait le mieux, la beauté, et elle sera la plus heureuse. Payez la pour cela et vous aurez une femme comblée.
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