Drahomir
[Louvre, appartements de la Première Secrétaire d'Etat. 8 Mai, juste avant la soirée masquée organisée par le Roy. Préparatifs.]
Dans le dos de l'Amahir qui met la dernière touche à sa parure, déambule comme un ours en cage le Vadikra. Il a le faciès fermé. Les boyaux tordus par l'appréhension. Il n'aime pas ce qui se prépare. Cette soirée, là, qui semble une débauche organisée par un monarque mort d'ennui. Lui même, se tient prêt à accompagner la jeune femme, car il est hors de question qu'il la laisse seule au milieu de cette foule lubrique qui envahit les jardins du Louvre. Pour ce faire, il porte une simple chemise blanche, légèrement ouverte sur son poitrail tauresque, et dans la pièce voisine, l'attend son masque de Bacchus, qu'il espère ne pas avoir à déplacer.
L'acier de ses prunelles détaille le dos de l'officier, il a la bouche sèche de la voir ainsi désirable. Ses pognes se tordent, il ne sait pas vraiment comment aborder la chose. Alors, un peu abruptement, il dit.
N'y allez pas, Della. Je vous l'interdis.
Bien sûr, c'est du vent. Elle le sait, et lui aussi. Alors il pousse un profond soupire et continue sa déambulation, les sourcils froncés, le ventre douloureux.
Il ne sait expliquer ce sentiment diffus qui lui tord les tripes et lui donne cette irrémédiable envie de vomir. Comme une jalousie de la voir ainsi belle pour d'autres que lui. Une peur sourde de la voir allez s'ébattre dans les bras d'un autre, même si elle ne s'est jamais donnée aux siens. Torturé, il s'approche d'elle et vient poser une main sur son épaule. Doucement, la voix pleine d'anxiété, il lui souffle.
S'il vous plait...
Il la fait tourner, délicatement, vers lui, et laisse sa toquante s'emballer tandis qu'elle lui fait face. Sa trogne s'illumine légèrement devant sa beauté.
Ca a été long, au début, il attendait, patiemment, la passion. En vain, la duchesse, bien que douce, bien que délicate, ne déclenchait aucune émotion en lui, hormis une légère tendresse, jusqu'à ce qu'ils entreprennent ce tour de France qui la lui fit découvrir. Et plus les miles passaient, plus l'Ogre d'Alençon, le sans coeur, se laissait charmer et s'emplissait d'ardeur pour la veuve. Oui, il l'aimait, d'une façon indescriptible et unique, mais il l'aimait, bel et bien. Alors savoir qu'elle allait se joindre à cette réunion qui risquait de terminer en orgie était au dessus de ses forces.
Son visage n'est qu'à quelques centimètres du sien, et pourtant, son souffle, chaud, est pris de court. Difficilement, il avale sa salive, et conclut, la voix rendue rauque par la proximité de leurs deux personnes.
Restez ici, avec moi...
Sa main est toujours sur son épaule brûlante, et son regard, à lui, semble fiévreux. Il ne la supplie pas, mais il n'en est pas loin. Autant l'homme est une brute et un fier en société, autant dans l'intimité il redevient ce bourru balbutiant emplis de bons sentiments et de tendresse.
Car pour lui, las du déni, il est un fait inexorable. La Amahir est à lui. Et malgré lui, il est à elle.
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