Les jours se suivaient immuables, dans un rituel qui s'était mis en place naturellement.
La neige était tombé en abondance ces derniers jours et sous les sabots de Nyx, elle s'écrasait dans un crissement caractéristique. Çà et là, quelques flocons tournoyaient dont certains venaient mourir sur son visage. Le froid s'était invité, saisissant sous l'effet du vent et son souffle exhalait des nuages de fumés à chaque expiration.
Il s'était levé de fort bonne heure, s'arrachant à la chaleur de ses draps pour revêtir rapidement sa tenue de cavalier puis, sans même prendre la peine d'avaler quoi que ce soit, il avait quitté l'auberge. Nyx avait besoin d'exercice et lui de se changer les idées. L'inaction ne lui valait rien.
Sitôt passées les portes de la ville, il lança le coursier au galop.
Il ne devait pas être loin de tierce lorsque monture et cavalier passèrent le guet, fourbus. Il neigeait maintenant à gros flocons. Quelques rares artisans avaient bravé le froid pour ouvrir leur échoppe : il entendit le forgeron battre le fer et les coups de hachoir du boucher sur son billot de bois.
Tous les sons lui arrivaient feutrés donnant l'impression d'une ville qui répugnait à réveiller ses enfants.
L'écuyer laissa Nyx aux bons soins d'un palefrenier et traversa le marché pour rejoindre l'auberge. Au passage il fit quelques achats. Sans doute dormait-elle encore... Sans doute aurait-elle faim... Il la savait gourmande de ces pains d'épices ronds, fabriqués par les nonnes, qu'elle se plaisait à prétendre lorrains et qu'il savait bourguignons. Sans même qu'il n'y prit garde, un sourire égaya son visage comme à chaque fois qu'elle s'invitait dans son esprit. Il en oublia le trouble et les questionnements qui désormais le torturaient régulièrement et hâta le pas.
Depuis deux jours, Coligny ne s'était pas montré. Dieu seul savait où pouvait se terrer le bougre, sans doute dans quelque bouge de la ville, à dilapider la somme rondelette qu'il lui allouait, en compagnie de filles peu farouches qui pour quelques écus et un peu de vin lui ouvraient leur couche. Il faut dire qu'ils avaient peu à faire.
Espérer recruter à Toul semblait une gageure, en témoignait le campement de l'armée noire où seuls bougeaient les sombres oriflammes. Visiblement, leur général avait beau rugir, n'en sortaient que miaulements insuffisants à réveiller les 5 morts qui pourrissaient dans les rues faute de croque-mort pour remplir son office.
L'écuyer avait établi le triste constat suivant : sur les 53 âmes qu'abritait la ville, 9 étaient étrangers au duché, 12 faisaient retraite chez les moines, 36 étaient lorrains dont seulement 27 étaient toulois.
Mieux aurait valu poursuivre leur mission de recrutement à Nancy et seul l'état de santé de l'un des leurs expliquait encore leur présence à Toul.
Une douce chaleur régnait dans la pièce principale de l'auberge. Il ne s'y attarda pas et grimpa à l'étage.