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Info:
Deux destins s'étant croisés par le passé se retrouvent à Paris.

[RP] Fleurs en tissu et voeux exaucés

Elias_de_crecy
Le jeune russe se trouvait à présent au siège de l'AAP. Par chance, il maitrisait assez les arcanes parisiennes pour ne pas se perdre dans le dédales des rues de la capitale.

Plusieurs choses l'amenaient ce jour-là, à l'AAP. Tout d'abord, l'assouvissement de son égo personnel, et deuxièmement, la résolution d'une énigme. Ce qui promettait.

Il avait un parchemin en main, et épousseta la neige qui parsemait son manteau.

Il attendit, regardant non sans anxieté les lieux. Peut-être qu'une silhouette d'autrefois se dissimulait derrière les plinthes du mur.
Eliance
La plinthe, c'est elle. Ah non, pardon... Eliance est plutôt le fantôme du passé. Cette ombre qui court presque, en tout sens, le pas rapide, les bras chargés d'une pile de papiers lui remontant jusque sous le menton. Idées d'articles, articles en cours, articles achevés, tout un fatras qui prend une place infinie dans les bras menues de la nouvellement rédactrice en cheffe des lieux.

L'ancienne a tout laissé en ordre, mais Eliance peine à trouver sa place dans cette organisation qui la dépasse parfois. C'est que jamais personne ne lui a confié telle responsabilité. Jamais. Elle est fille d'une famille de rien et se le rappelle silencieusement tous les jours comme une croix à porter éternellement. Alors cette mission – puisque le post relève pour elle d'une mission – lui tient à cœur et elle tente d'agir parfaitement, coûte que coûte. On ne change pas un caractère. Elle a toujours fait ça. Fille parfaite de son père, épouse parfaite de son bourreau de premier mari, re-épouse parfaite de son dragueur de second mari, amie parfaite... Bref, Eliance court après la perfection comme un âne après sa carotte. Autant dire qu'elle ne l'atteint que rarement, se cassant régulièrement la binette en butant contre des cailloux disséminés sur le chemin. Mais la volonté est là.

Et ces papiers, ils doivent être rangés. Ils doivent être sur les bonnes piles, sur les bonnes tables, aux bons endroits précis. Alors Eliance se presse. Malgré le froid qui s'engouffre dans les couloirs, la roussi-blonde a les joues rosies et les mains moites à force de s'activer. Sa course lui donne un air de folasse, à vrai dire, et elle déboule d'un coin de mur rapidement, les boucles ambrées en bataille, n'y voyant pas grand chose de là où elle met les pieds. C'est là que surgit le caillou ! Le choc est relativement brutal. Assez pour faire projeter la Ménudière le dos contre le mur et pour que tous les papiers bien empilés s'envolent à la manière d'étourneaux qui s'égaillent.


Merde !

Le caillou est là, en face d'elle, plus humain que d'ordinaire...
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Elias_de_crecy
Elias attendait, vérifiant d'un regard que sa mise n'était pas défaite. Un oeil avisé aurait remarqué que les vêtements étaient un peu dépassés par la mode actuelle, mais ils étaient soigneusement entretenus. Les tailleurs étaient pourtant parfois les plus mal habillés...

Des bruits de pas pressés se firent entendre, et ce fut d'abord ses cheveux qu'il remarqua. Comment ignorer cette tignasse flamboyante, qu'il avait entraperçu bien des fois à travers une fenêtre mal éclairée ? Parfois son esprit avait bâti des chimères à partir de ce détail... des chimères souvent bien peu aristotéliciennes, il fallait l'admettre.

C'était bien elle pourtant. Plus âgée, plus... courbée.

Instinctivement, il parcourut Eliance du regard, semblant chercher quelque chose. Mais ce n'était pas un regard chargé de désir, ou de toute autre chose de ce genre. C'eut été affreusement grossier et déplacé. Et si Elias l'était parfois, il tentait au mieux de dissimuler ce genre d'élans.

Finalement, il ne sembla pas trouver ce qu'il cherchait, et releva les yeux vers le visage d'Eliance, clouée au mur comme une chouette à la porte d'une grange, et qui lâchait un juron. Les parchemins volaient autour d'eux, s'éparpillant au sol comme les pétales d'une fleur qui se fânait. Et dans l'esprit d'Elias, ce détail eut son importance.

Mais il ne pouvait pas rester planté là, à se poser bien des questions. Elle semblait visiblement l'avoir reconnu, et que faisait-on lorsqu'on mettait enfin tous ces détails sur un nom entendu parfois, et des tâches de couleur derrière une fenêtre ?

Et surtout, on répondait quoi à "merde" ?

Le jeune russe se racla la gorge, on n'allait pas se faire de folles embrassades de toute façon, et il se pencha pour ramasser les parchemins au sol.


Pardon, je ne voulais pas vous faire peur.

Les "r" trainants agrémentaient de façon étrange la voix d'Elias, qui rassemblait ainsi les documents.
Eliance
Les papiers amassés au sol laissent tout l'horizon nécessaire à Eliance pour découvrir enfin le caillou contre lequel elle a buté. La forme perçue au dernier moment lui aura valu son mouvement de recul et sa perte d'équilibre. La maladresse aura fait le reste, ses mains envoyant valser allègrement les papiers entassés dans ses bras sous le coup de la surprise. Toujours est-il que le caillou est là, devant elle et cause étrangement. Elle le détaille un instant, à peine remise de ses émotions. Un instant qui devient long. Si la voix particulière ne lui dit rien, quelque chose sur sa trogne lui parle. Un comble... L'accent chantant lui fait penser au Cosaque. Mais simplement penser. Les intonations sont différentes.

Eliance se rend compte qu'elle détaille l'homme sans vergogne, le laissant ramasser ses papiers à sa place. Alors elle plie les genoux et se penche pour empiler les parchemins sur un bras. Un oeil s'égare encore sur l'homme.


Ben j'ai eu peur... Mais j'toujours peur de toute façon ! Même de mon ombre, Atro elle dit.
Pensez donc ! 'fin c'pas grave...


Les mots s'accompagnent d'un sourire fin, alors que la caboche ménudiérienne turbine pour tenter de savoir d'où ce visage sort, d'où cette impression émane. Les papiers sont entassés au sol et un paquet pris sur un bras. Le reste attendra bien. Elle se relève lentement et le regarde. Encore.

J'm'excuse en fait... j'suis maladroite. Vous d'vez m'prendre pour une...


L'embarras accentue les couleurs qui teintaient déjà ses pommettes. Le sourire s'agrandit et une main se tend vers l'homme qui lui fait face.


J'suis Eliance Corellio. Vous attendiez quelqu'un ?


La politesse, mieux vaut tard que jamais, non ? Pour la mémoire, on repassera...

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Elias_de_crecy
Fausse joie, ou peut-être était-ce mieux ainsi, elle ne le reconnaissait pas. Elias se morigéna de son égocentrisme qui lui faisait prendre des vessies pour des lanternes. Eliance commença alors à parler, et très sincèrement, Elias n'en comprit pas la moitié, si ce n'était qu'elle avait eu peur.
Finalement, il eut un sourire alors qu'elle s'excusait encore.


Je ne vous prends pour rien.

Formulation louche, mais ce n'était pas lui qui avait commencé. Et sans doute laissait-il planer sciemment un doute sur sa syntaxe alors que l'accent russe teintait sa voix.
Elle l'interrogea alors sur la raison de sa venue, alors qu'il lui tendait les parchemins tout juste ramassés, et qu'il se relevait.

Oui, vous.

Sans se rendre compte de l'impétuosité de sa réponse, il poursuivit.

J'aurais un article à faire paraitre, si cela ne gêne pas.

Il tendit alors un parchemin à Eliance, continuant de l'observer. Il voulait que cela soit discret, mais il n'y parvenait pas vraiment.
Finalement il ajouta.


Je m'appelle Elias.

On fera l'impasse sur le nom de famille, pour l'instant.
Eliance
La manière dont cet homme-là parle amuse la Ménudière qui sourit doucement, un peu plus à chaque mot, chaque phrase où les « R » se traînent comme par fainéantise. La pile collectée par l'homme lui est rendue alors que tous deux se sont redressés tout à fait et un signe de tête vient accueillir l'aide offerte gracieusement, agitant quelques boucles ambrées. Une plus insolente que les autres, s'invitant devant l'oeil marron clair ménudiérienne, est balayée d'un souffle bien ciblé.
La franchise qui émane de la bouche de l'homme redouble son amusement. Un léger rire s'échappe de ses lèvres, accompagnant la raison de sa venue ici.


Moi ?! vinguette... J'vais commencer à être connue...
Vous voulez d'venir journaliste ?


Les bras chargés de ses papiers, Eliance regarde le parchemin tendu, puis l'homme, puis le parchemin à nouveau, puis la pile surchargeant ses bras. Décision est prise de poser le tas sur un guéridon trônant discrètement dans un coin de la pièce. Chose faite, elle revient de quelques pas vers son homme du jour et prend le papier qu'il lui tend. Leurs yeux se croisent, s'épient, de manière étrange. Si Eliance ne prête guère attention aux reluqueurs inconditionnels, si elle est habituée aux prétendants de toute sorte, elle sait que ce regard-là n'appartient pas à cette catégorie. Elle aurait presque préféré que ce soit le cas. Dans ces situations, elle sait quelle attitude adoptée. Là, elle se sent un brin perdue. Parce qu'il la dévisage, certes, mais elle en fait autant. Pas parce que l'homme présente bien ou lui plaît. Non. Elle cherche où elle a pu le rencontrer. Cette impression ne la quitte pas et elle maudit sa mémoire pourrie.


Elias...


Le prénom est répété dans l'optique éventuelle que ça ramène des souvenirs à la surface. Mais rien ne vient, à part...


J'connais un type qui s'appelle comme ça. Un ami d'mon frè...


Les yeux enfoncés dans ceux du type, elle se rend compte qu'elle cause trop.

Hm... passons.


Pour dissiper la gêne, elle retourne près du guéridon, pose le parchemin de l'homme au sommet de la pile et en prend la moitié supérieure en se tournant vers lui.


Vous voulez bien m'aider à am'ner ça dans mon bureau ?
On pourra causer de vot'e article, tout ça, si vous voulez bien.

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Elias_de_crecy
A la question d'Eliance sur son envie d'être journaliste, Elias secoua la tête négativement.

Non, je n'ai pas ce talent là.

Il en avait certes d'autres, mais il ne considérait pas ce genre d'activités. Déjà qu'il lui faudrait trouver un autre mécène pour assurer son train de vie, alors écrire des articles...

L'atmosphère était étrange, et elle le devient encore plus lorsqu'elle l'invita à la suivre dans son bureau. Devait-il faire remarquer que cela pouvait être indécent ?
Ah, il ne s'habituait décidément aux femmes possédant du pouvoir... Même si généralement alors elles pouvaient faire profiter un tailleur de leurs largesses, tant pécuniaires qu'autre chose.


Pourquoi pas ?

Elias prit ainsi le reste des parchemins et entreprit de suivre Eliance dans l'immeuble qui abritait la rédaction de l'AAP. La jeune femme devant lui, ouvrant le chemin, il put ainsi constater le désordre de la chevelure d'Eliance. Son regard ne put s'empêcher de dériver vers la chute de reins de la jeune femme, avant que son attention ne soit attiré par les portes qu'ils dépassaient, d'ou émanaient des bruits de conversation parfois virulentes.
Elias s'humecta les lèvres, et fit cette remarque tout à fait charmante :


Vous devriez porter plus de bleu, cela va bien à vos cheveux. Le turquoise, pour vos yeux.

Pourtant ce n'était pas ces derniers qu'il regardait le plus depuis quelques instants.
Et le tailleur qu'il était ne put s'empêcher de mémoriser mécaniquement les mensurations d'Eliance, alors qu'ils entraient dans le bureau de la rédac'chef..


Et j'y coudrai des roses en tissu.

Il se rendit compte trop tard de ce que pouvait impliquer sa réponse. Alors il resta debout, un peu marmoréen, craignant ce qui pouvait découler de son écart.
Eliance
La décence. Une notion qui prend des formes diverses et variées selon les individus. Pour Eliance, tout est dicté par sa naïveté et sa pudeur. Qu'un homme touche son épaule ou lui colle un baiser sur la main et la roussi-blonde sera choquée. Elle ne mettra d'ailleurs pas longtemps à rougir et à remettre le malotru à sa place, avec tout le tact et la finesse qui la caractérise, tenant particulièrement à éviter les malentendus grossiers. Quant à parler, rire et plaisanter avec une personne de sexe opposé, que ce soit dans un bureau, autour d'un godet un brin alcoolisé ou en pleine ruelle, c'est tout à fait normal et quotidien. Eliance ne considère pas les hommes comme des compagnons ou de potentiels amants. Elle les estime tantôt dangereux, tantôt amicaux. Et pour arriver à séduire la Meringue, il faut une sacrée tonne d'énergie et de bonne volonté en plus d'une patience à tout épreuve. Il faut surtout franchir ce mur pudique et naïf qui lui fait ignorer pourquoi la gente masculine peut la reluquer et avoir des vues sur sa personne, mais surtout fissurer la barrière du corps qu'elle estime sale. Eliance invitant à une discussion dans son bureau, c'est du même acabit qu'un vieil ami proposant une partie de quilles. Naturel, poli et amical.

La Ménudière navigue dans les couloirs, entraînant l'homme à sa suite. Les collègues croisés sont salués d'un signe de tête discret. Collègues et non sous-fifres. Eliance n'est pas de celles dont le pouvoir monte à la tête. Ce post qu'elle occupe l'angoisse plus qu'autre chose. Elle est là pour sa droiture et son amour des mots. Mais même elle ne comprend pas bien encore comment une roturière, une fille de rien a atterri ici. Alors chaque jour qui se lève, elle se répète inlassablement comme une litanie une petit « Faut que j'sois à la hauteur... » qui lui donnera le courage nécessaire.

Les remarques vestimentaires de l'homme la font sourire et l'amusent beaucoup. N'a-t-il pas remarqué que sa mise est bien la dernière chose qui l'inquiète ? La plupart de ses frusques on été dérobées aux étuves pour être ensuite rafistolées à son gabarit à la va-vite par ses mains capables, ou sont des cadeaux de son frère. Mais aucune attention n'est apportée au coordonné des couleurs, des motifs. Le seul effort qu'elle ait fait réside en l'achat d'une houppelande blanche pour ressembler à un ange, pour son mari. Le regard se baisse sur le tissu blanc qui vole, agité par la marche. Depuis qu'elle l'a acheté, elle ne la quitte plus. Peut-être est-ce cette robe qui aura trompé l'homme ? Et puis... quel homme s'inquiète des couleurs qui siéent à une femme ?! L'interrogation prend à peine forme dans son esprit qu'une autre chose la frappe de plein fouet.

Eliance arrête sa marche brusquement. La porte du bureau a été franchie, juste de deux pas et elle est là, immobile. A-t-il bien dit ce qu'il a dit ? Le cœur s'accélère, s'emballe même, la gorge se coince, rendant impossible toute déglutition sans un bruit résonnant de manière extraordinaire. Des roses... en tissu... Il a parlé de roses en tissu. Tout aussi brusquement, elle pivote sur ses talons et tourne vers lui un visage exsangue. Les papiers sont serrés contre elle, dans une tension excessive qui fait tenir ses nerfs. L'incompréhension se lit sur son visage. La peur aussi. Au bout d'un moment à plonger son regard dans le sien, elle finit par articuler des mots d'une voix étranglée.


Vous savez faire ?... les roses en tissu ?...

Si ce sont ces paroles-là qui franchissent la barrière de ses lèvres, une toute autre question jaillie de ses pupilles. Mais qui êtes-vous ?

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Elias_de_crecy
Ils entraient dans ce bureau, un peu en pagaille, et même si la porte restait ouverte, ce fut bien la sensation d'un huis clos qui se manifesta. Il se contrefichait allègrement des personnes présentes dans les autres bureaux, finalement le plus important ne se jouait-il pas ici ?

Puis elle s'arrêta en plein mouvement, et cela était la seconde fois que cela arrivait en à peine quelques minutes.
Elias plongea son regard gris dans celui de la jeune femme, qui s'était approchée, désormais pâle et effrayée. Il aurait aimé lui dire qu'il ne souhaitait pas lui faire peur, mais cela n'aurait été qu'une répétition.


Oui.

A question simple, réponse simple.
Elias lui aurait volontiers précisé qu'il ne savait pas faire que cela en terme de couture, mais cela aurait été présomptueux, et ce n'était pas non plus le sujet.

Il se pencha alors vers Eliance, et approcha ses lèvres de l'oreille de la jeune femme. Ce ne fut qu'un murmure qui se fit entendre.


Je me souviens des roses qui ornaient une lucarne, et d'une enfant aux cheveux roux.
Qui me regardait.


Elias avait appris plus tard, par les autres enfants, son prénom, et parce qu'il ressemblait beaucoup au sien, il s'en était souvenu. Peut-être que le mystère de la jeune fille vivant dans le grenier et n'en sortant jamais avait permis à la mémoire du russe de garder trace de ces instants...
Puis la vie l'avait mené ailleurs, parfois jusqu'aux frontières de la Russie à la recherche d'un destin qui lui avait été refusé. Ainsi il avait oublié la jeune fille aux cheveux roux qui vivait derrière la lucarne.

Ce ne fut qu'à la faveur d'une lecture d'un article de l'AAP qu'il se remémorait alors ce souvenir, le faisant arriver dans ce bureau, face à Eliance, à se demander ce que pouvait devenir une fille vivant dans un grenier sans jamais en sortir.

Après ce souffle chuchoté à l'oreille d'Eliance, Elias recula de nouveau, se tenant toujours droit et le visage grave. Il n'y avait pas toujours besoin de toucher ou d'embrasser une femme pour être tout à fait indécent.
Eliance
Il n'y a pas besoin, non. Ni pour déstabiliser la Ménudière. Le souffle chaud contre la peau blanche, faisant voleter quelques mèches ambrées, aurait pu la faire frémir, rougir, défaillir. Il aurait été indécent, dans d'autres circonstances, repoussé, malmené. Tout homme qui approche la roussi-blonde à moins de vingt centimètres est jugé indécent. Arrogant. Sauf son époux. Et son frère. L'un comme l'autre ont l'apanage de pouvoir serrer contre eux ce corps meurtri par les souvenirs.

Ce souffle-là est d'une insolence sans nom. Ce souffle-là la fige littéralement. Son visage pâle s'est crispé. Son corps s'est crispé. Intégralement. Seule la terreur s'invite dans les prunelles claires pour les faire vibrer. Les mains devenues moites froissent les papiers à les serrer aussi fort contre son buste. Ce passé qu'elle s'acharne à oublier, à égarer lui revient en pleine face dans ce souffle honteux. Peu de gens savent. Lui... il sait. L'esprit ménudiérien s'est envolé, un instant. Sous le choc, il a pris la tangente et Eliance se retrouve vide, le temps de longues minutes où ses paupières clignent lentement sur les yeux ne parviennent à se détacher des gris qui leur font face. Celui qui l'a vu... cette fois-là... Celui qui l'a effrayé au point de ne plus s'approcher de la lucarne pendant plusieurs jours. Ce regard, c'était lui. Ce gamin, c'était lui. Comment il sait ? Comment est-il là ? Pourquoi ? Eliance a récupéré ses esprits, ou du moins ses pensées. Et c'est une foule de questions qui se mettent à hurler en elle.

Ce souffle est insupportable de par les mots articulés. Le geste arrogant est effacé par le sens de ce qui est révélé par la bouche à l'accent étranger. Si elle a eu peur, les premiers jours, la présence de ce gamin lui a manqué. Elle s'est imaginée par la suite nombre de rêves où il devenait son ami. Où ils causaient, tous les deux. Où elle n'était plus seule. Où il lui apprenait à courir, à imiter les autres enfants. Elle n'a jamais oublié ce regard. Perçant. Insistant. Le même qui lui retourne les boyaux à ce moment-là. Le même qui soulève son cœur dans un battement trop fort. Tant de sensations inondent Eliance. Tant de choses la remuent sans qu'elle en sache les réelles raisons et fondements. Sa bouche s'est entrouverte pour laisser passer l'air trop fortement respiré.

Les yeux marrons sont toujours accrochés aux gris, comme un enfant ne peut détacher son regard du loup qui lui fait face et le menace. La porte est ouverte, oui, mais plus rien ne parvient aux esgourdes ménudiériennes. Elle ne sait plus où elle est. Le seul lien avec le monde réel, à cet instant-là, est ce regard profond. Pourtant, machinalement, conduits par l'instinct, les pieds bottés se meuvent dans une lenteur étrange, comme une proie bougerait pour ne pas attirer l'attention de son prédateur. Sans quitter l'homme des yeux, sans lâcher son regard, elle le contourne jusqu'à attraper la porte d'une main tremblante et la fermer, l'invitant tacitement à tourner lui aussi pour que leurs yeux ne se séparent pas. Son dos vient s'appuyer contre le bois, tandis que les papiers sont toujours contre elle, sorte de protection entre elle et lui, elle et son passé, elle et ses souffrances. Les lèvres se mettent à dessiner des mots sans qu'aucun son n'en sorte, pour finir par laisser passer un filet de voix à peine audible.


C'était vous

Phrase ô combien stupide devant l'évidence même de la chose. Mais la prononcer lui permet d'intégrer un peu plus la nouvelle. À ça, viennent s'ajouter d'autres débilités.

Pourquoi ?...
...
Comment ?...
...
Vous saviez ?


Eliance a perdu de son assurance. Face à cet homme, elle redevient la fillette de la mansarde. Elle redevient cette fille de rien, cette fille éteinte qui ne savait pas vivre. L'étincelle qui envahit son œil est la même qu'à l'époque. Ses frayeurs sont les mêmes. Elle se met à imaginer son père pousser la porte contre laquelle elle se tient. Elle se met à sentir l'odeur de la paille et du foin entassé. Sans savoir pourquoi, une main se détache du paquet de veuille pour venir lisser le tissu de sa robe. Comme elle le faisait avant, quand elle était gênée et se sentait épiée.

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Elias_de_crecy
Elias aurait pu poser une main amicale sur l'épaule d'Eliance, mais il savait que cela aurait été trop loin. Cela aurait pourtant allégé le silence qui s'était installé dans la pièce, mais cela aurait aussi rompu l'instant. Et Elias ne le souhaitait pas vraiment, alors qu'il ne pouvait détacher son regard de celui de la jeune femme.

Car ils s'étaient déjà ainsi observés autrefois, avec cette même intensité, même si une lucarne et un jardin les avaient alors séparés.

Eliance finit par se déplacer, sans le quitter du regard, et il ne put s'empêcher, aimanté par les yeux marrons de la jeune femme, de la suivre.

Elle ferma alors la porte, et un autre silence s'installa.
Différent.
Indécent.

Lui coupant ainsi toute retraite également.

Elle l'interrogea alors à voix basse. Il n'y avait pas vraiment de réponses à ce genre de questions.


Le hasard. La vie...

Ce genre de choses.

Non.
Je ne connaissais que... votre prénom.


Il n'était qu'un adolescent, en apprentissage, et de passage. Il n'avait rien d'un chevalier blanc partant à la rescousse d'une princesse prisonnière dans sa tour, et gardée par un dragon. Peut-être aurait-il pu. Peut-être aurait-il du.

Mais quelques jours plus tard, il était reparti, reprenant sa vie d'apprenti, et laissant derrière lui la jeune fille aux fleurs de tissu. Il s'humecta les lèvres de nouveau, trahissant ainsi son trouble. Parce que la jeune femme le chamboulait un peu aussi, contre son gré, et il eut la désagréable impression qu'il aurait mieux valu ne conserver que des souvenirs. Car quand ceux-ci prenaient forme, c'était parfois très déroutant.


Je...

"Voulais vous revoir ?" Que c'était présomptueux. Il arrivait, bouleversait tout sur son passage, comme si c'était un fétu de paille, et pensait s'en sortir à si bon compte ?

...n'aurais pas du venir.

Mais le cerbère en houppelande blanche n'allait surement pas lui ouvrir la voie aussi aisément.
Eliance
Les réponses apportées lui conviennent. En fait, elle ne prête guère attention aux mots. Le dialogue, leur véritable dialogue se déroule dans un silence de plomb entre prunelles marron et grises. Les yeux reflètent bien plus de choses parfois que la bouche ne peut le faire. Alors Eliance l'écoute, certes, mais s'arrête davantage sur la voix que sur les mots de l'homme. Et puis, bon an mal an, la crainte s'estompe un peu pour laisser place à cette curiosité de jeune femme qui découvre la vie, encore aujourd'hui, comme une enfant qui s'éveille au monde.

Il semble gêné de la situation, exprime un regret. C'est donc qu'il a une âme. Une pas trop moche. La garde ménudiérienne est baissée peu à peu, face à cet homme qui ne lui semble pas mauvais, dans le fond, ou du moins qui ne semble pas mal intentionné à son égard. Et puis, cette impression étrange s'amplifie depuis qu'elle a plongé ses yeux dans les siens. Le sentiment de se connaître malgré tout. À travers ses propres rêves à elle. À travers ceux d'Elias, aussi, sans doute. Il ne serait pas venu si l'enfant de la lucarne aux cheveux roux n'avait pas accaparé son esprit, si elle n'avait pas pris vie en lui, un jour. L'ami du passé, celui qu'elle a espéré, qu'elle a imaginé, c'est lui. Il est là, en face d'elle, tellement différent de son souvenir et en même temps, si semblable.


J'vous ai attendu.

Les mots sont lâchés, la confession est là. Rare est la confiance accordée si rapidement, mais cet homme-là n'est pas totalement un inconnu. Ils se connaissent déjà, d'une certaine manière. Ces mots sont aussi un moyen de le rassurer sur sa démarche. Il a bien fait de venir. Et puis une autre pensée traverse l'esprit ménudiérien. Le coin de ses lèvres remonte, s'étire doucement pour former un sourire discret mais bien présent, faisant revivre un peu son visage auparavant décomposé par le tourment de l'aveu.

J'ai jamais imaginé qu'vous parliez comme ça.


Elle l'a imaginé fabriquant une échelle pour venir la chercher. Elle l'a rêvé l'emmenant et lui montrant le lavoir, le four où cuisent les pains, la forêt et ses secrets. Elle s'est inventé des discussions animées avec lui. Elle s'en est fait un second ami imaginaire, en plus de Rose-Marie. À cela près que Rose-Marie est toujours restée incarnée par des feuilles de papier tandis que le garçon au regard perçant pouvait prendre vie dans la tête de la petite Eliance, pouvait sourire, pleurer, rire. Il avait un corps, un visage. Mais jamais elle n'avait pensé à lui fournir cet accent étranger et cette manière de faire traîner les « R ». Le sourire s'agrandit encore un peu plus, annonciateur de lâchage de bêtises.

Elias... j'vous avais app'lé autrement, moi. Vous voulez savoir ?

Ces paroles simples sont de véritables confidences. Elle lui avoue avoir guetté et espéré son retour, lui avoir donné vie dans sa caboche. Mais à côté de ce que l'homme sait déjà sur son enfance, son grenier, son père, est-ce que ces naïfs et doux aveux ont une réelle importance ?
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Elias_de_crecy
Le premier aveu d'Eliance troubla le jeune russe. "Je vous ai attendu". Il était difficile de répondre à ce genre de choses, parce que cela impliquait tellement de non-dits. Quand il avait imaginé cette rencontre, deux heures auparavant, il n'avait pas considéré cette réplique. Il s'était dit qu'ils parleraient un peu, elle ne se souviendrait pas, ou ferait semblant, et il repartirait, ayant laissé cet article pour publication.
Puis ils oublieraient et reprendraient leurs vies respectives.


Je ne savais pas.

Pourtant c'était bien un tourment adolescent, tout comme d'effeuiller une marguerite, de se demander si l'autre pensait autant à nous qu'on pensait à lui.
"Elle y pense.
Elle n'y pense pas.
Elle y pense.
..."
Et les feuilles blanches des marguerites constellaient l'herbe, sans pour autant donner la réponse.

L'aveu sur son accent lui ramena un sourire. Depuis le temps qu'il vivait en France, il aurait bien pu se défaire de celui-ci, mais il n'avait jamais vraiment voulu y renoncer.
Et cela plaisait aux femmes, ce qui était parfois pratique.

Eliance poursuivit la confidence, presque enfantine, comme un enfant montre à l'autre le trésor qu'il a caché derrière la plinthe de sa chambre, confiance suprême accordé à l'autre.


Pourquoi pas ?

Cela semblait être une réplique récurrente chez le russe. On posait une question sans vraiment le faire, en se laissant guider par l'autre. Il voulait bien la laisser lui dire des bêtises, cela ne le gênait pas vraiment.

Il espérait juste que ce ne serait pas un de ces prénoms français stupides comme Norbert ou Clodomir. Puis une inspiration subite, et il l'interrogea aussi.


Cela fait longtemps ?

Il estimait ne pas avoir besoin de finir la phrase, et comment formuler aisément "que vous n'êtes plus prisonnière" ?
Eliance
Un prénom français et stupide ? Oui, on peut le dire... Le sourire redouble de grandeur et d'éclat alors que le prénom de l'ancien Elias est confié.

Colin. Comme le jeu... colin-maillard. J'avais vu des gamins jouer à ça, en bas. C'est mon père qui m'a appris le nom.

Elle ne lui expliquera pas cet autre rêve où, une fois l'échelle en place, Colin venait la cherchait pour l'emmener jouer avec les autres enfants à se bander les yeux. Elle ne lui dira pas, mais il comprendra à travers sa simple phrase le pourquoi du prénom choisi pour l'enfant au regard perçant. C'est ce qu'elle pense, du moins. Parce que dans sa tête, Colin comprend toujours tout. Et si Colin est devenu Elias, il a gardé ses capacités extraordinaires. Le sourire se restreint quand il se met à poser, lui aussi, des questions. La légèreté du prénom imaginaire est oubliée bien vite. Mais les traits d'Eliance restent doux. Ils ne se figeront plus comme tantôt.

Elle est heureuse de rencontrer Colin, enfin. Elle est heureuse de lui parler. De pouvoir le regarder sans en avoir peur. Elle a toujours regretté s'être enfuie rapidement de l'ouverture de la lucarne. Elle a toujours regretté de ne pas avoir soutenu ce regard qui, après coup, lui a semblé une invitation à venir découvrir le monde. Son monde. C'est pour ça, qu'aujourd'hui, elle ne décroche pas ses yeux des siens. Elle accepte l'invitation, au nom du temps d'avant. La question n'a pas besoin d'être développée davantage pour être comprise de la Ménudière. Le regard gris a permis à Eliance de comprendre son sens tacite. Son regard à elle fera comprendre à Elias qu'elle a souffert, encore davantage, que ce dont il a été témoin.


Y m'a mariée. Ensuite. Et puis... j'me suis enfuie. L'mari, il est mort, aujourd'hui.
J'ai appris à vivre, après.


La tête se penche légèrement sur le côté, sans que le regard ne dévie sa route vers l'âme d'en face. C'est le temps des vieilles questions. Celles qui trottent sans qu'on puisse leur donner une réponse, y mettre un terme.

Vous êtes revenu ?

Elle non plus ne précisera pas la fin de sa phrase. Après ce fameux jour où les regards se sont croisés, elle dans l'encadrement de sa lucarne, lui en bas, derrière le jardin, elle n'a pas osé regarder dehors pendant plusieurs jours. Plusieurs jours où elle a d'abord eu peur qu'il soit encore là. Et puis d'autres aurores se sont levées, où elle s'est mise à espérer le retour des yeux perçants, guettant sans cesse le monde d'en bas, sans jamais savoir si il était revenu, les jours où elle n'avait pas regardé.
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Elias_de_crecy
Colin.
Elias ne sut pas trop si il devait être content de ce surnom ou pas. Il ne l'aimait pas trop, même si il comprenait que cela devait lié à ses yeux.
Et ce n'était pas le nom d'un poisson aussi ?

Eliance raconta la suite, ce qu'il était advenu d'elle. Un destin triste, des chaines échangées contre d'autres. L'époux l'avait-il gardé dans le grenier aussi ? Mais il ne posa pas la question.
Au lieu de cela, il se permit une formule un peu maladroite.


Vous auriez du... fuir plus tôt.

Ce n'était pas un jugement, mais plus un regret. Peut-être avait-il sa part de responsabilité, aussi, alors qu'il n'avait fait que croiser, le temps d'une journée, le regard d'une enfant enfermée.

Elias nota alors l'alliance au doigt de la jeune femme. Cela devait sans doute signifier pour "j'ai appris à vivre".
Elle lui demanda alors si il était revenu, alors qu'elle avait décidé de se cacher.


Non.

Il avait du repartir. Loin. Ailleurs. Pour son compagnonnage. Il n'y avait pas vraiment la place à cette époque pour autre chose que les tissus et les fils, les teintures et les broderies.

Enfin une fois, il y a quelques années.
Mais il n'y avait plus personne.


Et sur l'instant, il n'avait pas su si il devait s'en réjouir ou pas.

Au moins maintenant, l'énigme de la jeune fille aux fleurs en tissu était résolue. Il laissa ses yeux gris dériver dans le regard d'Eliance. Il ne voulait pas poser de questions idiotes comme "êtes-vous heureuse ?" "vous avez des enfants ?" "vous vous plaisez à l'AAP ?", car cela les aurait ramené dans la réalité. Lui demander de la revoir peut-être ? Cela aurait fait étrange.
Mais il fallait pourtant fermer cette parenthèse, ce secret qui était le leur.

Elias se mordit brièvement la lèvre inférieure et conclût un peu bêtement.


Enfin... c'est bien.
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