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[RP] Fleurs en tissu et voeux exaucés

Eliance
Fuir. L'idée paraît tellement simple une fois qu'on l'évoque. Pourtant, pour fuir, il faut envisager un nouvel horizon. Il faut savoir qu'une autre vie attend ailleurs. Il faut avoir conscience de ces choses-là. La vie de la petite Eliance se résumait alors à un grenier et un père. Fuir pour aller où ? Eliance n'y a jamais songé, à l'époque. Elle rêvait simplement de s'envoler le temps d'une journée pour se promener ne serait-ce qu'un peu dans le monde inconnu d'en bas. Il lui était interdit. Tout s'arrêtait donc dans son âme d'enfant à cette restriction imposée.

Si elle a fuit, plus tard, de chez son époux, c'est parce que sa rebouteuse lui a ouvert une brèche sur la réalité. Elle était la seule personne habilitée à lui causer sans que ça produise chez l'époux des colères monstres. Du moins, quand elle allait chez la Jacquemine, les colères monstres venaient de se produire. Alors l'époux ne disait rien. La rebouteuse lui raccommodait son jouet et il en était bien heureux. Eliance, elle, écoutait les mots de la vieille comme on écoute plus ou moins distraitement l'histoire d'une contrée lointaine et imaginaire. Fuir plus tôt... Oui. Elle aurait dû. Elle aurait dû y penser. Elle aurait dû le faire. Elle aurait dû y parvenir. Eliance hoche lentement la tête tandis qu'il évoque cette fuite, l'ultime, celle qui délivre de toutes les autres tentatives infructueuses. Il a bien raison. Plus tôt aurait été mieux. Plus tôt lui aurait évité bien des colères maritales.

Et puis Elias répond. Non. Mais oui. Il est revenu. Un jour. Savoir ça arrache un nouveau sourire à la Ménudière. Colin est donc revenu. Peu importe si c'était des années plus tard. Peu importe si elle avait changé de maison et de geôlier. Il était revenu. Ça signifie pour le cœur alors solitaire de Eliance que quelqu'un pensait à elle. Qu'elle n'était pas seule, réellement. Cette constatation, même des années après, lui réchauffe les entrailles d'une façon inimaginable. Et un mot, un seul, léger et serein, s'invite alors dans la bouche de la roussi-blonde et s'en échappe doucement.


Merci

Un instant, un long instant, elle laisse les yeux gris divaguer dans les siens. Elle savoure cet ami d'avant, cette présence qu'elle s'est inventée mais qui aurait pu être réelle. Elle laisse traîner l'instant, ne parvenant pas à refermer la page des secrets si rapidement. Elias y parvient, lui, avec sa conclusion toute hasardeuse. Eliance comprend qu'il est l'heure de redescendre du nuage, de revenir dans le présent. Après avoir pris une grande inspiration, elle arrache son regard des yeux gris et fait quelques pas jusqu'à son bureau pour y poser la pile de feuilles qu'elle tenait encore dans ses bras. Mais le regard perçant lui manque aussitôt, alors elle se retourne vivement pour le récupérer au vol. Pendant ce temps, ses longs doigts ont saisi le papier donné initialement par Elias et le regard le parcours rapidement, faisant d'inlassables aller-et-venues entre les mots inscrits et leur propriétaire.

Hm... vous vous intéressez aux robes, vous ?

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Elias_de_crecy
Au "merci", formulé à voix basse, Elias eut un regard étrange pour la jeune femme face à lui. Un regard un peu tendre, un peu ému. Un regard qui vous faisait sentir seule au monde. Seule dans son monde à lui. Il eut un demi-sourire, qui étira les lèvres fines du russe, et la réalité se réinstalla dans le bureau.

Eliance lut l'article qu'il avait apporté, et l'interrogea.


Oui. Je suis tailleur.

Il n'aimait pas le terme de couturier, cela faisait trop reprisage de chaussettes. Il ne développa pas, pour expliquer que les robes appartenaient à une ancienne cliente, qu'il y avait une de celles qu'il avait cousu qui serait vendue. Ce n'était pas vraiment utile. Et cela aurait montré qu'il pouvait être fort égocentrique.
Elias posa son regard sur la houppelande qu'elle portait, puis il releva les yeux vers elle.


Le blanc... Cela ne vous va pas, vous savez.

Il voyait souvent les bourgeoises réclamer des couleurs n'allant pas à leur teint, parce que c'était la mode, parce qu'elles voulaient que la robe présente ce qu'elles n'étaient pas vraiment. On investissait souvent dans un vêtement, et pas seulement de l'argent.

Elias ignorait ce qu'Eliance voulait montrer dans l'usage de la couleur virginale, et probablement qu'il aurait été impoli de poser la question. Il manqua lui proposer de lui coudre quelque chose, mais il se doutait qu'elle refuserait. Alors mieux valait ne rien dire pour l'instant, et lui livrer plus tard.
Eliance
Tailleur. Colin est tailleur. Eliance se rend compte avec une surprise tardive que toute sa vie tourne autour des frusques. Les belles robes que son père s'acharnait à lui faire porter, ses cours de couture quotidiens, les heures passées l'aiguille à la main dans son grenier, les fleurs en tissu, son premier mari tisserand, sa soeur de coeur qui se met à élever du mouton et à filer la laine... et Colin, tailleur. Elle qui n'aime pas particulièrement se vêtir comme il faut, s'apprêter pour se faire belle, voit sa vie s'entourer de frusques. Étrange coïncidence. Ce constat la fait sourire. Encore un peu. Et elle se demande si Elias savait déjà coudre, à l'époque. Si il faisait déjà des robes comme elle en portait. L'idée saugrenue lui vient que peut-être son ami de l'ombre lui a cousu plusieurs tenues sans le savoir.

Ces pensées et divagations sont interrompues par la voix aux « R » traînant. Et c'est un éclat fin de rire qui vient accompagner la remarque franche de l'homme sur le blanc.


Je sais, mais je ressemble à un ange, y paraît.


Tout le paradoxe ménudiérien réside dans cette houppelande. Elle la porte dans le seul but de plaire à son mari, pour incarner le surnom qu'il lui donne, pour le reconquérir ou le faire rester, mais ne cherche pas à être belle dedans, se refuse même à être belle. Elle reste persuadée que sa vie aurait été plus simple avec une gueule cassée.


Mais rassurez-vous, d'habitude, c'est encore pire ! J'ai pas de goût, voyez ?
Et puis ça empêche pas certains de s'enhardir. Alors je vais pas pousser le diable à m'habiller en turquoise.


Un nouveau rire ponctue sa phrase, alors que ses pommettes se teintent de rouge en parlant de mauvais goût. Comme à chaque fois qu'elle ment, son visage la trahit et il faut peu de temps à ses amis pour démêler le vrai du faux. Les fesses se posent doucement contre le bureau pour stabiliser le regard qui ne quitte toujours pas, ou si peu, les yeux gris et la voix se remet en route.

Elles doivent être belles, vos robes, pour se vendre à Paris, plusieurs fois.


Elle n'est pas dupe. Il n'aurait pas écrit cet article si les pièces ne le concernaient pas un peu. Elle trouve même ça charmant, dans un sens, qu'il n'avoue pas à pleins mots qu'il est le couturier de ces robes qui semblent faire fureur.


Vous y mettez des fleurs, dessus ?


La question lui brûlant les lèvres est lancée. La curiosité légendaire d'Eliance ne peut être retenue plus longtemps. Elle ne saurait dire pourquoi elle lui demande ça, mais elle veut savoir, au plus profond d'elle-même.

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Elias_de_crecy
Elias regarda alors la jeune femme, cherchant une ressemblance avec les anges. Pour lui, c'était des êtres terribles et impitoyables voués à accomplir les desseins du Très-Haut, ainsi comparer Eliance à ce genre d'individus lui paraissait étrange.

Ainsi, dans un trait d'humour, il dit :


Je ne trouve pas.

Niveau compliments pour les dames, il faudrait repasser. Il y eut alors le discours typiquement féminin du "rien ne me va, et je suis trop nulle !", ce qui arracha un sourire au russe. Combien de fois avait-il fait face à ce genre de paroles, dans le but d'une remarque aimable ?

Le diable n'a pas besoin de turquoise pour ses manigances. Mais une jolie robe sur une jolie femme est un don du ciel, dit-on.

Ca c'était surtout un argument de vente d'artisan.

Les sourcils d'Elias se levèrent à la remarque de la jeune femme, concernant les robes de la vente. Elle l'avait vite demasquée, pourtant il s'enorgueillissait souvent de ne rien laisser paraitre face aux autres.
Il dit avec prudence :


Je me débrouille.

Se pavaner concernant ses talents, ou ses prétendus talents, aurait été un peu déplacé, ainsi la joua-t-il humble.
Les fleurs en tissu revinrent alors sur le tapis, et Elias posa son regard gris dans celui de la jeune femme, sa voix baissant d'un ton.


Seulement si vous me le demandez.

Car oui, cela ressemblait bien à une demande, sans vraiment l'être. Et déjà il réfléchissait à la couleur des fleurs qui décoreraient le tissu turquoise.
Eliance
Il l'amuse. Elias l'amuse. Assurément. Pourtant, il parle peu. Eliance se laisse trimballer par ses grand-écarts verbaux constants, alors qu'il passe d'un non-compliment sincère à la phrase type du dragueur du dimanche avec une facilité déconcertante. Elle trouve drôle de ne pas ressembler à un ange, comme elle trouve drôle cette phrase profondément stupide et osée qu'elle n'aurait pas aimé entendre de la bouche d'un autre. Elle tombe peu à peu dans un état enfantin encore inconnu qui la pousse à se sentir légère, encore plus naïve que d'ordinaire, et surtout désinvolte et espiègle. Elle se surprend à rire comme une enfant, à se moquer ouvertement de cette stupide phrase bateau, à rouler des yeux devant la modestie de monsieur. Face à ce quasi-inconnu qui a partagé en quelque sorte un bout de son enfance, de sa peine, elle sent son âme apaisée, ses tourments évanouis et se laisse aller à un rythme qu'elle ne reconnaît pas en elle.

Est-ce comme ça qu'elle aurait pu apprendre à rire ? Est-ce comme ça qu'elle avait rêvé leur rencontre ? Non. Dans ses rêves, elle n'envisageait pas encore de rire, ne savait pas ce qu'était cette action hautement mystérieuse. Dans ce bureau, c'est comme un pan du passé qu'ils vivent. La rencontre entre un garçon discret à la curiosité affutée et une jeune fille en survie.

Après les derniers mots de l'homme, elle laisse le bureau derrière elle, glisse de quelques pas jusqu'à lui, se penche près de son cou, comme il l'a fait tantôt, et murmure à son oreille dans une proximité inhabituelle.


J'vous l'demand'rai pas, Elias. J'aime pas les robes. J'aime plus les fleurs en tissu.


Des mots anodins qui la font pourtant rire, encore, alors qu'elle retourne à sa place originelle, à se plonger une fois de plus dans ces yeux gris. Elle rit doucement, sans trop savoir pourquoi. Mais elle rit. Légère et insouciante comme elle aurait pu l'être, enfant. Elle pourrait lui parler encore de son article, mais n'y songe pas. À cet instant, elle est simplement ailleurs. Ici, dans ce bureau, mais dans un lieu temporellement éloigné. Entre le présent et le passé. Entre le rêve et la réalité.
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Elias_de_crecy
Eliance se mit à rire, ne semblant pas fâchée alors que d'autres femmes auraient pourtant joué les évaporées vexées. Et ce rire était étrangement contagieux, élargissant le sourire fin du russe.

La jeune femme semblait être composée de paradoxe. Elle achetait des robes mais ne les aimait pas. Comment une femme pouvait ne pas aimer les robes d'ailleurs ? Etait-elle de ces Chevaliers d'Eons qui s'habillaient en homme pour choquer ? Pourtant elle pouvait difficilement dissimuler sa nature, même en usant de corsets ou autres instruments de torture féminins du même acabit ?

Il baissa les yeux vers elle, alors qu'elle s'approchait de lui, pour lui murmurer encore quelques mots. En d'autres temps et lieux, il aurait pris cela pour une tentative de séduction, mais il avait le sentiment que ce n'était pas tout à fait le cas. Ou alors, à l'insu du plein gré de la jeune femme.

Eliance finit par retourner près de son bureau, toujours riante. Cela changeait des premiers instants, ou elle ne lui avait offert que frayeur et méfiance. Ce fut donc Elias qui répondit, avec du retard et sur un ton de défi amusé :


Prenez garde, je pourrai ne vous habiller qu'avec celles-ci.

Bien entendu, il n'entendait pas la déguiser en rose géante, mais il se savait assez doué pour imaginer quelque chose et le créer. Souvent, les clients lui demandaient des tenues, à l'aide de dessins et tissus tout prêts, et ou il ne suffisait plus que de prendre l'aiguille. Elias lui aimait bien suivre son inspiration, mais parfois il fallait aussi payer le logement et la nourriture...

Et parce qu'il était aussi à sa façon un peu joueur, Elias conclut :


Vous me rappelez un conte que l'on me racontait lorsque j'étais enfant, en russie. Je vous le raconterai peut-être un jour.

Si elle était sage, et si ils en avaient l'occasion.
Eliance
Parce que vous pensez qu'on m'habille comme ça ?

Comme pour achever sa phrase, Eliance fait claquer son pouce sur son majeur, provoquant un son sec.


Faudrait me torturer pour que j'porte à nouveau une de ces robes au tissu parfait et aux broderies fines. J'sais pas si vous vous en rendez compte !


Le ton est donné. La terreur et les autres sensations précédentes se sont enfuies. Ne reste qu'une impression de bien-être étrange, de léger flottement. Ses traits se sont détendus totalement et le sourire envahit maintenant sans interruption le pâle visage ménudiérien.


Et pourquoi vous m'le raconteriez pas maint'nant, ce conte ?


Sans attendre de réponse, la jeune femme s'est prestement hissée pour s'asseoir sur son bureau, les jambes se balaçant dans le vide, faisant doucement onduler le tissu blanc de la houppelande, le dos un peu courbé, les mains nouées entre elles sur ses cuisses, prête à écouter l'histoire en question. Quand tout à coup, les sourcils se froncent brièvement.


Mais... vous êtes russe ?!

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Elias_de_crecy
Et aux déclarations d'Eliance, fut répondu un tranquille :

Vous savez, je me débrouille.

Mais si il y avait de l'humilité à la première prononciation de cette phrase, il n'y en avait plus cette fois-ci.

Eliance s'installa alors sur le bureau, réclamant l'histoire. Mais Elias ne céda pas au caprice de la rédactrice en chef, probablement à dessein.


Les contes se racontent au coin du feu, en mangeant du gâteau aux pommes et en se demandant si la Baba Yaga viendra vous enlever pour vous faire cuire dans son four.

En tout cas, lui c'était ainsi qu'il s'en rappelait. Ainsi un bureau de rédaction au sein de la Capitale, en pleine journée, c'était trop inhabituel. Et puis, c'était lui qui devrait raconter l'histoire, après tout, alors il pouvait bien imposer ses conditions.

Mais surtout, je souhaite aller assister à la vente de robes.

Eliance fit alors la "brillante" déduction concernant son origine, et Elias sourit. Ainsi le jeune homme décida de la taquiner un peu :

Vous êtes vraiment journaliste ?
Mais oui, je le suis.
Eliance
La réponse d'Elias est bien sûr accompagnée d'un rire ménudiérien qui trouve la répétition bien gonflée. La suite l'amuse tout autant. Elle savait bien qu'elle ne l'aurait pas facilement, ce conte. Et c'est un sourire empli de malice qui accompagne la remarque de la roussi-blonde.

Mince... j'suis pas très pommes. C'possible de remplacer par autre chose de moins fruité ?
Votre Babadouc truc, rien que d'entendre le nom, j'en ai des frissons dans l'dos. J'dois vous rapp'ler aussi que vous m'avez d'jà fait peur au moins une fois ? Faudrait pas que ça d'vienne une habitude, hein.
Mais va pour la ch'minée et les autres trucs... un jour. Vous aurez c'jour-là mon insomnie et mon indigestion d'tarte sur la conscience.


Son histoire de conte et de cheminée ressemble à s'y méprendre à un rencart en bon et dû forme, mais cet élément n'attire pas l'attention d'Eliance. Elle est plutôt étonnament ravie de devoir le revoir, ne serait-ce qu'encore une fois. D'ailleurs, le flot de paroles qui sort de sa bouche est la preuve du sentiment de plénitude et d'insouciance qui plane autour d'elle. Proposer une histoire à une enfant est une réussite assurée.


Journaliste ? hm... non, pas vraiment, en fait. Ca m'arrive juste parfois de kidnapper quelques mots et de les écraser sur une feuille. Rien de plus.
Voyez, j'ai cru qu'vous étiez hispanique, au début, j'suis pas douée.


Pourquoi aurait-il l'exclusivité de la taquinerie ? Il ne fallait pas lancer la partie. Eliance s'y met aussi, avec son air de ne pas y toucher et voit ses pommettes rougir de ce nouveau mensonge.
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Elias_de_crecy
La jeune femme se mit à râler sur le menu proposé, et Elias eut un soupir faussement exaspéré. Il décréta donc, en poursuivant ce jeu léger et sans conséquences :

Vous aurez du gâteau sans pommes alors.

Mais c'était triste du gâteau sans pommes ! Peut-être pourrait-il trouver autre chose, surtout qu'en plein milieu de l'hiver, les fruits n'étaient pas si courants.
Mais elle avait dit "un jour", ainsi cela pouvait être demain comme jamais, le coeur des femmes était une chose bien inexplicable, surtout pour le russe qui ne cherchait pas vraiment à approfondir le sujet. Eliance expliqua alors qu'elle n'était pas vraiment journaliste, d'une façon imagée tout à fait charmante.


Pauvres mots. Vous êtes une femme cruelle.

Le sourire d'Elias démentait bien entendu tout cela. Un sourcil se fronça chez le russe, qui estimait bien ressembler à ce qu'il était. Le teint pâle et la grande taille, ainsi que les traits taillés à la serpe, étaient selon lui explicites. Mais c'était une vision du monde très "Eliacentriste."
Il était de toute façon bien connu que les hispaniques étaient petits, rablés, le teint sombre et les yeux vicieux, et qu'ils se trimbalaient toujours avec une guitare pour pouvoir chanter une chanson des Gypsie Kings (cet anachronisme vous est offert par le narrateur, qui n'a absolument rien contre les hispaniques).

Vous voyez, vous savez tout de moi maintenant.

Pieux mensonge, nous n'en étions qu'à la surface lisse qu'il présentait à chacun, même si il s'accordait rarement le droit de plaisanter ouvertement avec ceux qu'il connaissait peu.

Elias décida alors de pirater un morceau de parchemin qui se trouvait sur le bureau, et y griffonna quelque chose. Certaines lettres étaient bizarrement écrites, probablement sous l'influence d'un alphabet étranger, d'ailleurs Eliance pourrait deviner qu'il n'avait pas du écrire l'article lui-même.


Pour le "un jour", même si je n'y suis pas toujours.

Son nom d'artiste, Elias de Crecy, ainsi qu'une adresse dans le quartier commerçant de Paris.
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Eliance
Bien sûr qu'elle ne l'a pas réellement pris pour un hispanique. Elle a d'ailleurs rapidement trouvé une ressemblance entre lui et son ami cosaque. Leur manière de parler avec cet accent si particulier, et puis leurs yeux. Dans le regard de l'un comme de l'autre, une étincelle luit, à la fois teintée de glace et pourtant animée sans pareil. Torvar lui ayant raconté combien les pays de l'Est sont froids, Eliance en a déduit un peu naïvement que c'est sans doute de là que venait ce grain particulièrement translucide, comme si les gelées pouvaient décolorer un oeil. Alors, indéniablement, les prunelles grises ne pouvaient venir que de ces contrées lointaines. Pourtant, les deux hommes sont bien différents. Torvar est bien plus âgé, fort, guerrier. Une chose est sûre : Elias n'a décidément pas l'oeil méditarrénéen noir de Diego qui, lui, brille d'un feu ardent non camouflé. Plus Eliance se plonge dans le regard russe et plus elle le trouve subtile de détails et de complexité. Selon l'angle et la lumière, elle le perçoit avec des nuances diverses. Il lui semble voir aussi plus ou moins loin dans son âme, à chaque fois des points différents, mais qui toujours restent énigmatiques. Assurément, elle ne sait rien de lui, tout en ayant l'étrange impression que lui la connaît par coeur.

L'examen se voit interrompu par un Elias qui se met en action. Eliance fronce d'abord un peu les sourcils. Ce coin qu'il vient d'entamer lui coûtera une page d'écriture. Elle aurait râlé, sans aucun doute, si la faute avait été commise par un autre. Là encore, elle prend la chose comme une évidence et cette page se verra recopiée sans réticence aucune sur une feuille entière pour pouvoir être classée avec les autres. Elle s'efforce de ne plus épier les prunelles grises et se concentre sur la main blanchâtre qui dessine des lettres aux formes bien particulières. L'écriture l'amuse et elle ne percute pas une seconde qu'elle est bien différente que celle de l'article fourni. Elle est obnubilée par les doigts qui font courir le crayon. Comme elle est obnubilée par les yeux gris. Quand enfin son esprit reprend conscience, c'est pour être frappée par le nom tracé.


De Crecy... c'pas très russe, ça.


Elle n'a en réalité aucune idée de ce qui fait russe ou non. Elle ne sait d'ailleurs pas où se trouve ce pays dont elle entend parler pour la première fois. Elle le situe voisin du pays cosaque. Pour ainsi dire, vaguement à l'Est. Loin. Mais ce nom a bien une consonnance française, ce qu'elle trouve étrange et drôle à la fois pour un type à l'accent si tranché. C'est avec un sourire qui étire discrètement et pudiquement ses lèvres qu'elle prend le coin griffonné. Elle sait le moment fini. Elle redescend peu à peu dans le quotidien. Il va partir. Elle le sent. Chacun va reprendre sa vie. Son regard se fait plus hésitant, sa gorge moins rieuse. Elle aurait aimé que cette rencontre ne s'achève jamais. C'est d'une voix un peu étranglée qu'elle prononce ces mots, serrant plus que de raison entre ses doigts le coin de papier comme si elle craignait qu'il ne disparaisse.


Un jour... oui.
Merci, Elias.

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Elias_de_crecy
Alors qu'il griffonnait au côté de la jeune femme et que celle-ci faisait remarquer que son nom n'avait rien de russe, Elias tourna légèrement la tête vers elle, et le regard se fit malicieux. Il se mit alors à rire de façon légère et décomplexée, comme si la naïveté d'Eliance était vraiment rafraichissante. C'était un rire comme les "r" du russe, un peu trainant et surprenant, et il se permit, après cela, d'ajouter :

Parfois, on invente des noms.

Après tout, il s'appelait bien Colin dans la tête d'une jeune fille planquée derrière une lucarne. Et les noms, c'était un peu comme les vêtements, quand l'un devenait inconfortable, il était mieux d'en prendre un autre.
La jeune femme se saisit du papier. "Un jour".
Il ignorait en cet instant si elle lui écrirait. Après tout, elle était mariée, et il était une réminiscence de son passé.

Et parfois, le passé, on pouvait chercher à l'oublier. Lui faisait très bien, à l'aide d'une particule et du nom d'un village traversé des années plus tôt.


Ne tardez pas trop. Le feu de cheminée en été, ce n'est pas très agréable. Et je dois bientôt aller dans l'Empire.

Il se pencha et déposa un baiser léger sur le front d'Eliance, un peu fraternel, un peu autre chose aussi, car le russe n'était pas sûr de ce qu'il ressentait lui-même.

La joue, cela aurait été indécent, et un baise-main, trop dragueur, et ce n'était pas forcément l'impression qu'il souhaitait laisser.

Il se redressa et eut un dernier sourire pour la rédactrice en chef. Les prunelles grises enveloppèrent un bref instant la jeune femme, comme pour mémoriser l'instant et il conclut.


Au revoir Eliance.

Et sur ces mots, il prendrait la direction de la porte.
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Eliance
Son rire est accueilli comme une offrande. Et quel rire ! Lui tant sur la retenue dans ses paroles comme dans ses expressions se laisse aller à un rire franc et naturel. Eliance le savoure à sa juste valeur tout comme l'aveu qui suit. Elias a bien raison, un nom importe peu à la Ménudière.

Les lèvres russes viennent effleurer le front pâle et Eliance sent ses yeux se fermer dans un mouvement instinctif. Tous les hommes de sa vie ont ce geste immuable. Diego, Thomas, Torvar et maintenant Colin. C'est bien sous les embrassades frontales de son frère qu'elle a appris à clore ses paupières pour pouvoir y puiser toute son affection secrète. À croire que ce front attire les embrassades à souhait.

Toujours est-il que quand elle réouvre les yeux, elle tombe à nouveau sur les gris qui la dévisagent. Pas d'une manière gênante, non. Elle aime étonnamment ces échanges de regards profonds. Et alors que le jeune russe tourne les talons, elle se souvient, bien un peu tard, qu'il vient d'évoquer l'Empire. Elle se surprend à dire un peu fort.



Belley !!!
Allez à Belley. C'est en Savoie. Y a d'belles ch'minées, là-bas.


Elle n'ose pas lui dire qu'elle vit dans cette ville savoyarde, quand elle n'est pas à Paris dans les locaux du journal. Elle n'ose pas lui dire de passer la voir. Elle a toujours ce coin de papier en main. Elle a encore la chaleur des lèvres sur son front et la douceur de leur rencontre en tête. Pourtant, elle n'ose pas penser à ce « un jour » qu'elle voudrait vivre maintenant, sans interruption avec celui-ci. Peut-être sera-t-elle dès le lendemain devant sa porte. Peut-être attendra-t-elle patiemment sa venue en Empire. Une seule et unique certitude naît en elle : ils se reverront.

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Elias_de_crecy
La main sur la poignée de la porte, Elias se retourna quand la jeune femme lui donna une destinations. Eliance n'avait pas besoin de préciser les détails, le russe comprenant parfaitement ce qu'elle sous-entendait.
Il sourit doucement, une dernière fois.


Belley en Savoie.
Ce n'est pas si loin d'ou je dois aller.


Acquiescement tacite à l'offre faite. La Franche Comté n'était qu'à quelques jours de marche de la province de Savoie, et sa soeur lui pardonnerait bien une escapade.

Elias ouvrit la porte, et à nouveau furent entendus les rumeurs et conversations qui sortaient des bureaux. La réalité reprit place et le jeune homme quitta la pièce, laissant Eliance avec son morceau de papier et un peu de chaleur russe sur le front.

Lui aussi savait qu'ils se reverraient, et il y aurait du gâteau et des contes à faire peur aux enfants.

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Elias_de_crecy
Quelques jours plus tard, un gamin des rues, pièce en poche pour l'accomplissement de sa mission, vint apporter un paquet. Le tailleur lui avait dit qu'il avait intérêt à en prendre soin et à l'amener sans le salir, sinon il lui avait promis d'invoquer une méchante sorcière qui vivait dans une cabane montée sur pieds de poule et qu'elle le mangerait.

Le gamin se fit entendre en arrivant à l'accueil.


Vingt Dieux, c'pour la dame Eliance !


Heureusement qu'à cette époque, on ne faisait pas encore dans le colis piegé. Quoi que...
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