Eliance
Elle a passé la nuit à épier l'agitation en bordure du village, planquée derrière un bosquet, enroulée dans un grand mantel pour éviter de se laisser rattraper par le froid. Prétexte idéal pour contempler au calme les étincelles qui percent le voile noir d'une nuit, sans que personne ne pose de question. Sans que personne ne s'inquiète de ce nouveau loisir soudain. Elle a plissé les yeux, retenu son souffle à chaque soldat plus grand, plus carré que les autres. Pour se rendre à une évidence évidente, au fil des heures : il n'est pas là. Elle le savait, qu'il ne ferait pas demi-tour. Une petite-fille malade est une charge importante. Mais l'espoir stupide reste toujours dans un petit coin de la caboche de la roussi-blonde.
Son réveil ce matin-là s'est révélé très peu agréable. L'humidité nocturne s'est engouffrée sous son mantel, se fichant bien de cette protection factice, et c'est en tremblant que les paupières se sont levées pour laisser les yeux marron, tout aussi brumeux que les alentours, se faire torturer par la luminosité naissante. Elle a fini par s'assoupir au milieu des étoiles et du silence, sans que les conditions peu adéquates n'y puissent rien changer.
Il aura fallu quelques tranches de pâté, quelque soupe brûlante et un bon réchauffage au coin du feu d'une auberge pour éveiller totalement la roussi-blonde et la ramener un peu sur terre. Ce n'est qu'après ça qu'elle ose franchir le seuil de sa chambre partagée d'ordinaire avec le Russe. Russe déjà sur le pied de guerre, armé d'aiguille, de fil, de tissu, en plein travail. Au regard interrogateur, Eliance répond par un baiser bref et un assuré « J'ai surveillé l'armée qui est r'viendu. J'suis crevée ! » Aucun mensonge dans ses propos, même si c'est davantage une armée d'étoiles, qu'elle a surveillé de près.
C'est sur cette belle excuse qu'elle a pris le chemin de sa paillasse pour y dormir d'un sommeil véritable quelques heures. À son second réveil du jour, la chambre est vide de tailleur. Sans doute est-il parti en quête de quelque galon ou autre bricole manquante. Elle en profite pour se faire monter un baquet d'eau bouillante. Sa couenne a gardé une certaine froideur de la nuit passée dehors et les quelques écus piqués en vrac à la mairie de Mâcon lui permettent ce petit luxe. Mais à peine la toilette entamée, qu'on cogne à l'huis. Il lui faut s'enrubanner dans le premier tissu qu'elle trouve (prions pour que ce ne soit pas l'ouvrage actuel d'Elias) pour pouvoir entrebailler sans trop de honte un tout petit peu la porte et récupérer un pli tendu par la femme du tavernier.
Les pieds retournent immédiatement se recueillir dans l'eau fumante tandis que les fesses prennent possession d'une chaise et les prunelles marron des mots cosaques. La lettre est posée, seulement une fois la lecture finie et la toilette se poursuit, avec, sur le visage de la roussi-blonde, cet air vaporeux, lointain, invincible qui l'accompagne quand elle devient Dikaya koshka. La peine n'est pas franchement prise de se sécher convenablement. Elle a repris le tissu, s'est enroulée dedans et s'est mise à écrire frénétiquement au Cosaque. Elle a coutume de ne jamais laisser traîner une réponse. La distance fait assez cette chose-là, lui semble-t-il, pour ajouter une longueur supplémentaire.
Son réveil ce matin-là s'est révélé très peu agréable. L'humidité nocturne s'est engouffrée sous son mantel, se fichant bien de cette protection factice, et c'est en tremblant que les paupières se sont levées pour laisser les yeux marron, tout aussi brumeux que les alentours, se faire torturer par la luminosité naissante. Elle a fini par s'assoupir au milieu des étoiles et du silence, sans que les conditions peu adéquates n'y puissent rien changer.
Il aura fallu quelques tranches de pâté, quelque soupe brûlante et un bon réchauffage au coin du feu d'une auberge pour éveiller totalement la roussi-blonde et la ramener un peu sur terre. Ce n'est qu'après ça qu'elle ose franchir le seuil de sa chambre partagée d'ordinaire avec le Russe. Russe déjà sur le pied de guerre, armé d'aiguille, de fil, de tissu, en plein travail. Au regard interrogateur, Eliance répond par un baiser bref et un assuré « J'ai surveillé l'armée qui est r'viendu. J'suis crevée ! » Aucun mensonge dans ses propos, même si c'est davantage une armée d'étoiles, qu'elle a surveillé de près.
C'est sur cette belle excuse qu'elle a pris le chemin de sa paillasse pour y dormir d'un sommeil véritable quelques heures. À son second réveil du jour, la chambre est vide de tailleur. Sans doute est-il parti en quête de quelque galon ou autre bricole manquante. Elle en profite pour se faire monter un baquet d'eau bouillante. Sa couenne a gardé une certaine froideur de la nuit passée dehors et les quelques écus piqués en vrac à la mairie de Mâcon lui permettent ce petit luxe. Mais à peine la toilette entamée, qu'on cogne à l'huis. Il lui faut s'enrubanner dans le premier tissu qu'elle trouve (prions pour que ce ne soit pas l'ouvrage actuel d'Elias) pour pouvoir entrebailler sans trop de honte un tout petit peu la porte et récupérer un pli tendu par la femme du tavernier.
Les pieds retournent immédiatement se recueillir dans l'eau fumante tandis que les fesses prennent possession d'une chaise et les prunelles marron des mots cosaques. La lettre est posée, seulement une fois la lecture finie et la toilette se poursuit, avec, sur le visage de la roussi-blonde, cet air vaporeux, lointain, invincible qui l'accompagne quand elle devient Dikaya koshka. La peine n'est pas franchement prise de se sécher convenablement. Elle a repris le tissu, s'est enroulée dedans et s'est mise à écrire frénétiquement au Cosaque. Elle a coutume de ne jamais laisser traîner une réponse. La distance fait assez cette chose-là, lui semble-t-il, pour ajouter une longueur supplémentaire.
Citation:
Je savais qu'un jour, vous voudriez savoir. Je savais que vous poseriez la question ou alors que je ressentirai le besoin de vous raconter.
Je ne pensais seulement pas que ça tomberait maintenant.
Torvar, vous demandez la vérité, la sincérité et tout ce qui va avec. Je vais vous la donner. Comme je le fais toujours. Je ne veux pas par contre que ça vous chagrine. Que ça vous mine, ou que sais-je encore. Vous demandez, je réponds. Prenez ça pour une autre part de notre secret. Je vais vous dire depuis le début. Sans quoi, les choses seraient incompréhensibles et vous resteriez sur ce « qu'a-t-il donc de particulier cet homme pour avoir réussi là où j'ai échoué ? » qui ne me plaît guère.
Ça remonte à longtemps, notre première vraie rencontre. Et là, je vais évoquer ce passé que j'aime peu ranimer, que je vous avais brièvement confié, une fois. Je vivais dans la mansarde. Seule. Avec pour seules visites quotidiennes celles de mon père. Mon seul bien était une lucarne qui m'ouvrait sur le monde d'en bas. Espionner ce monde d'en bas était un de mes passe-temps favori. Un jour, un gamin s'est arrêté, a levé le nez et m'a regardé longuement. C'était la première fois que je rencontrais un inconnu. C'était la première fois qu'un inconnu me voyait. C'était la première fois et j'ai eu si peur. Je n'ai jamais oublié ce regard.
J'en ai rêvé, j'en ai tissé, des histoires, des songes, avec ces simples yeux braqués sur moi. J'ai fini par les retrouver un jour à Paris. Par hasard. Il y a peu de temps. Enfin, non, lui savait où il allait en venant au journal. Et il m'a regardé comme ce jour-là, avec ces mêmes yeux, ce même regard. Il a été ma première envie de liberté. Et le retrouver, là, à Paris... c'était étrange. On a parlé, fait connaissance. On s'est revu. Compris très rapidement.
Quand Diego est parti, lui est resté dans l'ombre. Il a attendu. Il a fait ce qu'aucun homme n'avait jamais fait : prendre sur lui pour mon bien à moi. Je sais, vous l'avez fait aussi. À votre manière. C'est à cette époque que je vous ai écrit. Que vous m'avez envoyé paître. Voilà pourquoi Elias. Lui est resté. Il a su m'apprendre, lentement mais sûrement, un peu des hommes. Si vous me sentez plus libre, plus guerrière, plus audacieuse, c'est grâce à lui et sa patience. Lui et son tact. Il n'a pas les tendances désinvoltes de Diego. Il ne s'intéresse qu'à ses tissus et à moi. Ça a un côté rassurant.
Vous venez des mêmes contrées froides, vous et lui. Pourtant, vous êtes si différents. Pourtant, la même indépendance vous caractérise. Je ne suis Romanov qu'à cause d'un prétendant plus insistant que les autres qui m'a demandé en mariage et qui m'a faite rire. À cause d'un champ de terre et d'une Atro devenue curé pour l'occasion. Ce n'est qu'un nom que j'ai voulu prendre pour être quelqu'un. Pour ne pas rester la fille de rien que j'étais. Je suis presque-mariée.
Vous n'avez échoué nul part, Torvar. Le destin l'a voulu ainsi. Et puis, vous l'avez dit, dans une lettre précédente : est-ce qu'on ne se serait-on pas haïs, en se hâtant ? J'aime nos rencontres saugrenues. J'aime votre obstination à voir en moi certaines choses.
J'espère que ces mots auront chassé l'amertume que j'ai ressenti en vous lisant.
Je ne compte pas fuir mon procès. Si je dois passer quelques jours au trou, j'irai. J'ai acquis une sorte de certitude qui, parfois, me permet d'affronter les rigueurs : est-ce que je peux vivre des choses pires que celles que j'ai déjà vécues ? Mais votre offre, votre havre de paix, je le garde en mémoire. Je suis accusée de trahison et de trouble à l'ordre public, figurez-vous. Mais le procureur n'avance aucune preuve contre moi. Il ne fait que parler de Mike. J'ai seulement évoqué mes bonnes relations avec la Bourgogne et un certain seigneur. Sans vous nommer, bien sûr. Vous avez assez d'ennuis pour que j'attire les miens sur vous.
D'ailleurs, pour éviter tout nouvel incident avec la justice pour soupçon de sorcellerie, je tiens à préciser que je suis roussi-blonde ! Pas rousse ! N'allez pas m'attirer un autre procès en colportant des rumeurs sur mes capacités magiques à vous soutirer des réponses, voulez-vous. Autant sauter d'une falaise ne m'effraie pas, autant finir cramée sur un bûcher me fait froid dans le dos. Froid d'être brûlée, oui. Encore une fois, c'est stupide, mais c'est ainsi. Et donc si vous me considérez comme ces femmes rousses que vous décrivez, vous me craignez, moi aussi ? Si tel est le cas, ce serait-inédit. Et j'avoue en sourire d'avance.
Vous évoquez votre cousin. Vous ne vivez donc pas seul parmi les Bourguignons, à Cheny ? D'autres Cosaques sont avec vous ? Racontez-moi, bon sang, quelle vie réelle de seigneur vous vivez ! Et qu'est-ce qu'un Khan ? Vous avez écrit ce mot, dans votre lettre.
Et puis, à moi de poser une question indiscrète : cette femme bretonne dont vous parliez avec le blond, n'a-t-elle pas tenté de vous rendre humain, elle aussi ?
Je suis ravie de lire que votre petite-fille reprend vie. Je n'ai jamais douté que ce serait le cas, vu ce qui coule dans ses veines. Prenez bien soin d'elle. Et de vous, surtout.
Dikaya koshka
L'armée est revenue, cette nuit. J'ai espéré votre retour, à vous aussi.
Mais aucune ombre n'a ressemblé à la vôtre.
Le secret palpite.