Soren
Il y a des personnes qui parfois vous marque dès le premier coup d'oeil. Oh, je ne parle pas ici de ce que certains appellent le coup de la foudre, le sentiment subit d'amour fou. Non, je vous parle de ces personnes qui, en un instant, marque votre esprit assez profondément pour le hanter pendant ses moments de repos, dans votre sommeil, dans votre travail. Ce jour-ci, j'ai rencontré une personne comme cela. C'était une jeune fille qui n'avait sans doute pas eu sa première floraison. Elle cachait sans cesse son visage dans une capuche. Elle entrait en taverne, ne regardait personne et venait prendre place près de la cheminée pour réchauffer un corps qui semblait décharné. Maintenant, je me demande si j'ai bien fait de m'intéresser à son cas parce qu'elle m'obsède. Elle a pris le contrôle de mon esprit et je sais que je n'aurais pas de répit tant que je n'aurais pas trouvé la vérité sur son histoire.
Pourquoi m'intrigue t-elle tant? Parce qu'elle semble perdue comme je l'ai été après mon réveil au couvent des cordeliers? Après cet accident...ou plutôt cette tentative de meurtre. Peut-être aussi parce qu'elle semble ne rien savoir sur son passé ou si peu...comme mes souvenirs récents qui se sont envolés en fumée, comme cette partie de ma vie que quelqu'un qui m'a volé. Ou bien est-ce parce qu'elle semblait craintive, apeurée. Elle m'a rappelé ces longues nuits d'hiver où, enfant, je venais réchauffer mes mains à la chaleur dégagée par le bois qui se consumait dans la cheminée, les mains tendues vers les flammes, les jointures en sang d'avoir pris trop coups de triques pour avoir oublié un détail sur la vie d'Aristote ou sur les préceptes de Christos. A un moment aujourd'hui, j'ai eu l'impression que le destin me renvoyait une image déformée de moi-même, de ce que j'avais été, là-bas à Helsingør. Elle était une sorte de caricature grossière de moi-même. Le côté gauche de son esprit se tendait vers moi, demandait de l'aide alors que le droit s'y refusait. Par crainte ou parce qu'il n'en n'avait pas besoin. Chimères? Était-ce mon esprit malade qui me jouait des tours? A force de vivre dans un monde où la violence était devenue la norme, suis-je devenu totalement incapable de voir autre chose dans une situation qui sort un tant soit peu de l'ordinaire?
Ce soir, il fait froid. Je suis seul devant cette cheminée où les braises commencent elles aussi à donner des signes de faiblesse. Je suis à l'endroit même où elle se tenait et j'ai froid moi aussi. Il y a à cet endroit un courant d'air froid qui provient de la fenêtre toute proche. Ai-je inventé une situation qui n'existe que dans mon esprit malade? Si oui, pourquoi ai-je ce sentiment profond d'avoir reçu un appel à l'aide? Pourquoi mon esprit ne peut se détacher de cette histoire? Et pourquoi ses cheveux étaient-ils blancs?
Dans le comté il y a des lois. Les gens ont des droits. L'esclavagisme, la torture et autres joyeusetés de ce genre n'a pas sa place ici. Que serions-nous si nous laissions passer ce genre de crimes simplement parce qu'il est commis sur une voyageuse dont on n'entendra sans doute plus jamais parlé? Elle ne vit pas ici. Sa famille ne paie pas d'impôts ici. Elle ne contribue pas à l'essor économique de notre province. Au pire, elle peut nous apporter que des ennuis. Alors, pourquoi ne pas fermer les yeux et laisser faire? En ai-je le droit? Oui. En ai-je moralement le droit? Qu'est-ce que la morale à avoir dans la vie d'un Eriksen? Hum? Pourtant, j'ai essayé de contacter le prévôt.
Pourquoi m'intrigue t-elle tant? Parce qu'elle semble perdue comme je l'ai été après mon réveil au couvent des cordeliers? Après cet accident...ou plutôt cette tentative de meurtre. Peut-être aussi parce qu'elle semble ne rien savoir sur son passé ou si peu...comme mes souvenirs récents qui se sont envolés en fumée, comme cette partie de ma vie que quelqu'un qui m'a volé. Ou bien est-ce parce qu'elle semblait craintive, apeurée. Elle m'a rappelé ces longues nuits d'hiver où, enfant, je venais réchauffer mes mains à la chaleur dégagée par le bois qui se consumait dans la cheminée, les mains tendues vers les flammes, les jointures en sang d'avoir pris trop coups de triques pour avoir oublié un détail sur la vie d'Aristote ou sur les préceptes de Christos. A un moment aujourd'hui, j'ai eu l'impression que le destin me renvoyait une image déformée de moi-même, de ce que j'avais été, là-bas à Helsingør. Elle était une sorte de caricature grossière de moi-même. Le côté gauche de son esprit se tendait vers moi, demandait de l'aide alors que le droit s'y refusait. Par crainte ou parce qu'il n'en n'avait pas besoin. Chimères? Était-ce mon esprit malade qui me jouait des tours? A force de vivre dans un monde où la violence était devenue la norme, suis-je devenu totalement incapable de voir autre chose dans une situation qui sort un tant soit peu de l'ordinaire?
Ce soir, il fait froid. Je suis seul devant cette cheminée où les braises commencent elles aussi à donner des signes de faiblesse. Je suis à l'endroit même où elle se tenait et j'ai froid moi aussi. Il y a à cet endroit un courant d'air froid qui provient de la fenêtre toute proche. Ai-je inventé une situation qui n'existe que dans mon esprit malade? Si oui, pourquoi ai-je ce sentiment profond d'avoir reçu un appel à l'aide? Pourquoi mon esprit ne peut se détacher de cette histoire? Et pourquoi ses cheveux étaient-ils blancs?
Dans le comté il y a des lois. Les gens ont des droits. L'esclavagisme, la torture et autres joyeusetés de ce genre n'a pas sa place ici. Que serions-nous si nous laissions passer ce genre de crimes simplement parce qu'il est commis sur une voyageuse dont on n'entendra sans doute plus jamais parlé? Elle ne vit pas ici. Sa famille ne paie pas d'impôts ici. Elle ne contribue pas à l'essor économique de notre province. Au pire, elle peut nous apporter que des ennuis. Alors, pourquoi ne pas fermer les yeux et laisser faire? En ai-je le droit? Oui. En ai-je moralement le droit? Qu'est-ce que la morale à avoir dans la vie d'un Eriksen? Hum? Pourtant, j'ai essayé de contacter le prévôt.
Citation:
- Prévôt,
Je suis en taverne à Sarlat avec une bien étrange personne. Elle a les cheveux blancs. Elle a toujours froid, Elle semble absente. Elle suit un certain Tord fer. Pas sur que ce soit de manière volontaire. Je ne saurais trop vous conseiller de convoquer ce Tord fer afin de tirer tout ça au clair.
Søren
En vain.
Citation:
Messire Søren ,
Curieux ce que vous me dites. Serait ce un enlèvement à vos yeux ?
Étant en mission pour soutenir Angoulême, je ne peux m'occuper de cette étrange affaire. Pourriez vous vous en charger avec mon accord ?
Si le dénommé Tord fer se déplacerait sur Périgueux , contactez le prévôt adjoint Fougerit et expliquez lui la situation.
Bien à vous
Djull
Aurais-je du laisser tomber? Pourquoi suivre le conseil du prévôt et écrire à son adjoint?
Citation:
Prévôt-Adjoint,
Vous ne me connaissez sans doute, je suis Søren MacFadyen Eriksen. J'habite Bergerac et suis actuellement en voyage à Sarlat. Je vous écris ce jour à la demande du prévôt avec lequel j'ai pris contact. Je vous résume la raison. En taverne à Sarlat, je suis tombé sur une étrange damoiselle point encore nubile. Elle avait des cheveux blancs éclatants et prenait toujours place près de la cheminée pour se réchauffer. Elle semblait souvent absente, craintive. je lui ai demandé où elle allait : elle n'en savait rien. Je lui demandais si elle était accompagnée et avec qui. Elle a fini par me donner un nom : Tord fer. De fil en aiguille, la conversation a pris une tournure étrange. Elle ne savait pas si elle était sa prisonnière ou pas. Elle disait que ce Tord fer la prenait pour de la viande. Elle ne se rappelait pas de grand chose en réalité. Mais je puis vous le dire: cette personne a été martyrisée. Je le sais. Cela se voit. Elle a prétendu que Tord fer et sa suite lui donnait à manger...parfois. Elle a dit qu'il la protégeait. Cette affaire est cependant louche. Je ne sais pas s'il s'agit d'enlèvement, d'esclavage, de torture de prisonnière ou tout autre forme de cruauté. Ce que je sais, c'est que j'ai vu là une jeune fille perdue qui avait besoin d'aide.
Je pense que les autorités comtales devraient demander à ce Tord Fer de venir s'expliquer devant les autorités comtales. Nous avons le devoir de nous assurer que cette personne n'a pas besoin d'assistance. Nous devons suivre les allers et venus de ce petit groupe. S'il quitte le comté, pourquoi ne pas demander l'aide de nos voisins pour la suivre le temps que cette affaire soit tirée au clair?
Respectueusement,
Søren MacFadyen Eriksen
Les dernières flammes ont rendu l'âme. C'est bien. Il faut toujours rendre ce que l'on a emprunté. Et mon âme à moi? Vais-je aussi devoir la rendre un jour? A qui? Qui peut bien en vouloir et pour quoi faire? On ne veut pas de l'âme d'un Eriksen. On ne veut pas d'une âme maudite. Personne. D'ici quelques instants, le froid va gagner du terrain dans cette pièce. Il fera presque aussi froid que dehors...mais il fera sans doute moins frisquet que dans mon âme.
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