Seed
Et puis pourquoi on rêve, de toute façon ?
--------- 5 février, 1463 ---------
Je déteste écrire.
Je veux dire, si le bon Dieu avait voulu qu'on soit tous scribes, Il nous aurait donné des doigts qui tâchent. Je ne sais pas pour tout les autres, mais les miens ne laissent pas de trace. La plupart du temps, du moins.
Si je commence ce journal de merde, c'est juste que à cause de ce vieux médicastre de pacotille auquel Kem m'a traîné. Paraît que je gênais tout le monde dans le campement la nuit. Il a blablaté je ne sais combien de temps sur je ne sais quoi - il me semble qu'il a parlé de tisanes, ou quelque boisson de femme comme ça - avant de me tendre ce vieux carnet. Je l'ai pris, un peu perplexe pour le coup : peut-être qu'il fallait bouffer les pages ? Mais non, il m'a dit : Si jamais vous vous réveillez avec vos rêves en tête, notez-les ici avant de les oublier.
Et si je me réveille en pleine nuit ?
Faites-le toujours.
J'allais protester sur limpraticabilité d'écrire dans un lit la nuit quand le vieux reprit la parole. Et avec tout ça, ça ne vous est jamais venu à l'idée que les rêves signifient quoique ce soit ? Pensez ; tout le monde rêve. Pas certaines personnes, pas que les Français, tout le monde. Et nous le faisons au moment où nous sommes le plus vulnérables : endormis, inconscients du monde qui nous entoure. Il me regarda avec ses yeux bleus légèrement voilés par l'age. Jeune homme, les rêves sont le reflet le plus pur de votre âme que jamais vous ne verrez, peu importe ce que l'on dit sur les yeux. Il m'avait fait signe de la main de déguerpir. Allez, remplissez moi ça. Si vous ne trouvez toujours pas vos réponses, revenez ici dans trois mois.
Du coup, me voilà, pas plus tard que le lendemain. Il doit être... Aux alentours de trois heures du matin, je pense. Je me les gèle. Si ce n'était parce que j'en ai marre de mes insomnies, je ne pense pas que j'aurais eu le courage de me forcer à prendre la plume. Je ne connais en plus pas de meilleur somnifère que la respiration lente et rythmée de dormeurs satisfaits comme ceux qui m'entourent. On avait beau se plaindre qu'on serait serrés ici, finalement, c'est pas plus mal. Une main égarée peut vite trouver quelconque courbe féminine où se loger. Il faut juste savoir si on peut se risquer au réveil : Kem est assez clémente là-dessus, mais les autres n'hésitent pas à tabasser si elles me surprennent. Le coup de l'endormi ne marche plus.
Je m'égare. Mon rêve, donc.
Au départ, j'étais assis dans une clairière de forêt, pas dissimilaire à celui où nous avons monté le campement cette nuit. Il faisait jour, je suppose ; en tout cas je voyais bien, au moins jusqu'à la lisière des arbres. Devant, la route continue, derrière celle que nous avons empruntée pour arriver ici. Je dis "on", mais finalement, je ne sais pas si j'étais accompagné... Rah. J'ai trop tergiversé. Peu importe comment j'essaie de retenir les détails, ils filent entre mes mains comme une poignée d'eau. Il vaut mieux que je me concentre sur ce qui est sûr.
Arrive un pigeon. J'ai eu le sentiment que c'était le mien. J'ai lu le courrier attaché à sa patte, mais je ne me souviens pas que le message ait été important. Ou peut-être que si. J'ai brisé le cou de l'animal et j'ai jeté sa carcasse ainsi que la lettre sur le feu de camp devant moi avant de me lever. En partant de là, je suis passé à côté d'une souche d'arbre, où, pris d'une envie, j'ai gravé mon nom. Le geste me paraît familier... Ça me revient ! J'ai fait ça quelque part au nord, à la frontière des Flandres. Je ne rêve donc pas de n'importe quoi. J'ai donc repris la route. Le paysage était terne, indistinct. Sans importance, même. Si je ne m'abuse pas, un voile gris m'empêchait de voir beaucoup plus loin que le bas-côté, mais jamais la curiosité ne m'est venu d'aller de l'autre côté. J'avais un but, et de toute façon la route me menait à lui, nul besoin de sortir de la chaussée. Où alors, est-ce qu'elle m'en éloignait ? Je ne sais pas... Mais la route et le but étaient liés.
Je ne me rappelle plus réellement du reste. Il y avait... des roues. Des nobles. Peut-être une femme rousse ? Mais le tout dans un silence assourdissant. Maintenant que j'y pense, est-ce que mes rêves ont toujours été silencieux ? Je me rappelle parfois d'avoir compris les paroles de certains, mais jamais de les avoir entendus. C'est comme s'ils me naissaient directement dans l'esprit. Peut-être que ça ressemble à cela, la vraie télépathie ; la naissance des mots. Pas simplement entendre la voix des autres dans sa tête.
Je vais arrêter là, pour ce soir, je pense. Le reste me fuit. Et je crois que ma bougie va s'éteindre bientôt. A en juger par la lueur dehors, Sessi sera bientôt levée, et avec elle toute possibilité de sommeil sera anéantie.
--------- 5 février, 1463 ---------
Je déteste écrire.
Je veux dire, si le bon Dieu avait voulu qu'on soit tous scribes, Il nous aurait donné des doigts qui tâchent. Je ne sais pas pour tout les autres, mais les miens ne laissent pas de trace. La plupart du temps, du moins.
Si je commence ce journal de merde, c'est juste que à cause de ce vieux médicastre de pacotille auquel Kem m'a traîné. Paraît que je gênais tout le monde dans le campement la nuit. Il a blablaté je ne sais combien de temps sur je ne sais quoi - il me semble qu'il a parlé de tisanes, ou quelque boisson de femme comme ça - avant de me tendre ce vieux carnet. Je l'ai pris, un peu perplexe pour le coup : peut-être qu'il fallait bouffer les pages ? Mais non, il m'a dit : Si jamais vous vous réveillez avec vos rêves en tête, notez-les ici avant de les oublier.
Et si je me réveille en pleine nuit ?
Faites-le toujours.
J'allais protester sur limpraticabilité d'écrire dans un lit la nuit quand le vieux reprit la parole. Et avec tout ça, ça ne vous est jamais venu à l'idée que les rêves signifient quoique ce soit ? Pensez ; tout le monde rêve. Pas certaines personnes, pas que les Français, tout le monde. Et nous le faisons au moment où nous sommes le plus vulnérables : endormis, inconscients du monde qui nous entoure. Il me regarda avec ses yeux bleus légèrement voilés par l'age. Jeune homme, les rêves sont le reflet le plus pur de votre âme que jamais vous ne verrez, peu importe ce que l'on dit sur les yeux. Il m'avait fait signe de la main de déguerpir. Allez, remplissez moi ça. Si vous ne trouvez toujours pas vos réponses, revenez ici dans trois mois.
Du coup, me voilà, pas plus tard que le lendemain. Il doit être... Aux alentours de trois heures du matin, je pense. Je me les gèle. Si ce n'était parce que j'en ai marre de mes insomnies, je ne pense pas que j'aurais eu le courage de me forcer à prendre la plume. Je ne connais en plus pas de meilleur somnifère que la respiration lente et rythmée de dormeurs satisfaits comme ceux qui m'entourent. On avait beau se plaindre qu'on serait serrés ici, finalement, c'est pas plus mal. Une main égarée peut vite trouver quelconque courbe féminine où se loger. Il faut juste savoir si on peut se risquer au réveil : Kem est assez clémente là-dessus, mais les autres n'hésitent pas à tabasser si elles me surprennent. Le coup de l'endormi ne marche plus.
Je m'égare. Mon rêve, donc.
Au départ, j'étais assis dans une clairière de forêt, pas dissimilaire à celui où nous avons monté le campement cette nuit. Il faisait jour, je suppose ; en tout cas je voyais bien, au moins jusqu'à la lisière des arbres. Devant, la route continue, derrière celle que nous avons empruntée pour arriver ici. Je dis "on", mais finalement, je ne sais pas si j'étais accompagné... Rah. J'ai trop tergiversé. Peu importe comment j'essaie de retenir les détails, ils filent entre mes mains comme une poignée d'eau. Il vaut mieux que je me concentre sur ce qui est sûr.
Arrive un pigeon. J'ai eu le sentiment que c'était le mien. J'ai lu le courrier attaché à sa patte, mais je ne me souviens pas que le message ait été important. Ou peut-être que si. J'ai brisé le cou de l'animal et j'ai jeté sa carcasse ainsi que la lettre sur le feu de camp devant moi avant de me lever. En partant de là, je suis passé à côté d'une souche d'arbre, où, pris d'une envie, j'ai gravé mon nom. Le geste me paraît familier... Ça me revient ! J'ai fait ça quelque part au nord, à la frontière des Flandres. Je ne rêve donc pas de n'importe quoi. J'ai donc repris la route. Le paysage était terne, indistinct. Sans importance, même. Si je ne m'abuse pas, un voile gris m'empêchait de voir beaucoup plus loin que le bas-côté, mais jamais la curiosité ne m'est venu d'aller de l'autre côté. J'avais un but, et de toute façon la route me menait à lui, nul besoin de sortir de la chaussée. Où alors, est-ce qu'elle m'en éloignait ? Je ne sais pas... Mais la route et le but étaient liés.
Je ne me rappelle plus réellement du reste. Il y avait... des roues. Des nobles. Peut-être une femme rousse ? Mais le tout dans un silence assourdissant. Maintenant que j'y pense, est-ce que mes rêves ont toujours été silencieux ? Je me rappelle parfois d'avoir compris les paroles de certains, mais jamais de les avoir entendus. C'est comme s'ils me naissaient directement dans l'esprit. Peut-être que ça ressemble à cela, la vraie télépathie ; la naissance des mots. Pas simplement entendre la voix des autres dans sa tête.
Je vais arrêter là, pour ce soir, je pense. Le reste me fuit. Et je crois que ma bougie va s'éteindre bientôt. A en juger par la lueur dehors, Sessi sera bientôt levée, et avec elle toute possibilité de sommeil sera anéantie.