Carensa.
I hid my love in field and town
Till e'en the breeze would knock me down
The bees seemed singing ballads o'er
The fly's bass turned a lion's roar
And even silence found a tongue
To haunt me all the summer long
The riddle nature could not prove
Was nothing else but secret love
- I hide my love - John Clare -
Limoges 11 février 1463
La nuit était déjà bien avancée lorsque la rousse se redressa dans le lit, les mains crispées sur son ventre. Dieu, la douleur devenait insupportable. Quelques jours déjà qu'elle supportait cette incessante aiguille qui glissait dans son ventre. Par instant, elle ne se faisait plus sentir, lors d'autres, elle se retrouvait recroquevillée, incapable de bouger, comme figée par une force invisible. Les remèdes et autres potions avaient apaisé brièvement mais le mal semblait s'accrocher à elle.
L'excursion à Rochechouart n'avait sans doute pas arrangé les choses. La reprise de la mairie non plus, c'est qu'il avait fallu jouer des coudes et de l'épée pour y rentrer. La rousse y avait pris un malin plaisir bien que souffrante déjà. Finalement le fauteuil avait été récupéré et tout était rentré dans l'ordre.
Le visage crispé, la sueur perlait sur le minois fatigué, d'épaisse cernes enveloppaient le regard azuréen d'habitude illuminé.. Qu'avait elle ? Quel était ce mal qui la rongeait depuis quelques jours.
Elle s'allongea de nouveau, absorbant quelques gouttes de liquide opiacé, juste histoire de se donner un temps de répit. Au dehors, le vent balayait le village et à chaque fois qu'il s'engouffrait dans la cheminée, la rousse ne pouvait faire autrement que de sursauter, l'inquiétude amplifiant encore la douleur déjà existante.
Le soleil se lèverait bientôt et elle pourrait réveiller sa rousse sans avoir à craindre pour son sommeil. Elle la savait elle-même épuisée par ses soucis et le petit dernier, comme tout bon nourrisson, ne l'épargnait pas. Pour l'heure, elle devait patienter. Tête dans l'oreiller, les dents se refermèrent sur l'étoffe pour étouffer un grognement.
Tout son corps semblait se tendre sous les coups de cet assaillant invisible. Elle n'arrivait plus à discerner d'où venait cette si terrible doubleur. Son ventre, ses reins..rien était épargné. Même dans ses tempes, elle avait cette impression que le flux sanguin s'accélérait lui provoquant un mal de tête assourdissant.
Les jambes sagitèrent mollement, moites. Tantôt elle retirait les draps, tantôt elle les attirait à elle.
Elle devait se lever et sortir de la chambre, ne pas réveiller sa Reyne, ne pas réveiller toute la maisonnée, juste rejoindre la pièce où se trouvait le baquet d'eau de la veille. Avec une chance il ne serait pas vidé et elle pourrait se rafraîchir quelques instants dedans.
Elle se redressa et nue comme un vers, posa les pieds au sol, la simple fraîcheur de celui-ci, lui procura un bien être, bien qu'éphémère elle ne douta plus que le bain serait salutaire. Prenant appui sur la table de chevet et elle se releva et au prix d'un effort surhumain, longea le mur, tenant toujours son ventre d'une main, l'autre lui servant de guide sur les pierres. Quatre mètres à parcourir...simplement ces quelques mètres parurent interminables. Elle se sentait oppressée comme si l'heure de sa mort avait sonné.
Elle avait piteuse allure notre Sublime rousse. Le teint blême, ressemblant plus à un pantin désarticulé qu'à un humain, les cheveux collés aux épaules, les lèvres ternes.
La porte menant au baquet fût poussée et quelques minutes plus tard, trouvant la force de se glisser dans ce dernier, elle fût surprise par la douceur de l'eau qui recouvrait enfin son corps..
A présent, elle pouvait être apaisée, d'ici quelques heures, tout irait mieux. La fièvre serait retombée et le mal aurait disparu..
Nul doute que tout aurait pu s'arrêter là, mais ce qui lui arrivait était sans doute bien pire que la mort elle même.
Les yeux dans le vague, elle ne discernait plus rien. A peine les rayons de soleil du petit matin qui passaient au travers de la fenêtre.
Quelle heure était-il ? Depuis combien de temps était elle dans ce bain, dans cette eau qui semblait glacée à présent.
Quelques bruits venant du couloir remontaient à ses oreilles, comme des pas lourds. Ils se répercutaient avec violence dans sa tête et la rousse referma les yeux.
Dans son esprit, quelques visages revenaient à sa mémoire de façon aléatoire..Sasha..Bella..Niki et Lui..Lui qu'elle avait laissé, lui qu'elle avait trahi quelque part en écrivant ses aveux à sa femme. Lui qu'elle n'avait pas oublié, ni cessé d'aimer, Lui qui hantait ses rêves, qu'elle maudissait en journée. Elle avait toujours eu le chic pour s'enticher d'hommes qui n'étaient pas pour elle, et Lui ne l'était assurément plus.
Elle se revoyait sur le port à Bordeaux, le regard braqué sur le bateau qui l'emmenait loin d'elle, elle se revoyait arriver à Tournai, le retrouver et savourer les instants passés à ses cotés, des instants volés certes, mais des minutes et des heures à trouver refuge dans ses bras et espérer un avenir qui ne leur était pas permis. Elle le savait, l'avait toujours su, et malgré les promesses du colosse, elle avait fait en sorte de provoquer le destin..Elle avait échoué, peut être que finalement sa moralité avait été plus forte que les mensonges. Elle était bien incapable de mentir, jamais elle ne l'avait fait, et même pour l'homme de sa vie, elle ne l'aurait pas fait.
Une nouvelle crampe la tira de son rêve et un cri qui aurait pu être retenu, s'échappa de ses lèvres avant qu'elle ne s'évanouisse...
J'ai caché mon amour aux champs et à la ville
Jusqu'à être un jouet pour la brise gracile
L'abeille me semblait ressasser des ballades
Et la mouche rugir en lionne irritée
Il n'est pas jusqu'au silence qui ne prît langue
Et qui ne me hantât tout le long de l'été
L'énigme qui laissait la nature impuissante
N'était pas autre chose qu'un amour secret
- Extrait de Poèmes et proses de la folie de John Clare, présenté et traduit par Pierre Leyris
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