[Première Alerte]
Gwenn était radieuse aujourd'hui. L'air, moins étouffant que les jours précédents, lui donnait l'impression de revivre, et elle s'activait avec enthousiasme dans la chambre que devait occuper Aelys.
Comme elle était heureuse que sa future belle-sÅur vienne vivre avec eux ! Elle était un constant rayon de soleil, un hymne à la bonne humeur, tournoyante et virevoltante sans cesse, riant de ce rire clair et insouciant qui vous arrache à votre mélancolie la plus profonde. Gwenn avait l'impression de se revoir, quelques années auparavant, avant le début de son aventure...
Seigneur, pourtant ce passé n'était pas si loin, et cela lui semblait avoir eu lieu il y a des siècles ! Elle avait connu une vie si trépidante depuis, pleine de rebondissements, qu'elle avait peine à croire que tout cela lui était arrivé.
Ses mésaventures lui avaient fait perdre sa verve et son innocence, cette insouciance qui la caractérisait autrefois. Mais elle réapprenait enfin à vivre grâce à Phé, son Phé, qui lui avait redonné confiance en elle et dans l'amour, goût à la vie, et l'espoir dans l'avenir.
L'avenir...
Elle se caressa le ventre avec tendresse, comblée en sentant cette vie qui croissait en elle. L'avenir, c'est lui, ce petit bout porteur de promesses de bonheur, le fruit de l'amour le plus pur et le plus fusionnel qui puisse exister. Après tant de drames, ce bonheur qu'elle touchait du bout des doigts existait-il réellement ? Elle tremblait rien qu'à l'idée qu'on vienne le lui enlever.
Elle se secoua. Il fallait qu'elle écarte cette peur irrationnelle. Le bonheur était là , et il n'y avait aucune raison qu'il ne dure pas. Il lui suffisait de regarder autour d'elle pour s'en convaincre. Tout respirait la sérénité, la joie de vivre, et cette tranquille confiance que rien ne peut ébranler. Chaque objet, chaque meuble avait un effet apaisant sur elle, de par leur présence familière et rassurante.
Elle étendit les draps sur le lit, puis arrangea les tentures du ciel. Tout devait être parfait pour la petite chipie pour qui elle avait déjà autant d'affection qu'envers une sÅur.
Elevée seule, elle avait souvent rêvé ce que pouvait être sa vie avec des frères ou des sÅurs. Et nul doute qu'Aelys représentait pour elle tout ce qu'elle aurait pu vouloir chez une sÅur.
Coton se jucha sur le lit en miaulant, réclamant une caresse. Gwenn éclata de rire et prit le chaton délicatement dans ses bras.
Oh, Coton ! Vilain petit chat, tu ne voudrais pas mettre des poils partout sur le lit propre voyons !
Elle joua avec lui pendant quelques minutes, lui chatouillant le ventre. L'animal en ronronnait de plaisir, agitant ses petites pattes maladroites sans chercher à sortir les griffes. Puis elle le reposa sur une commode, et Coton miaula à nouveau, de protestation cette fois.
Anubis, couché en sphinx à l'entrée de la pièce, ne perdait pas une miette de la scène. Il gardait un Åil vigilant sur la jeune femme, comme le lui avait demandé son maitre avant de partir, tôt dans la matinée. Phé était inquiet pour elle et renâclait de la laisser seule dans son état. Il avait donc confié à son frère loup le soin de veiller sur elle en attendant son retour.
Elle rangea quelques affaires dans la malle sise au pied du lit, vérifiant que rien n'y manquait. Elle se voulait irréprochable, hôtesse parfaite pour sa future belle-sÅur. Elle se redressa et fut brusquement prise de vertige, alors que des étoiles lui passaient devant des yeux.
Un coup de fatigue. Se dit-elle. Je ne suis pas encore remise de notre route, et j'en ai trop fait aujourd'hui.
Pourtant, le vertige ne cessait pas, et une sourde douleur au ventre l'assaillit. Elle fit quelques pas, se tenant le ventre à deux mains comme pour se soulager du poids, la respiration courte, et s'appuya sur la commode.
Anubis s'était levé, aux aguets. Elle cru lire de l'inquiétude dans son regard. Mais les humains avaient tendance à l'anthropomorphisme sur leurs compagnons à quatre pattes, elle ne devait sûrement pas déroger à la règle.
Pourtant, le loup la regardait avec insistance, les oreilles pointées, puis se mit à gémir doucement. Elle se força à sourire, alors que la douleur devenait de plus en plus lancinante.
Ne t'en fais pas. Haleta-t-elle. Ce n'est qu'une petite douleur, ça va passer...
Loin de passer, la douleur arriva à son paroxysme, la plia en deux sur la commode qu'elle agrippa des deux mains. Elle avait chaud, elle avait mal, elle ne comprenait pas... ou ne comprenait plutôt que trop bien, ce qui lui arrivait.
Quelques instants plus tard, la douleur s'en alla et son ventre se détendit, la laissant sans forces, essoufflée, immobile et frissonnante.
Ce n'est rien. Dit-elle à haute voix, pour le loup comme pour elle même. C'est déjà passé, je vais mieux, ce n'est qu'une fausse alerte.
Pendant de longues minutes, elle ne bougea pas, comme à l'écoute de son propre corps. Elle essuya son front en nage d'un revers de bras, et déglutit péniblement. La panique s'empara alors d'elle. Et si ce n'était pas une fausse alerte ? Et si le bébé avait décidé de cet instant pour montrer sa jolie petite frimousse ? Elle était seule, avec pour tout compagnons un chaton et un loup, qui ne seraient hélas pas d'une grande aide pour l'enfantement.
Il fallait qu'elle aille chercher de l'aide, il fallait qu'elle...
Une nouvelle contraction, plus violente, l'interrompit dans ses pensées et la fit gémir. Elle serra les dents. C'était irrationnel, effrayant ! Elle sentait son ventre se tendre sans qu'elle ne donne aucun ordre en ce sens, et sans qu'elle ne puisse rien contrôler !
La contraction passa à son tour, la laissant encore plus fatiguée, plus apeurée, et elle cala sa tête entre ses bras croisés sur la commode pour tenter de retrouver une respiration normale. Elle sentit alors quelque chose la toucher doucement sur la cuisse et regarda, intriguée. Anubis avait posé une de ses pattes avant sur elle et la regardait tristement. Il laissa échapper un court jappement, alla jusqu'à la porte, revint, jappa à nouveau. Elle comprit la signification de son manège.
Oui, tu as raison. Murmura-t-elle. Je crois qu'il est temps d'appeler ton maître. Tu vas le faire pour moi Anubis.
Elle prit un morceau de vélin, y apposa sobrement les mots suivants : bébé arrive. Le temps lui était compté, elle ne savait pas quand la prochaine contraction arriverait, et c'était si douloureux, si effrayant, qu'elle n'arriverait pas à le supporter seule. Il lui fallait de l'aide. Il lui fallait son Phé. Lui, il saurait quoi faire. Lui, saurait trouver les mots pour la soulager, l'apaiser, la rassurer. Tout se passait toujours bien avec lui. Et aujourd'hui ne serait pas l'exception.
Elle dénoua le ruban de ses cheveux et le noua autour du cou du loup, y attacha le message. Puis elle prit sa tête entre ses mains et lui dit d'un ton suppliant :
Va retrouver ton maitre, va trouver Phébus ! Porte lui ce message mon loup, c'est important !
Sans hésitation, comme s'il comprenait le caractère urgent de la requête, le loup fit volte face et détala hors de la chaumière de toute la vitesse de ses pattes. Elle le regarda filer par la fenêtre de la chambre, alors qu'une nouvelle contraction menaçait. Elle eu juste le temps de s'allonger sur le lit avant de se tordre à nouveau de douleur.
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