Durant des jours la longue cohorte s'était enfoncée dans ces terres arides sous la protection de l'imposante armée de mercenaires.
En tête de la colonne Dacien se fondait aux quelques guides recrutés pour les conduire jusqu'à Samar Kand. Il avait adopté le keffieh tant pour se protéger du soleil que des tempêtes de sable fréquentes sous ces latitudes et portées par le Chammal et rien, de prime vue, n'aurait pu le distinguer des autochtones. Il cultivait d'ailleurs soigneusement ce don de se fondre, comptant sur cette capacité de s'adapter pour survivre en ces terres qu'il allait falloir désormais pacifier.
Rien dans l'attitude de Coligny qui chevauchait ce jour-là près de lui ne lui avait permis de percer les pensées de son homme de confiance.
Le bourguignon semblait n'avoir aucun état d'âme. Quant à lui, il était devenu plus silencieux encore et seul parfois un reflet dans ses yeux verts animait parfois son visage. Sa voix basse avait encore gagné dans les graves et s'il parlait peu, il était écouté, peut être parce qu'un éclat dans son regard suffisait à dissuader quiconque de le faire répéter.
Parfois un bivouac les rapprochait de bédouins qui revenaient de Samar Kand et parlaient d'un palais fabuleux construit par une impératrice blanche. Il glanait alors quelques informations assez générales toutefois pour le laisser dans l'incertitude quant au devenir des siens.
Lors de ces haltes, il n'était pas rare de le voir s'isoler du campement et seuls quelques gamins osaient s'approcher et déranger sa solitude.
Loin de les chasser, son visage s'éclairait alors et dans leur langue patiemment apprise, il les régalait d'un monde que jamais ils ne connaitraient.
Et ainsi, pour ces enfants, l'espace d'un instant, celui qu'ils avaient baptisé
Amir Hazin partageait avec eux un bout de ciel.
Enfin un soir le chef des guides vint le prévenir qu'ils seraient le lendemain à Samar Kand.
La nouvelle se répandit dans le camp comme une trainée de poudre et les hommes laissèrent éclater leur joie. Craignant les débordements, Dacien fit doubler la garde et convia Coligny et Djalal.ad.Din sous sa tente.
Il les reçut assis en tailleur au milieu de coussins disposés à même le sol et les pria de prendre place auprès de lui.
- Djalal.ad.Din mon ami, j'espère que tu me feras la grâce d'accepter mon invitation à vivre au palais auprès de moi. Et selon la formule consacrée il ajouta :
- Ta famille est ma famille. Djalal.ad.Din voyageait avec son épouse et ses enfants dont Keyla que l'on disait très belle mais que Dacien n'avait jamais vue, soustraite par son père aux yeux des hommes.
- C'est un grand honneur, Amir Hazin, ses yeux sourirent avant d'ajouter,
la réputation d'un homme chevauche devant lui, Seigneur, et aussi loin que porte le vent on raconte déjà l'histoire d'un prince qui chevauche le Shamal.Dacien sourit légèrement. Il est vrai qu'il avait ainsi baptisé le pur sang offert par son hôte. Il inclina le buste.
- Puisse Dieu tout puissant permettre à ce Prince d'apporter la douceur d'une nuit oasienne plutôt que la tempête. M'y aideras-tu, Djalal ?Djalal.ad.Din se contenta d'incliner la tête en signe d'assentiment.
- Coligny veillera à ce que ta famille et toi soyez bien installés. J'aurais sans doute fort à faire auprès de l'Impératrice.Le sourire avait disparu lorsqu'il porta le thé à la menthe à ses lèvres.
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Le palais impérial était à couper le souffle.
Il semblait être sorti de nulle part, déposé là par quelques enchanteurs. Ravi au désert, il surprenait par sa démesure. Les bâtisseurs avaient fait merveille usant des marbres les plus rares et des matériaux les plus précieux.
Laissant à Coligny le soin d'organiser l'installation des hommes, Dacien se fit annoncer.
- Prévenez l'impératrice que son fils ainé est arrivé.Il était encore habillé à la mode berbère ayant juste déroulé son keffieh qu'il avait abandonné aux mains de Coligny.