Nizam
- « Schiffer broke a bottle on Morgan's head,
And I'm stepping on the devil's tail
Across the stripes of a full moon's head
And through the bars of a Cuban jail »*
Jockey Full of Bourbon - Tom Waits
Ses chaines grinçaient contre la rouille roussâtre qui mordait sa geôle. Le fer grattait le fer, la complainte qui s'en échappait était un sifflement cru et strident. Les bracelets d'acier serraient ses poignets moites comme deux bouches de forge dures et froides, mais l'homme d'armes n'avait rien fait pour s'en délivrer. Il les connaissait, ces mâchoires lourdes et sans crocs qui engourdissaient vitement les bras maigres, il savait que le temps les rongeait plus sûrement que ses gestes las contre les tiges de métal. Le mercenaire avait flanqué sa carne contre les barreaux, sa trogne abîmée était tournée vers le couloir des gardes et les autres bestioles du clan. Les torches brillaient, mais elles ne léchaient que la saleté des pierres, incapables de chasser toute la noirceur de l'antre. Tous étaient dans leur cage miséreuse comme des trophées, car qu'était-il plus glorieux pour un procureur que de museler toutes les gueules du Cerbère ?
Les menaces à leur arrivée, dignes d'un verbiage de théâtre, n'avaient causé aucun tremblement de babines, le procureur avait les coupables, si fait, mais guère d'aveux. Il n'était pas le premier dont la verve rompait les oreilles de l'homme d'armes, toutes ses bavasseries était poudre aux yeux, comme un tour de manche connu des saltimbanques pour abuser lil des simples gens. Fallait-il un esprit tors pour trouver une couronne d'aubépine et la lancer, la voix lourde d'un dédain sentencieux, devant la troupe de mercenaires.
Du bruit perça le silence du cachot, le cri vif réveilla l'intérêt de l'angevin pour l'allée des geôliers. Sa trogne se fendit d'un rictus lorsqu'il comprit l'acte de la Sainte, geste vain, mais sanglant. L'ego Corleone était sauf, la peau de l'Hermine l'était moins.
« - Par l'Déos, vot' soeur est r'venue plus couillue qu'avant. »
Il posa alors ses prunelles sur l'épouse et le Tatoué assis contre l'un des murs frustes. Nizam arrêta son regard au frère de l'italienne.
« - Tu f'rais bien d'lui claquer l'museau, rouquine, il r'garde l'vide depuis qu'on nous a fichu là. »
La souillure et l'obscurité donnaient aux geôles l'art de briser les esprits affaiblis, mais le mercenaire ne jugeait pas le clan de cette faiblesse-là, du moins, en était-il encore convaincu.
Balafré se tourna à nouveau vers le couloir, le foutoir de la Sainte avait laissé place à des causeries entre les affidés. Le plan d'évasion de sa Grande Mauvaiseté et du marmot parvint à ses oreilles, ce qui lui arracha du gosier un rire railleur.
« - La rousse est 'vec moi, gamin. Puis, tu f'rais mieux d'rappeler ton rat, il s'ra plus intéressé par l'pain des gardes qu'par des pauv' clés. »
L'homme empoigna les barreaux et se pencha du mieux qu'il le pouvait afin de distinguer la présence des geôliers. Le procureur les flattait en les entourant d'autant d'hommes armés, mais le Balafré avait dû rapidement écarter la possibilité de se tirer du trou pourri dans lequel ils gisaient. L'ennui leur serrerait plus durement la gorge que la pogne des gardes.
De gorge, celle du blond était sèche. Il avait perdu l'espoir de négocier sa gnôle avec des nigauds du Danois depuis que la Sainte avait saigné l'un des leurs. Sans picole, la nervosité de l'angevin montait, et ses chaînes reprirent leur grincement. User le fer était inutile, mais user les oreilles des geôliers et celles du Seurn, ah ! La chose lui paraissait accessible. Nizam se mit longtemps à fredonner un air répétitif, de ceux ordinaires, mais ô combien entêtants, des paillardes de rustauds. Lorsqu'il jugea bonne la rengaine, il y ajouta des paroles avec une voix narquoise à l'encontre des gardes.
« - C'est dans les geôles du Périgord
Que l'Seurn crach' du foutr' jusqu'à l'aurore,
Ce fils de catin n'aura pas mon or
Qui est loin des geôles du Périgord ! »
La Sainte represent.
L'italienne n'était plus là, mais celle qui, la trogne avinée, braillait des mots graveleux comme un lourdaud, méritait que l'on brise à sa mémoire ce qui manquait de pendre dans les braies de la plupart des gardes.
« - C'est dans les geôles du Périgord
Que les gardes ont l'plus mauvais sort
Piner l'Seurn ou crever dans le cruor
Qui souille les geôles du Périgord ! »
Balafré remarqua une agitation dans les geôliers, ça tendait l'oreille. Il adressa un rictus amusé à Arsène, sa voix eut plus d'audace.
« - C'est dans les geôles du Périgord
Que les cris se font les plus forts,
Mais c'pas les taulards, c'pas les butors
Qui beuglent dans les geôles du Périgord !
C'est l'Seurn qui d'mande au garde son rapport
Entre ses cuisses le gus lui file bien fort !
Et c'est dans les geôles du Périgord
Que le fiottard gueule "encore, encore" ! »
Un couinement de femme satisfaite vint conclure en esprit et en finesse le couplet. A défaut d'attirer davantage l'attention des hommes du procureur, le mercenaire se résolut à poursuivre un temps la paillarde à la gloire de l'Eriksen et de son entrejambe.
« - C'est dans les geôles du Périgord... »
*« Schiffer a brisé une bouteille sur la tête de Morgan,
Et je marche sur la queue du diable,
Entre les ombres d'une pleine lune,
Au travers des barreaux d'une prison cubaine »
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