Azylys
Journal de voyage, jour 16 : Grand Duché de Bretagne, Vannes
Parfois le destin tient à vous montrer que vous êtes encore bon à quelque chose, et met sur votre route une surprise pour le moins inattendue.
Non, en effet, elle ne sy attendait pas la brune.
Azylys termine ses bandages, soupire, regarde les bandes couvrant son épaule et ses bras.
Cest bien les pigeons. Ça se pose sur votre table mine de rien et ça repart.
Les rapaces cest plus compliqué, ils cherchent à se poser sur votre bras.
La brune finit, sort son carnet et sa plume, elle ne peut pas manquer de raconter ça, cest laventure de lannée.
La plume court sur le parchemin, lui tirant une légère grimace lorsque le bras tire de trop sur ses blessures.
Vingt-cinquième jour du mois de mai 1460, vingt-cinq entailles sur mes bras au moins.
Il y a des choses prévisibles, et dautres moins. Il y a des choses auxquelles on peut parfois sattendre, et dautres moins.
Et sil y a bien une chose à laquelle je ne mattendais pas, cétait bien celle-là.
Retour en arrière, début de laventure : ce matin à laube.
Après une seconde nuit blanche, je commençais à me lasser du spectacle étoilé et de mon immobilité.
Je me suis donc dit quune ballade au lever du jour, me ferait du bien, dommage, jai eu tort.
Je me suis donc enfoncée un peu plus loin dans la forêt bretonne, puis soudain, jai tendu loreille, je me suis figée.
Des cris, des piaillements, des branches qui se cassent, un météore de plumes qui dégringole des cimes et vient séchouer à mes pieds dans un tourbillon de plumes semblable à celui provoqué par la crevaison dun oreiller.
Ma tête fait des allers-retours, ciel-rapace ratatiné, rapace ratatiné-ciel.
En vain, aucune idée doù il peut bien provenir, je nai pas souvenir davoir croisé des nids aux alentours pendant mes ballades.
La pauvre chose piaille à en fendre le cur et se tortille sous mes yeux.
Il avait lair bien mal en point, ben il nen avait que lair.
Simple jeu que celui des apparences
Je me penche pour lobserver, hésitant sur la conduite à tenir en pareilles circonstances.
Un faucon pèlerin, oh pas bien vieux, suffisamment pour savoir voler, mais trop peu pour être très musclé.
A la façon dont il se tortille, je vois bien ce qui cloche, son aile droite est brisée.
Moi, léternelle âme charitable, toujours le cur sur la main, je me décide à lui venir en aide.
Grand mal men prit, un jour ma gentillesse me perdra, on me la déjà dit.
Dieu sait comment, le jeune faucon était pas si daccord que cela et jai eu bien du mal à limmobiliser.
Je passerai volontiers sur la lutte acharnée entre une guerrière à la retraite et un rapace farouche, mon honneur et ma réputation en dépendent.
Toujours est-il que, étant en voyage, et en repos de surcroît, je ne portais ce matin ni épaulettes ni canons de cuir.
Résultat : lorsquil a pris lidée à ce stupide volatile de saccrocher à mon bras comme à un perchoir, cest dans ma chair quil a planté ses serres et pas dans le cuir.
Je passerai aussi sur le restant du combat, les coups de bec, les serres et le reste.
Je ne ferai quune remarque : jai gagné le combat, Dieu merci.
Jai passé le restant de la journée à maintenir le rapace en immobilité et à panser mes blessures, rien de grave, juste des blessures superficielles qui guériront vite, mais mon honneur en a pris un coup.
Ah, ça, elle est belle la guerrière sans pitié, recouverte de bandages de la paume à lépaule et ce sur les deux bras !
En ce qui concerne ce jeune faucon pèlerin, il est attaché, enfermé et dans le noir, histoire de le calmer.
Il a une belle attelle pour cicatriser en douceur et réparer son os cassé, attelle qui elle aussi ne fut pas simple à mettre en place.
Il ne se débat plus, jai trouvé la méthode universelle. La domination passe par le bec, celui qui nourrit commande.
Cest donc de loin, très loin que je lui ai donné sa pitance aujourdhui, car oui en plus il a fallu que je retourne chasser pour môssieur.
Demain peut-être, je remettrais canons de cuir et épaulettes et je lui apprendrais à se percher EN DOUCEUR sur mon bras pour venir croquer un bout de lapin avec moi.
En attendant, au cas où le nourri-logé-blessé voudrait rester avec la main nourricière au-delà du temps de guérison nécessaire à son aile brisée, je vais passer en taverne et essayer avec laide des Vannetais, de lui trouver un prénom breton, ça peut toujours servir.
Voilà donc comment un rapace est entré sous les ordres de lex-sergente Azylys, et surtout pourquoi je ressemble désormais en partie, à une momie vivante.
Le regard de la belle se tourne vers le rapace qui semble endormi.
Elle se méfie des apparences, encore une fois.
Cette bataille épique la épuisée elle aussi.
La brune passe la main sur son ventre rond, sourit.
Le petit dort, il na rien, tout va pour le mieux.
Cette aventure lui a permis doublier un peu la peine de son cur et de ne plus se préoccuper des mauvais rêves.
Cette nuit, elle dormira sans peine.
Azylys vient se lover contre sa jument couchée sur le sol et pose sa tête sur elle.
Un dernier regard aux étoiles et elle remonte doucement la couverture jusquà son menton, ferme les yeux, épuisée par ces deux nuits sans sommeil.
Ce dernier ne met que quelques instants à la happer, destination un autre monde, où la vie se dessine en couleurs.
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