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[RP] Chroniques d'une épopée : 70 jours en ballon

Azylys


Journal de voyage, jour 16 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


Parfois le destin tient à vous montrer que vous êtes encore bon à quelque chose, et met sur votre route une surprise pour le moins…inattendue.
Non, en effet, elle ne s’y attendait pas la brune.
Azylys termine ses bandages, soupire, regarde les bandes couvrant son épaule et ses bras.
C’est bien les pigeons. Ça se pose sur votre table mine de rien et ça repart.
Les rapaces c’est plus compliqué, ils cherchent à se poser sur votre bras.
La brune finit, sort son carnet et sa plume, elle ne peut pas manquer de raconter ça, c’est l’aventure de l’année.
La plume court sur le parchemin, lui tirant une légère grimace lorsque le bras tire de trop sur ses blessures.




Vingt-cinquième jour du mois de mai 1460, vingt-cinq entailles sur mes bras au moins.
Il y a des choses prévisibles, et d’autres moins. Il y a des choses auxquelles on peut parfois s’attendre, et d’autres moins.
Et s’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était bien celle-là.
Retour en arrière, début de l’aventure : ce matin à l’aube.

Après une seconde nuit blanche, je commençais à me lasser du spectacle étoilé et de mon immobilité.
Je me suis donc dit qu’une ballade au lever du jour, me ferait du bien, dommage, j’ai eu tort.
Je me suis donc enfoncée un peu plus loin dans la forêt bretonne, puis soudain, j’ai tendu l’oreille, je me suis figée.
Des cris, des piaillements, des branches qui se cassent, un météore de plumes qui dégringole des cimes et vient s’échouer à mes pieds dans un tourbillon de plumes semblable à celui provoqué par la crevaison d’un oreiller.
Ma tête fait des allers-retours, ciel-rapace ratatiné, rapace ratatiné-ciel.
En vain, aucune idée d’où il peut bien provenir, je n’ai pas souvenir d’avoir croisé des nids aux alentours pendant mes ballades.
La pauvre chose piaille à en fendre le cœur et se tortille sous mes yeux.
Il avait l’air bien mal en point, ben il n’en avait que l’air.
Simple jeu que celui des apparences…

Je me penche pour l’observer, hésitant sur la conduite à tenir en pareilles circonstances.
Un faucon pèlerin, oh pas bien vieux, suffisamment pour savoir voler, mais trop peu pour être très musclé.
A la façon dont il se tortille, je vois bien ce qui cloche, son aile droite est brisée.
Moi, l’éternelle âme charitable, toujours le cœur sur la main, je me décide à lui venir en aide.
Grand mal m’en prit, un jour ma gentillesse me perdra, on me l’a déjà dit.

Dieu sait comment, le jeune faucon était pas si d’accord que cela et j’ai eu bien du mal à l’immobiliser.
Je passerai volontiers sur la lutte acharnée entre une guerrière à la retraite et un rapace farouche, mon honneur et ma réputation en dépendent.
Toujours est-il que, étant en voyage, et en repos de surcroît, je ne portais ce matin ni épaulettes ni canons de cuir.
Résultat : lorsqu’il a pris l’idée à ce stupide volatile de s’accrocher à mon bras comme à un perchoir, c’est dans ma chair qu’il a planté ses serres et pas dans le cuir.
Je passerai aussi sur le restant du combat, les coups de bec, les serres et le reste.
Je ne ferai qu’une remarque : j’ai gagné le combat, Dieu merci.

J’ai passé le restant de la journée à maintenir le rapace en immobilité et à panser mes blessures, rien de grave, juste des blessures superficielles qui guériront vite, mais mon honneur en a pris un coup.
Ah, ça, elle est belle la guerrière sans pitié, recouverte de bandages de la paume à l’épaule et ce sur les deux bras !
En ce qui concerne ce jeune faucon pèlerin, il est attaché, enfermé et dans le noir, histoire de le calmer.
Il a une belle attelle pour cicatriser en douceur et réparer son os cassé, attelle qui elle aussi ne fut pas simple à mettre en place.
Il ne se débat plus, j’ai trouvé la méthode universelle. La domination passe par le bec, celui qui nourrit commande.
C’est donc de loin, très loin que je lui ai donné sa pitance aujourd’hui, car oui en plus il a fallu que je retourne chasser pour môssieur.
Demain peut-être, je remettrais canons de cuir et épaulettes et je lui apprendrais à se percher EN DOUCEUR sur mon bras pour venir croquer un bout de lapin avec moi.

En attendant, au cas où le nourri-logé-blessé voudrait rester avec la main nourricière au-delà du temps de guérison nécessaire à son aile brisée, je vais passer en taverne et essayer avec l’aide des Vannetais, de lui trouver un prénom breton, ça peut toujours servir.

Voilà donc comment un rapace est entré sous les ordres de l’ex-sergente Azylys, et surtout pourquoi je ressemble désormais en partie, à une momie vivante.


Le regard de la belle se tourne vers le rapace qui semble endormi.
Elle se méfie des apparences, encore une fois.
Cette bataille épique l’a épuisée elle aussi.
La brune passe la main sur son ventre rond, sourit.
Le petit dort, il n’a rien, tout va pour le mieux.
Cette aventure lui a permis d’oublier un peu la peine de son cœur et de ne plus se préoccuper des mauvais rêves.
Cette nuit, elle dormira sans peine.
Azylys vient se lover contre sa jument couchée sur le sol et pose sa tête sur elle.
Un dernier regard aux étoiles et elle remonte doucement la couverture jusqu’à son menton, ferme les yeux, épuisée par ces deux nuits sans sommeil.
Ce dernier ne met que quelques instants à la happer, destination un autre monde, où la vie se dessine en couleurs.

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Azylys


Journal de voyage, jour 17 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La brune sourit. Le rapace la regarde fixement.
Azylys se demande bien s’il la prend pour une proie ou juste s’il attend qu’elle lui donne encore à manger.
Elle le laisse sautiller sur son perchoir improvisé et termine de changer ses bandages.
Elle prend ensuite son carnet et sa plume, trace les lettres sur la page vierge.




En ce 26 Mai 1460, le calme est revenu par ici.
Je suis toujours à Vannes, jusqu’à mardi normalement, nous prolongeons un peu notre séjour.
J’ai construit un petit perchoir improvisé pour le jeune faucon et je l’ai perché là-haut.
Ça m’étonnerait qu’il descende, et de toute façon il est attaché.
Pas de coups de bec aujourd’hui, je le nourris à la main mais je fais très attention à mes doigts. Il les aura pas, na.
Je lui cherche toujours un prénom, c’est compliqué tout de même.
J’espère que ça me prendra moins de temps et de difficulté qu’à choisir le prénom du bébé !

D’ailleurs en parlant de bébé, il se porte à merveille.
Eveillé comme toujours, toujours aussi actif, il promet celui-là.
Ça me fait drôle de penser qu’un jour je n’aurais plus ce gros ventre.
Comme quoi je m’y suis fait finalement.
Certes c’est pas tellement pratique mais ça a son charme…

Je n’ai pas de nouvelles de Toulouse, et ça me manque.
Je ne sais pas trop comment ça tourne là-bas et ça m’inquiète.
Je ne peux rien y faire, mais bon, c’est ma famille de cœur tout de même…
Ils font partie de moi…
Un jour je reviendrai à Toulouse, pour la naissance du bébé.
Je compte sur eux pour être là…


La belle ferme le carnet.
Elle a retrouvé le sommeil et elle sait que c’est essentiel pour se remettre de ses blessures.
Elle range son carnet, se calle à bonne distance du faucon avec sa couverture et s’enroule dedans.
S’il piaille cette nuit et qu’il la réveille, elle le plume…
Azylys regarde les étoiles scintiller, baille, le sommeil ne sera pas long à venir.

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Azylys


Journal de voyage, jour 18 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


Le regard perdu dans le vague, la brune fredonne un air qui lui passe par la tête.
Dans sa main une missive, dont elle a relu cent fois les mots, dans son esprit un chaos, qu’elle ne connait que trop, en son cœur une voix qui susurre quelques mots, dont elle entend encore l’écho.
Passé, présent, futur, tout se mélange, tout se confond.
Elle ferme les yeux un instant, laissant la brise qui joue dans ses boucles brunes remettre un peu d’ordre dans son esprit.
La belle ouvre ses yeux bleu glacé de nouveau, range précieusement la missive, comme un trésor.
Elle serre les lanières de son canon de cuir autour de son bras droit, s’approche du perchoir.
Lentement elle détache le lien qui retenait le rapace attaché à celui-ci, le lie à son poignet.
Le bras jouxtant le perchoir, elle invite du regard le faucon à faire un pas.
Cri rauque en réponse, la brune attend toujours, comme figée dans son élan.
Enfin, le rapace se décide, et d’un bond, change de perchoir.
Azylys sourit, il est lourd, certes, mais cette fois c’est bien dans le cuir, et non dans sa chair, qu’il plante ses serres.
Elle se rassoit, lui lance un morceau de viande, le faucon l’attrape en plein vol dans un claquement sec d’un bec aussi dur que de la pierre.
La brune pousse l’expérience un peu plus loin, le fait grimper sur son épaulette.
Le risque est grand, il suffirait d’un coup de bec pour la rendre borgne à jamais.
Mais le faucon pèlerin semble comprendre que personne d’autre n’ira chasser pour lui si elle ne le fait et reste tranquille.
Il semble fixer l’horizon, comme si le vent et l’altitude lui manquaient.
Azylys sort lentement son carnet et sa plume, écrit.




27 Mai 1460, dix-huitième jour depuis mon départ de Toulouse, toujours à Vannes, duché de la mythique Bretagne.
Si ici tout va pour le mieux, les nouvelles de Toulouse ne sont pas bonnes. Le comté est à feu et à sang.
Il semble que la guerre ait attendu mon départ pour éclater, avec plus de violence que jamais.
Je réfléchis désormais à deux fois en me levant le matin.
Il se pourrait bien que bientôt j’aie à rentrer précipitamment si un de mes proches était gravement blessé.
Ça change la donne bien sûr, on regarde à combien de jours on se trouve, on évalue le trajet, on reste sur ses gardes.

Je prie pour eux, pour que mes bonnes étoiles les gardent en vie, pour que tout se règle au plus vite.
Je ne peux rien faire de plus malheureusement.
Ce n’est pas à six mois de grossesse passés qu’on va retourner sur un champ de bataille.
Pour une fois je suis condamnée à penser à moi avant de penser aux autres, et je n’aime pas ça.
J’ai cette impression étrange de devenir esclave de moi-même, privée de certaines libertés, enchaînée à l’arrière pendant qu’au front la guerre fait rage.
L’impuissance est le sentiment le plus énervant au monde.


Et en effet, la brune perd patience.
Que vaut la vie si elle ne sert qu’à être perdue, que vaut le temps s’il ne fait que s’enfuir, que valent les hommes s’ils ne savent que tuer.
Beaucoup de questions pour très peu de réponses.
La belle se relève lentement, repose de nouveau le rapace sur son perchoir.
On est toujours libre de nos choix.
De s’enchaîner ou de rompre nos liens, de s’entraider ou de s’entretuer, de donner la vie ou de la reprendre.
Mais si les hommes savent faire ce qu’ils veulent sans honte ni regret au fil de leurs envies, ils oublient trop souvent les conséquences de leurs actes, et que, tôt ou tard, on est ce que l’on a fait.

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Azylys


Journal de voyage, jour 19 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


Le regard perdu dans le vague, la brune consacre ses forces à se vider.
Se vider de toute pensée, de toute émotion, de tout ce qui pourrait la rendre plus mal encore.
Seulement consciente du poids qui pèse sur son épaule, seulement consciente ainsi qu’il y a encore un monde autour d’elle, elle attend.
Elle attend que le temps passe, que le temps que d’habitude elle voudrait tant retenir, que ce temps là pour une fois passe vite, très vite.
Il y a le jour avant, il y a le jour après, et il y a aujourd’hui, le jour au milieu, le pire. Demain viendra, forcément meilleur.
Les larmes elle n’en a plus, l’amertume elle l’oublie, la rancœur elle l’oublie aussi, la colère également, la tristesse surtout.
Elle s’acharne à tout effacer, elle mure son cœur pour ne plus l’entendre, elle tourne la clef.
Enfin, elle est vide. Vide de toute pensée, de toute émotion, de tout ce qui pourrait la rendre plus mal encore.
Son regard est figé sur l’horizon, ses cheveux défaits par la brise.
Le faucon sur son épaule ne bouge pas non plus, comme conscient que la femme au regard bleu glacé veut croire à cet univers gelé dans le temps.
Rien ne vient rompre cet étrange équilibre qui donne au tableau une impression funeste.
Soudain le vent se lève, si fort qu’il déséquilibre le faucon qui lève l’aile dans un cri rauque pour ne pas tomber.
Le cri a déchiré le silence, c’est trop tard, l’équilibre est rompu, la brune ferme les yeux.
Lorsqu’elle les rouvre, elle aperçoit le carnet, posé devant elle.
Le vent a tourné les pages, vers l’avenir.
La brune prend la plume qu’elle fait tourner lentement entre ses doigts, ouvre la bonne page, se lance.




Le soir tombe enfin sur ce vingt-huitième jour du mois de Mai 1460.
Voilà des heures que j’attends de voir se coucher le soleil, des heures que j’attends de voir scintiller les étoiles, des heures que j’attends l’aube d’un nouveau jour.
Il viendra, mais il prendra tout son temps. Malheureusement, à Vannes le temps ne passe pas plus vite qu’ailleurs.
Je mets ce temps à profit pour apprendre à me maîtriser. Je fais le vide.
Le vide de toute émotion, de toute pensée, j’ai enfermé mon cœur à triple tour, il ne parlera pas ce soir.
Elle est étrange cette façon qu’a l’être humain d’effacer pour se protéger.
D’effacer le bon comme le mauvais, le pire comme le meilleur, ne garder que le vide, le néant.
On souffre moins en étant néant qu’en étant chaos.
Ça marche il est vrai. Combien de temps ? Je l’ignore. J’espère au moins jusqu’à demain.
Effacer, ne serait-ce que temporairement, n’est pas si dur en fin de compte.
On supprime tout, chaque émotion, l’une après l’autre, on l’efface. Puis on s’interdit de penser.
Et quand la tête et le cœur restent muets, il ne reste que le corps pour parler.
Et si vraiment le corps aussi fait mal, on efface ça aussi, on s’efface entièrement.
Seule l’enveloppe vide ne peut pas faire souffrir.
Cette souffrance en moins, on se sent léger, car le vide est léger, si léger que le vent pourrait emporter le peu qu’il reste encore de nous.

Je n’ai pas effacé le corps, je ne le peux. Non par impossibilité, mais par obligation.
Je sais qu’il est vital pour l’enfant que je porte de continuer à me rendre compte si j’ai froid, soif ou faim.
J’efface pour oublier la douleur, pas pour mettre la vie en danger.
En effaçant je ne me fais pas de mal, ni au cœur, ni au corps, ni à l’esprit.
Quand on est suffisamment doué, il parait qu’il suffit de mettre de côté, et que c’est presque instantané, plus besoin d’effacer en somme.
Mais je n’en suis pas encore là, il me faudra du temps, encore, pour y arriver un jour peut-être…ou non.


La brune laisse le carnet glisser à terre, replonge son regard dans la ligne diluée de l’horizon.
Soudain elle frissonne, tremble presque. Le froid s’insinue lentement contre sa peau.
Azylys s’enroule dans sa couverture, remet une bûche dans le feu.
Elle ne doit pas avoir froid, c’est dangereux.
Les étoiles commencent à briller, il était temps.
Bientôt, bientôt viendra demain.

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Azylys


Journal de voyage, jour 20 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


Azylys regarde le soleil se coucher. L’azuré du ciel se pare lentement d’ambre, de pourpre, de feu, de sang.
Meilleure journée qu’hier, forcément. Pourtant même combat, elle garde son cœur enfermé, elle tente de le faire taire.
Il est lourd et plein, trop lourd et trop plein.
Elle aurait tellement à dire si elle le laissait parler, si elle se confiait, à son carnet, dans une de ses lettres, peu importe.
La peur la retient, la peur d’en souffrir plus que d’en être soulagée, la peur de revivre ce qu’elle cherche à oublier, la peur de blesser.
La brune prend sa plume, ouvre son carnet.
Le faucon est perché sur son épaule, la regarde faire, la regarde écrire, une semi-réalité, mélange d’apparences et de vérités.




Ce 29 Mai 1460 est déjà le vingtième jour depuis mon départ.
Une semaine que nous sommes à Vannes et nous y restons encore jusqu’à samedi.
J’ai vu aujourd’hui dans le port le bateau sur lequel voyage Karadoc.
Il sera là demain. Je suis arrivée une semaine avant lui, il avait choisi le mauvais port.

Me voilà de nouveau en train de parler de tout et de rien, de stupides façades, les mêmes qu’on change en sourire lorsqu’il y a du monde, les mêmes qui nous font dire ‘je vais bien’ quand ce n’est pas le cas.
Demain je retournerai en taverne, et je ferai ce sourire, je dirai que je vais bien.
Tout le monde me croira, je garderai ma façade, mes apparences.
Pourtant je ne hais rien de plus que l’hypocrisie, je ne hais rien de plus que de dire ‘oui’ quand on pense ‘non’, je ne hais rien de plus que de tout taire par peur d’en trop dire.
Ai-je le choix ? On dit qu’on a toujours le choix.
Alors je fais ce choix, de ressembler parfois à ce que je hais, je fais ce choix d’être parfois si détestable, si fausse, parce qu’il le faut, parce que c’est ce qui me parait le mieux à faire.

J’ai tort peut-être, je ne le saurais jamais. C’est un cas de conscience, de savoir s’oublier parfois, de savoir faire ce qu’on attend de nous, de savoir se taire quand on voudrait parler.
J’ai encore envoyé une lettre tout à l’heure. J’aurais pu y glisser mille mots que je n’ai pas écrits, j’aurais pu laisser parler le cœur, j’aurais pu parler encore et toujours.
Mais ce n’est pas ce que je pensais la meilleure chose à faire.
Parfois l’instinct, va contre nos valeurs. Lequel suivre ?


Le cri d’un faucon retentit, déchire le silence.
Azylys regarde le rapace sur son épaule. Ce n’est pas lui qui a crié.
Elle se lève vite, le remet sur son perchoir, regarde l’horizon, tend le bras, siffle.
Un faucon vient se percher sur son canon de cuir, porteur d’une missive.
Il vient de loin celui-là, mais elle le connait plus que nul autre.
La brune détache la missive, s’asseoit, son regard bleu glacé parcourt les lignes.
Ses yeux s’embuent, elle essuie du revers de la main la larme qui roule sur sa joue.
La voilà sa principale motivation, ce qui lui donne la force et toutes les raisons d’être parfois si fausse, si haïssable à ses yeux.
Peut-on dire ses doutes et ses peurs à celui qui a besoin d’être rassuré ?
Peut-on dire sa douleur et sa tristesse à celui qui a besoin d’être réconforté ?
Peut-on parler d’un passé douloureux à celui qui espère un avenir meilleur ?
Non. Parfois, parfois il est nécessaire de s’oublier, parfois il est nécessaire d’enfermer le cœur, parfois il faut savoir être ce que l’on hait.
Car parfois les autres ont juste besoin de lumière, de courage, d’espoir, d’affection, pas de savoir ce qui nous ronge.
Azylys passe la chaîne à son cou et la presse contre son cœur.
Elle lui écrira demain, et elle se haïra encore, tout en sachant qu’elle apporte un peu de lumière et de douceur à celui qui en a plus que besoin.

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Azylys


Journal de voyage, jour 21 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La brune se faufile dans les ruelles, rejoint le couvert de la forêt vannetaise, sourit en entendant un cri rauque répondre au bruit de ses pas.
Le faucon l’attendait. Finalement il restera peut-être avec elle lorsque son aile sera remise celui-là…
Azylys s’approche du perchoir, tend le bras, d’un bond le rapace se perche sur son bras, puis rejoint son épaule.
Perché sur l’épaulette de cuir, il détaille l’horizon de son regard doré.
La belle s’asseoit et laisse le bleu de ses yeux se perdre aussi dans la ligne floue de l’horizon.
Elle est plus sereine que la veille, peut-être est-ce d’être retournée en taverne, d’avoir vu du monde.
Un souffle au creux de son cou, la jeune femme sourit en frissonnant.
Elle tend le bras, flatte l’encolure de sa jument. Leur a-t-elle tant manqué en s’absentant quelques heures ?
Elle sort son carnet, tourne rapidement les pages, s’arrête à la première page vierge et prend la plume.




Vannes, 30 Mai 1460, jour plus animé que les précédents.
Pour cause je suis retournée en taverne, ce que je n’avais pas fait depuis quelques jours.
J’espérais y croiser Karadoc qui est enfin arrivé à Vannes, mais il faut croire que même en nous donnant une heure précise nous sommes incapables de nous y tenir ! Non non je n’ai pas réussi à le croiser.
Cependant, le hasard laisse toujours de bonnes surprises sur son chemin, et pour cause !
Le premier breton qui est entré en taverne, le premier à qui j’ai parlé depuis des jours, était justement le parrain et cousin de Kara !
Le monde est petit, tellement petit.

A ce propos d’ailleurs, la Dilla que j’avais croisé il y a quelques mois à Toulouse est tavernière ici, dans l’une des treize tavernes, si si je le jure y’en a encore une de plus, cette ville bat tous les records.
La Bretagne en général bat tous les records.
J’ai appris aujourd’hui la clef du langage breton : fait un pas, il changera !
D’après ce que Dalton, le cousin de Kara, m’a expliqué aujourd’hui, il y a cinq provinces bretonnes qui ont chacune un breton différent de la province voisine, bien que tout soit à l’origine du même breton initial. Compliqué, n’est-il pas ?
En somme, j’ai énuméré les mots bretons que je connaissais déjà, pour la plupart, soit il existait une variante plus utilisée, soit le mot breton était pas vraiment le bon, soit la traduction que j’avais n’étais pas la même !
Comment voulez-vous que j’apprenne une langue déjà si compliquée si en plus mes professeurs successifs ne sont pas du même avis ?!
C’est aussi compliqué que l’occitan, une langue qui a dix variantes.
Et puis on m’a conseillé de visiter l’Irlande aussi, décidément si ça continue c’est le tour du monde que je ferai !
En tout cas, je m’en souviendrais longtemps de la Bretagne…


Azylys ferme précipitamment le carnet, face à Brume qui tente de lui en manger quelques pages.
La brune la gronde en riant, il faut croire que l’écriture d’un journal de voyage n’est pas du goût de tous, certains manquent de patience.
La belle cède, on ne résiste pas bien longtemps à l’appel d’une promenade nocturne, peu importe qu’on en soit à six mois et demi de grossesse ou non…

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Azylys


Journal de voyage, jour 22 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La brune s’allonge dans un soupir de contentement et ferme les yeux. Folie quand tu nous tiens…
La belle a passé la journée à cheval, elle est épuisée.
Elle pourrait s’endormir maintenant après tout, elle a envoyé son courrier du jour, personne n’a plus besoin d’elle, elle est tranquille…
Un petit poing qui frappe dans son ventre, la brune fronce les sourcils.
Pourquoi faut-il toujours que tu te réveilles quand je compte m’endormir, chenapan…
Azylys caresse doucement son ventre, espérant peut-être que le bébé se rendorme.
C’était oublier le caractère des deux parents, deuxième coup, la brune grommelle, même pas né et déjà têtu comme pas permis.
Elle se redresse sur ses coudes, regarde son gros ventre rond. Dommage, l’hypnose ça marche pas non plus.
La jeune femme se redresse, le carnet tombe d’un pli de sa cape, la belle le ramasse, sourit.
Elle a oublié d’écrire aujourd’hui, c’est vrai, mais elle est si fatiguée…faut vraiment qu’elle le fasse ce soir ? Rater un jour c’est pas si grave…
Troisième coup, la brune peste, c’est bon c’est bon elle va l’écrire cette page, pas la peine de taper comme ça…




Dernier jour du mois de Mai 1460, tard, très tard, trop tard pour écrire mais bébé insiste.
Il me laissera pas dormir tranquille tant que je n’aurais pas écrit.
Têtu comme ça deux mois et demi avant de naitre, ça promet…

Le pourquoi il est si tard et pourquoi je tombe de sommeil et par conséquent aurais bien aimé dormir au lieu d’écrire, n’est-ce pas chenapan, se résume facilement : ballade en forêt.
Non pas la petite ballade tranquille qui dure deux heures et finit par une sieste, non non, la vraie de vraie, celle qui prend toute la journée, à cheval avec le faucon sur l’épaulette, celle qui prend des allures d’entrainement militaire !
En effet, nous reprenons la route normalement après-demain. Vers où, ça je n’en sais rien, seul Gael et Thais le savent.
Et le faucon pèlerin a toujours l’aile cassée donc il ne peut pas voler.
J’ai donc passé la journée à essayer de lui apprendre à rester sagement perché sur mon épaule quand je voyage à cheval.
Bonjour la galère. Rien que pour le faire monter sur mon épaule une fois à cheval c’était épique.
Enfin, on a fini par y arriver, au moins je suis sûre d’être prête pour le départ.

A ce propos je n’ai toujours pas croisé Karadoc, normal certes puisque je n’ai pas mis les pieds en ville de la journée.
Je n’ai pas non plus de nouvelles de Toulouse, ce qui se comprend, je pense bien qu’ils ont d’autres choses à faire que de m’écrire en pleine guerre, c’est vrai.
Enfin, tout cela viendra peut-être demain.
D’ailleurs maintenant que j’ai écrit, j’espère que le bébé va bien vouloir me laisser dormir…


La brune range le carnet et la plume, s’allonge de nouveau et remonte la couverture sur elle.
La voûte étoilée lui sert de toit, les cimes forment comme un écrin autour d’elle.
Azylys fait jouer doucement les pendentifs sur leurs chainettes, trois chaines : l’onyx pour les esprits qui veillent sur elle, l’anneau pour sa petite famille, et la dernière pour l’homme qu’elle aime.
Son regard se perd encore une fois dans les étoiles.
La belle ne résiste pas longtemps au sommeil, ses yeux se ferment doucement, elle pose sa main sur son ventre avant de rejoindre le pays des rêves, là où les distances et les limites n’existent pas, là où il la prend dans ses bras…

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Azylys


Journal de voyage, jour 23 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La belle regarde le ciel avec un sourire. Les étoiles brillent comme jamais.
Elle sait que beaucoup dorment déjà, elle sait qu’elle mettra davantage de temps à trouver le sommeil.
Et pour cause c’est sa couverture, et non les bras qu’elle voudrait, dans laquelle elle se blottit.
Brume dort aussi, le faucon de même, seule la brune est encore éveillée, ou presque.
La main sur son ventre, elle laisse le bébé taper doucement au creux de sa paume, comme pour lui dire qu’elle ne peut plus être seule désormais.
Bientôt sept mois…bientôt le bébé prendra place la tête en bas, puis encore deux mois et elle l’aura dans les bras.
La brune essaye de s’imaginer mère avec un loupiot dans les bras, elle a encore du mal à se le représenter.
Elle n’arrive même plus à concevoir que bientôt elle n’aura plus son gros ventre, qu’elle pourra de nouveau grimper, s’entrainer, laisser Brume partir au galop, se battre.
Azylys se demande si elle sera une bonne mère, aussi têtue et curieuse qu’elle est.
Elle pense aux mères qu’elle connait, elle pense à Aaricia, elle pense à Ev, elle pense à Thais.
Elles ont su, elles, être de bonnes mères.
La brune ne sait pas vraiment ce que c’est, elle n’a jamais eu de mère pour le lui montrer, elle espère juste que quand le moment viendra, elle saura faire, elle sera à la hauteur.
La belle prend la plume, trace les lettres sur la page du carnet.




Premier jour du mois de Juin, encore et toujours à Vannes, en Bretagne, encore et toujours en forêt.
Voilà Juin déjà, dans un peu plus d’un mois et demi il faudra que je rentre, dans un peu plus de deux mois je serai maman.
Je laisse l’avenir devant, puisque je ne peux le deviner, puisque je peine à l’imaginer.
L’avenir est une succession de points d’interrogation, mais le présent c’est déjà l’avenir d’hier, et le passé de demain.
En parlant d’aujourd’hui, c’est donc à la fois un peu du passé et de l’avenir que je parle.

Tout va pour le mieux, tant pour moi que pour le bébé.
Demain nous devons reprendre la route, et j’espère que nous la reprendrons car l’intérêt d’un voyage s’affaiblit, à mesure que l’on reste encore et toujours au même endroit.
Cette notion d’inconnu, de découverte, de magie qui fait la force et la passion du voyage et le rend si prenant, n’existe plus lorsqu’on stagne longtemps au même endroit.
J’essayerai de croiser Karadoc demain, puis nous repartirons, il est temps.

Aujourd’hui je suis retournée voir la mer, oui, à rester ainsi toujours en forêt, j’en oublierais presque que la mer est juste à côté.
J’ai donc changé d’endroit pour mes promenades, désormais ce sera sable, rochers, soleil et vagues.
Demain j’irai voir le lever du soleil sur l’océan.
Je crois qu’il m’a bien fallu ces dix jours de forêt pour me débarrasser de cette lassitude que le bateau avait associée à la mer.
Désormais je la vois de nouveau comme avant, cette étendue bleue liquide qui se fond dans le ciel.
Pourtant, si la forêt me parait moins magique qu’à mon arrivée ici, je ne m’en lasse pas.
C’est peut-être parce que malgré tout je fais chaque jour autre chose, alors que sur le bateau ce n’était pas possible. Ça doit être ça.
J’ai hâte d’être demain, hâte de reprendre la route, de mettre les voiles, de suivre mon chemin, d’aller là où le vent me porte, à défaut d’être une guerrière, je peux bien au moins être une aventurière…


La brune sourit, ferme son carnet.
En souriant elle se rappelle ce qu’on disait autrefois de son légendaire sourire, de son optimisme, de cette bonne humeur qui était toujours la sienne à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
Elle se souvient de ce sourire qui faisait tourner les têtes fuxéennes, qui réconfortait.
Un sourire quand il est vrai, peut vouloir dire beaucoup.
Et elle aimerait tant, parfois, que ceux qu’elle aime lui sourient, d’un vrai sourire, un sourire sincère, de ceux que l’on fait lorsque l’on est réellement heureux, pas d’un vulgaire sourire de façade ou de convenance.

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Azylys


Journal de voyage, jour 24 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La brune regarde l’horizon en souriant.
La main sur son ventre rond, comme souvent lorsqu’elle réfléchit, elle se perd dans ses pensées.
Toujours cette question d’origines qui la travaille.
Ce n’est que des hypothèses pourtant. Ça ne changera pas sa vie pourtant.
Mais elle ne peut cesser d’y penser. Et si, et si, et si… La belle n’en finit pas de réfléchir.
Elle se demande ce qu’elle ferait si elle savait.
Elle se demande comment elle le prendrait, si elle chercherait à retrouver un peu de ses racines, ou une famille qu’elle n’a jamais connue.
Peut-être a-t-elle des sœurs ou des frères, peut-être même des neveux ou des nièces.
Soudain Azylys se rappelle qu’elle n’a pas écrit dans son carnet aujourd’hui et qu’elle a quelque chose d’important à raconter.
Vite, la brune le sort, trempe la plume dans l’encre, écrit.




Vannes, toujours, 2 Juin 1460.
Aujourd’hui, enfin, j’ai croisé Karadoc en taverne !
Si si, tout est possible, tout est réalisable !
Il a quand même fallu attendre le jour supposé de mon départ pour réussir à le croiser, comme quoi le hasard fait bien les choses.
Enfin, à ce propos, je ne pense pas que nous partirons ce soir.
Gael ne savait pas si tout le monde était au courant alors on partira sûrement que demain.
Encore un jour à profiter de la mer et de la forêt et après, à l’aventure !
A propos d’aventure, j’avais dit que si je m’ennuyais en rentrant, je construirais un bateau à Toulouse.
Kara a piqué mon idée ! Il veut faire un bateau, pour aller voyager après.
Le sien sera prêt courant juillet il a dit. Le mien sera peut-être prêt pour juillet…de l’année prochaine, si je m’active !
En tout cas nous nous reverrons, il passera par Toulouse dans deux ou trois mois lorsqu’il descendra dans le sud pour faire du commerce.
D’ici là je serai maman tiens…

Je me demande toujours d’où je viens.
Peut-être de Bretagne, je ne sais pas.
Ça serait amusant que je sois dans mon pays d’origine en ce moment sans le savoir…
Sait-on jamais…


La brune sourit, referme son carnet. Et oui, qui peut savoir ?
La réalité n’est pas toujours celle que l’on croit.
Mais la belle est heureuse, peu importe son origine, elle est heureuse d’avoir vu ce soir des sourires sincères, ça lui manquait.
Azylys s’enroule dans sa couette, regarde les étoiles.
Elle pense à quelqu’un, elle espère recevoir bientôt une réponse à ses missives.
Demain peut-être, qui sait…

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Azylys


Journal de voyage, jour 25 : Grand Duché de Bretagne, Vannes


La brune prend son carnet, le pose devant elle.
Ça lui fait tellement bizarre d’avoir une table pour le poser. Oui car ce soir, elle est en taverne.
C’est rare certes, mais elle avait du monde à croiser avant de partir.
La belle prend sa plume, la trempe dans l’encrier, trace les lettres sur la page vierge.




En ce vingt-cinquième jour depuis notre départ, soit le 3 Juin 1460, je suis toujours à Vannes, mais nous reprenons la route ce soir, et cette fois-ci c’est certain.
Je suis donc en taverne, où Karadoc était censé passer me dire au revoir avant que je file.
Censé oui, parce qu’à l’heure qu’il est il n’est toujours pas passé.
Il a tendance à toujours passer à la dernière minute.
Enfin, j’ai croisé un autre gascon-breton, si même les gascons deviennent bretons maintenant…
Un ancien lieut’ reconverti en semi-brigand en partie de famille avec l’hydre.
Et qui lui aussi veut construire un bateau, comme quoi tout le monde a eu la même idée. Ça fait beaucoup, oui oui je sais.
C’est amusant de parler de tout et de rien, voire de choses plutôt personnelles avec de parfaits inconnus.
Il parait que ma tête inspire confiance aussi. Vrai qu’une femme enceinte de six mois qui sourit tout le temps ça parait inoffensif.
Les apparences sont trompeuses, j’ai l’épée à la ceinture et je sais m’en servir !

Enfin, Karadoc ne passera plus, il est trop tard et je dois filer.
Le groupe m’attend pour partir. Direction Rohan il me semble !
Enfin, je suivrai Gael et les filles, comme toujours, je les laisse me guider où bon leur semble.
Sur ce le ballon reprend sa route, à une prochaine les Vannetais !


La brune a juste le temps de ranger son carnet qu’elle entend Brume hennir dehors.
Elle se précipite à l’extérieur, juste à temps pour entendre le cri perçant d’un faucon.
La belle sourit, tend le bras et un rapace vient se percher sur son canon de cuir.
Elle se souvient encore, hier elle s’était dit ‘qui sait ? Peut-être demain j’aurais une réponse à mes missives…’ La voilà sa réponse, pile à temps.
La brune sourit, détache la missive, laisse son regard bleu glacé courir sur cette écriture qu’elle chérit, laisse le plus beau des sourires naître sur ses lèvres, laisse ses pensées dériver vers la dernière personne qui a posé sa main sur cette missive.
Azylys ne tarde pas, elle reprend sa plume, un parchemin, répond vite, elle sait que sa réponse est attendue à l’autre bout du royaume.
Quelques minutes et le rapace repart, nourri et porteur d’une nouvelle missive.
La jeune femme se hisse sur sa jument, s’installe confortablement sur sa selle et perche son faucon blessé sur son épaulette.
Elle rejoint le groupe, le voyage sera long et fatiguant.
Elle n’en a cure, elle tient les rênes d’une main, de l’autre la lettre qu’elle relit encore et encore, comme elle le fera sûrement toute la nuit.

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Azylys


Journal de voyage, jour 26 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune baille, s’étire doucement, la fatigue de la nuit passée sans sommeil commence à se faire durement ressentir.
Le bébé dort déjà au creux de son ventre, fatigué aussi peut-être.
La forêt autour d’eux bruisse comme jamais.
Chaque feuille semble s’accorder avec sa voisine pour créer ce doux effet de balancement qui invite au sommeil aussi sûrement qu’une berceuse.
Les étoiles brillent comme des phares, faisant scintiller les trois chainettes au cou de la belle.
Elle profite du clair que la lune lui offre pour sortir son carnet et sa plume.
A chaque jour sa geste, à chaque jour une page vierge et un peu d’encre.




En ce 4 Juin 1460, je peux enfin changer un peu de discours : nous ne sommes plus à Vannes, mais à Rohan !
Exit les Vannetais, demat les Rohannais ! Moins fêtards que leurs voisins et bien moins nombreux à la nuit tombée, ils sont pourtant encore quelques-uns dans les quelques huit tavernes de la ville.
Si c’est toujours la forêt qui nous abrite, le marché défie toute concurrence, tant par ses prix bas que par la haute teneur de ses taxes !
Certes, il n’y en a pas du tout sur certaines denrées taxées par chez nous, mais tout de même la taxe atteint parfois un dixième du prix pour certains produits !

J’ai remarqué aussi que les lices sont plus pleines en Bretagne que par chez nous.
Ceci est dû au caractère breton par excellence, je suppose…
J’essayerai de croiser un Rohannais demain, histoire de voir si ça parle plus breton ici qu’à Vannes !
Demain nous mettrons sûrement le cap sur Rennes, et pour cause nous ne pouvons repartir ce soir, Aelis s’est trouvée quelque occupation en ville et on ne peut tout de même pas partir sans la piratesse de huit ans, ça serait un scandale.

En tout cas, l’hospitalité des bretons restera dans les registres, j’ai reçu une missive du conseil municipal de Vannes qui nous souhaitait un bon voyage et une missive de celui de Rohan pour nous souhaiter la bienvenue.
Il ne reste que nos laissez-passer à prolonger.
Nous ferons encore une pause à Rennes, puisqu’apparemment nous avons du monde à y voir.
Sur ce je m’en retourne faire un somme, demain sera une longue journée, et une longue nuit à cheval surtout.


La brune ferme le carnet, le glisse dans les plis de sa cape.
Un bâillement la reprend, décidément elle est vraiment de moins en moins résistante.
Le temps de s’allonger et de clore ses paupières, le sommeil ne se fait pas attendre.
Demain viendra bientôt, plus riches en surprises encore, si Dieu le veut…

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Azylys


Journal de voyage, jour 27 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


En effet, Dieu l’a voulu, il lui a fait une journée pleine de surprises, où plutôt, une énorme blague.
La brune peste, grommelle, râle, ronchonne, grimpe en selle, non sans une grimace de douleur.
Enfin assise, elle laisse les étriers se balancer dans le vide, laisse ses jambes se reposer un peu, souffle.
Elle jette un regard désapprobateur et rancunier aux cieux, n’a-t-on pas idée de se distraire ainsi en jouant avec une femme enceinte de presque sept mois ?
La belle sort son carnet, l’appuie sur le pommeau de la selle pour pouvoir écrire et sort sa plume.
Elle va assassiner sa Divine Grandeur à grands coups de plume.
Faudrait qu’il réapprenne à fabriquer des destins namého…




Aïejourd’hui, 5 Juin 1460, encore à Rohan pour le moment.
Je ne sais pas si le départ est maintenu pour ce soir, je n’ai croisé aucun de mes compagnons de route en ce jour.
Pourquoi ? Parce que le Très-Haut a entendu mes prières, il m’a fait une énorme surprise.
Mais on doit pas avoir le même humour lui et moi.

J’ai voulu clôturer ce passage à Rohan par une petite ballade ce matin en forêt, PETITE j’ai dit.
Je suis donc partie comme toujours un peu à l’aventure entre les troncs, c’était oublier que la forêt bretonne vit et possède une âme, mais aussi que Dieu est TRES joueur.
D’habitude on s’en cantonne aux traditionnels jeux de hasards tous les deux, mais aujourd’hui il avait décidément envie de me regarder galérer.
Comment faire galérer une ancienne guerrière enceinte de sept mois ?
Mais perdez la dans la forêt bien sûr ! Ah ça, il a bien réussi son coup et il a dû bien en rire !

Comment expliquer, comment désigner cette méchante farce avec des mots, comment mettre des lettres sur un millier de points d’interrogation et d’allers-retours ?
Pour faire simple, je me suis perdue, comme toute personne censée, j’ai fait demi-tour, mais soit la forêt s’éclate à bouger quand j’ai le dos tourné, soit le bébé a aussi absorbé mon sens de l’orientation.
J’avais jamais demandé de jouer à un-deux-trois-soleil !
Tu tournes le dos, et même si tu comptes pas, tout bouge. Tu te retournes, paf ! Immobilité parfaite.
C’est la seule explication possible, Dieu s’amuse à faire bouger les arbres et les chemins dans mon dos.

Bref il a dû avoir pitié du pauvre ballon que je suis et qui en avait plus que marre et plus que mal aux pieds.
Essayez toujours de trainer votre carcasse dans une forêt pendant des heures quand un p’tit loup vous a fait pousser dix kilos sous le nombril !
Bref, il a remis le chemin en face de moi et j’ai retrouvé Brume qui me sert actuellement de chaise à porteurs.
Sur ce, je vais essayer de trouver les autres.
Et toi, Tout Puissant Farceur, tu auras à répondre de tes plaisanteries le jour où je viendrais faire un tour par chez toi !


La brune range son carnet, râle encore, laisse Brume la guider dans les ruelles.
Allez, allez, le groupe doit pas être loin, si ça se trouve, ils l’ont cherchée toute la journée…

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Azylys


Journal de voyage, jour 28 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune s’adosse contre un arbre, ferme les yeux.
La lisière de la forêt n’est pas loin, depuis les évènements de la veille, elle reste plus proche de la sortie désormais.
Le Tout Puissant Farceur l’aura une fois, mais pas deux.
Tant pis pour lui, il devra chercher un autre moyen de distraction que perdre des femmes enceintes dans des forêts.
La belle glisse une main dans les plis de sa cape, en sort une lettre qu’elle relit pour la centième fois au moins.
Elle sourit, passe doucement une main sur son gros ventre rond, le signal retour ne se fait pas attendre, le petit loup ne dort pas, pas encore.
La brune sort son carnet et sa plume, tourne les pages en souriant, se lance.




Sixième jour de Juin 1460, toujours dans la forêt Rohannaise.
Je regarde le soleil descendre doucement à l’horizon, bientôt viendra l’ambre puis le pourpre, bientôt viendra l’indigo puis le bleu presque noir de la nuit.
Ce n’est pas aussi beau qu’un coucher de soleil sur l’océan mais c’est magique tout de même.

Suite à mes aventures de la veille, j’ai dormi une bonne partie de la journée. Quand je me suis réveillée il était plus de midi.
Je crois que les femmes enceintes, en plus de perdre leur endurance, souffrent d’un temps de récupération beaucoup plus long.
Enfin, je pense que le jeu en vaut la chandelle mais tout de même, dormir autant, ça ne m’arrive pas souvent.

Au réveil je me sentais bien mais c’était me réjouir trop vite : lorsque je me suis levée, j’ai constaté avec regret que les femmes enceintes sont aussi davantage sujettes aux courbatures.
Voilà ce qui explique que je n’ai pas fait grand-chose du reste de ma journée.
En somme, mes affaires pour le départ sont prêtes depuis longtemps, je n’attends que le feu vert de Gael pour les rejoindre et mettre les voiles.
Il me semble pourtant que nous ne partirons pas ce soir mais au mieux demain.
De toute façon le trajet promet d’être long, il ne nous suffira pas d’une journée pour rallier Rennes, il nous faudra faire une pause sur la route.
Loin de tout en somme.
Enfin, nous verrons bien, qui sait, ça ne sera peut-être pas si ennuyeux que cela…


La jeune femme lève ses yeux bleu glacé vers les cieux.
Elle préfère encore que ce soit ennuyeux plutôt que le Farceur lui refasse une surprise comme la veille.
Le soleil se couche enfin, faisant scintiller les chainettes à son cou.
La brune sourit et y porte la main, il y a beaucoup de monde qui la soutient, et beaucoup qui veille sur elle, ils se débrouilleront bien avec sa Grandeur pour lui arranger une jolie journée sans surprise…

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Azylys


Journal de voyage, jour 29 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune tangue doucement sur sa selle, le roulis régulier du pas de la jument va finir par l’endormir si elle ne s’active pas.
La belle se rappelle alors qu’elle n’a pas encore écrit aujourd’hui.
Malgré le rapace perché sur son épaule, qui se fait lourd mine de rien sur son épaulette de cuir, elle parvient à extirper son carnet des plis de sa cape.
La lune éclaire le chemin comme en plein jour et la lumière se reflète sur la page du carnet comme si le parchemin brillait de lui-même.
La brune sort sa plume, calle le journal contre le pommeau de la selle pour pouvoir écrire.




On the road again… après une quatrième journée rohannaise, en ce 7 Juin 1460 nous sommes enfin sur la route de Rennes.
Nous sommes partis dans l’après-midi, un long voyage nous attend : il nous faudra deux jours pour rallier Rennes.
L’idée de s’arrêter pour camper sur la route ne nous emballe pas vraiment mais nous n’aurons pas le choix.
Je ne sais même pas s’ils ont prévu des tours de garde ou quoi que ce soit.
C’est dangereux tout de même, nous ne sommes pas un groupe très…offensif.
Trois enfants de moins de dix ans, une femme enceinte et un couple, plus un faucon dont l’aile est cassée. En somme, une belle troupe de bras cassés.
Même si on peut me compter comme une ancienne guerrière qui sait se servir de son épée, ça ne fait toujours que trois lames pour défendre tout ce beau monde.
Autant croiser les doigts et prier pour ne croiser personne.

Je n’ai aucune nouvelle de Toulouse et je crains le pire.
La dernière missive qui m’est parvenue ne contenait pas que des bonnes nouvelles ni de quoi espérer un retour rapide au calme.
Je m’inquiète beaucoup, on m’a interdit de revenir avant que tout soit terminé, et vu mon état c’est sûrement la plus sage et la meilleure chose à faire.
Pourtant je me dis que je ne peux pas et que je ne pourrai pas les protéger, je me dis que s’il leur arrivait quelque chose je ne pourrais rien faire, je me dis que je suis à des centaines de lieues et que s’ils avaient besoin de moi j’arriverais probablement trop tard.
J’ai peur, peur de ne jamais les revoir, peur de perdre cette famille de cœur qui attend mon retour à Toulouse, peur de ne plus rien retrouver en revenant.


La brune jette un regard anxieux vers les cieux.
Sans s’en rendre compte, elle porte la main à l’onyx qui scintille à son cou.
Faites qu’il ne leur arrive rien, veillez sur eux… Elle espère que ses bonnes étoiles protègent aussi les gens qu’elle aime, elle espère que tout ira bien.
Le bleu glacé de ses yeux perdu dans les étoiles, elle cherche celle qui surplombe Toulouse, elle cherche cette étoile qu’on regarde peut-être de sa capitale en pensant à elle…

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Azylys


Journal de voyage, jour 30 : Grand Duché de Bretagne, sur la route de Rennes


Un pigeon sur l’épaule, bien moins lourd que les habituels rapaces, la brune sourit en terminant la lecture d’une missive.
Ses yeux bleu glacé s’accrochent à un détail, la belle lit entre les lignes, comme souvent, et ce qu’elle lit la rend heureuse.
Amusée, elle ne tarde pas pour répondre à son amie, rédige une longue lettre et la confie au pigeon toulousain qui repart dans l’autre sens, vers le Sud.
Azylys prend ensuite son carnet, le pose sur son gros ventre rond.
Elle tourne les pages, choisit la bonne, prend sa plume de nouveau.




8 Juin 1460, sur les chemins entre Rennes et Rohan.
Je ne saurais dire où je me trouve précisément, je sais que nous sommes censés aller vers l’Est pour rallier Rennes.
Censés en effet car je ne vois nulle trace de Thais et cela m’inquiète, les soucis de coordination ne nous auront finalement pas épargnés.
Je suppose qu’elle a dû rester à Rohan, il est alors probable que nous retournions sur nos pas, décidément celle ville ne veut pas nous laisser partir.
A ce propos, j’ai reçu une lettre du conseil municipal de Rohan pour nous souhaiter bon départ et bon voyage, je pense donc que c’est l’illustration de cette hospitalité bretonne si particulière…

Et, fait quasi-exceptionnel, j’ai des nouvelles de Toulouse !
Elles ne sont pas toutes bonnes, certes les brigands et la guerre civile sont toujours là, certes Themis n’a pas l’air bien, mais Ev et Ondelin ainsi que ma filleule se portent à merveille et mieux que cela, j’ai deviné un évènement à venir plus que prometteur !
Je connaissais la Rosy femme fatale, j’ai connu presque avec surprise la Rosy femme mariée, et je crois bien que nous allons connaître la Rosy femme enceinte…

D’après sa lettre, je devine déjà les premiers signes de la grossesse, et en sourit : le destin a voulu que les trois amies se suivent, Ev n’avait pas terminé que déjà je commençais, je n’ai pas encore terminé que déjà Rosy commence…
Nous sommes en train de repeupler Toulouse à nous trois, et plus encore, nous sommes en train de créer une future bande de louveteaux inséparables, les Trois Mousquetaires…à moins que Rosy nous en cache plus d’un…


La brune sourit et ferme son carnet, il lui reste encore une lettre à écrire.
Elle prend un parchemin vierge et reprend encore sa plume.
Le bébé vient faire doucement bouger la missive en équilibre sur son ventre, il a déjà dû comprendre, à qui cette lettre s’adressait.

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