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[RP] Chroniques d'une épopée : 70 jours en ballon

Azylys


Journal de voyage, jour 31 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune a retrouvé la ville et cherché la blonde en vain, Thais est introuvable.
Elle s’asseoit alors parmi les troncs de la forêt rohannaise et sort un carnet des plis de sa cape.
La couverture de cuir en est déjà usée et il y a de quoi : il en aura fait de la route ce journal…
La belle passe la main sur son ventre rond et prend sa plume, aujourd’hui est un jour particulier…




Aujourd’hui, 10 Juin 1460, je suis partie depuis très exactement un mois.
Il y a un mois je quittais Toulouse, il y a un mois je quittais ma terre natale pour partir en voyage, il y a un mois les remparts toulousains étaient dans mon dos et je mettais les voiles.
Déjà un mois que je ne l’ai vu, déjà un mois que je ne les ai vus, déjà un mois qu’ils ne m’ont vue.
S’ils voyaient maintenant le gros ventre rond que je porte !
Ça me semble déjà une éternité, pourtant ça ne fait qu’un mois, c’est dur à croire.
Ils me manquent tellement mes toulousains…

Pourtant je sais que je ne suis pas prête de revenir, en espérant que la guerre civile s’achève avant que je ne doive y retourner.
Je suis à l’autre bout du royaume et j’aime cela, moi qui n’aimait pas voyager, qui l’eut crû ?
Me voilà voyageuse, voyageuse de long court, de celles qui franchissent toutes les frontières et voguent sur les mers, de celles qui s’arrête parfois sur le chemin ou partent à l’aventure là où le destin guide leurs pas.

Et pourtant l’aventurière est revenue sur ses pas, aujourd’hui nous sommes de nouveau à Rohan.
En somme, sur un mois de voyage nous en avons passé plus de la moitié en Bretagne, à Vannes puis à Rohan.
Nous avons fait demi-tour car Thais est introuvable.
Nous la cherchons partout en ville, Gael se fait un sang d’encre.
Je me demande bien qui se serait fait un sang d’encre si à l’époque où j’y étais encore, j’avais disparu dans Toulouse.
Enfin, peu importe, nous allons continuer à la chercher, et j’y retourne encore, énième patrouille, énième espoir.


La brune range son carnet et sa plume, rabat sa cape sur ses épaules, fait grimper le faucon sur son épaulette de cuir.
Elle se hisse en selle, saisit les rênes, la jument se met en marche lentement, retournant vers les ruelles.
Laissant le vent jouer dans ses boucles brunes, Azylys scrute chaque recoin de la ville de son regard bleu glacé, cherchant désespérément une chevelure blonde…

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Azylys


Journal de voyage, jour 32 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


L’onyx roule doucement au creux de sa paume, le regard de la brune est perdu dans les étoiles.
Elle se souvient, non pas d’évènements mais de personnes, non pas de faits mais de liens, non pas d’actions mais d’amitiés.
Elle se souvient de tous ceux qui sont partis trop tôt, trop vite.
Elle revoit leurs visages, elle revoit leurs sourires.
L’onyx roule dans sa paume comme ses pensées tournent en rond dans son esprit.
Elle se demande bien où ils sont désormais, combien de sa famille vont tomber encore.
Elle se demande bien s’ils la voient, s’ils sont toujours là.
Elle aimerait tellement pouvoir leur sourire à nouveau, pouvoir rattraper le temps, rattraper l’absence.
Elle sait combien c’est important de passer du temps avec ceux à qui elle tient avant qu’il ne soit trop tard, elle sait que pour certains il est déjà trop tard.
La belle prend la plume, la pose sur la page vierge du carnet.




En ce dixième jour de Juin 1460 nous sommes toujours à Rohan.
Je n’ai pas de nouvelles, ni de Thais, ni de Gael.
Nous ne sommes pas prêts de repartir je le crains.
Je tourne en rond dans cette ville, elle est beaucoup moins animée que Vannes.
Peut-être plus une ville à l’image de Toulouse, pleine, mais vide.

A propos de Toulouse, j’ai envoyé aujourd’hui plusieurs courriers.
A ma blonde bien sûr, à Themis aussi, même à mon fillot.
Je ne comprends pas vraiment ce besoin que je ressens aujourd’hui de vérifier tous qu’ils sont encore là.
J’ai pensé à mon parrain de baptême, j’ai pensé à Pentha qui était un frère pour moi bien avant d’être un parrain.
J’ai pensé qu’il était mort, et j’ai pensé à tous ceux que j’ai connus, qui faisait partie de ma famille de cœur et qui sont éteints aujourd’hui aussi.
J’ai pensé à toutes les vies qui sont derrière moi désormais, à toutes celles qui sont devant.
Et je me suis demandé ce que je trouverais en rentrant.

Je me suis demandé si ma famille de cœur, si les êtres qui me sont chers seront encore là.
Je me suis demandé combien d’entre eux manqueront à l’appel, combien d’entre eux je ne reverrai jamais, avec combien d’entre eux j’aurais dû passer plus de temps avant qu’ils ne s’envolent.
Je ne comprends pas cette peur que j’ai ce soir que tout s’écroule.
Cette peur de ne rien retrouver en rentrant, cette peur de se perdre presque.
Et je donnerais cher pour les serrer tous dans mes bras, pour me blottir dans leur bras et vérifier qu’ils sont encore là.

A mes Toulousains, à mes amis, à ma famille de cœur, à ma future famille de sang, je ne vous oublie pas, je ne vous oublierai jamais…


La brune ferme son carnet et le range dans les plis de sa cape.
Non, décidément elle ne comprend pas ce sentiment étrange qui l’étreint ce soir, elle ne comprend pas ce qui lui prend.
Cette impression que tout est près à s’effondrer, cette peur de se retrouver seule finalement, seule loin de ceux qu’elle aime.
La main posée sur son ventre où une petite lumière de vie sommeille encore, Azylys perd son regard dans les étoiles, cherchant les étoiles qui l’ont guidé en ce monde, ces étoiles envolées.
Elle serre au creux de sa paume la pierre de nuit, l’onyx qui la rattache encore à eux, dernier lien entre son monde et le leur.

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Azylys


Journal de voyage, jour 33 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Les bras croisés derrière la tête, la brune est allongée dans l’herbe, se repose.
Les paupières closes, sa poitrine se soulève doucement à chaque respiration.
On pourrait la croire endormie, mais il n’en est rien.
Elle sent que quelque chose a changé. Elle ne sait pas quoi, elle ne sait pas pourquoi, elle ne sait pas comment. Mais elle le sent.
Elle fait le vide autour d’elle, elle balaye doucement en elle-même, elle fait le vide dedans et dehors, elle se prépare.
Elle sent le coup arriver, elle le sent fort, elle le sent proche.
Elle sent que bientôt elle saura ce qu’elle ne sait pas et ne veut pas savoir.
Alors d’avance, elle s’en protège, elle se fait pierre, elle se fait mur, pour encaisser sans se briser.
Elle en a déjà tellement pris des coups qui sont arrivés trop vite, sans prévenir, et qui l’ont brisée.
Celui là, elle ne lui en laissera pas le pouvoir, elle le devine, elle se prépare.




11 Juin 1460, toujours à Rohan, toujours sans nouvelles de mes compagnons de route.
J’ai peur que leur absence se prolonge encore longtemps, j’ai peur de me retrouver sans savoir quoi faire.
Pourtant ce n’est rien, pourtant il y a pire, pourtant j’ai ce pressentiment qui me prend aux tripes et ne veut plus me lâcher.
Ce mauvais pressentiment, celui qui devine l’orage avant qu’il éclate, celui qui prévient la tempête.
Hier j’avais peur que tout s’effondre, hier j’avais peur de ne plus rien retrouver.
Aujourd’hui je sens que quelque chose a changé, je sens que tout a changé.
Je sens la vague arriver, je sens le coup se préparer.
Je pensais en avoir pris assez, il faut croire que j’avais tort, une fois de plus.
Tous ces coups qui sont arrivés trop vite, trop brutalement et que je n’ai pu éviter, tous ces coups j’en porte encore les cicatrices.
Je me prépare, je me fais bloc pour résister au choc, je me durcis pour que ce coup que je sens arriver ne puisse pas rouvrir cette longue cicatrice qui se recoud à peine.

Je ne sais pas d’où ce nouveau coup viendra, mais je le sens venir.
Ça m’oppresse, où que je sois j’ai l’impression que je vais suffoquer.
Hier j’avais peur que tout s’effondre, aujourd’hui je sens que tout commence à s’effondrer, j’ai l’impression que demain tout s’effondrera sous mes yeux.
Quelque chose a changé, je ne sais pas quoi, mais je sens que ça changera tout.
J’essaye de mettre de côté la peur, de me faire bloc pour ne pas laisser de prise à la douleur.
C’est dangereux, Toulouse est loin, et heureusement, mais je suis bien isolée ici et je ne parle pas à grand-monde si ce n’est à Ev qui me réponds toujours, la seule que je sens encore près de moi et pourtant si loin.
Je pensais qu’en partant en voyage loin, longtemps, je laissais le mal derrière mois, j’oubliais le reste.
Mais je sens que ça me rattrape encore, j’ai ce sursaut de vouloir me raccrocher à quelque chose comme lorsqu’on se sent commencer à tomber.
Je cherche une prise que je n’ai pas. C’est moi qui devrais être la prise pour les autres.
Moi je n’ai aucune prise pour me raccrocher. J’ai peur de tomber encore…


La brune serre l’onyx au creux de sa main, si fort que sa paume en porte déjà les marques.
A l’époque il y avait toujours quelqu’un de là, quelqu’un près d’elle quand ça n’allait pas, avant le coup, après, peu importe, à l’époque il y avait quelqu’un.
Désormais il n’y a personne, ils sont très loin dans les cieux, bien trop loin.
A l’époque il y avait quelqu’un, aujourd’hui il y a l’absence.
La belle ferme les yeux, se serre dans sa couverture.
Elle sait que l’absence est mauvaise, elle aimerait encore avoir quelqu’un pour guider ses pas, quelqu’un pour parer les coups quand elle n’en a plus la force.

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Azylys


Journal de voyage, jour 34 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Azylys scrute les cieux, elle essaye de se calmer un peu, de reprendre la main, de se fortifier encore.
A côté d’elle de sinistres craquements d’os et de chair déchirent le silence, la brune tend le bras et pousse le faucon un peu plus loin, qu’il aille donc faire du bruit ailleurs. Plus que du bruit, c’est le bruit de la mort qu’il fait retentir et elle ne hait rien plus que ce bruit morbide.
Concentrée sur les étoiles, elle cherche celle qui brille plus que les autres, elle cherche ces étoiles envolées qui lui sont si chères, elle cherche sa famille de cœur.
Comme toujours et inconsciemment, elle passe doucement la main sur son gros ventre rond.
Le bébé tape doucement au creux de sa paume, comme pour lui dire qu’elle n’est pas seule, qu’elle ne pourra plus jamais être seule désormais.
La brune prend son carnet et sa plume, il faut bien qu’elle écrive encore…




Douzième jour de Juin déjà et pourtant rien ne change.
Nous sommes toujours à Rohan, toujours en Bretagne, je n’ai toujours aucune nouvelle de mes compagnons de route.
J’espère que nous repartirons bientôt, ou qu’au moins Gael me donnera la permission de stagner à Vannes où je connais du monde plutôt qu’ici.
J’ai besoin de visages familiers je crois, j’ai besoin d’être un peu entourée, qu’on me fasse rire et sourire de nouveau.
Ici je m’ancre dans ce mutisme étrange, comme si j’attendais ce coup que je sens venir, un peu comme si j’étais résignée à attendre ici qu’on m’achève.
Ce n’est qu’une image mais c’est pourtant l’effet que ça me fait.

Heureusement, quitte à sortir un peu en taverne, ce qui en ce moment ne me tente guère, j’écris.
J’écris à mes Toulousains et mes Toulousains me répondent.
Ev, Rosy, Seb, ils m’écrivent, ils me font sourire, je suis tellement contente, tellement soulagée de savoir qu’ils vont bien.
Ils me rassurent, eux ne voient presque que les bons côtés, ce sont des optimistes, ça fait chaud au cœur.
Pour une fois j’ai cessé de m’inquiéter un peu. D’autres, j’attends toujours une réponse, Themis par exemple, enfin ça ne saurait tarder je l’espère.
Je pense que ça me fait du bien de savoir que certains vivent encore, qu’il y a encore du monde qui m’attend quelque part, que je manque à quelques uns.
Alors j’écris, j’écris encore, j’écris toujours pour le plaisir de les lire, parce que je sens que comme ça je guéris, parce que je sens que comme ça je vais mieux.

Certains me demandent quand est-ce que je rentre. Je ne pense pas rentrer en avance.
Je vais m’en tenir à la date prévue au départ, si je le peux bien sûr.
Mine de rien j’ai tout de même moins mal ici que là-bas. Je ne tiens pas à rentrer de si tôt.
Certes les Toulousains me manquent et j’aimerais pouvoir les serrer de nouveau dans mes bras mais je sais qu’en retournant là-bas la douleur reviendra, plus forte.
Alors je veux profiter de cette paix, de toute cette paix que ce voyage peut encore m’offrir pour me consolider, me reconstruire.


La brune fait jouer doucement les pendentifs sur leurs chainettes.
Elle ferme les yeux, se laisse bercer par les bruissements de la forêt rohannaise.
Il lui faut du calme, du repos, du sommeil, il lui faut du silence pour se protéger, pour cicatriser, pour grandir et se grandir.
Les paupières closes, elle laisse le vent jouer dans ses boucles brunes.
Le temps n’a plus aucune importance.

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Azylys


Journal de voyage, jour 35 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Azylys tourne les pages du carnet, les unes après les autres, les relit attentivement.
Au fil des pages, son visage s’éclaire d’un sourire ou s’assombrit, suivant le jour, suivant les mots.
Elle a dans la main une autre lettre, une lettre toulousaine, qu’elle relit pour la cinquième fois au moins.
Certains lui donnent des nouvelles, pas toujours des bonnes malheureusement.
Et il faut croire qu’aujourd’hui l’humeur n’est pas aux bonnes nouvelles.
L’humeur de la brune elle-même ne semble pas pouvoir s’y prêter.
Elle prend la plume et trace doucement les lettres sur la page vierge, à chaque jour sa page, à chaque jour son encre.




Même lieu, même heure, seul le jour change, et pourtant il me semble recommencer éternellement le même.
13 Juin 1460, toujours dans la ville rohannaise, toujours en forêt, toujours sans nouvelles de Thais et Gael, toujours inquiète.

Rosy m’a écrit de Toulouse et les nouvelles ne sont pas des meilleures. Elle va combattre elle-aussi.
Toulouse doit vraiment être tombée bien bas pour compter des femmes enceintes dans ses rangs.
Je sais que Rosy est fière de pouvoir défendre sa capitale, qu’elle s’en fait un devoir, et qu’elle n’en est qu’aux prémices de sa grossesse mais tout de même…
Mizar ne l’en a pas empêchée apparemment et cela m’étonne.
Moi-même on m’a interdit de me battre sur un quelconque front, je suis juste bonne à faire de la décoration avec mon gros ventre rond.
J’ai déjà fait part dans cet ouvrage de se sentiment d’inutilité et de frustration que vous haïssez tellement à force d’y être contraint.
Normal certes, qui aimerait avoir les poings liés à regarder sa ville et sa famille se faire massacrer.

La miss me dit aussi que mon sourire et ma bonne humeur manquent à Toulouse.
Je ne saurais comment lui expliquer que je sourirais pour lui remonter le moral et non parce que c’est sincère et spontané.
Satanée hypocrisie que je ne supporte plus, ce jeu perpétuel des apparences va me rendre dingue.
En fait, j’ai trouvé le point commun à tout ce que je hais, j’ai trouvé ce que je hais par-dessus tout : l’obligation.
Etre obligée de feindre quelque chose qu’on ne pense pas, être obligée de rester planquée derrière lorsqu’au front la guerre fait rage, être obligée de rentrer alors qu’on sait que ça nous rendra plus malade encore, être obligée d’attendre des compagnons absents pour reprendre la route, être obligée d’écrire encore à ceux qui ne nous répondent jamais.
Je hais les chaînes, je hais cette absence de liberté.
L’homme a deux jambes pour marcher où bon lui semble, par pour qu’on les lui entrave.
On dit souvent, et je suis bien la première à le dire, qu’on a toujours le choix.
Ce choix je le cherche encore.


La brune ferme le carnet et le pose sur ses affaires.
Les étoiles commencent à scintiller, et quand le monde entier s’endort, le sommeil de la belle s’éveille.
Elle se blottit dans sa couverture, un bras replié sur son ventre rond comme si elle voulait le protéger jusque dans son sommeil.
Plus que quelques semaines et je verrai ton visage mon amour, plus que quelques semaines et nous auront tout deux une vraie famille de sang, plus que quelques semaines et tu naîtras, mon petit ange…

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Azylys


Journal de voyage, jour 36 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Le vent tourne les pages du carnet, comme le temps tourne les pages de la vie.
Feuille après feuille, chapitre après chapitre, il déroule l’histoire, révèle, surprend.
Il raconte tout et rien, parfois des choses sensées, parfois n’importe quoi.
Mais toujours, et peu importe ce qu’il contient, avant tout il raconte.
Et il est particulièrement doué pour raconter le néant, pour raconter le chaos.
La brune pose la plume sur la page du carnet, elle n’a plus envie d’écrire et pourtant elle le fait. Pourquoi ? Elle l’ignore.




Quatorzième jour du mois de Juin, toujours à Rohan.
Seuls les noms en bas des missives que je reçois changent un peu.
En voilà une de Karadoc qui me demande comment se passe mon voyage.
Je donnerais cher pour voir sa tête lorsque je lui dirai que je suis à un pas de chez lui, dans la ville juste à côté, depuis mon départ.
Enfin je n’y peux rien, le couple reste introuvable, malheureusement.

Ce n’est pas bon de me laisser piétiner comme ça, j’en attrape des idées noires.
A ne plus voir ni nouveauté ni paysages changeants, à ne plus voir de monde, à ne plus avoir envie de rien, je me replie en moi-même comme un escargot les jours de canicule.
C’est ridicule, et particulièrement épuisant.
Demain il faut que je bouge un peu, il faut que j’écrive, que je sorte, que je vive.
J’ai l’impression de devenir une ombre, comme si devenir ce que je hais n’était pas assez.
Encore quelques jours et je me changerai en arbre dans cette forêt.
C’est un symbole mais il est bien trouvé je pense, toujours en forêt au même endroit où j’ai l’impression de prendre racine, immobile comme un tronc, les cheveux au vent comme des feuilles, et quand je suis fatiguée, parfois, je tends les bras pour m’étirer, étendant mes branches entre la terre et le ciel.

Et j’attends toujours ce coup, ce violent coup de vent, tentant de savoir si je resterai de marbre, si je plierai ou si ce nouveau coup me déracinera.
Je tremble, de quoi je ne sais pas, je n’ai pas froid pourtant.
Je dois être fatiguée, je le suis toujours maintenant.
Comme si le sommeil appelait le sommeil.
Plus je dors et plus j’ai envie de dormir encore.
Sur ce je retourne dormir, peut-être que demain tout ira mieux, ou pas.


Azylys regarde les deux derniers mots, se sent une folle envie de les barrer.
Jamais elle n’aurait écrit ça quelques mois auparavant.
Elle remarque alors qu’elle change, qu’elle a énormément changé.
Ces deux mots qu’elle croyait que seuls les pessimistes pouvaient écrire, elle vient de les écrire aussi, elle, elle qu’on croit, elle qui était l’éternelle optimiste.
Elle se perd en elle-même, elle ne retrouve plus ce qui la caractérisait.
La brune préfère ne pas y songer, elle fait le vide et remonte la couverture, il sera encore temps d’y penser demain, pour le moment il faut dormir.

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Azylys


Journal de voyage, jour 37 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La nuit est tombée déjà, les étoiles scintillent faiblement dans le ciel comme une nuée de lucioles mourantes.
Pas un bruit dans la forêt rohannaise, le calme semble être revenu, mais ce silence absolu donne une étrange impression qui met mal à l’aise.
La brise souffle entre les troncs et forcit, faisant bruisser les feuilles dans les cimes.
Sur l’herbe ballotée au vent traine un carnet, oublié par mégarde, resté là par négligence.
La couverture de cuir est abîmée, certaines pages sont écornées.
Le vent tourne les pages les unes après les autres, vers le passé, puis vers le présent.
La brise s’apaise, le carnet est resté ouvert sur une page dont la lune fait ressortir les lettres, tracés en traits de pourpre sur le blanc éclatant du papier.




Quinzième jour de Juin 1460, Rohan toujours.
Je ne sais plus quoi dire, je ne sais plus quoi faire.
Il y a des mots indicibles, de ceux qu’on ne dit pas et qu’on écrit jamais.
On ne les écrit jamais de peur de blesser, parce qu’écrire ces mots c’est déjà se faire peur à soi-même, c’est déjà se faire mal rien qu’en les écrivant.
Ces mots qu’on ne dit pas, ces mots indicibles, je les ai écrits. Et pire encore je les ai envoyés.

La douleur a laissé s’échapper la clé que je gardais enfouie au plus profond de moi, et, libéré, mon cœur a parlé.
Longtemps que je le sentais venir ce coup, trop longtemps.
Quand j’ai ouvert cette missive tout à l’heure je m’attendais à le recevoir, je ne me suis pas trompée.
Comment coucher sur le papier la souffrance qui s’insinue sournoisement en vous, comme un courant glacé qui remonte dans votre dos jusqu’à vous faire frissonner tout entier.
Et quand vous frissonnez il est déjà trop tard, le mal est entré.
Alors vient la douleur, de celle qui fait sauter les verrous, pas de celle qui donne colère et haine, non, de celle qui vous révèle à vous-même, qui vous montre cruellement ce que vous êtes.
Je m’attendais à ce que mon monde s’effondre autour de moi, j’ai eu tort, mon monde est toujours là mais je m’effondre de l’intérieur.
Soudain j’ai vu, soudain j’ai compris, que la seule chose qui avait changé c’était moi.

J’ai compris que je n’étais plus la même, et j’ai compris que celle qui manquait à tous, que celle qu’on attendait encore quelque part, c’était l’autre, celle d’avant.
J’ai compris que j’étais de trop, toujours et partout, peu importe où je vais, je suis toujours de trop.
J’ai compris que la douleur avait fait de moi ce que je hais.
Et, pour la première fois peut-être, comme un besoin irrépressible et impossible qui vous submerge, j’ai souhaité mourir.


La brise forcit de nouveau, clôt le carnet sur ces derniers mots. Il reste là, abandonné dans l’herbe.
Quelques mètres plus loin, la brune est allongée à même le sol, recroquevillée sur elle-même autant qu’elle le peut avec son gros ventre rond.
Elle le tient enlacé comme si c’était la dernière chose qui lui restait, comme si elle avait peur de le perdre, de disparaitre avec lui.
Ses boucles brunes caressent doucement son visage au rythme de la brise qui les anime.
Sur ses joues les larmes ont laissé des traces qui scintillent à la lumière de la lune, les larmes ont cessé de couler.
Sa poitrine s’élève lentement à chaque inspiration, calmement, sans un bruit.
Les yeux clos, elle dort à poings fermés. La douleur autant que les pleurs épuisent le corps et l’esprit.
A côté d’elle, le rapace la regarde de ses yeux ambrés, comme s’il voulait veiller sur elle une fois encore.
Lui ne connait que la douleur physique, celle de son aile cassée.
La douleur qui agite la brune jusque dans ses cauchemars lui est inconnue, il ne sait pas ce que c’est, quand la souffrance vous prend au cœur et y plante ses serres.

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Azylys


Journal de voyage, jour 38 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune déambule entre les troncs, scrute chaque recoin.
Elle cherche une tête blonde avec deux grands yeux bleus, elle cherche un souvenir, elle cherche son passé.
Il est venu hier lui tendre la main, comme s’il avait deviné qu’elle avait besoin de lui, comme s’il voulait la remercier, lui rendre la pareille.
Azylys espère encore qu’il reviendra, ce soir, demain soir et tous les autres.
Se rendant bien compte qu’elle ne le trouve pas, et se rappelant enfin que cet enfant plus on le cherche et moins on le trouve, elle s’asseoit et sort son carnet.
Il faut qu’elle raconte, il faut qu’elle grave cette rencontre sur le parchemin, qu’elle la scelle à jamais avec de l’encre.




16 Juin 1460, même lieu pourtant il me semble bien différent.
Tout s’est inversé une fois encore, c’est étrange, jamais plus je ne regarderais cette forêt de la même manière.
Je crois bien qu’hier j’étais au plus bas, et je crois bien que sans vraiment m’en rendre compte, en laissant parler le cœur, j’ai envoyé un appel au secours.
Et il faut croire qu’on m’a entendue, bien au-delà de tout ce que j’avais pu penser, bien au-delà de tout ce que j’avais pu imaginer.

Je ne pensais jamais le revoir, bien au contraire, plus d’un an a passé déjà, plus d’un an que je ne l’avais pas vu.
Je pensais l’avoir libéré à jamais, mais je me trompais.
Ce n’est pas qu’il avait une dette envers moi, mais j’avais oublié combien nous étions liés, liés à jamais.
Il m’a entendue et il est venu, je n’en reviens encore pas.
Comme toujours j’avais l’impression que c’était un rêve, que ce n’était pas vrai.
Pourtant je l’ai tout de suite reconnu, j’ai tout de suite compris qu’il était là pour moi.
Il avait les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux bleus qui pétillaient de sagesse, le même médaillon qui scintillait à son cou.
Et alors je me suis souvenue que j’étais chez lui, dans son domaine, dans la forêt bretonne, là d’où il venait et là où il aurait dû grandir.
Il a posé la main sur mon ventre et il a sourit, comme s’il avait compris qu’inconsciemment je m’apprêtais à donner à cet enfant presque le même prénom que le sien.
J’ai cru voir dans ses yeux qu’il me comprenait, je n’ai pas eu le temps de parler, c’était presque l’aube et il n’a pu rester que quelques secondes avant de s’évanouir comme un mirage avec son mystérieux sourire.
Aucun de nous deux n’a parlé. Pourtant maintenant je sais que je ne suis pas seule, je sais qu’il est toujours là quelque part et je reprends espoir, car au fond de moi je sens qu’il reviendra.


La brune a trouvé quelque chose, la brune a trouvé une chose à laquelle se raccrocher encore.
Il en est souvent ainsi, quand on est au plus mal, trouver quelque chose à quoi se raccrocher peut parfois nous sortir du néant, nous soustraire au noir, nous arracher à la douleur.
Enfin elle comprend que tout ira mieux, enfin elle recommence à croire, à la vie, à l’espoir, à demain.
Elle sait que quand ce soir le soleil disparaitra à l’horizon, ce ne sera pas pour la laisser seule dans le néant, mais pour annoncer, peut-être la visite d’un petit prince.
Azylys sourit, de ce vrai sourire, de ce sourire sincère qu’elle croyait avoir perdu, elle sourit comme jamais il ne lui a semblé sourire, et comme une promesse qui les lie tout deux, elle entend encore leurs voix mêlées murmurer que tout ira bien.

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Azylys


Journal de voyage, jour 39 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Le vent souffle plus fort ce soir, le vent qui annonce la nuit à défaut de celui qui annonce le changement.
Les choses semblent immuables, le temps ne parvient pas à les effacer.
La brune ne le sait que trop, ne l’a vu que trop.
Elle a entendu la récente prêche du curé de Rohan : « Fais attention à tes pensées, car elles deviendront des paroles. Fais attention à tes paroles, car elles deviendront des actes. Fais attention à tes actes, car ils deviendront des habitudes. Fais attention à tes habitudes, car elles deviendront ton caractère, car il est ton destin ».
La belle médite encore ces phrases qui font écho à ce qu’elle pense, les hommes d’église ont toujours su trouver les mots.
Elle se souvient alors qu’il n’y a pas qu’eux qui ont su trouver les mots pour lui parler, pour la rassurer, pour la remettre dans le bon chemin lorsqu’elle s’en écartait de trop.
Elle prend alors son carnet, elle a besoin de l’écrire pour le revivre, de le graver sur le papier pour le graver dans le réel, dans le présent.




Rohan un jour, Rohan toujours : 17 Juin 1460, je suis toujours là.
J’ai écrit aux bretons, j’ai écrit aux toulousains, maintenant c’est ici que j’écris.
Je crois que j’ai passé plus de temps à écrire qu’à voyager depuis mon départ.
Comme quoi j’ai eu raison d’emporter provision de papier et d’encre en partant, pour certains cela semblait ridicule, mine de rien j’aurais épuisé mes réserves en rentrant.
Je crois qu’aujourd’hui comme hier, j’ai besoin d’ancrer le passé dans le présent, peut-être pour continuer à renouer avec ce que j’étais, je ne sais pas.
Je me sens comme un devoir de mémoire, j’ai l’impression que je dois à tout prix me souvenir et c’est si facile…

Il n’est pas revenu cette nuit, il reviendra pourtant sous peu, je le sens.
C’est étrange comme ce que nous avons partagé nous a liés à jamais, à travers le temps et les mondes.
Je me souviens pourtant de la première fois où j’ai rencontré ce gamin : une nuit de garde, la plus banale qui soit, sur les remparts fuxéens, à l’époque où je répondais encore au grade de sergent.
Je me souviens que je ne l’avais pas compris, que je n’avais pas voulu le croire, je croyais avoir tout vu, tout savoir.
Je me souviens au matin comme je le cherchais partout, je ne voulais toujours pas y croire, je me persuadais que ce n’était qu’un rêve.
Et je me souviens pourtant comme la deuxième fois j’ai commencé à m’y faire, à renoncer à tout comprendre, à admettre que je ne savais rien.
Je me souviens qu’il avait mis longtemps à revenir, je me souviens qu’il est revenu quand j’avais besoin d’aide, comme avant-hier.
Je me rappelle cette façon qu’il a de me rappeler à moi-même, comme un choc, comme s’il me secouait de l’intérieur pour que je me ressaisisse.
Et je me rappelle avoir cru comprendre, avoir cru savoir à un moment donné.
Et je me souviens surtout comment une fois de plus il m’a montré que je ne savais rien, que je ne comprenais pas.
Pourtant petit à petit, il m’a appris, j’ai commencé à comprendre, ou à admettre ce qu’il appelait vérité du moins, et j’ai commencé à apprendre, à apprendre à savoir.
Maintenant je sais, grâce à lui, que je n’aurais jamais fini d’apprendre.


La brune ferme le carnet, scrute l’obscurité comme autrefois.
Elle sourit, s’amuse de se rendre compte qu’elle le cherche encore alors qu’elle sait pertinemment qu’il ne viendra que quand elle ne le cherchera plus.
Il vient toujours par surprise, au moment où on s’y attend le moins.
Et c’est ce qui fait de lui cet être unique, si magique à ses yeux.

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Azylys


Journal de voyage, jour 40 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune sourit comme jamais, au fond de ses yeux de glace, il y a de nouveau cette petite lueur qui brille, étincelle de bonheur, d’espoir, de curiosité.
Depuis la visite du gamin, et même si elle n’a pu le voir que quelques secondes, sans vraiment s’en rendre compte, elle change, dans le bon sens.
Comme un retour à la vie, elle redevient ce qu’elle était, elle retrouve ce qu’elle avait cru avoir perdu à jamais.
Pourtant elle n’en a pas conscience, pas encore, pour le moment son regard est ancré dans le présent, elle est heureuse.
Sur son canon de cuir, le jeune faucon bat lentement des ailes. Il n’a plus d’attelle mais ne peut toujours pas voler.
La brune l’encourage de la voix en souriant, elle a presque l’impression d’apprendre à un enfant à faire ses premiers pas.
Pour une fois depuis longtemps, elle est heureuse, pour une fois depuis longtemps, elle est fière, fière d’avoir réussi à le protéger, fière des progrès qu’il fait, fière de son protégé et fière d’elle à la fois, fière du duo qu’ils forment tous deux.
Le rapace, d’un coup d’aile un peu violent et désorganisé, parvient tout de même à son but et se pose sur l’épaulette de la jeune femme.
Elle en profite pour sortir son carnet et écrire.




Toujours à Rohan, en Bretagne, quarantième jour déjà depuis mon départ.
J’ai effectué déjà plus de la moitié de mon épopée, de mon voyage, mon aventure.
Même si dernièrement je ne bouge pas beaucoup, je suis contente d’être là, peut-être parce que je crois enfin que demain peut être meilleur qu’aujourd’hui.
J’ai cherché une manière de fêter ce quarantième jour, moi je n’ai pas trouvé, mais d’autres si.
Vingt-quatre jours déjà que j’ai recueilli ce jeune faucon pèlerin tombé du ciel, vingt-quatre jour déjà qu’il se débat courageusement avec son attelle.
Aujourd’hui même, pour fêter mon quarantième jour, il a remué l’aile, dans un grand cri rauque que j’ai interprété comme l’ordre impératif de venir lui enlever ce satané bandage qui l’entrave.
Je lui ai enlevé, je l’ai pris sur mon canon de cuir et il s’est mis à battre des ailes, lentement mais sûrement.
Son aile cassée est donc de nouveau d’aplomb, bien que je la juge encore fragile.
Maintenant il a besoin de reprendre du muscle, vingt-quatre jours perché à ne rien faire, il a perdu beaucoup de sa masse musculaire et ça ne m’étonne pas qu’il n’arrive plus à voler.
Une fois qu’il aura repris du muscle dans les ailes il pourra voler de nouveau. En attendant, il s’entraine sur mon épaule.

En ce qui concerne Toulouse, j’ai reçu aujourd’hui une lettre de Rosy.
Là-bas c’est l’enfer, ils s’entretuent tous dans une stupide lutte fratricide.
Elle a dû blesser gravement trois amis qui lui étaient chers, le tout pour défendre ses opinions politiques dans un comté où tout commence à se régler par des bains de sang.
C’est stupide, oui c’est vraiment stupide. J’ai des amis dans tous les clans qui s’affrontent en ce moment, parmi eux nombre de blessés, peut-être même des morts.
Je me demande ce que j’aurais fait si j’étais restée là-bas.
Enfin du coup elle se hait, elle n’en peut plus. Elle quitte donc le comté pour monter en Bretagne où elle devait faire son voyage de noces.
Je l’attends de pied ferme, elle montera peut-être même avec Ev et sa famille, comme quoi les femmes enceintes et jeunes mamans préfèrent fuir Toulouse et je les comprends, il y a bien plus de choses à perdre qu’à gagner en restant.


La brune ferme le carnet, pose la main sur son ventre rond.
Le bébé limite ses mouvements aux petits coups au creux de sa paume, synonyme qu’il a de moins en moins de place pour bouger.
Azylys sourit, moins de deux mois et il sera là, moins de deux mois et elle aura un autre petit à protéger, et celui-là mettra bien plus de vingt-quatre jours avant de voler de ses propres ailes…

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Azylys


Journal de voyage, jour 41 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


Un éclat de rire, la brune est pourtant seule ce soir dans la forêt rohannaise.
Elle vient juste de s’apercevoir du caractère stupidement ridicule de ce qu’elle est en train de faire.
Elle combat contre elle-même, elle se sermonne de penser encore au gamin alors qu’elle sait très bien qu’il ne viendra que si elle n’y pense pas.
Elle essaye vainement de faire taire ses pensées tant elle aimerait le revoir.
La belle rit, c’est raté pour ce soir, elle veut absolument parler de lui dans son journal de voyage, donc il ne viendra pas.
Elle n’est pas déçue, elle le verra un autre jour, et encore, et encore…parce qu’il ne peut en être autrement.
Alors elle extirpe le carnet à la couverture de cuir des plis de sa cape et prend la plume, à défaut de le voir ce soir, elle fera revivre sur le papier leur rencontre d’hier.




Je crois qu’il est inutile de le remarquer chaque jour tellement cela devient une habitude, Rohan bien sûr, dans la forêt toujours, 19 Juin 1460, évidemment.
Hier soir, tellement occupée à écrire, tellement émerveillée par les progrès de mon rapace, j’en ai totalement oublié le petit prince.
Or c’est toujours quand on s’y attend le moins qu’il revient sans prévenir, il doit aimer l’effet de surprise.
Je regardais les étoiles hier, la main posée sur mon énorme ventre rond, juste après avoir rangé mon carnet.
Je n’ai rien entendu, rien vu de particulier, je ne me doutais de rien.
Et alors j’ai senti deux petites mains cacher mes yeux, deux petites mains que j’ai reconnu sans peine.
J’ai sourit, murmuré le nom du plaisantin qui est venu s’asseoir à côté de moi avec un grand sourire.
Et pour une fois la nuit venait à peine de tomber, et pour la première fois depuis des mois et des mois, nous avons pu parler.

J’ai toujours eu l’impression que ce gamin savait tout, et plus je passe du temps avec lui plus je me dis que ce n’était peut-être pas qu’une impression.
J’avais cru comprendre aussi plus ou moins pourquoi ce gamin m’avait choisie moi et pas une autre.
Pourtant hier j’ai ressenti quelque chose d’autre, j’avais le pressentiment qu’il m’avait attendue, presque épiée depuis le tout début, quand je n’étais pas née encore, et l’impression qu’il avait attendu que je grandisse, que je devienne ce que je suis.
J’ai au fond de moi cette intuition étrange qu’il sait certainement des choses sur moi que je ne sais pas, j’ai eu le sentiment qu’il était la clef, la clef de mes origines, de mon passé.
Il me connait sûrement bien mieux que quiconque, bien mieux que je ne me connais moi-même, c’est troublant.
Il lit dans mon regard comme dans un livre ouvert, mais quand j’ai l’impression de pouvoir moi aussi lire dans ses yeux d’azur, je sens que c’est uniquement parce qu’il se laisse faire, parce qu’il veut bien que j’y lise, et que s’il ne le voulait pas je ne pourrais rien y voir.

Je lui ai dit, je lui ai dit que j’avais peur pour Toulouse, pour ma famille de cœur, que j’avais peur pour l’enfant que je porte, peur qu’il grandisse dans une ambiance semblable.
Il a pris un air très sérieux alors, il s’est levé et a posé sa main sur mon ventre, et il a prêté serment.
Je le regardais avec des yeux ronds comme des billes en train de jurer sur son honneur et sur tout ce qu’il lui restait encore qu’il prenait mon enfant comme protégé, qu’il veillerait sur lui jusqu’à la fin des temps et qu’il ne le laisserait jamais seul.
Il a juré qu’il guiderait ses pas comme il guide les miens, qu’il lui serait un frère, presque un ange gardien.
Et je n’en revenais toujours pas que déjà le bébé tapait doucement au creux de cette petite paume placée sur mon ventre, comme pour sceller un pacte.
Et même aujourd’hui, un jour plus tard, je n’en reviens toujours pas.


La brune ferme son carnet et le range, elle réfléchit encore à leur conversation de la veille, à ce mystérieux gamin qu’elle a l’impression de connaitre depuis toujours.
Pourtant elle sent qu’elle ne le connaitra jamais dans sa totalité, il lui reste encore tant à apprendre…

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Azylys


Journal de voyage, jour 42 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune fredonne une ballade qu’elle a apprise enfant, quand soudain elle s’arrête net et fronce les sourcils.
Elle vient seulement de se rendre compte que cette ballade qu’elle chante souvent est bretonne.
Elle se rappelle aussi du gros manuscrit laissé à Toulouse, qui parle de la Bretagne aussi. Le gamin est breton aussi.
Beaucoup trop de choses en lien avec la Bretagne.
Et à ce moment précis, la belle se dit qu’elle donnerait tout pour parler au petit, là, de suite, et lui poser des questions. Lui doit savoir, le contraire est impossible.
Pourtant elle sait qu’il est trop tard, elle vient de penser à lui, il ne viendra pas ce soir.
Azylys tourne en rond entre les troncs, elle réfléchit, comme souvent, trop souvent peut-être : le bébé bouge pour la ramener à la réalité.
La brune fait la moue et pose la main sur son gros ventre rond, décidément, il a vraiment le don pour empêcher ses pensées de tourner en rond.
Elle s’asseoit sur une souche et sort son carnet, à défaut de réfléchir de tête, elle réfléchira sur le papier.




20 Juin 1460, Rohan un jour, Rohan toujours.
Je viens de me rendre compte que je n’avais pas encore mis le pied dans une taverne rohannaise et pourtant il me semble des semaines que je suis ici.
Il me semble aussi que trop de choses me rattachent à la Bretagne pour que ce soit anodin, mais seul un gamin aux grands yeux bleus pourrait m’expliquer, et il ne viendra pas ce soir.
Dommage d’ailleurs, j’aime tellement discuter avec lui.
Il m’arrive à la taille mais quand nous sommes face à face et qu’il ancre son regard d’azur dans le mien, je me sens minuscule. C’est fou la force que dégage cet enfant.
Il est haut comme trois pommes, mais pourtant je pourrais remettre ma vie entre ses mains sans me poser de question, il pourrait dire les choses les plus incroyables, je le croirais sans hésiter.
On dit souvent que les yeux sont le miroir de l’âme, ce gamin en est la preuve à lui seul.
Si vous le voyez les yeux fermés c’est un enfant ordinaire, tout ce qu’il y a de plus fragile et de plus insouciant.
Mais s’il ouvre les yeux vous ne le verrez plus jamais pareil, cette force et cette sagesse quand il vous fixe, cette impression qu’il lit en vous jusqu’aux tréfonds de l’âme, le rendent presque magique.
Si je devais le comparer à quelque chose, mettre un nom sur ce à quoi il me fait penser, je dirais un dieu miniature, un dieu dans un corps d’enfant.
Si jamais il tombe sur ce carnet et le lit…

Oui, je ferais mieux d’arrêter de parler de lui, pourtant s’il le veut tout ce que j’écris il le verra la prochaine fois dans mon regard, rien ne lui échappe.
J’ai des nouvelles du petit ballon qui a mis les voiles vers la Bretagne, elle sera là bientôt, j’en trépigne d’impatience.
Elle m’a raconté une de ses soirées en taverne, et bizarrement je la comprends, son récit fait je crois écho à ce que j’ai ressenti moi aussi.
C’est tellement étrange d’avoir l’impression de se lire, de se dire ‘ça c’est moi’, ‘ça je connais’.
Je me dis comme ça que je ne suis pas la seule à avoir connu ça, ça soulage un peu, même si pour elle ça s’est bien mieux terminé que pour moi.
Enfin, parfois le choix n’est pas entre nos mains, parfois le choix se fait sans nous.
Et parfois, ensuite, le destin vous fait un signe, pour vous indiquer que vous avez pris le bon chemin.
Je l’attends encore.


La brune ferme le carnet, perd son regard dans les étoiles.
La lumière de la lune fait scintiller dans l’ombre les trois chaines autour de son cou, la belle y porte la main.
Les pendentifs semblent briller plus fort que d’habitude, l’onyx surtout.
Azylys porte l'onyx devant son regard et regarde la lumière miroiter sur la pierre de nuit.
Serait-ce un signe ?

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Azylys


Journal de voyage, jour 43 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune regarde la pluie tomber, difficile de croire qu’on est en été.
Dehors le vent a rejoint les nuages et les gouttes pour les faire tomber encore plus violemment.
La belle s’est abritée sous une paroi rocheuse et, assise sur une pierre, elle attend.
Le faucon cache ses yeux ambrés sous son aile, la lueur du feu l’effraie, autant que l’incapacité de pouvoir y échapper.
Azylys, elle, n’en détache plus le regard, le bleu glacé de ses yeux s’accroche au rougeoiement des flammes pour ne plus le lâcher.
Elle y voit tant de choses, tant de chemins, tant de passages de sa vie, comme une lueur de son passé.
Alors elle sort son carnet et à la lumière des flammes, elle trace les lettres de pourpre du bout de la plume sur la page vierge.




Un autre visage de Rohan en ce 21 Juin 1460 : je découvre la Rohan des averses, si ce n’est la Rohan des tempêtes.
Abritée comme je peux puisque l’écrin des cimes n’est pas suffisant fasse à ce torrent qui tombe des cieux, je regarde le feu et je me souviens.
Ce n’est pas une impression de déjà-vu, juste le souvenir de tous ces moments où je faisais pareil, le regard dans les flammes à tuer le temps.
Je me souviens des premiers feux, quand j’étais enfant encore et que j’essayais de les allumer en pestant parce que je n’y parvenais pas.
Je me souviens des suivants, de ceux dans la maison où j’ai grandi, puis de ceux qui brûlaient dans ma première cheminée, à Foix.
Je me rappelle de toutes ces nuits où je partais à l’aventure en forêt avec l’épée accrochée dans mon dos, dormant n’importe où tant que j’avais le feu devant moi.
Je me rappelle de la lueur de la torche qui éclairait mes nombreuses nuits de gardes, quand je tuais le temps à regarder les étoiles.

Et je me souviens d’autres feux, celui qui brillait dans mes yeux quand on blessait l’homme que j’aime, celui qui brillait dans nos yeux quand on se disputait, celui qui brillait dans son regard ce jour de novembre au bord du lac.
Je crois que ce sont ces feux là, les plus dangereux, les feux intérieurs, ceux qui nous consument.
Celui qui m’embrase parfois quand j’entends le nom de certains, celui qui me donne simplement envie de les mettre, eux, dans le feu et de les regarder s’y débattre.
Le feu des batailles aussi, quand le sang appelle le sang et que plus rien sauf la mort ne peut nous arrêter.

Pourtant il y a des feux nécessaires, des feux bénéfiques.
Celui du bonheur, quand je regarde les yeux de mes amis scintiller.
Celui de la volonté, quand on se bat encore pour quelque chose et qu’on ne lâche rien, celui du but à atteindre et de tout ce qu’on met en œuvre pour y parvenir, celui du projet.
Celui de la confiance encore, celui de l’amitié, celui de l’amour surtout.
C’est étrange comme cette flamme là on aimerait la garder toujours, la préserver des orages et des averses, la rallumer parfois, on la voudrait éternelle. Moi aussi je l’ai voulu.


La brune perd de nouveau son regard dans les flammes.
Elle l’a voulu, certes, pourtant elle le veut encore, maintenant comme toujours.
Elle a vu trop de feux destructeurs, elle en a connu trop.
Et en l’embrasant toute entière ils ont soufflé d’autres feux, ceux qu’elle essaie de retrouver et qui par le passé étaient les seuls à briller.
Azylys range le carnet et resserre sa cape autour d’elle.
Le feu a beau être juste devant elle, elle a froid.
Parce que quand il ne reste aucun feu intérieur, quel qu’il soit, on ne peut qu’avoir froid.

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Azylys


Journal de voyage, jour 44 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune sourit, la main posée sur son ventre où le bébé dort déjà, pour une fois qu’il s’endort avant elle…
C’est étrange cette façon qu’elle a d’aborder les choses, de faire revenir le passé lointain dans le présent, comme s’il était des choses qu’elle cherche à oublier, tout en appréhendant l’avenir.
Elle sait que bientôt son amie arrivera, elle sait que quand il en sera temps elle prendra le chemin du retour avec elle.
Pourtant elle craint Toulouse autant que ce retour désormais.
C’est un peu comme remettre les pieds dans ce passé proche qu’elle essaye d’oublier, c’est revenir au noir.
La belle porte la main à son cou, laisse la pierre de nuit rouler au creux de sa paume.
Tout ira bien, on veille sur elle, tant qu’elle sentira encore la présence du petit prince dans ses pas, rien ne pourra l’atteindre.
Azylys feuillette son carnet, sort sa plume et la tourne entre ses doigts, enfin, elle se lance.




22 Juin 1460, la pluie a cessé, Rosy se rapproche petit à petit.
Je ne cesse de suivre sur ma carte les villes au large desquelles elle passe, essayant de deviner quand elle arrivera.
Elle me manque et j’ai hâte de la revoir, comme j’ai hâte de voir son ventre tout plat en pensant qu’elle abrite la vie désormais, et j’ai hâte bien sûr de féliciter Mizar pour toutes les responsabilités qu’il va devoir endosser maintenant.
Et s’il ne s’occupe pas bien d’elle, moi je vais m’occuper de son cas à lui, à grands coups d’épées…

Hier soir, en regardant le feu j’ai fait revivre des tas de vieux souvenirs, et je me suis sentie un peu nostalgique de tout ça, comme si je me disais ‘c’était bien à l’époque…’ alors que j’ai toute la vie devant moi encore.
Et j’ai cligné des yeux, je les ai fermés, je les ai rouverts, et j’ai vu une étincelle dans un regard d’azur qui me fixait, et j’ai vu un sourire.
Il m’a fait sourire à surgir comme ça chaque fois que je ne me sens pas trop bien, chaque fois que je ne pense pas à lui, comme pour me dire qu’il est là, tout près, et que je n’ai aucune raison de me mettre dans des états pareils.
Et puis le tonnerre a déchiré le silence dans un vacarme assourdissant, je l’ai vu faire la moue, mais il n’a pas sursauté.
Et alors je me suis rendu compte qu’il avait changé, non pas qu’il ait grandi physiquement, non, mais qu’il est devenu plus fort maintenant.
Et aujourd’hui où moi je suis plus faible, il vient me tendre la main, comme je lui ai tendu la mienne l’année passée lorsque les rôles étaient inversés.
J’ai compris qu’il ne cherchait pas à faire revivre le passé, ni à l’oublier, ni à le nier.
Ce n’était pas la Azylys du passé qu’il cherchait à faire renaître en moi comme je le pensais, il veut juste m’aider à me construire, à me reconstruire, telle que je suis maintenant, avec mes peurs, mes doutes et mes douleurs.
Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression de faire un pas en avant, il ne s’agit pas de raviver le passé, bon ou mauvais, mais de construire le présent.

Il manque encore une chose pour faire tenir le présent, il manque la perspective d’un avenir, il me manque un projet, un but précis, quelque chose qui m’occupe.
Or j’avoue que je vois mal ce que je pourrais faire une fois de retour à Toulouse.
Projet…projet…Illyan aurais-tu une idée ?


La brune réfléchit encore, comme souvent, comme toujours.
Elle se perd dans ses pensées, elle s’imagine dans quelques semaines, quelques mois, que pourrait-elle bien faire avec un petit dans les bras ?
D’abord reprendre l’entrainement, ensuite prendre des cours, peut-être faire un bateau, mais avant tout elle aimerait…se rendre utile. Mais comment…

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Azylys


Journal de voyage, jour 45 : Grand Duché de Bretagne, Rohan


La brune regarde les étoiles, distraitement, la main posée sur son ventre rond.
Il est tard, très tard mais elle n’arrive pas à dormir.
Pourtant elle devrait, pourtant si elle fait encore un rêve comme celui d’hier, ça ne la dérangerait pas de dormir une vie entière.
Pourtant elle reste là à regarder les étoiles, comme si elle attendait de voir une étoile filante pour faire le vœu que ce rêve devienne une réalité.
La belle allume un feu pour y voir clair et sort son carnet.
A défaut de pouvoir le rendre réel, elle va l’ancrer dans le présent à grands coups d'encre et de plume.




La nuit est tombée depuis longtemps déjà sur le vingt-troisième jour du mois de Juin 1460.
Je suppose même que nous sommes désormais le lendemain, et je ne dors toujours pas.
Je réfléchis encore et toujours au rêve que j’ai fait hier, et pour une fois, il était très très loin d’être un cauchemar.
Et pourtant j’ai voulu croire un instant que c’était la réalité, je m’en serais pas plainte, bien au contraire.
J’hésite un peu à le narrer ici, pourtant j’en meurs d’envie, mais on ne sait jamais qui pourrait tomber sur ce carnet…tant pis.

J’ai rêvé de mon retour, et j’ai rêvé que y’avait du monde pour me souhaiter bon retour et j’ai surtout rêvé que y’en avait un en particulier qui m’avait presque sauté dans les bras tellement je lui avais manqué.
Si ça n’était pas qu’un rêve…si seulement.
J’ai rêvé de retrouvailles dont ici je passerais les détails.
J’ai rêvé bien sûr de la naissance du bébé, et dans mon rêve tout se passait au mieux.
Si ça n’était pas qu’un rêve…si seulement.
J’ai rêvé de retrouvailles encore plus…passionnées…pour ne rien dire.
J’ai rêvé qu’on partait s’installer bien loin de Toulouse, en famille, en Bretagne même.
Mais je suppose que ça c’était en partie dû au fait que j’y suis depuis un mois au moins.
Il n’empêche que si ça n’était pas qu’un rêve…si seulement.

En somme, je crois que je vais aller dormir, pour essayer peut-être, qui sait, de refaire le même ou du moins un rêve semblable.
Et si jamais tout ceci ne doit rester qu’un rêve, ne me réveillez surtout pas.


La brune ferme son carnet et le lance un peu plus loin avec ses affaires.
Encore une missive à écrire et elle ira dormir, si elle trouve le sommeil.
Mais elle a au fond du cœur ce sentiment si fort que peu importe où elle porte son regard de glace, elle ne voit que ses yeux, peu importe ce qu’elle entend, ce n’est toujours que sa voix.
La belle reprend la plume une nouvelle fois, sur un autre parchemin, elle aurait tant à dire, tant à écrire…

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