Vannes, 24 Mai 1464Les mois passaient, peu à peu, et le temps s'effilochait, linéaire et presque monotone. La vie suivait son cours dans la petite demeure bordée par la forêt, rythmée par les cris d'un enfant intrépide, par les silences des longues heures d'étude, par la voix grave d'un garde du corps désireux de remettre un peu d'ordre dans ce joyeux capharnaüm. Les jours se succédaient sans heurts, sans crises, sans peines. Non, décidément, rien ne semblait changer à Vannes.
Rien, sauf un détail auquel le monde alentour faisait bien peu attention : le ventre de la capitaine s'arrondissait, encore et encore, enflant chaque jour davantage, gonflant comme un ballon. D'à peine visible à son retour de voyage, le bidon était devenu bien rond, proéminent, mouvant. Il y avait là dedans une petite lumière de vie qui prenait des forces en attendant le coeur de l'été. Serait-ce un petit provençal ? Ou la vie déciderait-elle de donner une petite soeur à Kilian ?
Nul ne pouvait le savoir pour l'instant, pas même la jeune mère qui s'assoupissait sur son livre de médecine, une main posée sur ce nombril cachottier. L'enfant semblait moins brutal que son aîné, mais que faire d'un tel indice. Toutefois le départ approchait dangereusement, aussi rapidement que la naissance de ce cadet, et cette perspective tracassait la brune. C'est ce qui lui fit prendre la plume quand elle rouvrit l'oeil, poussant ses livres et ses notes. Il y avait des précautions à prendre, et des risques à éviter.Adishatz Nayelle,
Je me trouve toujours à ce jour en terre bretonne, avec le petit que tu as vu naître et qui ne l'est plus tant. Il a un homme d'arme désormais, pour lui interdire les fugues et le protéger s'il le faut. Mais cet enfant n'est pas la raison de ma missive.
Il se trouve que depuis mon dernier voyage en Provence je porte la vie de nouveau. Je ne le croyais pas possible et tu sais autant que moi que cela tient tout juste du miracle. L'enfant naîtra dans un peu plus de deux mois, si le Très-Haut veille sur lui. Cependant je m'apprête à entamer un long voyage, et il se peut que le bébé naisse en route, au mieux sur la terre ferme, au pire sur un bateau. Non ne dis rien, je me sais peu raisonnable.
Cet enfantement m'effraie autant que le premier, si ce n'est davantage, puisque cette fois j'en connais la teneur, et l'appréhende. J'aimerais que tu me rejoignes à Vannes si tu le peux, et que tu m'accompagnes jusqu'à la naissance du petit. Tu m'as déjà sauvé la vie une fois, je sais que tu peux le refaire une deuxième fois.
En attendant de tes nouvelles,
Azylys
La missive close partit pour le sud de la France, non loin des Pyrénées. Direction un couvent que notre capitaine avait beaucoup fréquenté, il y avait de cela presque quatre ans. Perdue dans ses pensées, la brune n'entendit pas les petits pas de son fils qui vint l'agripper par la manche, puis glisser sa main dans la sienne.- Ama...dodo.
- Je viens, mon coeur, je viens.
- Vite alors, l'est tard.La remarque suscita un sourire amusée chez la jeune femme qui se voyait réprimandée par l'Enfant. Les études prenaient du temps, beaucoup de temps, et cela ne plaisait pas toujours à son jeune fils. Elle le suivit donc sans un mot de plus, pour aller se blottir avec lui sous les couvertures et confier sa vie et celle de ses deux enfants aux bras de Morphée._________________