Anaon
- " Les hommes sont les roturiers du mensonge, les femmes en sont l'aristocratie. "
- - Abel Hermant -
Ses doigts passent dans ses cheveux, séparant la moitié haute qu'elle noue soigneusement derrière son crâne. La paume en retrace le galbe pour en vérifier la perfection du lissage, disciplinant les filins rebelles dans une coquetterie relevant de la maniaquerie. Les doigts arachnéens s'alanguissent un instant sur le rebord de la fenêtre avant de porter leur attention sur les affaires étalées sur les draps d'une couche. La main se moule sur le menton en guise de réflexion. Elle a décidé... Ce soir encore tout sera de noir.
La sicaire se saisit de sa tenue d'un sombre parfait, repoussant les autres, pour en recouvrir son corps dénudé. Les gestes habituels se parent cette nuit d'un consciencieux bien remarquable. La chemise a été soigneusement lavée. L'Anaon ne la recouvre pas du parfum adopté et offert par Judas. Elle a abandonné le bracelet cadeau d'un slave et délaissé ses précieuses perles noires... Comme si elle ne devait mener avec elle ni souvenir ni trace d'autres hommes. La mercenaire embrasse un étrange dénuement pourtant surmonté d'un soin chirurgical dans le moindre élément de sa préparation. Les bottes ont été cirées et parfaitement décrottées. Le cuir du gilet a été soigneusement graissé et assoupli les jours précédent. La sicaire fomente, prépare déjà depuis leur arrivée à Paris dans un mutisme catégorique. Laconique jusque dans ses gestes, elle se drape de secret et d'une pantomime qu'elle n'écaille pas pour les beaux yeux de Judas.
Les bottes sont enfilées, les ceintures passées. La balafrée toujours armée a troqué certains fourreaux pour d'autres tout autant choyés. Un regard vague embrasse son décor. Judas n'est plus là. Elle ne l'a pas entendu quitter la chambre. Peut-être est-il descendu dans la salle commune où parti se rendre dans quelques tripots. La mercenaire ne s'y attarde pas, et c'est la fenêtre qui retrouve à nouveau ses faveurs. Les azurites se posent sur le contre-bas de la rue calme, où les petites gens passent pour retrouver leur logis en cette fin de labeur. A cette heure, Il doit être en train de rentrer. Et ce « il » n'est pas Frayner...
Fin prête, la balafrée se dirige vers la porte, attrapant son manteau, et quitte le cocon de leur petite chambre. Elle traverse l'auberge d'un pas résolu et la délaisse pour la fraîcheur de la nuit tombante. Ses bottes avalent les rues d'un pas métronome, et s'il ne s'empresse pas, il ne souffre pourtant d'aucune hésitation. A un croisement, un homme se penche pour ramasser le gant qu'il a laissé choir dans la terre. Sous ses habits de riche bourgeois, la carrure est solide et bien bâtie. Arrivant à sa hauteur, la mercenaire ralentit à peine... et les azurites se baissent quand les pupilles mâles se relèvent. Les regards s'accrochent. Se suspendent. Et comme si de rien était, chacun reprend sa route.
Le regard à nouveau braqué devant elle, la mercenaire compte. Une rue... Deux rues. Elle bifurque sur sa gauche. D'une vérification elle se retourne avant de reprendre sa lancée. Une rue... Deux rues... Trois rues... à nouveau elle prend à gauche débouchant dans la venelle parallèle. Les prunelles se scellent alors entre les omoplates bourgeoises qui la devancent à distance raisonnable. Le nez féminin s'abaisse et ses pas ralentissent subtilement. Elle le laisse entrer, chez lui, par la porte de sa boutique de tapisserie. Encore, elle compte les pas qui la séparent de la maison refermée. Et c'est devant elle que la mercenaire se plante. Les premiers lumignons éclairent faiblement les ténèbres de la ruelle. Une main se plonge dans son escarcelle pour en extraire une clé qu'elle insère dans la serrure. Une vague illade se porte dans la rue avant que l'Anaon ne pénètre dans la bâtisse avec l'aisance de ceux qui sont dans leur plein droit. Le battant est repoussé. L'esgourde ne prend pas garde d'attendre le claquement du pêne retrouvant la gâche de sa serrure. Trop habitée par d'autres pensées. Les azurites se sont levées au plafond. Elle sait où le retrouver maintenant. A l'étage. Dans sa chambre.
Il y aura les marches grimpées et la porte refermée. Puis ensuite la surprise et enfin le heurt des corps. Animée ambiance que les murs avoueront de sons étouffés. D'une plainte qui fuse, aux accents femelle, des meubles qui s'agitent, et des objets dégagés en supplice. Du claquement des armes abandonnées sur le plancher. Et le lit qui grince, de recevoir le choc assourdi des corps. Palpitant emballé d'une respiration saccadée, c'est la femme qui exige de mener sa danse de son aura surplombante. On s'agitera encore et puis...
Et puis un dernier sursaut des chairs. Un râle et un silence. L'Anaon a fermé les yeux.
On pourra dire qu'avec lui, elle en a pris plein la face...
Musique : "An Uncertain Present", Assasin's Creed III, composée par Lorne Balfe
Titre en référence au livre de Jane Austen...que je n'ai pas lu...
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| © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |