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Correspondance entre Elias et Eliance, qui menera celui-ci à son départ pour la Savoie.

Que l'intelligence aille au diable, vive l'instinct !

Eliance
    « Eliance, c'est à toi de choisir. Je veux bien avoir une échelle, mais c'est à toi d'ouvrir la lucarne.
    Qu'on soit simplement amis, ou autre chose, ou si tu préfères m'oublier.
    - J'veux pas t'oublier. Je t'écrirais... »



La taverne du Jok'. C'est le refuge ménudiérien par excellence. Ici, elle y passe des heures. Proportionnellement au temps passé à être attablé, elle boit très peu. Il faut pas croire. Pour voir la véritable saoularde du coin, il faut regarder en direction du Nougat qui s'imbibe à qui mieux mieux tout le jour et même la nuit. Ce que Eliance aime dans ce lieux, c'est l'isolement, le calme. Bien sûr, tout est relatif. Quand la troupe se retrouve au grand complet, ça piaille, ça rit, ça s'égosille. Mais toujours, ou presque, dans la joie et la bonne humeur. Et en aucun cas elle ne doit supporter les jérémiades des jumeaux de son mari ou la vue dudit mari alcoolisé et peu enclin à taper la discute. Non. Ici, c'est chez elle, un peu. Qu'elle soit seule ou en pleine discussion philosophique avec le blond de maire sur le pourquoi du comment ces enfoirés d'ouvriers n'ont pas encore fini leur travail, elle s'y sent bien. Et puis ici, dans ces murs, elle peut penser librement à un certain tailleur parisien sans avoir honte. Elle peut même écrire à qui elle veut sans épier ses arrières de peur que Diego découvre quelque prénom masculin sur l'entête de la lettre.

Elle est là, attablée dans le fond, à la place près de la cheminée. Elle a piqué une chandelle dans la réserve et l'a allumé pour la poser devant elle. Aucun tissu turquoise ne vient illuminer la pièce. La Meringue a laissé la robe à Paris, à l'abri des regards, dans la chambre qu'elle loue lorsqu'elle va travailler au journal. Elle n'a pas su se résoudre à l'emporter avec elle et à mentir à Diego. Elle a préféré taire son existence. Comme l'existence du russe dans sa vie. Et puis, pour raconter quelque chose, encore faut-il savoir déterminer ce qu'il s'est réellement passé. Ce à quoi Eliance est bien incapable de mettre en mots, malgré les souvenirs permanents qu'elle ressasse. Alors elle ne porte aucune superbe robe avec des fleurs à la taille. Simplement ses habituels habits foncés et communs, délavés et mal colorés par endroit.

Seule Atro sait. Du moins... seule Atro a entendu le véritable récit conté par Eliance. Mike a bien dû poser trop de questions, comme toujours. Du coup, lui aussi, sait. Mais moins bien. Il ne connaît pas les détails. Ne sait pas pour la robe. Et il s'en fiche éperdument du petit tailleur. Lui n'est obsédé que par son idée stupidement fixe de caser la sœur de sa femme avec son meilleur ami à lui, soit une Eliance pas-du-tout-intéressée-et-mariée avec un Boulvay très-très-marié. Et puis la Meringue a appris le pari du couple infernal. Leur histoire de cheval de bataille. Atro a même fini par avouer avoir écrit au sien, Elias.

La Meringue s'emporte rarement. Mais une fois n'est pas coutume. Elle a pourri le Nougat. Pas seulement un peu. Beaucoup. Elle connaît la verve pas franchement délicate de son amie. Pourtant, Atro lui a juré avoir été polie. Le pardon est vite arrivé. Suite à ça, pleins de réflexions, encore. Dans ses adieux avec le russe, la roussi-blonde a promis de lui écrire. Si elle ne l'a pas fait jusque-là, elle n'a plus le choix à présent. Alors, après plusieurs heures à fixer le papier vierge, Eliance vient y graver des mots, du bout de la mine de plomb, les yeux luisant d'un reflet étrange. La main qui guide le tracé gris a la même appréhension que si le jeune homme était face à elle. À la fois anxieuse et heureuse.


Citation:

    Elias,

    Peut-être tu vas trouver que j'ai tardé, avec cette lettre. Peut-être es-tu étonné de recevoir de mes nouvelles, si tu as oublié mon engagement.
    Mais voilà. Je t'écris. Comme promis.

    Peut-être as-tu déjà atteint ta sœur et les contrées franc-comtoises. J'espère que le trajet s'est fait sans encombres.
    J'espère que les retrouvailles sont à la hauteur de tes espoirs. J'espère qu'elle a su t'accueillir dignement. J'espère que tout va bien, pour toi.

    De mon côté, je suis rentrée chez moi. En Savoie.
    Et j'ai appris que Atro t'a écrit. Pardonne-moi, pour ça. Pardonne-lui. Elle s'inquiète toujours beaucoup trop pour moi.
    Tu n'es pas obligé de lui répondre, tu sais. Comme tu n'es pas obligé de me répondre non plus.

    J'ai laissé ta robe à Paris. je crois qu'elle me manque.

    Eliance



L'écrit peut paraître froid. Succinct. Pourtant, si Elias connaît la Meringue, il saura.
N'y a-t-il pas plus d'intimité dans ce qu'une lettre fait penser que dans ce qu'elle dit ?



* Claude Mac Kay

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Elias_romanov

Elias était parti de Paris comme un fuyard, ou presque. Il n’avait pas revu Eliance depuis le matin ou ils s’étaient séparés, ou elle lui avait dit qu’elle lui écrirait.

Il ne se reconnaissait pas vraiment lui-même, et avait conclu que quitter l’atmosphère de Paris ne pourrait que lui faire du bien. Il s’était ainsi retrouvé au relais :

- Vous voulez pas que j’vous loue un cheval ?
- Non merci, je n’aime pas les chevaux.

Non, Elias n’aimait vraiment pas ces bêtes-là. La charrette, cela allait moins vite, mais il n’était pas vraiment pressé finalement. Il avait travaillé comme un acharné ces dernières semaines pour la présentation du concours du Louvre, ce qui lui avait apporté une clientèle supplémentaire, ainsi les quelques jours d’inactivité forcée étaient bienvenus.

Il avait ainsi traversé les collines parisiennes, les plaines champenoises, les coteaux bourguignons, avant que finalement son voyage ne s’achève à Poligny. Un pigeon était parti pour sa sœur, afin de convenir d’un rendez-vous. Il s’était donc installé dans une des petites auberges de la cité, attendant la réponse de Cyrielle. Les journées étaient longues et un matin, on lui apporta une missive. De Savoie.

Etait-ce encore la teigne nougatine qui revenait à la charge ? Il déplia avec une fébrilité inattendue la lettre d’Eliance, et s’installa à l’une des tables de l’auberge pour la lire. Plusieurs fois, comme pour être certain d’en saisir toutes les implications. Elle parlait de son amie, qui lui avait écrit aussi. Il se rappelait de ces lettres. La première réponse s’était résumée à « allez vous faire voir, bien cordialement ». Mais la tête de nougat avait insisté une nouvelle fois et Elias était resté circonspect. Que voulait-il de tout cela ? Pourquoi voulait-on lui faire porter la responsabilité de l’échec d’un mariage ?

Il doutait maintenant, les jours passant, même si il admettait ne pas avoir eu ce genre d’hésitation, lorsqu’il l’avait embrassé. Mais il fallait peut-être faire machine arrière. Pourtant, à la lecture de la lettre, il fut un instant confus, ce qui ne lui ressemblait guère.
Et l’une des éternelles questions que l’on pouvait se poser dans ce genre de cas fit surface à l’esprit du russe « pense-t-elle à moi autant que je pense à elle ? »
Finalement, il prit la plume pour répondre, et s’appliqua pour écrire du mieux possible.


Citation:
Eliance,
Je savais que tu tiendrais cette promesse.
Je suis bien arrivé en Franche Comté, et j’attends des nouvelles de ma sœur. Mais il n’y a personne ici pour écouter les contes d’un prince en fuite.
Leurs habits sont ternes aussi, cela manque de… turquoise.
Pour ton amie, je ne lui ai pas répondu très gentiment. Cela compensera. Dit lui d’arrêter de me parler de chevaux.
Je pense beaucoup à un gâteau parisien. C’est un gâteau qui m’échappe. Mais j’ai envie de le noyer dans la confiture avant de le manger.
Elias


La lettre était scellée et envoyée lorsqu’il décida de regretter certaines formulations. Mais c’était trop tard.
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Eliance
La neige tombe. Elle tombe dehors. Elle tombe aussi sur un visage assoupi. À peine les flocons effleurent la peau pâle qu'ils redeviennent gouttes cristallines. Sur les cils de l'endormie, ils se maintiennent à l'état de de neige, les ourlant d'un liseré d'une blancheur pure. Ces traits neigeux donnent un air étrange à la trombine de la gamine endormie qui paraît étrangement lumineux, dans la pénombre. La tignasse étalée dans la paille se fait plus flamboyante alors que les flocons viennent s'y perdre, se mariant à merveille avec le teint neigeux de l'enfant.

Des coups. Discrets. La jeune fille se réveille, alertée. Quand on vit dans le silence de l'isolement, le moindre bruit inhabituel est repéré. Les cils chassent en quelques battements les flocons encore accrochés. Les mains repoussent la couverture de laine et la gamine rampe hors de sa cachette, cet endroit privilégié et secret, planqué derrière des ballots de foin, où un trou dans le toit de chaume permet de s'évader dans le ciel. Le froid est vif. Alors, avant de s'approcher à pas menus vers la lucarne, elle a pris soin de déposer une autre couverture plus grande, plus épaisse, sur ses épaules. Ses pieds nus glissent silencieusement sur les lames du plancher. Ils ont appris à éviter les échardes du bois brut. Ils ont appris à éviter les endroits qui grincent.

Et alors qu'une main maintient la couverture serrée, l'autre vient gratter le givre sur la vitre. Il est là. En bas. Il ne s'agite pas. Il ne crie pas. Il la regarde, simplement, de ses grands yeux gris. Il est revenu. Et sans un mot, il s'en va. La gamine, le nez collé au carreau, ne réagit pas. Ses pupilles marron le cherche dans la nuit. Pour mieux le voir réapparaître, avec une échelle brandie à bout de bras, qu'il vient poser contre le mur de la maisonnée. Eliance regarde. Elle observe. Elle est heureuse de le revoir. Quelques doigts sont venus se poser sur la bobinette de la fenêtre, prêts à la tirer. Mais ils restent immobile.

La gamine regarde l'échelle, le jeune homme, et ne parvient à se décider, derrière sa lucarne. Elle semble hésiter. Elle a peur. Ce qui attire est tout aussi effrayant. Les doigts finissent par s'activer et la bobinette est retirée, lentement, avec précaution. Mais un coup de vent violent et glacial ouvre la fenêtre en grand, faisant basculer la petite en arrière.


      ***
Eliance se redresse d'un coup. Le froid est bien là. Saisissant. Elle jette un œil alentour. Le grenier et le jeune homme aux yeux gris ne sont plus là. Elle n'a plus 10 ans. Et à côté d'elle, dort son voleur de couverture, Diego. Elle l'observe un instant. Il est beau, ainsi, et semble si paisible. La Meringue voudrait qu'il arbore toujours cet air-là. Seulement, quand l'Italien se réveille, ses traits se tirent. Rien n'est plus pareil. Le froid se rappelle à Eliance en faisant frissonner tout son corps. Plutôt que de piquer un bout de couverture au dormeur tranquille, elle décide de se lever.

Comme dans son rêve, elle a pris une autre couverture qu'elle a posé sur ses épaules. Ses pieds sont nus, aussi. Et c'est ainsi qu'elle part près de l'âtre, alors que la maisonnée est endormie. Quelques souffles dans le bouffadou et les flammes reprennent vie. Assez pour éclairer un peu son visage. Assez pour éclairer le papier qu'elle sort.


Citation:

    Elias,

    Il fait nuit. Tout le monde dort. Sauf moi.
    J'ai fait un rêve. Le même qu'avant. Dont je t'ai un peu parlé.
    Tu reviens. Tu as l'échelle. On se regarde. J'ai presque pas peur. Mais j'y arrive pas. Le vent m'empêche de passer la lucarne.
    Les gâteaux parisiens se digèrent mal parfois. Fais attention. Ils sont moins bons qu'ils n'y paraissent.
    J'ai allumé un feu. Un de ceux qu'il faut pour raconter des contes. Mais j'ai personne à écouter.

    Eliance

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Elias_romanov
Le soleil était bas dans le ciel, quand Elias lut la réponse. Les jours s’écoulaient imperturbablement, et le tailleur avait réussi à avoir quelques commandes pour gagner quoi payer l’auberge et mettre de côté pour repartir et rejoindre sa sœur. Il avait envisagé un instant de se rendre en Savoie, avant de se dire que c’était idiot. Elle était là-bas, avec son mari, ses amis, et peut-être se faisait-il des idées, après tout.

Alors qu’aurait-il fait, après être arrivé là-bas, et s’être rendu compte qu’il s’était fourvoyé, qu’elle n’était peut-être pas si engeôlée que cela, et que ses amis étaient juste des agitateurs irresponsables ? Ridicule, cela aurait été ridicule.

La Baba Yaga en lui murmura qu’elle était comme toutes les autres, à chercher le frisson avant de rentrer sagement auprès de sa famille, laissant le tailleur russe à ses rubans et ses tissus.
La lettre fut plus longue, il mit longtemps à l’écrire, s’appliquant pour écrire correctement.


Citation:
Eliance,
Voici un conte, peut-être le liras-tu au coin d’un feu, avec un gâteau, en pensant à ce soir-là.
Un jour, la Baba Yaga captura une grenouille, c’était un mets délicieux, mais les grenouilles n’aimaient pas qu’on les plonge dans l’eau bouillante, puisqu’elles sautaient aussitôt du chaudron. La Baba Yaga décida de tester autre chose, et mit la grenouille dans de l’eau fraiche. « Tu seras bien là, petite grenouille. » La grenouille ne se sentant pas en danger, elle resta là. Puis la Baba Yaga mit le chaudron sur le feu, et l’eau commença à monter en température. La grenouille était bien, l’eau était agréable, et elle se détendit. Puis l’eau devint de plus en plus chaude, cela devenait inconfortable, mais vivable.

Finalement, l’eau fut presque bouillante. Lorsque la grenouille voulut sauter hors du chaudron, il était déjà trop tard, et elle fut ébouillantée. Et la Baba Yaga la mangea.

Je n’y étais pas, mais on m’a raconté.

Concernant le gâteau parisien, la seule chose qui m’inquiète, c’est qu’il ne veuille pas que je le mange. Il agit parfois très bizarrement. Peut-être veut-il simplement d’un prince qui lui raconte des histoires, quand le Drac n’est pas là. Peut-être que c’est pour cela qu’il ne lutte pas contre le vent.
Et peut-être que le prince imagine finalement lui-même un conte, pour changer la réalité.

Elias

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Eliance
- M'dame Corellio ?

Le jeune homme a laissé la porte de l'auberge ouverte et vient tendre un pli à la roussi-blonde qui s'est retournée à l'appel. Le froid s'engouffre sans vergogne dans la pièce quasiment vide de clients. Sans un mot de plus, la lettre est donnée en échange de quelques piécettes. Eliance est pressée qu'il reparte. Qu'il referme la porte. Qu'elle puisse lire en paix. Lui aussi est pressé. Sitôt fini la distribution, il peut vaquer à ses occupations favorites. Soit traîner avec ses postes autour d'une bouteille pour aller ensuite draguer de la donzelle au marché. La porte est à peine claquée que Eliance a déjà déplié le papier.

Les lettres sont peu nombreuses. Alors, sans même en avoir la certitude, elle imagine qui en est l'auteur. Le sourire lui monte aux lèvres quand elle découvre l'écriture inimitable. Au dernier mot lu, les yeux ménudiériens remontent sur le premier et la lecture recommence ainsi plusieurs fois. Le plaisir doit prendre son temps. Et puis, elle doit s'imprégner de chaque mot, de chaque sens, de chaque silence.


Citation:

    Elias,

    Le conte de la grenouille est joli. La grenouille a su insuffler un souffle de compassion à la Baba Yaga et elle est morte presque sans avoir peur et sans souffrir. Je sais que la plupart des gens doivent trouver la grenouille idiote. Je vois seulement qu'elle a su tirer d'une méchante femme le meilleur qu'elle ait eu en elle. C'est une belle mort. Une mort utile. La Baba Yaga sera peut-être moins cruelle, après ça, avec les autres grenouilles. Je crois que la grenouille doit être contente d'avoir servi à ça.

    Parmi les gâteaux, il y en a de très différents, tu sais. Il y a ceux qui ne paient pas de mine mais qui sont exquis en bouche, et ceux qui paraissent délicieux mais qui laissent un goût âpre et désagréable sur la langue. Ceux-là ne se révèlent pas si goûteux que ça. Ils sont fades, insipides. Certains se savent ainsi, à l'apparence trompeuse. C'est peut-être pour ça que le gâteau parisien se retient avec le petit prince. Il ne veut pas voir la déception sur son visage. Il se sait anodin et incapable de combler les papilles d'un petit prince. Il sait que le petit prince mérite un gâteau bien meilleur.

    Le gâteau parisien a lutté, contre le vent, tu sais. Bien des fois. Mais le vent est toujours plus fort. Il le rattrape et le rejette en arrière. Et le goût pas terrible du gâteau reste inchangé. Alors le gâteau sait pas très bien ce qu'il doit faire. Il rêve de choses mais sait que la réalité est tout autre. Quand il a vu le petit prince pour la première fois à la boulangerie, il s'est senti tout bizarre. C'est comme si le petit prince était déjà venu. De nombreuses fois. Mais d'un autre côté, il y a le boulanger. Celui qui l'a moulé et fait gonfler dans le four. Il a pris soin du gâteau, l'a mis en avant sur la plus belle étagère. Et maintenant que le boulanger est malade, le gâteau doit être là.

    Le gâteau voudrait bien des choses. Il ne sait seulement pas comment faire.
    Le gâteau voudrait tellement être un autre. Et puis oublier.

    Eliance


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Elias_romanov
    Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d'action.

    William Shakespeare, Hamlet et son fameux monologue


Le temps rattrapait inexorablement les choses, et bientôt, l’agitation quotidienne reprit son empire sur l’emploi du temps du jeune tailleur. La Franche Comté n’était pas une province très accueillante, les gens ne faisaient que parler politique, et les rumeurs les plus folles couraient sur la disparition de la comtesse en poste. Ainsi que sur ce qui allait advenir après. Mais les gens voulaient toujours s’habiller, et le jeune russe avait à son actif une exposition au Louvre, ainsi, il avait de quoi remplir ses journée.

Les certitudes des instants passés laissaient place au doute, à l’hésitation. Les mots d’Eliance laissaient percevoir tout ceci, allant en chœur avec les propres interrogations d’Elias.


Citation:
Eliance,

Je ne sais pas si la grenouille a vraiment aimé être mangée par l’ogresse. Et je crois que la Baba Yaga se fiche bien d’être gentille envers les grenouilles, même pour les préparer pour son diner.

Je ne pense pas que le gâteau connaisse vraiment le prince. Qui n’est pas petit. Le gâteau se laisse tromper par les étoffes dorées, la couronne sur sa tête, mais cela ne reflète en rien ce qu’est le prince. Le gâteau devrait peut-être faire ce dont il a envie, finalement. Ce qu’il veut vraiment, sans se soucier de ce que veut le boulanger ou le prince, la jonquille ou le nougat. Sauter de l’étagère, y rester. Mais le gâteau doit faire en sorte de ne pas avoir de regrets. Les regrets font que les contes ont un goût amer, quand on sert la viande et la bière.

Les tissus sont différents ici. Ils me rappellent ceux d’autrefois. Je ne sais pas si j’aime vraiment cela. Je ne sais pas trop si je vais venir en Savoie, même si les cheminées sont jolies. Parce que je pourrais avoir des regrets.
Elias

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Eliance
Comment ne pas douter de tout et de rien quand on ne se connaît pas soi-même ?
Plusieurs jours sans Diego. Plusieurs jours sans les jumeaux. Plusieurs jours à se peler les arpions dans la cambrousse encore enneigée savoyarde. Plusieurs jours à réfléchir, à avoir peur de n'importe quel bruit de feuilles foulées par la moindre bestiole environnante. Plusieurs jours où tout se bouscule dans la caboche ménudiérienne. Où tout devient un vrai bordel.

La question de ses propres envies est remise sur le tapis. Persuadée de n'avoir aucun rêve, Eliance avait vu, il y a plusieurs semaines, se lever le flou de ses quelques désirs grâce à une Atro acharnée. Elle avait donc pu identifier quelques souhaits, dont envoyer chier un roy, castrer un goujat et récupérer Diego. Mais depuis, la réflexion s'était refermée, comme si l'action faite une fois pouvait se suffire à elle-même. Elias qui reparle de rêves, d'envies réouvre la porte à tout ça. Les questions sont là, elles affluent en tout sens. Mais pas une ne trouve de réponse. Tout est trop compliqué. Eliance s'y perd. Eliance se perd. Son équilibre, elle l'a toujours imaginé avec Diego. Avec Atro. Elle n'imagine pas que l'un ou l'autre disparaisse. C'est impossible. Pourtant, Elias lui demande de réfléchir indépendamment de ses piliers-là.

Alors, depuis qu'un volatile non identifié a largué la lettre sur une Meringue endormie sous une couverture, rien ne va plus. D'ordinaire joyeuse et bavarde, la roussi-blonde s'est renfermée sur elle-même et ne cause guère. Elle devient taciturne devant son incapacité à formuler ses souhaits, à envisager quoique ce soit. Elle en pleure, le soir venu, à l'abri des regards de ses compagnons de route. Chaque réflexion sur elle-même la renvoie automatiquement à son sentiment de n'être rien, de ne pas exister. La douleur est là. Elle voudrait juste une chaleur qui lui fasse oublier ça. Elle n'existe que par les autres. Annuler ces personnes-là de sa vie pour penser à elle-même lui semble impossible. Tellement douloureux.

Elle s'est isolée, a prétexté une recherche de bois pour le feu et est allé se poser contre un arbre. Elle finit par prendre son crayon et à répondre au tailleur. Chaque mot est difficile à écrire. Inhabituellement difficile. Comme si le mine de plomb refusait d'écrire ces choses-là.


Citation:

    Elias,

    C'est comme ça que je vois la grenouille et la Baba Yaga. Je n'y peux rien. C'est comme ça que j'aime voir les choses. Tu ne penses pas qu'il y ait un soupçon de beau en chaque chose, chaque personne ?

    Le gâteau est naïf, stupide aussi. On lui dit, souvent. Mais il voit le prince (qui n'est certes pas petit) comme il l'a rencontré, ce soir-là. Il aimerait le connaître davantage pour pouvoir affirmer qu'il n'est pas fait d'étoffes riches et de couronnes clinquantes comme tous les autres.

    Si le gâteau devait évoquer ses envies, il dirait qu'il veut encore discuter avec le prince, entendre d'autres contes. Le gâteau connaît pas vraiment les regrets, tu sais. La souffrance, oui. Mais pas les regrets.
    Mais si le prince fuit les tissus d'autrefois, le gâteau fera avec.

    Eliance


Ces mots ne conviennent pas à Eliance. Elle voudrait que le russe ne les lise pas. Mais le papier manque. Elle se réserve une feuille pour elle-même. Si l'angoisse ne disparaît pas, elle devra écrire. Pour personne en particulier. Seulement pour sortir ses tracas envahissants. Ou peut-être glissera-t-elle une lettre dans la poche d'Atro, au détour d'une pause dans leur voyage. Cette dernière feuille est une question de survie. Alors Eliance retourne sa propre lettre et inscrit au dos quelques lignes, toutes petites, minuscules. Des nouvelles, où elle abandonne subitement les histoires de gâteau et de prince. Où elle couche, simplement un bout de son âme.

Citation:

    Elias,

    Je ne sais pas faire ça. Penser à moi, sans les autres.
    J'ai envie de te voir. Je sais pas pourquoi. Je sais pas comment.

    Eliance

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Elias_romanov
La réponse arriva à Elias quelques jours plus tard. L’ouvrage fut abandonné, au profit de la lecture, et les sourcils d’Elias se froncèrent légèrement. Du dépit, de la lassitude peut-être. Elle restait sur son étagère, et finalement ne semblait guère chagrinée par la décision du tailleur. Ils étaient bien loin en cet instant des élans ressentis quelques semaines plus tôt, à Paris.

Sur l’instant, le russe décida de ne pas répondre. Il ressentait un mélange de sentiments confus, de la déception peut-être, surtout vis-à-vis de lui-même. Il n’était pas du genre à se faire des idées pourtant.

Puis il vit les mots écrits derrière, cachés comme pour ne pas être lu. Il avait d’ailleurs failli ne pas les voir, si il n’avait pas replié la lettre pour vouloir la ranger. Et ces mots là changèrent tout le reste, rendant la précédente prose inutile et verbeuse. Mensongère presque. On ne parlait plus de métaphores et de gâteaux et quelque part, c’était un soulagement.

Citation:
Eliance

Dire « j’ai envie », cela commence ainsi.
Pas à Belley. Juste toi et moi, à Annecy, dans quelques jours.

Elias


Pas de nougat ou de jonquilles pour compter les points. Ou de mari.
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Eliance
Les pieds sont encore dans la neige. La caboche encore en vrac. Et le tout encore au bord d'un chemin lorsque Eliance reçoit la dernière lettre russe. Inconditionnellement, ce sont les seuls rares instants où un sourire inonde sa trogne. Le reste des journées reste morne et rempli simplement d'une anxiété à toute épreuve. Cette fois, elle ne se cache pas. Ils sont tous là, autour du feu. Elle ne cache pas ce sourire-là. Atro sait de toute manière ce qui lui donne cet éclat depuis quelques semaines. Eithann a aussi perçu la chose, il est plus jaloux encore que d'ordinaire. Quant à Lucy... elle ne la connaît pas assez pour savoir.

Alors elle reste assise, là, avec tous ces compagnons de chemins. Elle se contente de retourner le bout de papier et de tracer quelques lignes au dos. Les mots du jeune homme résonnent en elle d'une manière étrange... « juste toi et moi »...



Citation:

    Elias,

    J'y serais. Il me faudra seulement quelques jours.
    Je ne suis pas tout près.

    Eliance

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