Wallerand s'inclina vers la main tendue, la pressant légèrement plus que de raison sans pour autant y presser les lèvres, tandis qu'en retour, sa main se serra brièvement. Une manière on ne peut plus discrète pour les deux amants de déroger aux convenances pour se saluer... Ce n'était presque rien après tout, et qui aurait pu voir une quelconque différence avec leur comportement habituel ? Ils s'étaient toujours salués de la sorte depuis qu'ils se connaissaient, sauf pâmoison inopinée, en particulier en public...
Il n'y a aucun mal, j'arrive tout juste... Avez-vous pu régler cette urgence ?
Le jeune homme se redressa, un sourire taquin aux lèvres. Il y avait effectivement eu une urgence, avaient-ils convenu dans l'embrasure d'une porte. Bella sourit, les joues légèrement roses, se remémorant leurs retrouvailles musclées contre un mur.
J'ai bien peur que ce soit une cause perdue...
La jeune femme rit, lui prenant le bras. Wallerand sourit, comblé par le sous-entendu qu'il croyait déceler dans ces quelques mots pourtant si anodins, et l'entraina sous la porte cochère, vers la cour intérieure.
Ma foi, il en faut ! La vie manquerait de piment sans ces inattendus...
Sans ces urgences...
Tout à fait !
Un sourire ponctua l'assertion du Gascon, alors qu'il la guidait au travers de la cour jusqu'à l'escalier adéquat. L'avantage de cette sorte d'enclave commerçante était l'incessant va et vient d'anonymes. Au final, il ne connaissait guère de visage que les commerçants qui y avaient leur échoppe, et le savetier en particulier. A son pied, il se détacha du bras de la Comtesse, lui indiquant :
Par ici, si vous voulez bien... Attention à la huitième marche, elle est un peu fragile, le savetier et moi l'avons esquintée.
Esquintée avec la table, d'ailleurs... Tous les habitants de la cour devaient encore s'en souvenir. Et l'arrosage de l'exploit qu'avait constitué l'ascension jusqu'au premier étage avait été joyeusement mené chez Adalarde, d'ailleurs. On ne changeait pas une équipe qui gagnait ! Se souvenant de leur cours de danse, elle sourit, amusée.
Et si je tombe....
Hmmm... Vous me posez un cas de conscience délicat !
Ne perdons pas les bonnes habitudes.
Tomberiez-vous en avant ou en arrière ? Telle est la question !
Le Beauharnais sourit. La question était en réalité à moitié sérieuse, car quel que soit le sens de la chute de son invitée, il avait une chance sur deux d'être du mauvais côté. Et il n'avait pas suffisamment côtoyé les femmes de qualité pour savoir si leurs atours les inclinait à tomber vers quelqu'un qui les précédait ou qui les suivait. Grave interrogation ! Et si la recherche d'une réponse n'avait pas supposé des expériences sur la personne de Bella, il aurait sans doute suggéré leur mise en application. Pour la science ! Il justifia donc sa saillie, au détour d'un léger haussement d'épaules, par un détendu :
Il vaut mieux prévoir, pour la maîtresse... Es chutes, naturellement.
Bella rit joyeusement, se souvenant de sa chute inopinée dans ses bras, lors de leur cours de danse un peu alcoolisé.
Vil moqueur!
A son tour, il sourit. Que le Très-Haut lui pardonne, mais qu'il aimait son rire ! Pour lui seul, il se sentait capable de dire toutes les âneries et d'accomplir toutes les bêtises du monde. Juste pour l'entendre rire encore. Aussi se lança-t-il dans une inclinaison du buste doublé d'un théâtralement obséquieux :
Je n'oserais, ma Dame ! Et il se pencha légèrement pour ajouter, plus bas : Passez devant, si vous voulez, j'aurais le plaisir de vous contempler !
La comtessa s'arrêta quelques secondes, observant le bâtiment qui possédait un charme particulier. Cet endroit lui plaisait, il était plein de vie et de charme... Elle releva légèrement ses jupes, et monta prudemment les marches, en faisant attention à la huitième, qui grinçait un peu. Lui, dans son dos, se repaissait de sa silhouette. L'avantage, cependant, était le relatif abri offert par la structure de bois. Si un commerçant s'interrogeait... Il en serait pour ses frais, car il n'aurait rien à raconter. Et la cour était suffisamment fréquentée pour que l'on ne puisse pas faire attention à toutes les allées et venues de ses habitants.
Vous vous plaisez ici, c'est calme?
La jeune femme, à mots couverts, se demandait si des gens qu'ils connaissaient habitaient ici. Si des bavards ou des commères habitaient là, histoire d'éviter les commérages. Mais, avec sa délicatesse toute masculine, le Beauharnais passa à côté du sujet de sa réflexion précédente et répondit au tout premier degré :
C'est assez agréable, quoique très animé en journée. Vous me direz, je ne suis pas beaucoup là en journée...
Je vous monopolise souvent la journée...
Oh, c'est un vrai plaisir ! Si je pouvais être monopolisé ainsi chaque jour, je ne m'en plaindrais toujours pas.
Ce ne sera pas toujours aussi simple...
Non, je le parierais volontiers...
Bella sourit, et lui reprit le bras. Wallerand, au souvenir de la figure désagréable de la camériste de sa maîtresse, esquissa un sourire à son évocation à demi-mot. Retrouvant cependant avec joie son bras, le jeune homme la guida jusqu'à la porte de son appartement. Une pointe d'appréhension le prit à l'idée qu'elle verrait là quelque chose de modeste, dont elle n'aurait pas l'habitude... Rebutant, peut-être. Et puis il se souvint de sa réaction quand il avait évoqué la modestie du peuple, cette quasi-rebuffade quand elle lui avait appris qu'elle en était issue et que, bien que noble, elle ne le mésestimait pas. Ce fut donc avec une certaine décontraction qu'il poussa le battant et qu'il proféra, de nouveau théâtral :
Bienvenue dans un modeste pied-à-terre !
Bella lui sourit et entra, ferma les yeux. Inspirant longuement, elle respira l'odeur des iris, et celle sous-jacente et néanmoins agréable du cuir, le tout enveloppé par la fragrance de l'axoa qui chauffait sur le feu. Ouvrant les yeux, ses jades apprécièrent le décor, un logement meublé avec goût... Elle reconnaissait bien là le Beauharnais. Et il avait fait un effort pour lui installer une jolie table.
C'est très agréable...
C'était peu de le dire. Wallerand entra à son tour, refermant la porte sur eux, souriant au compliment. Enfin seuls...
Merci, j'espérais qu'il vous plairait.
Le jeune homme lui sourit et, profitant de l'intimité offerte par la pièce, posa un baiser sur son front. La jeune femme, conquise, l'enlaça et posa un baiser sur ses lèvres. Elle lui lança un regard de tendresse, avant de fouiller dans sa besace, et en retirer un petit écrin de cuir noir. Interrogatif, le Beauharnais ne la quittait pas du regard.
Je vous ai
Amené un présent.
Bella sourit, et lui confia l'écrin dans le creux de sa paume, lui referma les doigts et reposa ses mains sur les siennes, douce caresse.
Vous me gâtez...
Wallerand, une fois le petit coffret reçu, le tint serré entre ses paumes, profitant du contact des doigts de Bella avant de bouger, ne sachant trop comment réagir. Déjà, il ne savait guère comment réagir dans ces circonstances, et avait bien du mal à accepter les cadeaux. Même lorsque sa marraine avait insisté pour lui offrir deux tenues confectionnées pour le dîner à Peyrehorade et pour le couronnement d'Angelyque, il avait insisté pour lui rembourser. Bon, elle avait toujours refusé, certes, mais c'était une question de principe. Et en plus, il avait ouï dire que bien des notions de politesse étaient liées à la réception et à la découverte des présents... Et il n'en connaissait pas la première. C'était sans doute l'une de ses plus graves lacunes en matière d'étiquette, qu'il lui faudrait un jour combler. Aussi, pour éviter les gaffes - et le Très-Haut savait qu'il en était coutumier ! -, le Gascon murmura-t-il :
Est-il de coutume de... D'ouvrir immédiatement les présents, ici ? Je ne suis pas encore familier avec ces usages.
Je ne sais...
Bella se demandait si elle n'avait pas commis une bévue, en amenant ce présent. Il ne pouvait pas savoir ce que c'était, et vu l'écrin, cela aurait pu être un présent luxueux, comme une chevalière... Or, il n'en était rien, c'était un présent somme toute symbolique. Wallerand sourit, rassuré par l'ignorance de la jeune fille, et céda à son vice principal dans un joyeux :
Alors pardonnez à un grand curieux !
La jeune femme soupira discrètement, et sourit. Réalisant qu'il s'excusait encore une fois, Wallerand secoua la tête sur un léger éclat de rire et lâcha :
Je vais vous lasser, à force de vous demander pardon !
Hum, mais vous avez un talent extraordinaire pour vous faire pardonner! Ce présent
Ca... n'a pas une grande valeur... monétaire. Ce n'est qu'une petite chose.
Il n'en fallait pas plus pour rassurer totalement le Beauharnais. Sur un sourire à sa maîtresse, il ouvrit l'écrin, cédant à la tentation. Devant ce qu'il contenait, il resta un instant interdit, considérant la clef, Bella, la clef, Bella, et avisa finalement le mot et le déplia. La jeune femme sourit, les joues roses, et regarda ailleurs, appréhendant la réaction. Une devinette et une déclaration, sur le vélin. Elle était persuadé que le jeune homme, comme elle, était fin lettré, et savait déchiffrer le latin. Comment réagirait-il face à une déclaration d'amour dans toute sa candeur ? Alors qu'elle s'interrogeait, il lisait.
Citation:Afin poursuivre le doux songe,
Un écrin à la folie qui nous ronge.
Attendez de moi un cygne, fuyant le corbeau,
Dans un nid au bord de l'eau.
Cor meum tibi offero*
C.
Le songe et la folie étaient transparents et provoquèrent un sourire léger, heureux, comme une envie de baiser ces lèvres. Ce fut après qu'il dut s'accrocher. Comme souvent en ces circonstances, quand il devait faire appel à des ressources de mémoire enfouies au plus profond de son esprit, il lui fallait le vider. Le cygne... En rapport avec Bella... Le sceau de sa lettre, après cette fameuse nuit parisienne, lui sauta aux yeux. Le cygne, c'était une lettre d'elle. Le corbeau. C'est moche, un corbeau. Ca crie fort. C'est désagréable. La vieille rombière dormante du fauteuil, sans aucun doute. Le chaperon dans toute son horreur... Et le nid, c'était l'endroit ouvert par la clef. Oui, c'était forcément ça.
Et le latin... Les souvenirs remontaient à loin, très loin. Comme une sorte de code, comme un louchebem avant l'heure, certains Beauharnais profitaient de leur éducation pour utiliser cette langue en cours de négociation. Un moyen simple de passer outre une compagnie inopportune pour s'entendre entre eux... Cor. Le coeur, la déformation moderne était transparente. Meum, facile. Tibi... Il fallut chercher un peu plus. Tu, te, tui, tibi, te. Tibi, à toi. Offero, transparent. Quand la lumière totale se fit sur la signification de la locution finale, Wallerand releva les yeux, manifestement ému. L'aveu était sobre et pourtant tellement parlant, empreint de dignité comme de délicatesse... Il murmura, ânonnant quelque peu alors qu'il forçait sa mémoire renâclante à faire remonter à la surface les bribes de latin nécessaires :Cor meum... tibi... est iam.**
Bella, émue, les yeux brillants, lui souriait. Le jeune homme lui rendit son sourire et, n'y tenant plus, l'attira à lui pour l'embrasser.Vous faites de moi un homme heureux...
Cette clef... Ouvre un vieux moulin. A l'Est de Lou Moun. Wallerand la regarda, craignant que son imagination ne s'emballe. Un endroit, pour eux... Un nid où le chaperon ne pourrait pas les suivre, dont elle ignorerait tout, dont elle ne saurait rien. Un lieu où il n'y aurait qu'eux, leur folie et leur rêve. Il ne put que balbutier :Un moulin...
Ce sera... Notre secret.[* Je t'offre mon coeur.
** Mon coeur est déjà à toi.]_________________