Wayllander Tout en grommelant et en se plaignant de son sort, le procureur arrivait aux portes de la fameuse brasserie de la Trivi. Il était recouvert de poussière et de terre, et même son habituelle toque noire était dans un triste état.
Autour de sa taille sa besace en cuir était complètement trempée, déchirée par endroits.
En fin de compte, seule sa moustache restait Parfaite dans tout cet ensemble. Mais comment aurait-il pu en être autrement ?
Il était connu du personnel de la Blondissime, et se dirigea à travers les couloirs sans problème. Tout en marchant, il pensait à son amitié avec la comtesse. Cela ne faisait certes pas très longtemps qu'ils se fréquentaient, une demi-année tout au plus, mais Wayllander avait l'impression de la connaître depuis toujours.
À croire qu'ils étaient faits pour s'entendre, il ne pouvait se souvenir d'une seule fois où ils se seraient réellement disputés. Et plus il en découvrait sur elle, et elle sur lui, plus ils se trouvaient de nouveaux points communs.
La Perfection était naturellement le principal. Ensuite la modestie, même s'il était vrai que la Blonde avait encore du progrès à faire sur ce point. Rien que le fait de s'obstiner à se faire appeler Plus Belle Blonde des Flandres en était la preuve..
Enfin bon, le Moustachu revint brusquement à la réalité en pénétrant dans la salle de dégustation où Rosa l'attendait. Elle était rayonnante, la pièce était impeccable, et lui ressemblait à un mendiant. Sa colère revint soudainement à cette constatation. Les sourcils froncés et le doigt pointé en signe d'énervement, il s'approcha de la Blondissime.
C'est une honte très chère, une véritable honte ! Lui montre toujours de son doigt pointé ses bottes noires jadis sublimes. Regardez dans quel état je suis ! Mes plus beaux vêtements ! S'écroule sur une chaise, en soupirant bruyamment. Saletés de buveurs de tisanes..
Toujours la faute des mêmes.
Wayllander Le procureur remercia d'un hochement de tête la Blondissime, et s'enfila la chope d'un trait. C'est vrai qu'il en avait bien besoin. Il prit ensuite son mouchoir blanc et entreprit de nettoyer son gilet. À la question de Rosa, il reprit du poil de la bête et se leva brusquement.
Figurez vous que j'étais tranquillement installé sur mon cheval -vous savez, le magnifique cheval brun que j'ai acheté il y a deux mois- lorsque je... Hmmm.. il ne pouvait décemment lui dire qu'il s'était pris une branche dans la figure en passant dans les bois et qu'il était tombé lamentablement... Ce serait absolument ridicule. Lorsque qu'un ours noir a surgi devant moi. Ma monture étant encore jeune, elle a rué et j'ai chuté au sol. Évidemment je me suis vite repris, en me levant d'un bond avant de transpercer la bête de mon épée. J'ai hésité à vous offrir la fourrure d'ailleurs, mais j'ai pensé que vous ne trouveriez pas cela assez raffiné.
Enfin bref, mon cheval s'était déjà enfui, et j'ai dû continuer à pied.. dans l'état où je suis.
Une bien triste histoire. Wayl se rassit et reprit une chope de bière. Après tout c'était pour cela à la base qu'il avait été invité. Il hocha à nouveau vigoureusement la tête.
Pour en revenir aux buveurs de tisanes, cela ne m'étonnerait pas de découvrir que l'ours était à eux. Peut-être bien dressé pour tuer vos visiteurs.. ou bien vous même. Vous êtes tout de même la figure de proue de la bière en Flandres. Il poussa un profond soupir. Non, vraiment, ces gens n'ont aucune morale. Heureusement que je me suis occupé de ce monstre.
Wayllander Encore légèrement essoufflé par sa longue tirade, le Moustachu écoutait avec satisfaction les éloges de son amie. Cela faisait du bien de voir que certaines personnes comprenaient la hauteur de son sacrifice.
Même s'il avait un petit peu exagéré le combat, le fait qu'il ait dû marcher des kilomètres pour arriver ici était bien réel ! Tout comme la boue qui recouvrait ses beaux vêtements, qui habituellement faisaient sa fierté.
Et en plus vous avez déjoué un complot et avez préservé Notre Perfection! Il faudrait pour le moins que je vous nomme, voyons Chouvalier j'ai déjà...mmh voyons, Grand Protecteur!
Oh inutile de me récompenser très chère, ça m'a fait plaisir de pouvoir vous être utile. Ma modestie m'interdit d'accepter quoi que ce soit d'autre que de la boisson. Même s'il est vrai que j'ai payé de ma personne..
Il accepta avec un sourire la chope tendue par la comtesse et secoua tristement la tête.
Regardez ma besace, j'avais apporté quelques bouteilles.. toutes brisées ! En plus d'être sale, je sens l'alcool. Quel malheur.. Malgré la gravité des faits, il tenta de changer de sujet après avoir soupiré un bon coup. Et dites moi, le chaton que je vous avais offert, il va bien ? Il doit avoir grandi.
Wayllander Il fronça les sourcils. État d'ivresse et tenue délabrée ? Lui qui pensait que malgré tout, sa grâce naturelle lui permettait de garder fière allure !
En plus, tous les maréchaux l'avaient déjà vu au moins une fois dans les couloirs du château... non, l'arrêter, ça aurait vraiment été de la mauvaise foi.
Enfin, lorsqu'elle parla du chaton, le visage du procureur se radoucit.
Que d'aventures il avait subies pour l'offrir à la Blondissime ! En fait, il avait su par une jeune fille en pleurs que son père allait noyer une dizaine de bébés chats, la portée étant trop nombreuse. Persuadé de pouvoir faire quelque chose, il était allé à la rencontre du type, qui lui avait refilé tous les chatons ! Il ne pouvait décemment s'occuper lui-même de toute cette ménagerie, il était bien trop occupé.
Sa réputation et son beau sourire aidant, il avait réussi à trouver une famille pour 9 d'entre eux. En restait un, qu'il avait gardé chez lui quelques temps, en attendant l'anniversaire de la Trivi. Il était certain qu'elle adorait vite cette affectueuse petite créature.
Le Moustachu sourit largement à l'évocation de la chope fétiche. En toute modestie, il fallait avouer que cela avait été un très beau cadeau.
Et voilà qu'elle changeait brusquement de sujet ! Il hocha la tête en fermant les yeux.
Hmm oui vous avez bien raison. Surtout un produit tel que celui-ci, il faut le mettre en valeur ! À mon -humble- avis, les armes sur le fût, c'est vraiment la meilleure idée. Parce que voyez vous, l'étendard c'est éphémère, tandis que les armes gravées dans le bois, ça peut durer des années ! Qui sait, peut-être même que certaines personnes iront en faire la collection.
Elle avait bien fait de lui demander ce qu'il en pensait avant, de cette manière elle était certaine de ne pas se tromper.. même si ses idées commençaient à se brouiller.
En effet, la forte odeur d'alcool lui montait peu à peu à la tête, et il se sentait mal.
Dites très chère, cela vous dérangerait que nous allions deviser dans votre jardin ? J'ai besoin de prendre un peu l'air. Ce sera l'occasion de me présenter le travail de vos jardiniers.
Wayllander Wayllander sourit en coin en voyant la Trivi attraper une chope au passage. C'est qu'il ne faudrait pas se laisser dessécher ! Il l'aurait sans doute imitée s'il n'avait pas l'esprit aussi trouble.
Il prit volontiers le bras aimablement proposé, et ils s'en allèrent dehors. Immédiatement, le vent frais lui fit effet et il pût contempler sans entrave le jardin dans toute sa splendeur.
Aussi beau qu'utile puisque il y avait en effet nombre de plantes médicinales, aux noms et vertus plus étranges les unes des autres. Voilà qui était digne de la réputé médicastre qu'était la Blondissime !
Il s'apprêtait à lui demander s'il pouvait lui emprunter l'un de ses hommes quelques heures pour son propre jardinet, lorsqu'il le vit, à l'orée du bois. N'en croyant pas ses yeux, il attrapa sa camarade par la manche, tout excité.
Rosa ! Vous le voyez ? Là ! Entre les deux arbres ! Il tendit le bras pour lui montrer. Mon cheval ! J'étais certain de ne plus jamais le revoir. Au prix qu'il m'a coûté.. il faut absolument que je le récupère. Restez ici, c'est un nerveux.
Le Moustachu souffla un bon coup et s'avança doucement vers l'animal, qui broutait paisiblement. Arrivé à une dizaine de mètres, il s'accroupit et le contourna discrètement. Il n'avait aucune confiance en cette bête, et c'est justement pour cette raison qu'il avait préféré que Rosa reste en arrière. On ne pouvait pas vraiment dire qu'il était dangereux, mais il aurait était navrant qu'elle se retrouve dans le même état que lui. Elle aurait peut-être même risqué d'être décoiffée !
Sans doute trahi par son odeur d'alcoolique, le cheval se retourna brusquement, le fixant de ses grands yeux sombres. Tous ses muscles étaient crispés.
Tout doux mon beau.. viens là, on va rentrer à la mai..
L'animal poussa alors un hennissement de rage et rua très violemment, envoyant son sabot en plein dans la figure de Wayllander, avant de partir au galop dans la forêt.
Le visage en sang, le procureur s'écroula, inconscient.
Wayllander La violence du choc avait plongé Wayllander dans un abîme de pensées et de souvenirs. De vieux souvenirs dont il pensait ne jamais se rappeler, qui remontaient à la surface.
À vrai dire, il n'avait plus aucun souvenir de sa vie avant ses cinq ans. Ses parents lui avaient raconté qu'il était tombé dans les escaliers et était resté inconscient une semaine, avant de se réveiller la mémoire effacée.
Mais à présent des images, des voix, des visages lui revenaient brutalement en tête, le noyant sous une tonne d'informations.
Il se souvenait de tout, avec une précision aussi incroyable que douloureuse. Jamais il n'était tombé dans les escaliers. Non, il ne voulait pas y croire.. ses parents lui auraient menti ? Ses parents.. qui d'ailleurs n'étaient pas ses vrais parents.
On n'avait fait que lui mentir.
En vérité, lui et ses vrais parents avaient été attaqués par un groupe de brigands alors qu'ils cheminaient vers leur domaine. Ils avaient tué sa mère et son père, et laissé pour mort le jeune blondinet. C'est seulement ensuite qu'était arrivé le couple de Miras et leur suite, et qu'il l'avait recueilli.
Sa véritable famille.. il avait une grande sur, il s'en souvenait à présent. D'une gentillesse incroyable avec lui. Mais elle ne s'entendait pas avec leurs parents. Pour une histoire de mariage dont il ne comprenait pas grand chose.
Le procureur n'arrivait pas à se rappeler de leurs noms.. rien que des visages, des couleurs, et un blason. Il connaissait ce blason, même après sa perte de mémoire, il en avait la conviction.
Il essayait de se souvenir, de remettre des noms sur les images, de toutes ses forces, lorsqu'une voix féminine le fit sortir violemment de ses pensées.
Wayllander, éveillez-vous je vous en prie.
Il ouvrit péniblement les yeux, avec un terrible mal de tête là où il avait reçu le coup de sabot. Son esprit était encore très flou, et il ne comprit pas tout de suite là où il se trouvait.
Il n'en cru pas ses yeux. Face à lui, accroché au mur, se trouvait le blason qu'il avait vu en souvenir. Celui de ses parents. Son blason. Il tourna lentement la tête et reconnu sa Blondissime amie.
Ro.. Rosa.. ce blason là.. Il le pointe d'un doigt tremblotant. Que fait-il ici ?
Wayllander Wayllander resta interloqué. Le blason de la famille de Leffe ? Impossible, il était certain que ce blason était le sien.
C'est alors qu'il eut le déclic. Il ne lui restait plus aucun flou dans sa mémoire, tous les noms, prénoms, lui revenaient soudainement.
Oui, ce blason était bien celui de sa famille, la famille de Leffe.
Il tourna lentement la tête vers le blason, avant de revenir sur Rosa. Rosa, sa grande sur. Il en eut les larmes aux yeux. Pendant dix ans, il n'avait eu d'autre souvenir que son propre prénom, et maintenant tout lui revenait d'un coup, mémoire comme famille.
Comment avait-il pu ne pas la reconnaître ? Depuis le temps qu'ils se fréquentaient ! Et surtout elle, qui avait toute sa mémoire, comment avait-elle pu ne pas le reconnaître ? Avait-il tant changé ?
Il inspira un grand coup, encore sous le choc.
Rosa.. vous.. Comme il était étrange de la vouvoyer à présent. Écoutez.. écoute moi.
Et il lui raconta tout. Comment la mémoire venait de lui revenir, qui il était vraiment, comment lui et leurs parents avaient été attaqués, comment il avait été recueilli chez les Miras.
À la fin de ce long monologue, sa douleur lancinante au crâne redoubla d'intensité et il retomba dans l'inconscience.