Lorsque l'annonce des joutes de Machecoul lui était parvenu, le Ténébreux vivait les heures les plus heureuses de vie.
Pourquoi le ciel s'était-il soudainement assombri ? Il lui semblait n'avoir aucune prise sur les événements qui le détruisaient et cette impuissance le rongeait et faisait naitre en lui une révolte auto-destructrice. Le combatif savoyard en était réduit à assister à sa propre déchéance dans ce jeu qui consistait à l'aimer puis à l'ignorer, puis à retourner à nouveau vers lui et à la délaisser le jour d'après. Jeu qui n'en était d'ailleurs pas véritablement un ou qui aurait pu sembler malsain si une volonté s'y invitait. Mais ce n'était pas le cas. Il comprenait ses questionnements sans toutefois pouvoir y répondre, se contentant d'être là, jour après jour à la regarder le détruire sans pouvoir lui révéler ce qu'il savait.
Mais voilà... il l'aimait. Il l'aimait plus qu'il n'aurait jamais cru pouvoir aimer une femme. Et chaque seconde passée à ses côtés avait valeur d'éternité.
Longtemps il avait hésité à paraitre à ces joutes auxquelles il les avait inscrits tous deux, avant de décider qu'il était ici question d'engagement et qu'il ne pouvait s'y soustraire.
L'enthousiasme qui le débordait les jours précédant s'était tari, ne laissant qu'un vide immense, une coquille vide sans substance.
Ils avaient passé de longues heures à parler sans qu'aucune solution ne puisse venir résoudre cette situation digne des pires tragédies grecques qui se terminent généralement par la mort de celui que la droiture empêche de survivre parce qu'il va au bout de son destin ou de son amour.
Quid de l'exodos ? Il n'en avait aucune fichue idée quand, la veille au soir, un dénouement des plus heureux était venu conclure la énième éruption d'un volcan qui les consumait tous deux.
Il songeait à ces dernières heures tout en sellant Atlas, le vaillant frison noir. Tandis qu'il resserrait les sangles, lui revenaient de merveilleuses images d'un bonheur désormais à portée de leur main, enrichi de la certitude que désormais ils seraient deux à forger leur destinée.
Tout était près pour leur voyage. Les étapes avaient été minutieusement choisies depuis des jours.
Plusieurs nuits durant lesquelles le sommeil s'était mutiné, avaient marqué son visage dont une barbe de trois jours ne parvenait pas à masquer le teint blafard. Il exécutait
chaque geste machinalement, rompu par l'habitude. Inexorablement, ses pensées tournaient en boucle. Elle était, restait, et serait à tout jamais, la seule évidence de sa vie.
Il passa sa dextre sur son visage, comme pour en effacer un brouillard toxique, miasmes de ses insomnies et s'ébroua, rejetant en arrière sa longue chevelure de jais.
Valeo ! Dans trois jours, quatre tout au plus, tout se jouerait. Mieux valait profiter de l'instant et de ce voyage qui les conduirait en Brocéliande dont ils avaient tous deux tant rêvé.
Lui offrir cette escapade. En faire l'acmé de leur histoire tout en espérant que l'apogée perdure à tout jamais et qu'enfin plus rien ne les sépare. Une fois encore son estomac se contracta lorsqu'elle parut.
Monlight attendait sa cavalière. Il l'aida à monter en selle profitant de leur proximité pour déposer un baiser sur son front.
- Allons..
[Quelques jours plus tard en Bretagne.]
Ils avaient décidé de ne pas faire dresser de tentes pour ces joutes, préférant le confort d'une auberge qui abriterait leur amour. Ils s'équipèrent donc sur place auprès de marchands d'armes dont les commerces fleurissaient lors des tournois et qui accueillaient les participants avec force sourire. L'oeil avisé du maistre d'armes repéra vite celui qui présentait les plus belles pièces et l'affaire fut rapidement conclus et ce fut heureux car Elektra devait affronter les éliminatoires le jour même, éliminatoires dont lui-même était dispensé.
Il l'aida à s'équiper, vérifiant plusieurs fois chaque attache, s'assurant que chacune des jointures s'ajustait bien à la pièce attenante et ne présentait aucun interstice susceptible de laisser passer un fer de lance. Jouter était un exercice périlleux, moultes chevaliers l'avaient payé de leur vie et il ne pouvait se départir d'une certaine angoisse dès qu'il la savait en lice. Elle était pourtant une combattante émérite, épéiste redoutable mais rien ne le rassurait. L'adrénaline ferait pulser son sang jusqu'à ce qu'il la sache sauve.
- Prête ?Ne restait plus qu'à ajuster le casque ce qu'il fit après un tendre baiser.
- Vous pensiez que j'allais l'oublier ? ajouta t'il avec un sourire.
Elektra détestait porter le heaume. Il ne l'en dispensa pas.
Le savoyard l'aida à se hisser sur sa monture, lui passa sa lance puis la regarda rejoindre la lice prenant place au plus près, contre les barrières.