Jules.
[Sur un chemin, quelque part en Touraine]
Il marche. D'un pas presque décidé, ce qui est ironique ; il ne sait pas où il va.
Cela fait déjà plusieurs mois qu'il marche, traversant bourgs, villages, hameaux, sans jamais s'arrêter plus de quelques jours. Juste assez pour gagner de quoi manger. Et en marchant, il fait la liste, dans sa tête, de ce qu'il a appris.
Il sait qu'il est brun et barbu, qu'il a les yeux sombres. L'eau des ruisseaux dans lesquels ils s'est vu ne lui ont pas vraiment permis d'en déterminer la couleur exacte.
Il sait qu'il est grand, sans être un géant. Peu d'hommes le dépassent, mais ça arrive.
Il sait qu'il boite, et qu'il est pas mal amoché. La plupart des blessures lui paraissent anciennes... Soit il était soldat, soit il a fait une guerre. Au moins.
Il sait que ses vêtements sont plus riches que ceux d'un soldat, pourtant. Sales à présent, et troués, mais d'un très bon tissu...
Il sait pourtant qu'il n'est pas noble. Les rares fois où il a ouvert la bouche, pour acheter une miche de pain ou demander du travail.. Les mots qui sont sortis n'étaient pas distingués. Et le regard que les gens simples posent sur lui est un regard d'égal à égal.
Il sait qu'il plaît aux femmes. Enfin s'il en croit les sourires de certaines passantes, les illades des filles de ferme où il a été souvent logé à la grange durant son voyage. Pourtant Dieu sait qu'il a d'autres préoccupations que les galipettes. Il n'a rien fait pour leur plaire.
Il sait qu'il était en Guyenne quand il a commencé à marcher.
Et surtout, il sait qu'il s'est réveillé il y a plusieurs mois, en plein milieu d'un champ. La nuque en sang, et trois informations dans la caboche. Une image et deux noms. L'homme serre les dents, comme chaque fois que l'image lui revient en tête.
Il est agenouillé dans la poussière, une jeune femme dans les bras. Elle est belle, elle est rousse. Sa poitrine généreuse se soulève de façon erratique, ses yeux d'un bleu profond le supplient. Et elle est couverte de sang. Elle essaie de parler, il se penche. Elle dit "Baudouin". Et puis elle ne dit plus rien.
L'homme frisonne et secoue la tête. Le deuxième nom n'est pas lié à ce seul souvenir. C'est un nom qui lui vient sur les lèvres au réveil, sortant d'un songe dont il n'arrive jamais à se souvenir.
Eloanne.
Il s'est arrêté net de marcher. C'est chaque fois pareil, il ne peut penser au nom sans le dire à haute voix. C'est plus qu'un nom, c'est comme.... une obsession. Un chant, une mantra.
Eloanne. Eloanne, Eloanne....
Il reprend sa marche, presque rageusement, en scandant le nom comme pour rythmer son voyage. Et comme chaque fois qu'il termine sa liste, ces satanées questions reviennent envahir son cerveau.
Cette rousse.... Est-elle morte ? Est-ce lui qui l'a tuée ? L'idée lui retourne les sangs, chaque fois qu'il se pose la question. Non, c'est impossible. On ne tue ni les femmes, ni les enfants. Il ne sait pas pourquoi il sait ça, mais il le sait. D'ailleurs, elle ne paraissait pas avoir peur de lui, au contraire. Et puis il lui caressait les cheveux.
Mais alors... Est-ce que c'est son nom à lui qu'elle disait ? Est-ce qu'il s'appelle Baudouin ? Et elle... s'appelait-elle Eloanne ?
Mais si elle s'appelait Eloanne, pourquoi a-t-il l'impression qu'il la cherche ? On ne cherche pas une morte....
Eloanne.... Eloanne, Eloanne.
La marche forcée continue, rapide, décidée, comme si ses pieds, eux, savaient où ils allaient. Et pour chasser les questions sur ce qu'il ignore, il reprend sa liste des choses qu'il sait.
Il sait qu'il est brun et barbu.
Il sait qu'il est grand.
Il sait qu'il est....
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Il marche. D'un pas presque décidé, ce qui est ironique ; il ne sait pas où il va.
Cela fait déjà plusieurs mois qu'il marche, traversant bourgs, villages, hameaux, sans jamais s'arrêter plus de quelques jours. Juste assez pour gagner de quoi manger. Et en marchant, il fait la liste, dans sa tête, de ce qu'il a appris.
Il sait qu'il est brun et barbu, qu'il a les yeux sombres. L'eau des ruisseaux dans lesquels ils s'est vu ne lui ont pas vraiment permis d'en déterminer la couleur exacte.
Il sait qu'il est grand, sans être un géant. Peu d'hommes le dépassent, mais ça arrive.
Il sait qu'il boite, et qu'il est pas mal amoché. La plupart des blessures lui paraissent anciennes... Soit il était soldat, soit il a fait une guerre. Au moins.
Il sait que ses vêtements sont plus riches que ceux d'un soldat, pourtant. Sales à présent, et troués, mais d'un très bon tissu...
Il sait pourtant qu'il n'est pas noble. Les rares fois où il a ouvert la bouche, pour acheter une miche de pain ou demander du travail.. Les mots qui sont sortis n'étaient pas distingués. Et le regard que les gens simples posent sur lui est un regard d'égal à égal.
Il sait qu'il plaît aux femmes. Enfin s'il en croit les sourires de certaines passantes, les illades des filles de ferme où il a été souvent logé à la grange durant son voyage. Pourtant Dieu sait qu'il a d'autres préoccupations que les galipettes. Il n'a rien fait pour leur plaire.
Il sait qu'il était en Guyenne quand il a commencé à marcher.
Et surtout, il sait qu'il s'est réveillé il y a plusieurs mois, en plein milieu d'un champ. La nuque en sang, et trois informations dans la caboche. Une image et deux noms. L'homme serre les dents, comme chaque fois que l'image lui revient en tête.
Il est agenouillé dans la poussière, une jeune femme dans les bras. Elle est belle, elle est rousse. Sa poitrine généreuse se soulève de façon erratique, ses yeux d'un bleu profond le supplient. Et elle est couverte de sang. Elle essaie de parler, il se penche. Elle dit "Baudouin". Et puis elle ne dit plus rien.
L'homme frisonne et secoue la tête. Le deuxième nom n'est pas lié à ce seul souvenir. C'est un nom qui lui vient sur les lèvres au réveil, sortant d'un songe dont il n'arrive jamais à se souvenir.
Eloanne.
Il s'est arrêté net de marcher. C'est chaque fois pareil, il ne peut penser au nom sans le dire à haute voix. C'est plus qu'un nom, c'est comme.... une obsession. Un chant, une mantra.
Eloanne. Eloanne, Eloanne....
Il reprend sa marche, presque rageusement, en scandant le nom comme pour rythmer son voyage. Et comme chaque fois qu'il termine sa liste, ces satanées questions reviennent envahir son cerveau.
Cette rousse.... Est-elle morte ? Est-ce lui qui l'a tuée ? L'idée lui retourne les sangs, chaque fois qu'il se pose la question. Non, c'est impossible. On ne tue ni les femmes, ni les enfants. Il ne sait pas pourquoi il sait ça, mais il le sait. D'ailleurs, elle ne paraissait pas avoir peur de lui, au contraire. Et puis il lui caressait les cheveux.
Mais alors... Est-ce que c'est son nom à lui qu'elle disait ? Est-ce qu'il s'appelle Baudouin ? Et elle... s'appelait-elle Eloanne ?
Mais si elle s'appelait Eloanne, pourquoi a-t-il l'impression qu'il la cherche ? On ne cherche pas une morte....
Eloanne.... Eloanne, Eloanne.
La marche forcée continue, rapide, décidée, comme si ses pieds, eux, savaient où ils allaient. Et pour chasser les questions sur ce qu'il ignore, il reprend sa liste des choses qu'il sait.
Il sait qu'il est brun et barbu.
Il sait qu'il est grand.
Il sait qu'il est....
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