La_vouivre
Beltaine.
Une nuit d'encre crevée par le flamboiement des feux. Des langues tirées sous l'obscurité des arbres, couronne sur la lisière de la clairière. Des escarbilles ignées, comme des lucioles dans l'air. La nuit ce soir se pare de sibyllin.
Beltaine.
On la dit magique chez ceux qui ne veulent pas croire en l'Unique. Vestiges d'un culte passé et quasiment effondré. Sabbat des hérétiques et des sorcières. Beaucoup la connaissent sans savoir ce que c'est. Merlin ? Tout le monde connait Merlin. Il est né d'une union de Beltaine, avec sa sur-amante, que les moines ont fait simple Dame du Lac. Certain parleront de bacchanales, les plus révulsés diront « orgies ». Ce n'est pourtant qu'une nuit qui célèbre la Vie.
Nuit où le Dieu Cerf ensemence la terre.
Il fut un temps bien loin, quand le monothéisme n'était encore qu'un concept abscons, des hommes en robes blanches célébraient chaque veille de premier mai le printemps accompli. Son abondance, sa fertilité. Sa fécondité. On choisissait un jeune homme, druide et vigoureux, et une jeune pucelle au corps de lys et aux courbes laiteuses. L'un revêtait les apparats de Cernunnos, masque au bois de cerf, l'autre celui de Dame Ana, la Terre-mère, que l'on chérissait parfois sous les traits d'une vouivre. Et sans que leur visage et identité ne soient révélés par le fard qui les couvrait, ils devaient s'unir, le temps d'un soir pour permettre aux cercles de vies de se perpétuer.
C'est une nuit d'Amour. D'amour des âmes, des curs ou des corps. Certains s'unissent par le mariage. D'autres ne lieront que leur deux chairs. Sous le couvert du feu protecteur, on fait l'apologie des corps. On encense ce charnel qui nous fait vivre, celui qui donne la vie, celui qui fait grandir, murir et perfectionne cette âme qui vivra encore quantité de vie. Nuit sans pudeur sous le regard des Dieux, qui eux-mêmes s'invitent parfois dans les étreintes mortelles. C'est le seul instant, avec celui de Samain, où le voile qui sépare le royaume des morts de celui des hommes se déchirent. Les esprits s'invitent pour venir bénir les enfants qui seront conçus dans son obscurité.
Cette nuit, où la vouivre doit recevoir la vie.
Elle a tracé un cercle de petites pierres sous la trouée des arbres. Et deux feux jumeaux se gondolent de part et d'autre de sa couche. Des peaux de bêtes ont été jetées sur l'herbe et la mousse, dans un camaïeu de fourrures qui lui chatouillent la peau. Parsemée sur ce lit animal, l'hellébore vient piquer de ses teintes pourpres et blanches le brun des peaux aux côtés de quelques boutons de roses qui n'ont pas encore éclos. La belladone a dilaté ses pupilles pour en faire des yeux de biches. De grandes orbes noirs, perdues dans le mordoré vivant des flammes. La chaleur lui chauffe la peau comme celle d'un serpent sous le soleil. Elle n'est pas bien vêtue. Un minimum, qui lui couvre à peine les cuisses, elle a préféré se draper dans d'autres parures. Rubans organiques, noués à ces poignets et ses chevilles, des mues de serpent aux motifs translucides lui font des bracelets. Elle a piqué ses cheveux d'une couronne de feuilles et de fleurs. Et des liens de cuir viennent enlacer ses hanches. On lui trouverait des airs de sauvageonne, où de figure mythique sortie tout droit des contes méconnus d'une Avalon perdue.
Une inspiration nonchalante soulève sa poitrine. Sur le blanc de sa peau louvoient des arabesques d'encre, des entrelacs et des nuds venus d'un autre temps. Et sur ce derme, le luisant discret d'un onguent de sorcière la tient pour l'heure dans une langueur délectable. A la frontière entre deux mondes...
Elle attend.
Ce soir, elle est la Vouivre.