Umbra
[Tout flatteur vit aux dépens de celui qui lécoute.*]
L'Ombre... Voilà comme bien des gens l'ont baptisé et pour cause, ce n'est pas vêtue de son linceul usé qu'elle reflétera l'inverse. Cependant, le pseudonyme est bien plus profond que cette apparence. Derrière son accoutrement brumeux rapiécé et sa longue chevelure charbonneuse, sous sa chair livide moult fois recousue, de l'autre côté de son faciès ombrageux, de sa bouche mauve ainsi que de ses iris de jais ourlé de cernes, là où personne ne peut le voir: dans les méandres ténébreux de son esprit malsain et sournois, au creux de son coeur noirci de haine et de vengeance.
Mais des ombres, il y en a à chaque recoin. Tant qu'il y a de la lumière, il y a de l'obscurité et dans cette taverne, bon nombre semble vouloir s'y terrer. Umbra, quand à elle, est juchée près du bar. Sa cape élimée poussiéreuse pend le long de son dos courbé, accoudée au comptoir, un verre de gnôle greffé à son unique poing ganté de cuir. Elle observe son reflet dans le fond de son godet à la lueur d'un candélabre. La Sombre ne craint pas les flammes, leur chaleur ou leur luminosité. Elle s'amuse, nonchalante, à creuser sa gueule cassée avec la pénombre créée par les flammèches vacillantes.
D'une oreille distraite, elle écoute les palabres de ses comparses de chemin. Conte de vie et secrets d'existence. Des maux et des mots coulant à flot autant que les larmes, le sang et la bière. C'est déprimant mais parler de la mort est plus digeste que la vivre. Énième lampée, chacun y va de sa petite histoire, c'est finalement occupant. Entendre les autres permet de ne plus s'écouter soi et ça, la Noiraude en a toujours besoin. Ses lippes ne s'étirent que pour ingurgiter l'alcool. Le liquide rentre mais aucune parole ne bave. La mercenaire n'est pas une carpe, elle est une tombe.
Intérieurement, elle vient à se demander ce qu'elle fait là, entourée de tout ces gens. Ils ne la connaissent pas, la Manchote se sent harpie de les épier de la sorte. Pourquoi les suivre si ce n'est pas pour sympathiser avec eux? Ce genre de questions, la Bâtarde n'y songera pas ce soir et encore moins en public. Plantée au milieu de la scène, elle demeure bonne spectatrice tel un rapace guettant du haut de sa branche. Regardez là un instant, perchée dans son monde. Volatile à l'aile brisée, aux serres crochus, planant sur le monde qui l'entoure, survolant la vie et son cours. Menaçante, elle rôde, piaffant moqueuse, d'une voix croassante, éraillée par les litrons. La Boiteuse n'est pas un fantôme, elle est un oiseau de mauvais augure.
Les récits s'enchainent au rythme des rasades et bientôt, la voilà qui descend de son perchoir. Saluant vaguement l'assemblée, Umbra part regagner son nid ou plutôt son terrier. La réponse à l'interrogation lui vient soudainement en franchissant le seuil de la taverne. L'unique argument qui l'empêche de reprendre son envol est son Loup. Celui qu'elle a promis de veiller corps et âme. Devenir la moitié de sa moitié, perdurer Ombre. Dans la nuit noire, quittant l'Irraison, la Corneille se demande alors si tout cela est bien raisonnable...
_________________
L'Ombre... Voilà comme bien des gens l'ont baptisé et pour cause, ce n'est pas vêtue de son linceul usé qu'elle reflétera l'inverse. Cependant, le pseudonyme est bien plus profond que cette apparence. Derrière son accoutrement brumeux rapiécé et sa longue chevelure charbonneuse, sous sa chair livide moult fois recousue, de l'autre côté de son faciès ombrageux, de sa bouche mauve ainsi que de ses iris de jais ourlé de cernes, là où personne ne peut le voir: dans les méandres ténébreux de son esprit malsain et sournois, au creux de son coeur noirci de haine et de vengeance.
Mais des ombres, il y en a à chaque recoin. Tant qu'il y a de la lumière, il y a de l'obscurité et dans cette taverne, bon nombre semble vouloir s'y terrer. Umbra, quand à elle, est juchée près du bar. Sa cape élimée poussiéreuse pend le long de son dos courbé, accoudée au comptoir, un verre de gnôle greffé à son unique poing ganté de cuir. Elle observe son reflet dans le fond de son godet à la lueur d'un candélabre. La Sombre ne craint pas les flammes, leur chaleur ou leur luminosité. Elle s'amuse, nonchalante, à creuser sa gueule cassée avec la pénombre créée par les flammèches vacillantes.
D'une oreille distraite, elle écoute les palabres de ses comparses de chemin. Conte de vie et secrets d'existence. Des maux et des mots coulant à flot autant que les larmes, le sang et la bière. C'est déprimant mais parler de la mort est plus digeste que la vivre. Énième lampée, chacun y va de sa petite histoire, c'est finalement occupant. Entendre les autres permet de ne plus s'écouter soi et ça, la Noiraude en a toujours besoin. Ses lippes ne s'étirent que pour ingurgiter l'alcool. Le liquide rentre mais aucune parole ne bave. La mercenaire n'est pas une carpe, elle est une tombe.
Intérieurement, elle vient à se demander ce qu'elle fait là, entourée de tout ces gens. Ils ne la connaissent pas, la Manchote se sent harpie de les épier de la sorte. Pourquoi les suivre si ce n'est pas pour sympathiser avec eux? Ce genre de questions, la Bâtarde n'y songera pas ce soir et encore moins en public. Plantée au milieu de la scène, elle demeure bonne spectatrice tel un rapace guettant du haut de sa branche. Regardez là un instant, perchée dans son monde. Volatile à l'aile brisée, aux serres crochus, planant sur le monde qui l'entoure, survolant la vie et son cours. Menaçante, elle rôde, piaffant moqueuse, d'une voix croassante, éraillée par les litrons. La Boiteuse n'est pas un fantôme, elle est un oiseau de mauvais augure.
Les récits s'enchainent au rythme des rasades et bientôt, la voilà qui descend de son perchoir. Saluant vaguement l'assemblée, Umbra part regagner son nid ou plutôt son terrier. La réponse à l'interrogation lui vient soudainement en franchissant le seuil de la taverne. L'unique argument qui l'empêche de reprendre son envol est son Loup. Celui qu'elle a promis de veiller corps et âme. Devenir la moitié de sa moitié, perdurer Ombre. Dans la nuit noire, quittant l'Irraison, la Corneille se demande alors si tout cela est bien raisonnable...
* Citation de la fable "Le Corbeau et le Renard" de Jean De La Fontaine
_________________