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[RP] Le biiiip de l'A. à S.

Nicodemepetzouille
Quelque part dans un coin sombre d'une taverne sombre à l'ombre d'un porte-manteau sombre en pleine nuit ... une réunion secrète entre deux hommes ...
En réalité, le pilier gauche et le pilier droit de la taverne principale d'Angers qui sont comme presque tous les soirs présents. La lampe à huile allumée au milieu de la table les ferait repérer de loin. Heureusement - enfin, tout dépend du point de vue - la ville est calme.


Si j'vous dis que j'pars ce soir, vous m'suivez ?
Vous allez faire quoi ?
Dire deux mots à quelqu'un ...
Ah. Et quels genres de mots ?
Bah déjà ça va commencer par "alors vous ..."
Ca démarre bien
Après j'improviserai ...
Ca sent l'argumentaire profondément réfléchi.


Un arbre ne peut pas interdire à un congénère de pousser dans la même forêt que lui. Aussi les deux piliers prenaient des verres dans la même taverne mais ne s'appréciaient pas spécialement. Ils ne partageaient rien. Ni leur façon d'être, ni leurs origines, ni leur statut, ni leur langage ...
Jusqu'il y a peu, ils auraient même pu passer une soirée entière sans s'adresser la parole, même pour des futilités. Puis, était arrivé le Grand Projet. Lancé par d'autres, ils y avaient adhéré de manière totalement différente. Le premier, pour rendre service et par goût de l'aventure. Le second, par défaut, puis ben parce que ...


Dites, en vrai, vous y allez pour le ... biiiip de l'A ?
Euh, nan ... M'en fous moi d'ça a vrai dire ...
Vous êtes vraiment un égoïste. Vous savez qu'on peut gagner de l'argent ?


L'idée originelle avait germé dans deux esprits particulièrement fertiles. Du fait de la jeunesse, d'une surconsommation d'alcool ou d'un berceau placé trop près d'un mur ... Le fait est qu'ils avaient mis en place l'idée du grand "biiip de l'A." Opération taupe secret qui s'avérerait risquée à la fois dans la conception, dans la réalisation et surtout dans le dénouement (d'autant plus s'ils se faisaient prendre) ... Ils étaient donc quatre dans l'aventure ... dont trois se moquaient plus ou moins de l'aspect rémunérateur du forfait. Seul le dernier terminait de se convaincre lui-même en écoutant mentalement sonner la monnaie. Après plusieurs grognements qui allaient de la contrariété à l'aisance, il consentit à écouter la suite.

S'il faut ... tant qu'je suis là-bas, j'peux donner un coup d'main
Le temps presse ... il nous faut le faire avant lundi ?
Lundi ? 'tain c'est court ... on est d'jà samedi là ...
Oui. Et il n'y a que nous deux pour descendre là-bas ... les autres ne sont pas au courant qu'il faut aller vite.
Z'êtes sûr pour les délais ?
Oui ...


Le premier des deux sortit des cartes et commença à détailler des plans sur lesquels il s'était déjà penché. Il expliqua dans les grandes lignes ce qu'allaient être les choses une fois sur place.

Il nous faudra une charrette ... et des chevaux, pas trop voyants. Genre des chevaux de trait.
L'autre avait froncé le nez.
J'ai des rennes, ça pourra toujours faire l'affaire ... puis j'éveillerai pas les soupçons. Personne pensera qu'j'me balade avec un paquet suspect et des montures aussi voyantes.
Ca va être Noel avant l'heure
On va en faire un beau paquet cadeau


Sur ces derniers ricanements, les deux hommes se quittèrent et sortirent de la taverne à plusieurs minutes d'écart ... On ne sait jamais ... Ils peaufineraient les détails sur le trajet.
Avant de se rejoindre à la sortie de la ville pour faire le trajet ensemble, le plus vieux des deux s'en alla chercher deux pigeons qu'il envoya aux deux autres compères pour leur signaler que le projet était en marche et surtout qu'ils préparent le retour ...
Merlain
Les rues de la ville étaient désertes, et on n'entendait tout juste le bruit du vent s'abattre sur la taverne.
Le contexte était idéal.
Les deux hommes rassemblés autour d'un verre échafaudaient leur plan. Le ton est calme. On en oublierait presque tout ce qui les séparait jusque-là.


Le temps presse, il nous faut le faire avant lundi.
Lundi ? 'tain c'est court

Une vieille carte sortie d'on ne sait où, froissée, sur laquelle il montrait des points stratégiques, éclairés par des bougies, à la flamme vacillante.
Le fond de l'histoire, en soi, n'était pas bien compliqué.
La forme, par contre, en prévoir le moindre détail, était bien plus complexe.
Et quand on connaissait les deux énergumènes, on ne peut pas dire que c'était les rois de l'organisation.


On planque une charrette là, et de montrer du doigt sur la carte pour transporter le butin en toute discrétion.
J'ai des rennes, ça pourra toujours faire l'affaire ... puis j'éveillerai pas les soupçons. Personne pensera qu'j'me balade avec un paquet suspect et des montures aussi voyantes.

Des rennes ? L'idée le fit sourire. Mais quand on connaissait le personnage, il est vrai que c'était encore plus dans la norme, moins suspect, car là était tout le probème. Et puis c'est vrai qu'ils s'offraient un joli cadeau de Noel avec tout ça. On oubliera quand même les grelots. Faut pas déconner.
Il leur restait tout de même à trouver un complice, celui qui ferait diversion et dénicherait le gardien, veilleur du trésor, afin que ses acolytes puissent opérer aisément.

Le plan s'affine, des sourires naissent. L'opération prend forme. La stratégie se dessinait au fur et à mesure de la conversation. Les deux hommes n'avaient jamais été autant d'accord en une seule soirée, ou plutôt non, depuis qu'ils se connaissaient.
Il est curieux comment la vie peut rassembler parfois autour d'un seul concept, d'une seule idée commune. Celle-là même qui de substance abstraite devient graine puis arbre, celle-là même encore qui d'une ébauche, qu'elle soit griffonnée sur un papier ou simplement pensée, devient révolution, rassemblement d'une foule autour d'une idéologie universelle. Ils n'étaient que deux ce soir, mais ils auraient pu être des milliers que leur enthousiasme n'aurait pas été ébranlé. Là, ce serait leur Révolution. A quatre. Comme quoi, avec pas grand chose, on pouvait défier les astres.

C'est alors qu'un bruit se fit entendre, un craquement. La conversation s'interrompt, laissant naître l'inquiétude dans le regard des deux hommes méfiants, regard qui en disait long sur ce qui s'élaborait.
La porte est scrutée par l'un, la fenêtre par l'autre. Personne.
Le bois d'une poutre aura eu raison d'eux, rétractation, à la chaleur de la pièce, provoquée par le le foyer ardent de l'âtre, tout proche.


Rien ne sert de trop prévoir de toute façon, ça ne se passe jamais comme prévu.
C'est pire quand on ne prévoit rien.

L'homme n'aimait pas laisser de chance au hasard. D'autant que là, ils n'avaient pas droit à l'erreur sachant que le gardien, furieux quand il aura compris ce qui se tramait dans son dos, n'hésitera pas à les mettre sur le gibet, s'assurant qu'une telle situation ne se renouvelle pas.

En tout cas, au moindre problème, on met tout sur le dos de l'autre !!
Oui, on ne s'est jamais vu, ni parlé d'ailleurs...

Un sourire naissant au coin des lèvres répond en miroir à celui d'en face. Ce qui les séparait hier les réunit aujourd'hui, pour en faire de parfaits complices.
Son acolyte s'occuperait de contacter les deux autres, il fallait faire vite.

C'était une première pour lui, il n'allait pas être déçu, au regard des risques pris. Tout le monde y gagnerait, c'est certain.
L'argent ne l'intéressait pas a vrai dire, il s'en foutait même. C'était davantage un prétexte parfait.
L'aventure par contre et l'enjeu qui se nouait le titillaient bien plus. Le type n'avait jamais commis de méfait, ni de ce genre, ni aucun d'ailleurs.
Trop propre sur lui.
Plus pour longtemps.

Les deux hommes se séparent, avant de se retrouver au bord d'une route, proche des remparts.
La campagne était vidée de toute âme errante.
Pas même un badaud.
Les bottes trainent, d'un pas décidé, sur le sol poussiéreux. Les azurs se perdent sur les plaines environnantes, obscures et qui pourtant laissent deviner quelques pâquerettes, paysage bucolique, pour un dessein bien sombre. Contraste d'une blanche nature à la noirceur de l'homme.
Et puis il restait l'heure du méfait qui n'est pas encore décidée. Le verbe est soutenu entre les deux hommes, opposant à l'autre la force de ses arguments, construisant pierre après pierre les fondations du Projet qu'ils ont passé toute la soirée à nommer le "Biiip", s'auto-censurant, comme écoutés par les arbres environnants, et oreilles indiscrètes.

A l'approche d'une rivière, occasion pour remplir les gourdes, il s'agenouilla, récipient vide à la main, bercé par le cliquetis de l'eau, avant de s'en rafraîchir le visage, les derniers détails sont affutés.


Là bas, pas question qu'on nous voit arriver ensemble. A la première rencontre, le ton sera à l'étonnement.

Un sourire illumina le visage du deuxième homme, à la valeur d'un commun accord.
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Nicodemepetzouille
Le trajet avait été relativement calme. Les deux comparses étaient arrivés en vue des remparts alors que la ville était encore presque totalement endormie et les zones d'ombre où se cacher étaient légion.
Alors qu'ils allaient souffler de soulagement en même temps, leur souffle fut coupé. Ils croisèrent deux chevaux lancés au galop qui arrivaient trop vite pour qu'ils aient le temps de se cacher. Les cavaliers les ignorèrent, heureusement, mais l'événement avait pesé son poids sur la tranquillité de leur esprit. Ils firent halte avant de passer les portes de la ville et postèrent les rennes et la charrette dans un fourré à proximité. A l'endroit précis que Merlain avait désigné sur la carte la veille. Débarrassés de ce poids bruyant et pas vraiment discret, ils pénétrèrent dans la ville et se séparèrent.


La phase de repérage commençait ... par quelques heures de repos.

Dès le lendemain ils se croisèrent en taverne, feignant, toujours selon leur plan, d'être là par hasard. Quelques allusions indicatives plus tard, au nez et à la barbe de l'A. même, Merlain lui glissa un mot dans la main en la lui serrant au moment de quitter la taverne. Mouvement d'autant plus louche qu'il était inhabituel.
En substance le mot disait ceci :


Citation:
Solution trouvée au problème J.


Le vieux hocha la tête. Une chose de réglée ... du moins en théorie.
Plus qu'à trouver un moyen de régler le problème A.
C'est pendant qu'il était à sa lecture et ses réflexions qu'arriva LA chose qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un homme, la chance...
Alors qu'il était distrait, une main se faufila dans sa poche et lui prit la clef de chez lui. Personne ne saura jamais dire pourquoi à ce moment-là à cet endroit-là, quelqu'un lui prit sa clef. Personne ne le touchait jamais, ni même ne l'approchait. C'est à peine si certaines personnes osaient lui adresser la parole ... Et là, formidable hasard, alignement des planètes ou simple retour à l'équilibre après trop de déboires antérieurs, la clef de sa maison passa de main en main pour arriver dans les mains de ... A.


A. était de nature joueuse. Aussi, quelque peu au fait de la chose également, Nicodème pouvait sans crainte lui réclamer sa clef, sachant que les réponses seraient toutes l'inverse.

Rendez-moi ma clef ...
Je vous la rendrai demain !
Et si demain je suis parti ?
Je vous la glisserai dans l'cul d'un pigeon !


Décidément, les réponses jaillissaient trop facilement ...
Nicodème n'insista guère plus. La corde à laquelle la chance était pendue à ce moment précis devait déjà être pas mal étiolée ... Rien ne servait de tirer plus dessus. Dans un dernier sursaut de zèle, elle-même, cependant, elle fit ajouter à A.


Demain, après 18h, je vous la rendrai.

Voilà qui donnait l'indication de temps qui posait encore problème jusque là. Ils avaient l'heure, plus qu'à proposer un lieu.
Grommelant, il se leva pour quitter la taverne. En passant le seuil, il conclut :


Demain, 18h30, derrière l'église.

Le rendez-vous avait tout pour être ambigu et c'était pas plus mal. L'endroit était de plus idéal pour leur méfait. Enfin, Merlain, présent, avait pu entendre tout. Ils ne prendraient donc pas le risque supplémentaire d'être revus ensemble, ailleurs.
Pour de l'improvisation, on pouvait dire que la chance leur avait donné un sacré coup de pouce. Aussi pour conclure, pour éviter que A. ne réplique et qu'un autre lieu moins opportun soit proposé, il sortit en claquant la porte.
Anaon
    «  C'est un cadeau pour le genre humain ! Anaon en robe, ça tient du patrimoine universel. »
      - Alessandro di Roja -


      La voilà, l'A. Parcourant les rues dans un froissement de jupons. Entre ses doigts, la clef vient battre la mesure de ses réflexions contre son menton. Saumur, qui s'est faite bien calme, se vide tranquillement de ses travailleurs sous les derniers rayons chauds distillés par le soleil d'après-midi. Absorbée par ses pensées, elle ne prête aucune attention aux têtes connues qui la dévisagent avec étonnement, déambulant mécaniquement vers sa destination. Qui connait l'Anaon, sait qu'il faut au moins lui vendre son âme pour la faire porter jupon. Et il est légitime de se demander qui aujourd'hui n'a pas eu peur de se damner pour lui faire enfiler une robe. Elle pourrait bien dire qu'elle l'a mise de bon cœur. On ne la croirait pas.

    Le panneton de la clef est décollé de son menton pour passer sous l'inspection attentive des pupilles.
    Il y a, en effet, bien des choses que l'on sait sur la mercenaire. Et il est amusant de constater comme chacun à sa conception bien personnelle et contradictoire du personnage. Mais il y a une certitude que beaucoup semble ignorer ou oublier : la sicaire est une indécrottable vénale. Si elle est passée maître dans le marchandage Sabaude et Charlemagne, la femme n'en oublie pas moins de sauter sur la moindre occasion d'obtenir quoi que ce soit auprès d'autres. Contradiction perpétuelle avec sa propension à ne s'intéresser à rien. Séquelles d'un passé bourgeois au cœur du commerce, réflexe du mercenariat qui lui est aujourd'hui gravé jusqu'à la moelle. Quand on exerce ce genre de métier ingrat, sicaire qui plus est, autant dire que l'on ne sait jamais si travail il aura demain. Bien vite alors, on apprend à saisir la moindre opportunité de négocier sa pitance. Loin d'être une cupidité gratuite, c'est une notion de survie. Alors Dieux ! Quand elle a vu cette clef si innocemment échouée sur le sol de la taverne, la balafrée n'a pas attendu qu'on le lui fasse remarquer deux fois pour lui sauter dessus.

    Maintenant elle est en sa possession. Elle est le maître du monde !

    Un fin sourire vient étirer un coin de ses lèvres. Pas franchement femme avare de pouvoir, elle ne niera cependant pas préférer avoir les rênes dans les mains que de les confier à d'autres. Et imaginer l'Ours obliger de coucher sur le pas de sa maison a quelque chose de surprenament jouissif. Elle ne crève pas la dalle non. Refiler le sésame contre écus serait presque gâchis. Mais d'avoir le moyen matériel de faire tourner l'homme en bourrique est déjà une victoire en soi. Elle lui a bien demandé encore un fameux « Truc » en échange de ce passe-droit, mais la sicaire n'est pas franchement convaincue de son choix. La négoce peut être bien mieux exploitée. Il s'agit de ne pas laisser filer cette occasion en or.

    Accaparée par ses pensées bien corrompues, la balafrée se surprend de voir déjà se profiler le flanc de l'église. Sursaut. Mouvement brusque. Elle se jette dans une venelle voisine où elle se tapit sous le couvert des ombres. Les azurites contemplent l'éclat métallique de la clef. Elle ne doit pas la laisser en vue, surtout pas ! Le bonhomme risque d'avoir la détestable envie de la lui prendre de force sans lui donner son reste, alors il lui suffit de la...

    Déconvenue.

    Le sicaire regarde d'un air dépité la robe qui lui drape les jambes. Point d'escarcelle à la hanche. Pas de poches cachées dans les doublures d'un gilet. Voilà LE problème de porter des robes quand on est une Anaon... Y'a pas de cachettes pour planquer tout ce qu'elle a à planquer. Circonspecte, elle lorgne un instant la clef. Puis la rapproche lentement de son décolleté... Non... Elle inspecte le bouffant d'une manche à crevés. Elle ne tiendra jamais là. Et de tirer le moindre plis pour trouver un recoin, retourner ce qui sert de ceinture, soulever la première couche de jupons puis la seconde... Avant de soupirer d'abandon. Bon. Un coup d'œil à gauche. Un coup d'œil à droite. Prestement et discrètement la robe est relevée, dévoilant la jambe blanche. Boudant le petit poignard arrimé au mollet, elle préfère glisser la clef dans la sangle maintenant constamment la dague contre sa cuisse droite. Les mains relâchent bien vite le tout pour lisser les drapés avec satisfaction. Voilà. Avant qu'on vienne la chercher là...

    Les doigts passent victorieusement sur le petit relief se dessinant sous le tissu à leur passage. Et c'est bourrée d'assurance que la mercenaire rejoint enfin l'arrière de l'église. L'édifice est contourné de loin comme on fuirait une pléthore de lépreux. Et c'est en avance que la balafrée débarque comme une fleur sur le lieu de son.. rendez-vous.

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       | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Nicodemepetzouille
18h38.
Nicodème arrivait déjà (!), sans motivation. Plus il y avait réfléchi, plus l'idée d'un rendez-vous derrière l'église à 18h30 en plein mois d'avril lui avait parue mauvaise. D'abord les jours devenaient de plus en plus longs, et le soleil n'avait pas encore rejoint l'horizon. De plus, le ciel dégagé lui laissait tout le champs libre pour éclairer la place de l'église. Et enfin, ladite place se recouvrait de monde au fur et à mesure qu'approchait l'heure des vêpres.

Il risquait beaucoup à être vu ici et maintenant : son amour-propre et son alibi gisant tous deux sur la table de ramponneau. Aussi, pour garder un certain contrôle visuel sur la situation, il restait à l'écart des groupes qui commençaient à se former ici et là de petites vieilles décrépites. Des paysans fiers et droits comme des "I" entraient déjà dans le bâtiment, courbant légèrement l'échine au moment de passer le porche, et triturant leur chapeau piteusement comme s'ils s'apprêtaient à comparaître devant le grand Juge Suprême pour avoir reluqué avec envie les arrondis de la robe de la fille du meunier.

L'Ours, lui, se sentait moite. Il sentait le moite, aussi. Novice dans l'art de passer inaperçu, il enfonça ses mains dans ses poches et se mit à marcher en crabe pour toujours garder à vue les cercles d'ouailles. Même une fois à côté du mur de l'édifice, il marcha un instant à reculons jusqu'à buter contre le mur du transept. Là, il jura, se faufila hors de vue et pissa un coup pour évacuer le plus gros de son inconfort. Ce petit intermède lui permit de remettre ses idées en place et de se reconcentrer sur l'objectif initial.

Il arriva derrière l'église avec près d'un quart d'heure de retard. Merlain devait déjà être planqué ... où ? c'était une autre histoire. Les deux hommes ne s'étaient pas recontactés depuis la scène de la taverne. Le vieux serait donc obligé de faire confiance à son partenaire provisoire.
L'Anaon était là, en tout cas. Et en robe, pour célébrer l’événement. Nicodème n'avait cependant pas le temps ni le coeur de lui reluquer les arrondis, tout concentré qu'il était sur l'objectif final. La charrette était en place, il fallait espérer que Merlain y soit aussi. Jusqu'à présent, ils n'avaient ni l'un ni l'autre reçu de confirmation de la part des deux acolytes d'Angers. Pour ça, ils auraient encore quelques heures pour espérer le pigeon de confirmation.

La mercenaire et l'Ours n'en étaient encore qu'à échanger les premières politesses quand, le faisant sursauter, le bourdon du bâtiment se mit à résonner de son dernier appel aux fidèles.

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Merlain
[ "Agir en primitif et prévoir en stratège", René Char ]

Certains se demanderont sûrement pourquoi une telle entreprise.
La réponse, somme toute axiomatique, serait sans doute "parce que". Comme une évidence.
Parce qu'Anaon avait fait sa place en Anjou, qu'elle y semblait épanouie, et qu'elle avait rendu une fraicheur d'âme à pas mal de gens plus ou moins proches. Il n'était pas besoin d'en savoir beaucoup plus. L'essentiel était là, juste là.
Eux n'en demandaient pas plus.

Tout allait bien dans le meilleur des mondes, jusqu'à l'annonce de ce départ. Un voyage présagé vers des terres barbares, loin. Et là, trop c'est trop. Un groupe était déjà parti récemment. Ils ne laisseraient pas l'endroit se dépeupler ainsi, encore moins d'une force vive.
Alors oui, à cours d'idée, prenant racine sur une plaisanterie de l'un d'entre eux, le Projet était né dans leur esprit, lancinant, passant d'un simple concept embryonnaire, à celui, plus complexe, d'un entendement contrarié.
Ils étaient dans le déni, dans le refus. Défier le destin restait encore la dernière solution. La méthode pouvait paraître grossière. Elle l'était assurément.

Toute la question résidait dans le comment.
On parlait bien de celle qui s'annonçait souvent comme mercenaire. La tableau était esquissé, les grandes lignes étaient écrites, il ne restait que les blancs à compléter.
Il avait commencé par se préparer le plus simplement possible. Se cacher sous une capuche? Inutile, elle finira bien par le reconnaître. Se débarrasser surtout de sa cape, trop encombrante, il devait pouvoir se mouvoir le plus simplement du monde. Glisser enfin dans sa besace l'objet capital , celui là même qui lui vaudra la réussite ou l'échec. Etre suspendu à un fil, voilà l'impression qu'il avait.
Ils avaient juste pensé à rapprocher la charrette, ne voulant attirer les curieux dans tout le village sur l'opération qu'ils donneraient à voir.
Et c'est donc terré derrière l'église qu'il élit domicile, prostré derrière un buisson, dont lui seul avait le secret. Il était prêt.
Alors en dehors de la mission qu'il pouvait faire échouer par un combat, dont elle pourrait triompher assez facilement, il se refusa tout duel. Pas avec elle. Ce n'était pas de la lâcheté, non. Il n'aurait pas hésité à se confronter au plus grand des colosses, et cela même avec la lucidité que la bataille pouvait être perdue d'avance. Mais elle, c'était hors de question, sans compter le risque de la blesser, par mégarde. Il renonça de ce fait très vite à utiliser toute arme, même dissuasive, c'était le plus simple. Il fera confiance à ses quelques notions de lutte, si besoin. De toute façon, aucune illusion au fait qu'elle viendrait les mains dans les poches, il connaissait l'animal, et son instinct à pouvoir se défendre, toujours, n'importe quand, n'importe où. Il prendra le risque, tant pis. Advienne que pourra.

Elle se pointa donc, à son plus grand étonnement en robe. En dehors du fait qu'il était rare de la voir enfiler pareille parure, il fut troublé, car non, ça n'était pas du tout prévu. En pleine réflexion sur l'emplacement hypothétique de sa dague qu'elle devait avoir, là, quelque part, et qu'il devait au plus vite maîtriser. A moins qu'elle n'en ait pas ? Curieux, non impossible. Panique à bord chez l'enchanteur. Elle semble distraite, sans qu'il n'en connaisse la raison, trop loin encore.
Et sans qu'il ne comprenne pourquoi, déviant de sa trajectoire, elle reste à distance du monument religieux, se rapprochant dangereusement de lui.
Le souffle se fait court, presque étouffé. La tension est palpable, le temps étirable à souhait, presque goutte à goutte. Se recroquevillant de toute sa hauteur derrière le bosquet, il est privé du seul sens auquel il pouvait faire confiance, sa vue. Développer les autres, vite. Il jure intérieurement après l'Ours, qui n'est pas à l'heure. Les articulations s'endurcissent à rester ainsi prostrées de longues minutes, elles s'ankylosent. Ses yeux ne perçoivent que le clocher teinté d'une douce lumière rose orangé, purs reflets du ciel parsemé de nuages d'un pourpre éclatant.
Et puis, soulagement, l'Ours finit par se montrer, enfin. Son regard vient se poser sur le binôme à peine formé, à travers les branchages. La conversation s'engage enfin entre les deux protagonistes. Des bribes de conversation lui parviennent. Il attend le moment propice.

Subitement, contre toute attente, les cloches carillonnent en grande pompe, prévenant les retardataires qu'il est bientôt l'heure. Le bruit est assourdissant, presque insupportable, si l'on en croit le peu d'espace qui les sépare de l'édifice. Son intuition le pousse à agir, là, maintenant.
Ses yeux visent, le bras en devient le prolongement, jusqu'à ce que la corde siffle dans l'air, et que le nœud coulant se referme autour de la taille de la jeune femme d'un coup sec, maintenant ses poignets le long de son corps. Il ne doit ni la laisser réagir ni la laisser réfléchir, il le sait. Son organisme, comme poussé par on ne sait quoi, s'élance à toute jambe, et lui saute dessus, pour la plaquer au sol. Il sait la femme solide, et ne s'en soucie guère. Et dans un souffle, il ajoute, en forme presque d'excuses...


Hop là, personne ne bouge, ... et avec hésitation il ajouta... pis dans votre tenue, ça ferait mauvais effet...

Avec un brin d'humour, ça passe toujours un peu mieux. Une manière de la rassurer aussi.
Et puis, c'est à elle qu'il avait promis, depuis son dernier brigandage subi par une femme, alors qu'il avait refusé de lever la main contre cette dernière, que plus jamais il ne se poserait ce genre de considération, question de survie disait-elle. Elle sera fière de lui, c'est sûr.
De manière plus lucide, l'objectif est bien désormais de sauver, ce qui lui reste de vie.
Le vent se lève, annonciateur d'une tempête.
Que tout le monde se planque, on énerve pas la jeune femme.
C'est comme une bourrasque, qui transformerait une simple flamme en un feu qui vous reviendrait en pleine figure.

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Anaon


      En retard ? L'Anaon ne l'est jamais. Ou elle ne l'est que lorsque la chose est parfaitement désirée. Toujours en avance sur le lieu de ses rendez-vous, elle sait se faire digne héritière d'un Gandalf en montrant son nez pile poil à l'heure convenue. Mue pourtant par un réflexe de précaution des plus logiques, la sicaire prendra toujours le soin d'arriver après son interlocuteur, se laissant le temps de l'analyse, afin de s'assurer de ne pas tomber dans un traquenard en s'y approchant.

    Aujourd'hui pourtant, la balafrée n'a pas fait tant de manières, et c'est avec bonne foi qu'elle s'est plantée derrière l'église à la bonne heure sans faire l'affront de la suspicion. Venir plus tard pour faire stresser Nicodème? Bien tentante idée ! Mais cela aurait été remettre sa parole en cause, et si la promesse d'une Anaon vaut ce qu'elle vaut, la balafrée a décidé de faire preuve pour une fois d'une parfaite honnêteté. Un tour sur elle-même. Point d'Ours dans les parages. La sicaire patiente donc... Et patiente...

    Et patiente encore...

    Humf. Sa robe est lissée avec nervosité un bon paquet de fois. Le nez se perche sur les hauteurs de l'église qu'elle a déjà suffisamment miré au point de l'abîmer. Attendre ? L'Anaon est en soit d'une patience d'or, de platine et même de diamant... Mais ces petites retrouvailles commencent doucement à tourner lapin vinaigré et là n'est pas une chose que la sicaire apprécie spécialement... Quand soudain :

    _ Ah bah ENFIN ! Il n'était pas convenu que vous vous fassiez désirer ! Trouver d'autres astuces la prochaine fois !

    Bonsoir l'Ours ! Comment allez-vous ? Voyons de cela on s'en fout ! Ses doigts lissent à nouveau ses flancs nappés de rouge pour venir se croiser bien chastement l'une à l'autre devant son ventre.

    _ Voilà que j'aurai dû me faire d'autant plus désirable moi-même, et ne me pointer que Dimanche prochain. Je gage que vous auriez hurlé mon nom à la lune toutes les nuits en dormant piteusement devant votre porte demeurant aussi close que les cuisses d'une none.

    Ou dans le lit de Merlain. Mais là est une idée qui semblait ne convenir à personne. Que les hommes ne sont pas préteurs... La sicaire se détend aussi vite qu'elle s'est contrariée, dardant Nicodème d'un petit regard plissé. Et alors que la bouche feint de s'ouvrir à nouveau, un vacarme assourdissant vient lui couper la chique. Maudite église et son clocher ! Quelle idée de venir se rejoindre ici où il est suicidaire de traîner ses tympans ?! Le nez se fronce de mécontentement...
    Et un sursaut la cueille soudainement.

    Réflexe de l'organisme qui se surprend d'être touché là où il ne devrait pas. Les yeux de l'Anaon se penche sur sa taille soudainement enlacée d'une corde... L'Anjou est un grave problème. Car tout y est... sans repère. La mesure n'existe pas. La tempérance ? Une notion bien abstraire. La normalité ? Un terrain sans frontière. A force d’extravagance, plus rien ne surprend. Alors, là où dans un élan atavique la sicaire aurait dû bondir pour sa survie, elle ne se contente que de froncer un sourcil et d'en redresser un autre en lorgnant cet étrange carcan couronnant ses hanches. Elle se retourne un brin, et le « Merlain ! » n'a pas le temps de fuser. Les lèvres se bloquent sur « M » qui s'étouffe dans un « Humf ! » quand elle se retrouve percutée et plaquée au sol.

    Quelques caillasses incrustées dans la joue plus tard, la tête sonnée se redresse rageusement et se tourne pour aviser l'homme coucher sur elle. Et de vociférer sous couvert des cloches:

    _ Gast ! On ne couche pas une brave femme derrière une église Merlain ! Et...

    Qu'a-t-il dit ? Sa tenue ? Les azurites se baissent immédiatement sur sa robe, constatant avec horreur les jupons remontés sur ses genoux. Les pieds s'agitent furieusement pour les faire redescendre et voiler décemment un mollet joliment abîmé d'une dague l'année passée. Premier bilan de cette soirée : Anaon n'est pas prête de reporter des robes. Deuxième bilan...

    _ Qu'est-ce que c'est qu'c'te... Pourquoi z'êtes allongé sur moi ?!

    Ouai bordel ! Y'a des lits pour ça !


Gast : Breton, "Putain"
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       | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Nicodemepetzouille
La mercenaire et l'Ours n'en étaient qu'à échanger les premières politesses donc.

Citation:
_ Ah bah ENFIN ! Il n'était pas convenu que vous vous fassiez désirer ! Trouver d'autres astuces la prochaine fois !


Le vieux était nerveux, n'ayant aucune idée de la suite des événements. Aussi, en recevant la réplique au visage, son sang n'avait fait qu'un tour et même si ses mâchoires étaient restées serrées, l'afflux sanguin soudain avait déposé dans son cerveau l'équivalent de plus ou moins : Oh ça va hein vous ! Un peu d'pitié pour les vieux ! Devriez savoir c'que c'est .... Réplique que son centre de la parole décida de garder pour plus tard.
Tandis que ses yeux fouillaient, discrètement il l'espérait, les alentours à la recherche d'une présence de Merlain, l'Ours reçut la deuxième tirade de la mercenaire. Réflexe de celui qui n'a pas l'habitude de laisser un bon mot traîner dans ses cordes vocales, il avait ouvert la bouche en même temps qu'elle pour répliquer quand la cloche résonna.

Ce qui se passa ensuite alla très vite.

Il ne vit pas la corde arriver, les yeux encore un peu embrumés par l'accès d'adrénaline que la cloche avait produit.
Il ne vit pas la surprise dans les yeux de l'Anaon, tout occupé qu'il était à sursauter.
Il la vit simplement basculer, aplatie au sol par un plaquage parfait de Merlain.
Etranger à toute forme d'activité physique trop intense, Nicodème était tout heureux de voir que son allié s'en sortait seul. Il était prévu qu'ils s'assoient tous deux sur le corps de la sicaire mais ainsi ficelée à la taille, et peu aidée par sa tenue vestimentaire, elle se tenait relativement tranquille. Tout en s'approchant de la scène, il sortit de sa poche deux morceaux de ficelle destinés à la ligoter et un chiffon pour l'empêcher de crier. Mais après le premier cri de surprise, elle se mit à papoter avec Merlain, assez peu effrayée, sans doute par rapport à l'identité des agresseurs. Surtout elle cherchait à comprendre ce qui lui arrivait. Le temps de lui expliquer, ils auraient eu le temps de s'éloigner un peu.
Le lasso en se resserrant sur la taille de l'Anaon, avait emprisonné les bras. Ne restaient que les jambes. D'abord se débattant avec vigueur elles se calmèrent rapidement et se serrèrent l'une contre l'autre pour éviter de dévoiler plus avant leur peau claire. La tâche était rendue facile à l'Ours qui se pencha pour les attacher ensemble. Décidément tout se passait trop bien pour que ce soit vrai. Il se détendit d'un coup et osa un brin taquin :


Promis j'regarde pas...

Tout avait été très vite et il fallait que ça continue. Ainsi ficelée l'Anaon pouvait difficilement s'enfuir s'ils faisaient un tant soit peu attention. Se redressant un peu, il écarta un peu Merlain.

Bon, vérifiez qu'la voie est libre

Puis il attrapa la femme aux hanches et d'un mouvement la hissa sur ses épaules comme un sac de farine, direction la charrette et les rennes. Alors qu'elle commençait à se débattre, le centre de la parole du ronchon daigna finalement libérer les brides de la réplique préparée plus tôt :


Oh ça va hein vous ! Un peu d'pitié pour les vieux ! Devriez savoir c'que c'est ...

Souriant en coin, il accéléra le pas
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Merlain
["Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces " de Jean-Paul Sartre]

Il faut bien avouer, tout ça, c'était contre ses principes. Alors à quoi se rattachait-il ? Comment avait-il franchi le pas? Un réponse simple à une question simple: la cause était juste.
On dit souvent qu'une action est bonne moralement, et doit être faite même si on n'en a pas envie, juste parce que cette action est mue par le seul souci de faire le bien. Et là, Anaon représentait tout ça. La fin justifiait les moyens, en effet.
Il est des choses que l'on fait parfois, parce qu'il le faut, par devoir aussi. Une sorte d'élan patriotique, d'attitude missionnée.
Et puis ça n'était pas vraiment un enlèvement. C'était une soustraction d'une personne, qui n'y était pas foncièrement opposée, donc pas vraiment contre son gré stricto sensu, dans le sens où elle se plaisait en Anjou. Combien de temps le rapt allait-il durer ? Il n'en savait rien. Et ce n'était pas à lui d'en décider.

Alors quand il plonge, il sent le choc de la jeune femme sur le sol. Il y est allé un peu fort, bien malgré lui. Pas fait exprès. Un combat interne entre ses principes et l'action en elle-même, entre l'éthique de ce geste et son objectif final.
Il ne pouvait décemment pas rester imperméable au geste lui-même, à ce qu'il impliquait. Elle n'était pas une personne lambda. Non seulement, il la connaissait, mais l'appréciait.
Alors il fut rattrapé par une sensibilité parfois contre-productive chez lui, son point faible probablement, et fut giflé à ce moment précis par des réminiscences de la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux, scène dont il était acteur. L'ensemble lui saute en plein figure, alors qu'Anaon vocifère contre lui, sa voix luttant avec le beffroi qui rugissait plus fort qu'eux trois réunis.


_ Gast ! On ne couche pas une brave femme derrière une église Merlain ! Et...

Remarque qui le blesse quelque peu, le regard fixe sa longue chevelure. Il n'est pas de ces vulgaires types qui osent s'emparer des femmes ainsi.

Désolé, je ...heu...m'excuse... Et dans un murmure...

Pas de mal ?

_ Qu'est-ce que c'est qu'c'te... Pourquoi z'êtes allongé sur moi ?!

Ben...

Ce seul mot révèle tout ce qui le ronge. Il prend alors conscience du geste, vulgaire, indécent. Il y a méprise. Merlain respecte les femmes, peut-être trop par rapport aux us et coutumes de l'époque. C'est pour la bonne cause, la collectivité, tout ça tout ça.

Ah oui, mais non...pas ce que vous croyez...du tout du tout...

Il la maintient légèrement au sol, ou du moins fait comme si, excellent comédien qu'il est, le temps que l'Ours lui attache les pieds. Il profite de l'inattention de son binôme pour lui enlever la poussière sur le visage, spectacle presqu'insoutenable, dans un geste furtif, presque volé.

Ses joues se teintent, bien malgré lui.
Le langage se fait fourbe, et surtout faible. Il s'embourbe, à tenter de trouver le mot juste, avant de renoncer. Que dire quand c'est de l'ordre de l'indicible ? Le verbe ne peut être clair quand l'esprit est lui-même embrumé.


Jamais j'oserai...mais ...c'est juste un cas de force majeur, vous voyez ?

Une tentative d'explication qui semble dériver en prérogative de disculpation.
Et là, le loup se transforme subitement en agneau. L'homme qui, quelques minutes auparavant, faisait irruption sauvagement sur la brune, redevenait lui-même. "Je est un autre"* dit-on, rempli de contradictions et de dialectiques inavouées, capable de se dépasser aussi et surtout.
Mais cet aveu ne doit pas faire oublier que même si vous chassez le naturel, il revient au galop.
Plus du tout adepte à ce qu'il vient de se passer. Son regard trahit des regrets. Pour qui sait le déchiffrer, on peut y lire des remords. Ses yeux cherchent de l'aide auprès de Nicomède. Les pieds c'est peut-être pas obligé là, non? Pense-t-il. Elle a l'air réceptive, hein?
Le geste de l'Ours qui l'en écarte sonne comme une criante réponse.
Il se relève, avant que Nicomède la charge sur son épaule.


Bon, vérifiez qu'la voie est libre.

Le corps s'en éloigne, laissant trainer ses azurs sur la jeune femme encore attachée, avant de se retourner et de s'approcher de la charrette, non loin.
Les yeux naviguent discrètement à gauche, puis à droite.
Personne à l'horizon. Ils ont tous l'air d'avoir disparus, comme avalés par l'édifice religieux, happé par la foi.
La large main fait signe à son compère qu'il peut approcher.

L'Ours arrivant à son niveau, il finit par lâcher, d'une voix âpre...


On pourrait desserrer les liens quand même.
Si elle avait voulu riposter, elle l'aurait fait depuis longtemps...


Avant de se faire oublier, et de se placer au poste de cocher, en attendant qu'elle soit déposée à l'arrière. Les rennes semblent s'impatienter.
Il mènera la charrette à bon port. Ca lui occupera l'esprit.
On doit les attendre déjà.


*Rimbaud
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Judas
    [ J'vais t'en donner du problème J, Tu vas comprendre par A+B ta douleur et c'pas fini, viens-y que j'te mette les poings sur les I. ]


C'est disons ce qu'aurait dit Judas en voyant un homme, que dis-je, Merlain , coucher sur sa femme.


    [ Mon petit père t'es pas rendu, j'taimais presque bien quoi qu'au figuier lève le nez, tes couilles seront pendues. ]


C'est aussi ce qu'il aurait riposté s'il avait vu sa dulcinée saucissonnée sans ménagement dans une chariote.

Mais pour l'heure... Judas n'est pas là, il est dans l'église, et remarquez que c'est toujours derrière les église qu'il se passe des choses intéressantes . Dedans ou derrière, une grande question qui de toujours anima les hommes, mêmes ceux à qui l'on ne pense pas.

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Anaon


      Contrariée, elle l'est oui, d'avoir des graviers plantés dans la joue, de la poussière de partout et un Merlain sur le… Bref. Menacée par le torticolis, la sicaire tente de maintenir un œil aigu sur les explications Merlinesques qui se pare immédiatement du masque du gamin qui vient de faire une connerie ! Et elle est grosse, la connerie – pas l'Anaon. Ce n'est pas du tout ce qu'elle croit ? Effectivement, le viol collectif n'est pas une idée qui lui passe par la tête – ou alors, elle se goure lourdement - car tout de même, voilà deux hommes bien élevés. Quoique Merlain un peu trop et Nicodème un poil pas assez... mais ils ont l'avantage de se compenser mutuellement... Mais tout de même ! Allongée, forcée, maintenue derrière une église, l'Anaon croirait presque à la résurrection d'un Rikiki bien décidé à la marier enfin d'un anneau passé à l'orteil. Superstitieuse à l'excès, clignant mécaniquement des yeux à chaque frôlement des doigts de Merlain, la sicaire guette du mieux qu'elle peut les alentours à la recherche d'un éventuel revenant, lâchant un distrait et suspicieux:

    _Quel cas de force ma...

    Ça lui chatouille sur les chevilles.

    Promis j'regarde pas...


    La mercenaire se contorsionne derechef. Petite giclée de sang gelé propulsé dans les veines. Elle se prend un coup de panique à voir l'Ours lui ficeler les chevilles et envoie dans un réflexe un pied jarter l'impudent... constatant avec dépit qu'il est déjà raccroché à son jumeau.

    Cette fois, la sicaire se tait et analyse.

    Les prunelles suivent le maigre échange des deux hommes d'un air dubitatif. Le poids de Merlain envolé, l'Anaon bascule sur le dos. La voie est libre ? C'est seulement à cet instant précis que l'idée d'un enlèvement affleure à son esprit. Voyant les pognes masculines se rapprocher d'elle, la femme fronce le nez pas anticipation, l'envie de ramper comme un vers pour s'enfuir lui traverse le crâne, mais l'Ours ne lui laisse pas même le temps de se retourner. La voilà chargée comme un vieux baluchon.

    Vue de la terre sous un nouvel angle. Vue du verso de Nicodème de manière tout aussi différente. Oh ! Quel changement de perspective. Visage crispé, la position n'est pas des plus confortable tout comme la situation présente. Et de remuer de protestation sur l'épaule du ravisseur. La femme n'est pas maigre, et si on est loin de pouvoir la dire obèse, née pour procréer, l'Anaon ne peut nier avoir les hanches bien charnues. Y'a de la place pour y mettre les mains, et insidieusement, elle espère que les kilos pris en trop dans l'oisiveté de Brissac pèseront comme du plomb sur l'épaule de Nicodème.

    Oh ça va hein vous ! Un peu d'pitié pour les vieux ! Devriez savoir c'que c'est ...

    Gné ? Relevé du nez d'un air docte :

    _ Judas dit qu'une femme ne vieillit jamais ! Et il s'y connait en femme !

    Pour une fois qu'elle prend les mots du Von Frayner pour parole d'évangile ! Quoique que se vanter des connaissances largement diverses du mâle n'est peut-être pas la meilleure chose à faire... Moyen, cependant, de se rassurer aussi des propos quand elle commence à appréhender sérieusement le passage de la future dizaine...

    _ Va vite falloir que vous m'expliquez votre bordel au passage ! Car à la longue, ça finir par chier des bulles carrées !

    Gade, qui dans quelques écris Calycien affirmait qu'elles seraient incapables toutes deux de se comporter comme de dignes femmes de la noblesse, fait bien de ne pas être là pour entendre si fleuri langage.

    _ Mais vous allez m'dire oui ! Grediiiiiins ! Roublards ! Loustonioù !

    Soudain, la rébellion. On la paye pour enlever les gens, alors se faire ravir aussi aisément, ça fait vraiment mauvais genre. L'Anaon tente de s'enfuir de l'épaule. Glisser par-dessus oui, quitte à se fracasser le crane à l'arrivée. Les jambes se secouent pour tenter de faire la culbute. Analysant la vêture de Nicodème, la sicaire à soudain le réflexe le plus con du monde : tenter de lui choper une poignée d'amour avec les dents. Les nacres se plantent dans le plein avec avidité, espérant avoir attrapé la chair sous les vêtements.

    Qui a dit qu'une Anaon était aussi conciliante ?


Loustonioù : Breton, « saletés »

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