Non seulement elle posa avec déférence la main droite sur le Livre des Vertus, mais en outre, elle posa la gauche sur son Etoile. D'ordinaire, c'était chez elle un réflexe dès lors qu'il était question de religion - ce geste l'aidant à demeurer calme autant que faire se pouvait - mais ce jour, elle l'avait fait sciemment, donnant par là-même encore plus de poids à son serment.
Moi, Armoria de Mortain, jure sur le Sainct Ouvrage, le Livre des Vertus de ne dire que la vérité, l'unique et entière vérité.
Elle laissa ses mains ainsi posées un instant encore, avant de poursuivre.
Et pour commencer, et me montrer tout à fait honnête envers vous, je me dois de vous dire tout d'abord que la période qui a fait suite à mon enlèvement - et donc aux faits qui amènent ma présence ce jour - cette période se refuse à ma mémoire. Par ailleurs, il vous faut savoir qu'une partie des faits m'a été rapportée. Je sais la valeur d'un témoignage par ouï-dire, aussi vous baillerai-je les noms des personnes concernées.
Elle prit le temps de réfléchir, pour tout remettre en ordre, et être sûre de ne pas se tromper.
Peu avant Pâques, j'ai reçu une missive bien curieuse : celle d'un homme se disant mercenaire, et souhaitant se mettre à mon service. Il désirait, dans ce but, me rencontrer, à Nevers. Sachant que la Couronne peut être amenée à utiliser des hommes d'armes, et assez intriguée, je l'avoue, j'ai répondu par la positive, et annoncé au Conseil de Bourgogne mon intention d'aller à la rencontre de cet homme.
Le temps de préparer ce court voyage, le Conseil a appris que le sieur était en train de constituer une armée. Je lui ai aussitôt écrit, pour savoir ce qu'il en était. Il m'a répondu que c'était dans l'intention de me montrer ses troupes en bon ordre, mais qu'il allait annuler ces ordres, pour mon plaisir.
Le Conseil, quant à lui, se maintenait en état d'alerte, d'autant qu'un deuxième de ces marauds dressait son camp. Si ma mémoire est bonne, son chef lui a immédiatement ordonné de cesser, et je crois savoir qu'il l'a fait.
Messire Snell, alors Général de Bourgogne, a alors été envoyé sur place, avec son armée, afin que de protéger la ville de Nevers et ses bonnes gens. Il avait un jour d'avance sur moi.
Quand je suis arrivée à mon tour à Nevers, j'ai vu en dehors des murs de la ville ds traces de combat. Snell, quant à lui, était sous le choc, presque prostré... Après quelques mots de réconfort qui ne sont pas parvenus à l'atteindre, je me suis aussitôt rendue à l'Eglise, et j'ai supplié Monseigneur Lolotse d'aller à la rencontre de Snell et des membres de son armée. Je me suis dit en effet que si j'avais échoué, lui pouvait réussir...
Peu de temps après, j'ai été enlevée : c'est là que commence le témoignage par ouï-dire. La Vicomtesse Marie-Alice m'a appris à mon retour que non seulement la trève pascale avait été rompue - ce que je savais déjà - mais qu'en outre, dans une déclaration encore visible sur les annonces ducales, le sieur Verbam se félicitait de la réussite de...
Elle marqua un temps d'hésitation, et fronça le nez, prononçant la fin de la phrase avec un dégoût manifeste.
... l'opération. Pas un mot sur la rupture de la trève, pas la moindre trace de remords. Pas plus en cette annonce publique que lors de l'entretien avec la Vicomtesse.
Quand je suis revenue en Bourgogne, enfin libérée, mais avec cette mémoire capricieuse, elle m'a alertée quant à l'état de Snell. Elle l'avait recueilli, avec l'aide de Gaborn de Hennfield, tant elle était anxieuse de l'avoir trouvé ainsi. Et en effet, quand je suis allée le voir, je l'ai trouvé dans un état de prostration plus profond encore que lors de mon arrivée à Nevers, ce funeste matin. Il se nourrissait à peine, et refusait de se soigner malgré une fort vilaine toux, convaincu qu'il était que c'était là sa punition, et qu'elle était encore trop douce.
Mon premier réflexe a été alors de dénoncer les agissements de celui qui était encore notre duc. Mais les élections s'approchaient, et je me suis refusée à ce que cette rupture de trève soit reprise comme argument électoral : c'eût été salir ce que notre vie comporte de plus sacré. De même, j'ai prévenu le Collège de la noblesse bourguignonne de ce que je comptais faire, du fait que je ne le ferais qu'après les élections. Je leur ai demandé de respecter cette période de silence, et ils ont accepté, ayant manifestement compris mes motivations. Que Dieu les garde pour cela.
J'ai tenté de me montrer concise, et peut-être, par contrecoup, ai-je négligé des détails qui vous sembleraient importants. Si c'est le cas, je m'efforcerai d'apporter à mes prochaines réponses toute la précision que vous êtes en droit d'attendre.
Sa voix avait été calme et posée tout du long, et elle savait que c'était en partie dû au contact avec son Etoile, qui peu à peu se réchauffait sous sa paume._________________
Vous pouvez utiliser mes lettres RP.Héraldique