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[RP]La croisées des chemins

Juliette.mansart

Ce serait là un prodigieux hasard!


La brunette due ressembler toutes ses forces pour parvenir à ne point rouler des yeux. Rouler des yeux en guise de désaccord, de lassitude ou de malaise était une seconde nature chez elle, elle n'y pouvait pratiquement rien, ses mirettes roulaient d'elles-mêmes en temps opportun ou non , comme le feu qui embrasait ses pommettes par moments d'ailleurs! Bref, Juliette éprouvait également du mal à déceler le phénoménal en ces hasards et ce lien étrange qui la liait à son voisin de litière ! Étant de nature expressive, sans doute sa perplexité se lisait sur son visage, crayonnée à gros traits, mais la nonne semblait posséder une Foi aveuglante quasi inébranlable, aussi Juliette ne fut guère surprise que la soeur ne la devine point. Sans doute voulait-elle croire au divin de la situation.. ce qui ne rassurait pourtant pas du tout la jeune femme.

Tergiversant mentalement à la Foi, au Divin ainsi qu'aux chimères, elle se retrouva en un instant, sans avoir pu dire quoique ce soit, laissée à elle-même en compagnie de ce mort vivant, les yeux écarquillés d'appréhension.


Corne de bouc! Elle me laisse vraiment seule avec lui?! pensa-t-elle... Des limites à l'aveuglement ! finit-elle par grommeler entre ses dents, dont les mâchoires s'avéraient plus que contractées.

Juliette s'installa sur son lit de fortune de manière à garder un oeil méfiant sur l'homme, si bon fut-il quelques années plus tôt, n'en demeurait pas moins que son comportement actuel était des plus étranges et des plus inquiétants. À peine fut-elle stratégiquement positionnée qu'elle crut voir ses cils remuer furtivement, ce qui la fit détourner aussitôt la tête, prenant un air qui se voulait décontracté et faisant mine de se trouver fort occupée à regarder.... ailleurs. N'entendant aucun son venant de la litière attenante, elle se risqua un nouveau coup d'oeil, sa curiosité beaucoup trop aiguisée pour tenter de la faire taire.

Plus les paupières de l'homme s'entrouvraient, plus ses propres mirettes s'arrondissaient. Oh zut zut zut, il se réveille une fois de plus!!! Malheur ! Que faire? La panique la submergeant de nouveau, elle avisant rapidement tout ce qui se trouvait à proximité de bras ; quelques secondes suffirent pour qu'elle en vienne au constat qu'elle se trouvait totalement démunie. Comme dans un relent d'espoir ou de Foi, allez savoir, elle jeta une oeillade en direction de la pièce principale, espérant voir réapparaître comme par enchantement, sa nonne joyeuse ; amère déception! Rien en vue! En dernier recours, elle décida de s'accrocher à ses draps, les remontant jusqu'à sa gorge nouée et avisa de nouveau du regard l'homme


C'est toi? C'est bien toi? Où suis-je mort aussi?

Que répondre? Juliette ouvrit la bouche mais pas un son n'en sorti, renouvelant cette vaine tentative, elle parvint enfin à bredouiller

-Ou-oui c'est moi, enfin, oui euh je suis moi, mais point.. celle que vous croyez..enfin.. que je crois

Un roulement des yeux se fit illico, se trouvant franchement sotte de la réponse qu'elle venait de lui servir.

-Je ne suis pas.. enfin, je suis Juliette, et non vous n'êtes point mort.... vous vous trouvez au dispensaire ..de Bourg...

La jeune femme inspira en fermant les yeux et s'étonna à prier pour que la dévote revienne très vite.
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Narrateur
La réalité percuta le jeune homme de plein fouet, affaissant ses épaules, tétanisant ses traits, et l'image de l'espoir éclata sur son visage comme une grosse bulle de savon, éclaboussant ses yeux de reflets cristallins. Sa bouche articula machinalement dans le vide, mais sans produire le moindre son. Un voile de tristesse recouvrit lentement sa figure, et son teint déjà pâle prit des allures de cadavre. L'énergie sembla le quitter par une plaie invisible, tous ses muscles se relâchèrent, et son corps épousa mollement la paillasse et l'oreiller de sa litière. Pourtant, pendant ces quelques secondes de brutale désillusion, il n'avait pas quitté Juliette des yeux. Son regard avait juste repris une apparence humaine, tristement réelle et lucide, au fur et à mesure qu'il comprenait sa méprise.

Bourg….Juliette… murmura t-il.

Il digéra ces deux mots quelques instants en silence. S'entendre les prononcer était peut-être pour lui une forme de démonstration, la reconnaissance d'un état de fait, aussi douloureux qu'incontestable.

Quel fol j'ai été… soupira t-il en esquissant un maigre sourire désenchanté.

Croire qu'elle aurait pu survivre….C'est ridicule non? interrogea il d'une voix étranglée. Il appuyait son regard sur Juliette, la prenant à témoin.

Le crêt de Surmontant fait plus de 100 toises de haut par endroit. Qui survivrait à une telle chute…

Une larme, longtemps accrochée au rebord de sa paupière, venait de dévaler sa joue. Elle s'attarda sur l'arête de son menton, scintilla une dernière fois et disparu dans le vide.
Juliette.mansart

Juliette regardait l'homme qui à peine quelques instants plus tôt, lui avait semblé dément. Son regard sur le malheureux s'était soudainement et subrepticement transmué. Ses gardes tombaient toutes, l'une après l'autre, si bien qu'elle ne tenait plus que mollement sur ses cuisses, la couverture de laquelle elle s'était illusoirement faite une armure en fait, fort ridicule. La tristesse qui ombrageait le visage du pauvre hère lorsqu'elle avait osé anéantir l'infime espoir qui avait momentanément illuminé son minois cireux lui creva littéralement le coeur et fit aussitôt rejaillir une certaine culpabilité en elle. Mais qu'aurait-elle pu faire ou dire pour tenter de le préserver de l'atroce réalité des choses? Peu de choses... et puis sans doute méritait-il la vérité, aussi cruelle pouvait-elle s'avérer!


-Je...vous.. vous n'êtes point fol allons... soyez indulgent envers vous-mêmes... Si cela peut vous rassurer, il semblerait que les similarités avec cette f.... votre... amie... sont étonnantes. La nonne du dispensaire même semblait obnubilée a priori en m'apercevant !

Elle baissa la tête, incapable de soutenir plus longtemps cette tristesse dans les yeux du jeune homme de ses propres azurs. Puis ayant rassemblé encore quelques forces restantes, elle replongea son regard dans le sien, se voulant rassurante

-Vous savez... peu de gens peuvent se targuer de ne guère se leurrer sur une chose ou une autre... ne dit-on pas "Qui perd espoir, perd tout" ?

Sitôt prononcées, elle regretta ses paroles... après tout, il y avait si peu de chance que cette femme s'en soit sortie indemne! La brunette cherchait seulement des paroles réconfortantes qui sauraient lui redonner goût à la vie, mais se sentant elle-même plutôt las, rien d'ingénieux ne lui vint à l'esprit ; mais au soubresaut de réalité qui l'assaillit soudain elle souffla, non mécontente de pouvoir rectifier ses paroles

- Certes... les chances sont plutôt minces...

La jeune femme ne put s'empêcher de suivre du regard cette larme qui roula sur le visage de l'homme jusqu'à évaporation, se sentant plus impuissante que jamais ; puis dans un murmure

- Vous pouvez néanmoins vous réjouir de ce retour d'un trépas annoncé vous concernant vous savez... et moi aussi d'ailleurs... conclut-elle dans un soupir, laissant son buste s'avachir tout contre les coussins reposant dans son dos. Que peut-on changer au passé de toute façon? finit-elle par marmonner, repensant à ces derniers mois de tromperies et de vils mensonges.
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Narrateur
Les chances sont plutôt minces.

Il avait opiné lentement du chef, son regard perdu dans celui de Juliette. Obnubilé par les flots de souvenirs qui jaillissaient de sa mémoire, il n'avait pas entendu les premières paroles de la jeune femme qui était passées sur lui comme de l'eau sur des écailles. Mais il n'était nul besoin d'évoquer cette ressemblance entre elle et Mireille. Elle sautait aux yeux, dans les apparences et les gestes. Il l'avait pris en pleine figure, spectre d'outre-tombe sublime et terrifiant, jusqu'à en perdre connaissance. Même à présent, alors que la vérité s'imposait à lui, que les faits reprenaient le pas sur les fantasmes et les vaines espérances, il restait au fond de son cœur une maigre flammèche d'espoir que ce fût bien elle qui se trouva là en ce moment en face de lui, et que rien de ce qui avait pu se passer sur la crête du Surmontant n'était finalement arrivé, que ce n'était qu'un long et mauvais rêve.

La voix de Juliette s'instilla dans son corps et acheva de le ramener au monde, mais ce fut un atterrissage tout en douceur, plein de délicatesse et de sensibilité. Son souffle doux éteignit lentement l'étincelle qui brillait encore en lui, comme on ferme avec respect les yeux d'un défunt. Après un saut brutal dans le temps et une parenthèse de quelques jours dans les méandres de son sub-conscient, Tristant revenait finalement au monde, sans vraiment s'en réjouir – le mot lui arracha un triste sourire - mais avec la certitude qu'en effet, on ne pouvait rien changer au passé, et que si l'espoir du meilleur fait vivre, l'acceptation du pire empêche de sombrer.


Rien en effet répondit il sur une voix reposée. On ne peut rien y changer.

Un long silence s'installa. Etait ce la ressemblance qui rendait soudain ses souvenirs plus précis, comme s'il se trouvait au théâtre à regarder le spectacle de sa propre vie? N'y avait il que Juliette? Ces rangées de litières aux tentures blanches, cette lumière teintant les boiseries d'or, ce silence monacal…Ce dispensaire ressemblait tellement à celui…de Saint-Claude? C'est avec lucidité à présent, hors de toute hallucination, qu'il se revoyait quelques années en arrière, dans une version accélérée où les années étaient des minutes et les jours des secondes. Le couvent. Mireille. Les secrets. La falaise. Le cavalier.

Le cavalier….

Son regard, assombri par le froncement de ses sourcils, quitta lentement celui de Juliette.


Même alors, on n'aurait rien pu changer. Sa voix s'était durcie, de désenchantée elle s'était faite grave et amère.

Il ne lui a laissé aucune chance le maraud. Il savait parfaitement ce qu'il était venu faire. Et il l'a fait de sang froid.

Il se retourna vigoureusement vers Juliette, sans lui laisser le temps de répondre.

On vous a sans doute raconté qu'elle avait été attaquée par un bandit de grand chemin n'est ce pas? Mais je sais moi ce qu'il en est. Oh oui je sais…Ce n'était pas un acte opportuniste, un malheureux hasard, fatal, faisant se croiser une proie et un prédateur au mauvais endroit et au mauvais moment.

Oui madame, à vous je peux bien le dire, c'était un meurtre.
Juliette.mansart

Quel rôle ingrat que celui de rabat-joie de service dans lequel la situation semblait la cantonner. Si elle était parvenue à trouver la force, elle se serait jetée de sa litière ne serait-ce que pour tenir la main de Tristant alors qu’il s’acclimatait doucement à la triste et poignante réalité ; mais cette idée, elle ne put que l’abandonner dès qu’elle émergea en son esprit puisqu’elle sentait bien que ses jambes ne répondaient guère comme à leur habitude, l’alitement prolongé les avait indubitablement rendu aussi malléable que la froide pierre. Elle se contenta d’écouter ce qu’il avait à dire, d’observer ses expressions comme pour en saisir le sens profond qu’il ne pouvait exprimer en paroles mais que son visage et son ton trahissaient néanmoins.

L’évocation du vaurien glaça le sang de la belle qui ne put s’empêcher de sourciller, tant de curiosité que d’angoisse. En son esprit résonna à quelques reprises « … il savait parfaitement ce qu’il était venu faire …». Qu’entendait-il par-là?

Comme si Tristant avait pu lire sa pensée, il précisa enfin, laissant la brunette pantoise. Si son frêle corps lui avait semblé jusqu’ici inanimé, la révélation du meurtre le raviva aussitôt, alors qu’un frisson la traversa de ses orteils à son échine en une fraction de seconde.


-Un.. me-meurtre dîtes…vous?! parvint-elle à balbutier avec peine, regardant d’un air grave et fixement son voisin de couche. Elle déglutit péniblement l’air que sa bouche béante d’ahurissement laissait infiltrer à son insu, puisqu’en fait, les dernières révélations lui avaient littéralement asséché le gosier tant celui-ci s’était contracté de peur.

Son esprit se mit à vagabonder en tous sens à une allure folle qui lui donna littéralement le tournis. Si elle s’avérait la copie conforme de cette Mireille.. serait-elle en danger à sa sortie de ce funeste lieu? Qu’avait-elle fait pour que l’on souhaite provoquer un trépas aussi cruel?! Ses membres s’activaient plus que jamais, tremblotants nerveusement, particulièrement ses mains blafardes. Inspirant profondément, elle souffla


- Tristant… dîtes-moi… pourquoi cet homme s’en est-il pris à votre amie? Et ma ressemblance avec elle… est-elle … à ce point à s’y méprendre? Dois-je redouter de connaître le même triste sort qu’elle si par malheur, je devais croiser sa route?

Juliette, posa sa main sur sa poitrine palpitante d'énervement, espérant qu'il parviendrait à trouver quelques disparités rassurantes entre cette Mireille et elle. Le pressentiment lugubre qu'elle ressentait d'emblée quant au lien l'unissant à cette femme semblait cruellement se concrétiser de trop. Quelle déveine... s'il eu été un moment où elle aurait soupiré de soulagement de devoir admettre posséder une imagination trop fertile, c'eut bien été en cet instant précis!
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Narrateur
On sentait que la question de Juliette avait ravivé quelque chose, comme un coup de pied dans un tas de poussière, une claque sur une plaie mal guérie. Le jeune homme hésita un instant. Etait ce parce qu'il ne savait pas par où commencer, ou bien l'aveu buttait il sur une barrière invisible, faite de crainte, de méfiance ou d'épuisement? Il resta de longues secondes, le visage animé de petits tics nerveux, clignements d'œil, petits hochements saccadés, contraction des lèvres. La tête penchée, son regard sondait le néant de ses draps, y cherchant peut-être une réponse, ou un encouragement. Ses deux mains tremblaient, à tel point qu'il les joignit et les serra à faire blanchir les articulations saillantes.

C'est sur un ton las et résigné qu'il reprit la parole. Mais c'était presque à lui même qu'il parlait, en un petit dialogue intime où la voix s'adressait à l'âme enfouie.


Il y a si longtemps, quatre ans déjà ont passés, pourquoi taire encore tout cela…

Il se retourna lentement vers Juliette.

Du cavalier vous n'aurez plus rien à craindre. Car il est mort.

Sa pomme d'adam fit un large aller retour dans sa gorge émaciée.

Je n'ai pas réussi à sauver Mireille ce jour là, mais j'ai pu la venger. Je ne sais si c'est la rage ou la détresse qui m'a donné la force de vaincre ce gaillard bien plus fort que moi. Mais il a fini au bas de la falaise à son tour, avec ma dague en travers du cou.

Le poison était sorti, et Tristant exhala un interminable soupir de soulagement. Sa voix se détendit, ses épaules se relâchèrent, et ses mains s'arrêtèrent de trembler.

J'ai pris le cheval de l'assassin et quitté la région de Saint-Claude, loin du couvent où notre histoire avait commencé. Je n'ai rien dis à personne de ce qui s'était passé, priant le temps pour qu'il efface ma douleur, et personne à Bourg ne m'a jamais questionné sur mon passé. J'ai enterré ce souvenir au plus profond de mon cœur. Il est la sépulture qu'elle n'a pas eu et où elle repose désormais.

Sa main s'était posée sur sa poitrine et semblait y couver une précieuse relique.

Je ne sais pas vous dire, madame, si vous êtes en sécurité. Personne ne sait ce qui c'est réellement passé sur le Cret du Surmontant ce jour là, et votre ressemblance peut prêter à toutes les confusions. Le bras armé n'est plus, mais la tête pensante…

Encore une hésitation, comme s'il craignait d'en rajouter encore à l'inquiétude visible sur le visage de la jeune femme.

Je dois vous montrer quelque chose.

Il se pencha vers le coffre où l'on avait rangé ses effets, remua un peu pour trouver sa ceinture qu'il amena à lui. Une petite sacoche, fermée par un lacet, y était accrochée. Il lutta quelques instants avec le nœud qui n'avait pas dû être délié depuis longtemps mais fini par en venir à bout. De l'écrin de cuir il tira un parchemin minuscule, plié en quatre. Tristant l'ouvrit et le tendit à Juliette.

Il avait sûrement projeté de le détruire mais n'en a pas eu le loisir.

Sur le fin vélin presque transparent, une simple phrase à l'écriture ferme et tranchante.



Elle a dépassé les bornes. Finissons en. Vous avez carte blanche.


Aucune signature au bas de la sentence, juste le silence, inquisitorial.


Juliette.mansart

La brunette s’était étirée le cou légèrement afin de ne rien perdre des confidences murmurées par son voisin ; buvant avidement chaque mot prononcé, muée sans doute par la menace planant apriori sur sa propre vie mais aussi par une certaine curiosité sinon, une curiosité certaine. Force est d’admettre qu’il n’était guère commun d’entendre parler d’événements si tragiques voire quasi inimaginables ! Malgré son âge relativement jeune, la Juliette avait néanmoins du vécu ! Et pourtant… le récit sur cette Mireille ne cessait de l’abasourdir !

Peut-être était-ce en raison de son historique de procureure du Périgord-Angoumois qu’elle ne réagit guère avec soulagement aux confidences de Tristant. Elle ne trouvait que très peu de réconfort au fait de d’apprendre que Tristant s’était fait justice lui-même et avait tué de ses propres mains un autre être humain, si vil fut-il ! Alors que celui-ci poursuivait ses épanchements, la jeune femme ne parvenait plus à détacher son regard obnubilé, des mains du jeune homme ; elle en cherchait leur faille, un signe particulier qui aurait trahi la barbarie qu’elles avaient perpétrée, mais en vain. Non, rien n’y paraissait, des mains semblables à toutes mains viriles croisées auparavant. Des mains qui auraient pu appartenir à Omey, à Gawin, à n’importe quel homme bon quoi! Ce constat la fit frissonner alors qu’elle reportait son regard sur les traits faciaux de Tristant. Ceux-ci semblaient tout aussi inoffensifs, encore une fois, rien ne trahissait une quelconque bestialité tapis au fond de son âme … comme tout cela s’avérait déroutant pour la jeune femme. Elle parvenait d’ailleurs fort mal à dissimuler ce mélange de fascination et de malaise qui la gagnait malgré elle.

L’émoi étiolé par la douceur de la voix qui chatouillait son ouïe, la brunette en vint à la conclusion qu’il était sans doute préférable pour elle, de faire face à un Tristant meurtrier par compassion voire, peut-être même passionnel, que de se trouver face à un fou furieux animé par la cupidité et trop aisément volontaire moyennant quelques écus sonnants et trébuchants.


Le bras armé n'est plus, mais la tête pensante…

Juliette cligna des yeux à quelques reprises, ne quittant pas Tristant du regard et sentant dans tout son corps, la lourdeur des mots prononcés par son voisin. Tout ce qu’elle parvint à dire à répétition, d’un souffle court

La tête pensante…. La tête pensante vit toujours…

Alors que Tristant farfouillait dans son coffre à la recherche d’une nouvelle révélation, tangible cette fois, Juliette restait-là, les bras ballants, interdite par le présage que lui renvoyaient les précédentes révélations. Serait-il à ce point inconscient? Ne saisit-il donc pas ce que tout cela pourrait impliquer pour moi? Pour ma vie?
Quelle ironie !
pensa-t-elle. Elle venait à peine de défier la Mort, lui faisant un pied-de-nez en reprenant vie, contre toute attente, qu’aussitôt Celle-ci reprenait forme sous les traits d’un machiavélique inconnu qui pourrait la méprendre avec cette Mireille et vouloir mener à bien un funeste dessein sur sa personne!

Le vélin tendu vers elle la sortit de ses pensées, aussi en prit-elle possession pour en faire la lecture. Relevant ses mirettes bien rondes vers lui, elle le lui rendit sans plus attendre, comme si le fait de se débarrasser rapidement du vélin la protégerait d’un danger auquel elle ne voulait pas croire.


-Je.. je ne comprends pas Tristant… Qu’aurait-elle pu faire pour mériter une telle vengeance, un tel mépris? En quoi aurait-elle pu dépasser les bornes? Et qui aurait-il pu être pour se poser ainsi, en juge de ses agissements à elle? Qui était cette Mireille? Quelle était sa vie? Je vous en supplie, vous devez tout me dire … Élevant la voix plus que nécessaire, elle poursuivit sur un ton mi-paniqué mi-agacé

Ne réalisez-vous donc pas qu’un sort semblable à celle avec qui vous m’avez confondue pourrait m’être réservé?! Je n’ai certainement pas combattu cette étrange fièvre des jours durant pour trépasser au final sous des mains meurtrières…

Prononçant ces derniers mots, elle reporta un regard embué d'angoisse sur les mains de Tristant.
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Narrateur
Ses mains s'étaient totalement assagies, elle reposaient l'une sur l'autre, endormies comme deux colombes sur le drap blanc, le pouce de l'une caressant le creux de l'autre en une douce respiration. Le plus dur était sorti, le plus insoutenable pour un médecin, avoir tué quelqu'un, ôté la vie alors qu'il se dévouait à la préserver. Il aurait aimé en rester là, et taire tout le reste, tout ce qu'il y avait eu avant, et dont il n'était pas seul responsable. Mais les questions de Juliette se faisaient de plus en plus pressentes à mesure que montait son angoisse, tellement compréhensible. Il regarda quelques instants la tête abattue de la jeune femme, qui le projeta une nouvelle fois dans le passé, mais cette fois de façon consciente et lucide. Les images, par la concordance des lieux et des visages, étaient d'une netteté incroyable pour des évènements aussi vieux et enfouis sous une chape de chagrin, de remords et de honte. Il voulu lui caresser les cheveux mais il se retint. La ressemblance s'arrêtait au visage et ne devait pas pour autant franchir le seuil des sentiments.

Je comprends votre angoisse reprit il d'une voix calme. La fortune est parfois cruelle et l'on se sent bien impuissant quand elle s'acharne sur vous. Mais au moins êtes vous prévenue. Je ne sais si c'est de nature à vous rassurer, mais peut-être que cela vous rendra prudente et attentive. Mireille, hélas, ignorait qu'on lui voulait du mal, elle a vécu dans l'insouciance jusque…au dernier moment, sans que l'idée de se défendre ne vienne l'effleurer.

Il se tut un instant pour laisser à ses paroles le soin d'imprégner l'âme tourmentée de la jeune femme, et à sa propre mémoire celui d'exhumer les détails de son histoire. Puis, sentant à nouveau son attention perler dans le minuscule sourire qu'elle lui adressa, il poursuivit son récit.

J'ai rencontré Mireille au couvent de Saint-Claude il y a plus de quatre ans. J'y avais été envoyé pour poursuivre ma formation de médecin et ne devait y rester que quelques mois. La grippe avait fait des ravages jusque dans le rang des religieuses et l'on manquait de bras pour promulguer les soins, nettoyer les malades et les draps, et pour consoler les familles. Mireille était dans la communauté depuis moins d'un an, et j'ai vite découvert que ce n'était pas par vocation. Sa famille l'y avait contrainte, son père notamment, de ce qu'elle m'a confié. Le couvent devait être le moule qui arrondirait son caractère et briserait les angles vifs de son tempérament. Mais c'était un esprit rebelle et retord, et même si par son éducation elle respectait en façade le protocole et l'autorité de la Mère supérieure, elle se délectait à enfreindre les règles dans l'ombre et à rire des dogmes et autres bondieuseries.

Il sourit à lui même, la mémoire échauffée par de délicieux souvenirs, et continua en chuchotant.

Je fût une de ses entorses au règlement, et au sacro-saint vœux de chasteté qu'elle avait formulé en entrant au couvent comme on récite un poème. Aussitôt appris, aussitôt oublié. Nous nous sommes aimés dans le secret des alcôves et des cellules monacales…

Il savoura quelques secondes de silence en forme de baiser, buvant à la source des souvenirs retrouvés.

C'est elle je crois qui a voulu partir continua t'il sur une voix plus sombre, comme s'il avait atteint un sommet juste avant et s'enfonçait à présent dans une lente déchéance. Une sœur claquant la porte d'un couvent. Imaginez la réaction des religieuses et de sa famille, sans parler de la morale populaire. Et encore, nous avions décidé ensemble de taire notre liaison, qui nous aurait valu le bûcher peut-être. La colère fanatique est si imprévisible parfois. Je suis parti quelques semaines avant elle pour ne pas éveiller les soupçons, et je devais l'attendre au Surmontant. Je suppose qu'on l'a suivi quand elle est venu m'y retrouver. Et vous connaissez la suite….

Vous me demandez si elle avait des ennemis? Je ne sais vous répondre précisément, mais au delà des personnes, elle en avait un au moins, le plus impitoyable et le plus aveugle. L'intolérance, sous ses visages les plus hideux.
Juliette.mansart

La brunette était toujours pendue aux lèvres de Tristant, son intérêt pour son récit ne tarissait guère. Celui-ci aurait été d’autant plus captivant il va s’en dire, n’eut été de cette foutue ressemblance avec la protagoniste rebelle qui voilait sa propre existence d’une menace certaine ; la faisant ainsi, bouder légèrement le plaisir désintéressé du spectateur. Son corps continuait de réagir à chaque moment fort du récit : se raidissant aux révélations surprenantes, s’inclinant légèrement en direction du conteur à chaque murmure, son souffle s’opprimant au moindre suspens évoqué ; en effet, Tristant modelait à son insu probablement, toutes les réactions et ressentis de la belle, tel un sculpteur aguerri pétrissant une argile des plus malléable.

La jeune femme écarquilla ses mirettes lorsqu’il sembla, à mot à peine couverts, lui signifier qu’elle devrait s’escompter chanceuse d’être au fait du danger qui la guettait, contrairement à Mireille. Désarçonnée, Juliette prit un bref instant pour cogiter mais à peine quelques secondes suffirent pour afficher une moue dubitative à l’intention de Tristant. Elle ne parvenait nullement à déceler dans la situation qui la minait, une once de chance!


...vous rendra plus prudente ...

-Complètement méfiante vous voulez dire! Grommela-t-elle enfin et malgré elle, ne voulant pourtant point être brusque avec le conteur.

La suite des confidences ne surprit guère complètement la jeune femme. Au bouleversement qui se lisait sur le visage de son voisin depuis qu’il avait ouvert les yeux, la brunette se doutait bien qu’un lien charnel avait dû unir la rebelle au médecin ; néanmoins qu’il s’en confesse à elle, pure étrangère, l’étonnait tout de même un tantinet ; elle avait même empourprée subrepticement ses pommettes douillettes.

... la colère fanatique est si imprévisible ...

-Toute colère profondément ressentie ne s’avère-t-elle point toujours plutôt fanatique? se hasarda-t-elle à proposer

La jeune femme réfléchissait intensément à tous les détails fournis par Tristant, puis les sourcils froncés par l’intrigue

-Ne croyez-vous pas qu’un père empreint d’une honte sans borne à l’égard de sa fille et de ses agissements considérés comme étant d'une insoutenable légèreté pourrait s’avérer d’autant plus fanatique que quelques bigotes déçues d’avoir reposé un certain espoir sur la mauvaise candidate?

Son minois s’assombrit au fur et à mesure que se poursuivait silencieusement sa réflexion.

-Il me semble que pour commettre un tel acte, il faille que des sentiments intenses soient mis en cause… un amour.. un honneur familial… qu’en sais-je.. Était-ce une roturière ou une nobliote?
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Narrateur
Un moine passa lentement à côté d'eux, était ce simplement le balancement de sa démarche mais il sembla tourner son regard dans leur direction. Bizarrement, il ne portait pas les sandales monacales d'usage mais des chausses en cuir souple qui semblaient glisser sur le plancher.

Tristant attendit qu'il se soit éloigné pour reprendre.


Hélas, les agissements de sa fille n'ont pas poussé le père au fanatisme…mais au tombeau. Peu de temps après la disparition de Mireille, la rumeur est venu de ses gens qu'il avait sombré dans une profonde dépression. Durant de longues semaines ont ils raconté ensuite, il avait perdu l'appétit et le goût des choses, ne s'occupait plus guère de son domaine et passait ses journées à errer entre les murs vides de sa demeure. Ce sont ses gens qui l'ont retrouvé, pendu dans la grand salle de sa demeure, un mouchoir aux initiales de sa fille noué autour du cou.

Il frissonna de son propre récit et se reprocha presque de l'avoir dévoilé si brutalement.

Est il mort de chagrin ou de remords…. Je ne saurais dire, mais mon cœur me chuchote qu'il n'est pas l'auteur de ce parchemin. C'est là l'œuvre d'un lâche, qui n'aurait pas eu le courage de se suspendre à une corde.

Un silence pensif s'installa à nouveau. Leur long entretien devait commencer à susciter de la curiosité. Au fond de la pièce, un visage dépassait de la tenture d'une litière et semblait les regarder avec assiduité. A moins qu'il ne soit lui-même en pleine réflexion et ne fasse qu'observer dans le vide?

La nouvelle a fait grand bruit à l'époque reprit Tristan car le père de Mireille, Hubert de Saint-Amance était un propriétaire terrien bien connu et respecté, qui avait fait fortune dans l'élevage ovin en partant de presque rien. Elle m'est parvenue jusqu'à Bourg par le colportage des marchands et la rumeur des voyageurs. Pour répondre à votre question, Mireille ne tenait pas sa noblesse de son père mais de sa mère, la baronne de Fausse. Un mariage d'amour je crois, bénit par l'église mais sans doute honnis par la lignée des De Fausse. Mireille n'en avait pas beaucoup de souvenir pourtant, car elle avait été emportée par la grippe quelques années seulement après sa naissance.

Il releva ses yeux tristes vers Juliette tandis que depuis le hall d'entrée montait la voix de stentor de Sœur Mado.

Le sort, parfois, s'acharne n'est ce pas?

Des claquements de semelles retentirent. La large silhouette du Père Anselme apparut à la porte, encadrée par Sœur Mado qui touillait vigoureusement dans une écuelle. Ils approchaient d'un pas rapide, deux jeunes moines filiformes les talonnant de près.

Tristan posa vivement son index sur sa bouche.


Par pitié, que cela reste entre nous. Je vous en ai plus dit en quelques minutes que je n'en ai jamais dit à personne ces quatre dernières années. Et je ne crois pas que l'opinion publique soit aussi compréhensive que vous.
Juliette.mansart

Intriguée par le silence soudain de son voisin et en cherchant l'origine, la brunette prit tout à coup conscience qu'ils n'étaient pas seuls. Le ton de confidence sur lequel ils échangeaient depuis un moment lui avait étrangement fait oublié ce détail. Suivant la direction du regard de Tristan vers le Moine aux sandales, la jeune femme ne put s'empêcher une roulade de mirettes légèrement agacée par cette présence importune qu'elle espérait brève puisqu'elle entravait la suite des mémoires captivantes de Tristan.

Bien que sachant d'emblée que tout au bout du récit, se trouverait la mort injuste d'une jeune femme peut-être un peu trop dissipée, soit, mais néanmoins innocente ; jamais au grand jamais Juliette ne se serait attendue à une telle conclusion ! Saisie tant par l'effroi que la surprise, l'une de ses mains pâlottes se plaqua naturellement sur ses lèvres entrouvertes, dans un geste vif d'urgence et de contenance. Comme si l'herméticité prodiguée par celle-ci était garante d'une quelconque sécurité pour elle-même comme pour les autres ; la gardant ainsi de répandre son émoi à tous vents et qui sait, peut-être protéger au passage un Tristan aussi nostalgique qu'impuissant. Non, il n'avait définitivement guère besoin qu'elle en ajoute avec son propre ressenti, alors qu'elle s'avérait en fait, complètement extérieure à tout ce récit atroce. Tristan était celui qui avait perdu la femme qu'il aimait, celui qui avait dû se résigner à n'être qu'un témoin désarmé devant la fatalité.

Juliette n'en était pourtant pas moins horrifiée. Ainsi donc, ce pauvre hère en était mort de peine?! pensa-t-elle, consternée d'apprendre que tous deux , le père et la fille, en avaient payés de leur vie respective dans une souffrance innommable.

Répétant faiblement, telle une automate, l'air hagard et les mirettes soudainement éteintes


- Un lâche... oui ... un lâche... sans doute avez-vous raison....

La brunette se laissa immerger, songeuse, dans le silence instauré par Tristan ; semblant lointaine, fixant ses propres jambes dissimulées sous le drap léger de sa couche, alors que sa main persistait dans sa tentative de contenir tout ce qui lui traversait l'esprit et le coeur en cet instant précis.

La persistance du silence entre eux attira son attention et dissipa son égarement d'un clignement répétitif des paupières. Mais que regardait-il encore? La curieuse inclina doucement son buste pour aviser du regard l'homme qui regardait en leur direction ; l'idée de demander à Tristan s'il le connaissait lui effleura les lèvres mais la reprise du récit la convainquit de plutôt les mordiller.

-Une baronne ! Vraiment?!

Désarçonnée par la tristesse qu'elle lu dans le regard de son voisin, Juliette opina de la tête, puis prolongea son regard sur son drap une fois de plus, ne sachant trop ce qu'elle pourrait dire pour l'apaiser en toute sincérité. Après tout, la fatalité ... il est impossible de la nier, même muée par la volonté d'encourager ou de réconforter. Dans un murmure elle ne put qu'approuver

-Oh oui... je le crois aussi, la fortune n'est guère toujours au rendez-vous malheureusement... et je crois d'ailleurs que vous avez eu votre lot d'adversités...et je puis en dire autant ! conclut-elle dans un soupir. Elle parvint néanmoins à sourire légèrement, soudainement philosophe, ou peut-être plus réaliste, qui sait. Chose certaine, ses propres infortunes et tristesses du passé lui paraissaient soudainement moins lourdes à porter en comparaison de celles dont Tristan était affublé.

Les claquements de semelles qui résonnèrent à proximité d'eux lui firent relever la tête, juste à temps pour apercevoir l'index de Tristan qui l'enjoignait au silence de connivence et à la discrétion.

Elle lui décocha un sourire, sincèrement émue de la confiance qu'il lui avait portée en s'ouvrant à elle et se contenta d'opiner une fois de plus la tête en articulant exagérément des lèvres un "merci" silencieux.

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Narrateur
Le Père Anselme et Sœur Mado arrivèrent (enfin!) à proximité des litières où Juliette et Tristant achevaient leur discussion. En les croisant, le moine aux chaussures de cuir détourna vivement la tête comme s'il éternuait en silence, avant de s'éloigner d'un pas pressé.

Aristote soit loué vous êtes en vie! s'écria Sœur Mado d'une voix de bigote en se précipitant sur Tristant. Elle s'assit à côté de lui en posant son écuelle sur la litière, puis elle lui attrapa autoritairement la tête et observa la plaie. Une grimace déforma son visage.

Une bien vilaine blessure que vous là… J'ai l'air fine avec mon onguent et je m'étonne de ne pas vous voir à nouveau dans les vapes! Regardez mon Père ajouta t'elle en s'écartant.

Le vieux moine se pencha, ajusta une paire de bésicles et s'attarda quelques instants sur la plaie en opinant du menton.


Il va falloir recoudre…. Allez cherchez une civière et portez Messire Pipourtois dans mon cabinet ordonna t'il en se retournant vers les deux moines qui s'exécutèrent aussitôt.

Peut-être aurait t’il mieux valu que vous restiez inconscient car ça ne va pas être une partie de plaisir mon ami, mais vous avez déjà survécu à un tabouret en chêne, vous survivrez à une aiguille à matelas ajouta t’il sans ambages à l’adresse de Tristant avec un petit sourire qui aurait pu paraître sadique sur un visage moins jovial et chevronné que le sien.

Il se tourna alors vers dame Juliette en écartant les mains avec bienveillance.


Heureux de vous revoir parmi nous mademoiselle ! Je viendrais m’entretenir avec vous de votre état de santé et de vos intentions dès que j’en aurais terminé avec votre voisin, mais je puis déjà vous informer que mon pronostic est bien moins réservé qu’à votre arrivée en nos murs, même s’il faut rester vigilent. Votre fièvre est bien retombée et vous n’avez pas vomit ce qu’on vous a fait manger pendant votre inconscience. Les manipulations que nous avons pu faire semblent montrer que vos muscles sont plus détendus et vos articulations moins douloureuses. Ce sont des signes encourageants que nous devrons surveiller encore quelques jours, si vous le souhaitez bien sur. Vous pouvez dores et déjà essayer de faire quelques pas si vous vous en sentez la force, mais mieux vaut le faire avec l’aide de quelqu'un. Un de nos moines pourra s'en charger à votre demande.
Juliette.mansart
« (…) je m’étonne de ne pas vous voir à nouveau dans les vapes! Regardez mon Père »

L’émoi ainsi que la curiosité provoqués par les propos et intrigues dont lui avait fait part Tristant, lui avait fait oublier pour un moment, l’état piteux dans lequel il se trouvait toujours. La curiosité de la brunette l’avait nettement emportée sur sa compassion naturelle ; à sa grande honte! Arborant une petite moue de culpabilité, elle porta à nouveau, grande attention, tant visuelle qu’auditive aux commentaires des soigneurs fourmillant autour de son voisin de litière. S’étirant le cou telle une tortue pour tenter d’apercevoir les ravages occasionnés notamment par la chute violente dont il avait été victime.

« Il va falloir vous recoudre… (…) portez Messire Pipourtois dans mon cabinet »

La brunette se redressa instantanément dans son lit. Pourquoi avaient-ils besoin de l’amener plus loin? Ne pouvait-il point le soigner ici?

-Est-ce à ce point grave? demanda-t-elle dans un souffle anxieux alors que l’homme se tournait déjà en sa direction, à son grand étonnement. Peu rassurée, elle écouta sagement ce que l’oiseau de malheur avait à lui dire sur son propre état de santé.

Pronostic bien moins réservé qu’à mon arrivée? Juliette n’osa protester vivement, mais elle n’en pensait pas moins ; elle se demandait en fait sur quoi reposait son optimisme soudain ! Sans doute le fait qu’elle soit consciente, les yeux bien ronds et vifs… n’empêche, elle se sentait d’une faiblesse jamais ressentie auparavant. N’eut été des histoires rocambolesques de Tristant, elle serait sans doute demeurée avachie et abattue sur sa couche! Mais cela, elle ne pouvait en piper mot! Aussi se rabattit-elle dans un bredouillement aussi faible qu’hésitant


-Quelques pas dites-vous? Sauf votre respect… mes membres me semblent bien raplapla… trop pour que je me sente assez confiante d’esquisser quelques pas, si petits soient-ils. Mes bras ne semblent plus avoir le moindre tonus ! Quant à mes jambes, j’ai peine à les mouvoir sous les draps! Permettez-moi d’attendre mes amis pour faire mes premiers pas, je me sentirais davantage en sécurité entre leurs mains… osa-t-elle enfin demander, espérant qu’il consentirait à remettre à plus tard, les prouesses qu’il lui proposait déjà d’exécuter.

Comme pour détourner l’attention de son propre « cas désespérant » elle tourna la tête en direction de son voisin que l’on s’apprêtait à emmener.

-Tout ira bien Tristant, courage ! J’attendrai votre retour avec impatience lui lanca-t-elle, lui décochant un sourire se voulant réconfortant pour lui, mais les mots qu’elle lui adressait visaient à se réconforter par la même occasion. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais l’absence momentanée de son voisin l’angoissait. Même si ses récits n’avaient rien de rassurant, le timbre de sa voix, lui, l’était et il lui manquerait même si ce n’était que pour un bref instant.
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Narrateur
Tout en attendant la civière, le Père Anselme répondit patiemment à Juliette, avec une voix calme et posée, les doigts croisés sur sa robe de bure.

La blessure de messire Pipourtois n'est pas très grave rassurez vous, mais je n'interviens jamais dans les litières pour ne pas souiller les draps du sang de l'intervention. D'autre part, les gémissements et les cris nuisent au repos des patients, et les rend inutilement nerveux lorsque je viens m'occuper d'eux ensuite.

Quant à vous mademoiselle, je ne veux pas vous convaincre malgré vous, ni vous donner de faux espoirs. Il est normal que vous vous sentiez encore faible et que la perspective de remarcher vous semble au delà de vos forces. Il en est ainsi de tout ceux qui ont vécu un sommeil prolongé et sont restés trop longtemps alités. Mais croyez en mon expérience de vieux patricien. Sans être totalement remise, et bien qu'une rechute soit toujours possible, votre état de santé est bien meilleur qu'à votre arrivée. Soyez sereine, et restez au lit si vous ne vous sentez pas en mesure de faire quelques pas pour l'instant. Laissons faire Aristote et le temps, qui sont vos meilleurs remèdes. Notre dispensaire vous accueillera autant qu'il sera nécessaire.


Le claquement cadencé des semelles annonça l'arrivée du brancard. Sœur Mado et le père Anselme s'écartèrent pour laisser la places aux deux moines qui prirent Tristant en chaise et le déposèrent délicatement sur la civière. La plaie du jeune homme laissait échapper des petites gouttelettes luisantes qui s'étalaient en un chapelet de tâches rouges depuis son oreiller, lui même teinté de sang.

"Tout ira bien Tristant, courage !"

Il la remercia d'un signe de tête sans réussir à prononcer un mot, un maigre sourire suspendu à ses lèvres qui avaient perdu leur rougeur. Ses traits s'étaient légèrement creusés et avaient une pâleur de cendre. Ses paupières clignèrent un instant puis se fermèrent lourdement tandis que les deux moines l'emportaient.

Passez une bonne journée madame dit le Père Anselme sans une once d'inquiétude dans la voix tandis que Sœur Mado retirait les draps de la litière et écrasait l'oreiller sous son bras potelé. Déjeunez autant que vous pourrez et surtout reposez vous. Il gratifia Juliette d'un dernier sourire bienveillant avant de tourner les talons et d'emboîter le pas aux moines brancardiers.

Avant de se joindre au cortège, Sœur Mado s'approcha de Juliette.


Faite confiance au Père Anselme, il connaît son métier et n'en est pas à son premier point de suture. Messire Pipourtois sera bientôt de retour avec au pire un joli mal de tête, et vous pourrez poursuivre tranquillement vos racontôtes.

Sa voix avait pris des accents complices et curieux.
Juliette.mansart
Pipourtois... tiens son nom de famille est bien la seule chose qu'il avait oublié de lui révéler jusqu'ici! Juliette sourit, amusée par la drôle de consonance qu'il lui évoquait. Reportant son regard sur le Père Anselme, elle tenta de se concentrer à nouveau sur les propos qu'il lui adressait.

Sans doute avait-il raison, son état prenait du mieux. Après tout, encore la veille, elle errait entre semi-conscience et inconscience totale ! La brunette inspira profondément comme si elle voulait ainsi, aspirer tout ce qu'il y avait de vie à proximité de ses délicates narines ; se faisant, elle regardait le brancard quitter solennellement la pièce.

La voix chantante de la rigolote soeur prit le relais, chatouillant son ouïe de paroles réconfortantes.


Faite confiance au Père Anselme, il connaît son métier et n'en est pas à son premier point de suture. Messire Pipourtois sera bientôt de retour avec au pire un joli mal de tête, et vous pourrez poursuivre tranquillement vos racontôtes.

Léger sourcillement de la part de la brunette qui réalisa tout à coup que leur discussion, à Tristant et elle, n'avait peut-être pas été aussi discrète qu'elle ne l'avait cru ni ne l'aurait voulu. Malgré une certaine sympathie ressentie pour cette joviale bonne soeur, la jeune femme ne put faire autrement que de se refermer avec méfiance, après tout, leur échange n'avait guère porté sur des futilités! Il avait tout de même été question de la mort provoquée d'une innocente femme! Juliette n'aimait guère l'idée que d'autres personnes aient pu capter quelques détails scabreux au passage.

La jeune femme se contenta donc de sourire légèrement à la soeur, un sourire quelque peu mystérieux qui ne confirmait ni n'infirmait quoique ce soit dans la teneur des propos, il confirmait peut-être ni plus ni moins avoir entendu ce qui lui fut dit, puis feignit la fatigue tout en s'affalant plus confortablement dans son modeste lit, remontant la couverture jusqu'à son museau, sonnant ainsi la fin de toute discussion de manière officielle. Demie comédie puisqu'en fait, elle se sentait en effet plutôt las. Trop d'émotions et d'informations à digérer en un trop court laps de temps ; elle se sentait réellement vannée.

Ce n'est que quelques temps plus tard, quelque heures sans doute, qu'elle réalisa s'être assoupie, lorsqu'éveillée par des murmures inaudibles près de sa couche. Tristant était-il de retour? Était-ce des murmures de malaises ou de rêveries qu'elle croyait ouïr? Tendant l'oreille de manière plus soutenue sans pour autant parvenir à entrouvrir un oeil, il lui sembla à présent entendre bien plus que des murmures à proximité, mais qu'était-ce donc? Malgré la curiosité naturelle de la jeune femme, elle ne put que s'abandonner aux songes qui l'enveloppaient à nouveau, à son corps défendant.

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