Ninon_
J'étais partie tôt ce matin pour Saumur. Que voulez-vous, il y avait pénurie de marchands ambulants et si vous voulez que les choses se déroulent correctement ben valait mieux les faire soi-même.
Les murs de Saumur enfin... je m'étais perdue, bien que l'on m'avait assuré que c'était tout droit. Il y a des individus moi que j'aurais aimé connaître. Par exemple les arpenteurs qui ont conçu les chemins. Non mais ils devaient avoir l'esprit drôlement dérangé pour combiner des croisements, des chemins sans issue et autre endroit idéal pour coup fourré. Ah ! Les vicelards ! Thésée lui-même malgré son Ariane en aurait perdu le fil.
C'est par pur hasard en sortant des ronces, que je me retrouve devant une taverne... une taverne... sais pas trop. Un bouge ? Plus proche du réel.
Je pousse une porte insoupçonnable que je me demande si quelqu'un en connaît l'existence. Figurez-vous une pièce ronde, un seul accès donc une seule issue et une galerie de noms morts-vivants affichée sur une poutre branlante.
Des pièces depuis que je vis en Anjou j'en ai connu. Des profondes, des aquatiques, des hérissées et caetera (ça ce sont les pires) et d'autres encore. Mais c'est la première fois que je suis prisonnière d'un local dont la porte se pousse sans clé, ni verrou ni barre de fermeture. Mince... y'a quoi là d'dans ? Des tigres affamés ? Des mille-pattes ? Des abominations ? La clientèle devait être triée sur le volet. Messieurs les gens qui s'abreuvaient ici devaient tous avoir un casier long comme mon bras.
Je suis sidérée de voir qu'il n'y a rien. rien si ce n'est une énumération de personnages inscrite grossièrement sur papier rêche.
Je lis... connais pas... connais pas... connais pas... connais pas... connais pas... Ah ! Connais ! Alatariel je la connais ! Une loque humaine malheureusement dont l'apparence s'estompe. Je lis son blase et je la revois en souvenir. Quelques os, une respiration sifflante, des yeux tellement enfoncés qu'on dirait deux trous noirs. Je regarde son nom inscrit avec une véritable compassion. Impossible d'être moins vivant que cette femme sans être tout-à-fait mort. Les autres... ben les autres je les imagine. Alors ce sont eux qui ont fait l'actualité en Anjou ? Les rats de Saumur ? Je les vois bien moustache hérissée, il plus noir encore que leurs poils et une expression déterminée dont je vous dis que ça - et encore c'est trop -
Les humains c'est marrant je ne les voyais pas comme ça. C'est beau le souvenir. C'est beau de se rappeler de ceux qui ont marqué en bien ou en mal notre histoire. Pas évident de nos jours où l'oubli est la honte de l'existence, le royaume de l'obscur, du honteux, du suintant, qui s'agite derrière nous façon myosotis (ne m'oublie pas) mais qu'on a oublié quand même.
Ben moi je reste esbaudie de voir qu'ici on garde en mémoire les principaux acteurs des beaux jours angevins... enfin pas pour tout le monde je présume.
Je cherche un tabouret. Y'en a pas. Tant pis je m'assois sur le sol moisi. Je ne me lasse pas de lire et de relire ces noms. Ça me fait penser à la mort où s'opère une superbe métamorphose. Chapeau à celle ou celui qui a pas oublié. Chapeau devant cet acharnement de l'existence. Vive la vie sous toutes ces formes même les plus agressives, les plus confuses...
Bien que l'endroit soit fort angoissant, je ne pouvais détacher mes yeux de cette étrange et sordide taverne.
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