Flaminia.m.
Venise, 1460.
Etre dans les grâces du neveu de l'évêque d'Urbino permet quelques privilèges, comme avoir une bâtisse dans la province de Padoue, de ces magnifiques villas palladiennes qui font l'orgueil des notables vénitiens. Et le sien tout autant, mais ce qui fait plus encore la fierté de la Marionno, outre sa beauté et son esprit, ce sont bel et bien la beauté et l'esprit d'une toute autre personne.
Les mains sur les yeux, elle compte au milieu des herbes folles du jardin, revêtue d'une simple cotte de lin. C'est jour de congé, elle s'est battue âprement avec sa propre mère pour que certains jours lui soient réservés, les clients peuvent bien attendre, on ne baise pas le jour du Seigneur. Il y a le soleil qui joue dans les mèches blondes, qui lui fait plisser les yeux à travers le filtre de ses doigts, et elle fait mine de ne pas entendre les bruits d'enfants que les oiseaux alentours ne sauraient étouffer.
« Par Dieu, j'ai perdu ma fille ! Où est-elle ? »*
Grâce soit rendue au ciel, sa mère n'est pas là qui trouve ce genre de jeux puérils et indignes de sa profession, sa mère qui n'a jamais jugé bon d'avoir un autre lien avec sa fille que celui de professeur et de maquerelle, sa mère qui voudrait que sa petite-fille suive le chemin de sa mère. Au milieu des herbes, il y a de l'or qui glousse, et les mains s'élancent attrapant la fillette sans pitié pour la faire sauter dans une envolée de jupes.
« Que voilà la plus jolie petite fille de Venise ! »*
Est-ce si paradoxal ? Peut-on être parmi les plus grandes courtisanes de Venise et être une mère aimante ? Peut-on être l'exemple même du péché originel et être malgré tout sensible à la pureté sous sa forme la plus brute ? Bien sûr.
Flaminia est folle de sa fille, comme on l'est d'une petite chose fragile. Elle ne la voit pas assez puisque la fillette est tenue, à sa demande, à l'écart de ses clients et de sa maison sur le canal.
« Veux-tu rentrer Giuliana ? Les lotions ont du bien macérer, nous pourrions aller les sentir. »*
Elle n'est plus si jeune, elle est toujours belle, son corps a changé depuis la naissance de l'enfante, des formes sont venues arrondir le corps de diane, et elle use certaines fois de pommades et de macérats pour avoir la peau aussi claire qu'avant. Cela marche à en croire certains de ses habitués qui reviennent encore et toujours à la Marionno et ses effluves de jasmin.
La main est tendue, avec son cur dessus, et un sourire en bandoulière.
Nous étions deux et nous étions heureuses alors.
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*[ En italien évidemment.]
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Etre dans les grâces du neveu de l'évêque d'Urbino permet quelques privilèges, comme avoir une bâtisse dans la province de Padoue, de ces magnifiques villas palladiennes qui font l'orgueil des notables vénitiens. Et le sien tout autant, mais ce qui fait plus encore la fierté de la Marionno, outre sa beauté et son esprit, ce sont bel et bien la beauté et l'esprit d'une toute autre personne.
Les mains sur les yeux, elle compte au milieu des herbes folles du jardin, revêtue d'une simple cotte de lin. C'est jour de congé, elle s'est battue âprement avec sa propre mère pour que certains jours lui soient réservés, les clients peuvent bien attendre, on ne baise pas le jour du Seigneur. Il y a le soleil qui joue dans les mèches blondes, qui lui fait plisser les yeux à travers le filtre de ses doigts, et elle fait mine de ne pas entendre les bruits d'enfants que les oiseaux alentours ne sauraient étouffer.
« Par Dieu, j'ai perdu ma fille ! Où est-elle ? »*
Grâce soit rendue au ciel, sa mère n'est pas là qui trouve ce genre de jeux puérils et indignes de sa profession, sa mère qui n'a jamais jugé bon d'avoir un autre lien avec sa fille que celui de professeur et de maquerelle, sa mère qui voudrait que sa petite-fille suive le chemin de sa mère. Au milieu des herbes, il y a de l'or qui glousse, et les mains s'élancent attrapant la fillette sans pitié pour la faire sauter dans une envolée de jupes.
« Que voilà la plus jolie petite fille de Venise ! »*
Est-ce si paradoxal ? Peut-on être parmi les plus grandes courtisanes de Venise et être une mère aimante ? Peut-on être l'exemple même du péché originel et être malgré tout sensible à la pureté sous sa forme la plus brute ? Bien sûr.
Flaminia est folle de sa fille, comme on l'est d'une petite chose fragile. Elle ne la voit pas assez puisque la fillette est tenue, à sa demande, à l'écart de ses clients et de sa maison sur le canal.
« Veux-tu rentrer Giuliana ? Les lotions ont du bien macérer, nous pourrions aller les sentir. »*
Elle n'est plus si jeune, elle est toujours belle, son corps a changé depuis la naissance de l'enfante, des formes sont venues arrondir le corps de diane, et elle use certaines fois de pommades et de macérats pour avoir la peau aussi claire qu'avant. Cela marche à en croire certains de ses habitués qui reviennent encore et toujours à la Marionno et ses effluves de jasmin.
La main est tendue, avec son cur dessus, et un sourire en bandoulière.
Nous étions deux et nous étions heureuses alors.
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*[ En italien évidemment.]
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- J'ai longtemps hésité entre être une sainte ou une putain. J'ai décidé d'être femme et d'être payée pour cela.
Veux-tu m'aimer ? Je monnaie jusqu'à mes baisers.