[L'éternité, c'est la mer mêlée au soleil]
*Arthur Rimbaud ; Une saison en enfer (1873)
Voilà ce qui qualifiait excessivement bien la cité phocéenne, qui affaichait déjà près de deux mille années.
A n'en point douter, au début ce n'était qu'un petit port de pêche dans la baie du Lacydon, et bien vite un comptoir commercial, ensuite Massilia et enfin Marseille, où les cinq sens étaient dans un émerveillement permanent ...
Pour une des rares fois depuis si longtemps, l'homme décida d'aller au marché, mû par une intuition certaine. D'aucuns auraient pu prétendre qu'il était sorcier, mais en vérité, c'était pire encore, aux yeux de tous, car il était une impossibilité.
Sortant de sa masure située non loin du port, il perçut rapidement l'air marin, néanmoins poussé vers le large par le Mistral et le chant des cigales, omniprésent, se rappela à lui ; sa peau qui était autrefois hâlée et abîmée par le sel et les embruns était aujourd'hui pâle comme celle de la neige. Lui qui avait tant voyagé par le passé, de Lorraine, jusqu'en Bretagne, de Gemlik à Novgorod, en passant par Alexandrie et le Sanctuaire Taurin ... de tout cela, il ne lui restait plus que des souvenirs, voire des souvenirs de souvenirs ... tout était si compliqué.
Plissant les yeux pour les protéger contre la clarté, son regard se porta au loin, vers la Mare Nostrum : "Méditerranée, aux îles d'or ensoleillées, aux rivages sans nuages"**, là où le ciel rencontrait la mer, dans une étreinte éternelle et pourtant inaccessible.
Il y avait tant à dire, tant à faire, et pourtant ... Dieu l'avait-il puni en l'obligeant à vivre tout cela ? A subir encore plus de pertes que son coeur ne pouvait en supporter ? Certes non, car le Très-Haut ne punissait pas dans ce monde, Il n'était que bonté et Amour ; nulle autre que l'Ombre ne mettait les humains à l'épreuve. Quant à l'Eglise, quelle qu'elle fut, elle n'était que l'instrumentalisation du pouvoir tout relatif que l'on pouvait avoir sur les foules, même si ces dernières n'étaient en aucun cas dupes et préféraient de loin donner l'impression d'être un paisible troupeau bien décidé à manger l'herbe la plus verte, qu'elle prit la forme de privilèges, de titres de noblesse ou encore d'excuse pour commettre des actes qui étaient bien à l'opposé de ce que souhaitait réellement le Créateur.
Déambulant sur le marché, il ne porta pas attention aux habitants ni aux étrangers, étant devenu lui-même l'un d'entre eux. Ce fut une simple phrase qui le fit sortir de sa rêverie.
... Un liiiiiivre des vertuuuuus, exemplaiiiire uniiiiique écrit par Chriiiistooos lui-même! C'est une affaiiiiire! ...
Depuis longtemps, il ne jugeait plus les gens, laissant l'espère humaine se tailler un chemin, ... ou plutôt une large voie, vers l'Enfer. Il avait baissé les bras après avoir passé des années à enseigner la Vertu et à montrer la voie à tant de gens qui, sciemment, s'en étaient détournés, avaient menti et trompé ... seuls quelques uns pouvaient encore s'en sortir ... tout cela, tout ce temps, tous ces efforts pour si peu de résultat. Il était las.
Ses yeux fatigués se portèrent sur une personne vêtue d'une bure blanc-sale, une voyageuse, probablement prête à se faire plumer par le mécréant. Puis, enfin, il détailla son visage.
Et dans sa mémoire, dans ses souvenirs qui étaient les siens, ceux "d'avant", il la reconnût : éprouvée, viellie, à la recherche d'elle-même. Oh certes, l'âge avait prit son tribut, mais elle restait belle femme ; non qu'il éprouva un quelconque désir charnel, mais il savait juger l'esthétique, bien que cette dernière fut des plus subjectives. La "nonette" avait conservé sa candeur et sa ... naïveté qu'il avait connu à Noirlac, elle qui fut la première à l'accueillir en ces lieux, lui fournissant cellule et couverture : Ellya.
Maximin réfréna un élan de la serrer dans ses bras car elle n'aurait pu reconnaître celui qu'il avait été ; il opta donc pour une approche plus distante, dans un premier temps, on verrait par la suite ce qu'il adviendrait.
Il se tourna vers le marchand, sans rancoeur ni colère :
« Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu sacquérait à prix dargent ! »***
N'as-tu point de honte, vil mécréant de vouloir vendre tel prétendu objet ? ... bien que tes mensonges, tu les donnes gratuitement ... cela ne fait aucun doute. Saches que la Foi ne se vend pas, elle s'offre sans compter.
Souhaites-tu donc que je saisisse l'Inquisition, car ainsi donc te voilà à faire du trafic de reliques, de la Simonie pour être précis. A mon sens, cela ira bien chercher quelques années d'emprisonnement, une main coupée, voire pire ... le bûcher, où tout cet argent ne te servira plus à rien mais te promettra, à coup sûr, une place auprès de l'un des sept princes-démons, probablement Belzébuth qui révérrait lavarice au plus haut point.
Ne laissant pas l'homme reprendre son souffle, le blond inspira, se donnant un air de vrai-faux-méchant et poursuivit.
Mais libre à toi d'échapper à cette condamnation, en offrant cet objet de foi, ce livre, à qui il revient de droit, une femme de Dieu. Tu as de la chance, en voice une ... je gage qu'elle aura une prière pour le salut de ton âme.
Et comme je ne suis pas un mauvais homme, je t'offre 50 écus - et c'est bien payé, pour ta peine.
Tu vois, dans la vie, on a toujours "le choix" ... ta pitance ou la potence.
**Tino Rossi, Méditerranée
***Bible, Actes 8:20 - Paroles de Pierre