Ellya
Ellya s'était régulièrement trouvée à la place d'Eloin. En officiante.
Quelques fois, elle s'était tenue en amie ou famille du défunt. Jamais, pourtant, elle n'avait eu de pincement au cur. Jamais depuis Myrtillia. La mort de son aînée lui avait ôté tout cadrage dans sa candide vie, lui avait laissé un goût amer dans la bouche. Puis le temps avait fait son office. Elle avait oublié.
Mais quand vint le cercueil, elle n'eut pas à prétendre un visage grave pour l'adopter. Elle croisa ses doigts dès qu'Eloin prit la parole. Si elle savait... Si elle savait qu'elle enterrait un Spinoziste. Certes, au cours de son frauduleux mariage, elle avait bien fini par le baptiser. Il n'en restait pas moins un hérétique et c'était bien une des rares choses sur lesquelles il ne lui avait jamais menti.
Ses phalanges blanchirent. Elle serrait fort. Et si le Créateur avait détourné son regard et envoyé Georges purger ses péchés sur Sélène? Avant cet instant, elle pensait s'en moquer. "Qu'il brûle" crachait-elle en silence, depuis des années quand, éreintée de coups, elle s'effondrait sur sa couche.
Alors pourquoi cette crainte qui faisait trembler ses genoux? Cette terreur qui torturait son bas ventre?
Les cierges prirent feu. La croix fut posée. Elle était terrorisée. Elle-même n'était plus prête. Elle-même ne savait plus sur quel Astre elle finirait. Elle eut presque envie de se rouler en boule pour verser toutes les larmes de son corps.
Heureusement, Eloin l'interpella.
O... Oui. Oui. J'ai quelques mots.
Elle aurait pu lâcher ce papier qu'elle avait chargé un Gascon qu'elle ne connaissait même pas d'écrire. Oui, elle aurait parler librement, sans contrainte, de son époux, de ses faiblesses, ses démons, ses rares marques de tendresse. Elle aurait pu raconter le pourquoi de ce mariage, se débarrasser de ce fardeau.
Elle aurait pu être forte. Elle aurait pu croire en ceux qu'elle avait conviés.
Elle porta le papier à ses yeux. Le lut pour la première fois.
Mes amis, je regarde cette ....
Il avait écrit "salle", l'écrivain. Il ignorait. Son hésitation pouvait passer pour de l'émotion. Elle se reprit.
... ce cimetière où vous êtes venus ...
"nombreux"? Adjectif inutile. Elle s'en épargna la lecture.
... et je me dis que la mort à ce pouvoir étrange de nous rassembler. Je vous vois tous ici et cela me fait chaud au cur de nous sentir ainsi tous unis. Comme si au moment où un être cher nous quitte, nous nous rassemblons tous, pour mieux mesurer l'importance de notre union.
Quel miel! Allait-elle passer pour l'amie parfaite?
Moi qui fut son épouse pourtant aujourd'hui je me sens partagée. Partagée oui, entre la peine et la joie. Entre la tristesse d'avoir perdu un ...
"être cher"? Non, non, elle ne pouvait pas lire cela! Vite, vite, un mot de substitution!
... cheval. Heu. Non. Non. Pardon. Je... Je reprends.
Raclement de gorge. Elle déraillait.
Entre la tristesse d'avoir perdu un confident...
Il avait partagé nombre de ses secrets. Le reste, elle s'obligea à le lire vite, sans pause. De crainte de dire de nouveau n'importe quoi.
... et la joie de le savoir enfin libre. Georges était un homme remarquable, nous le savons tous, mais il était à l'étroit dans cette vie. Son génie, son talent et sa fougue en étaient la preuve et c'est sans doute pour cela qu'il était si débordant de créativité. Sa vie, il l'a menée comme il était, avec entrain et brio, mais toujours de manière décalée. Comme si les voies tracées étaient trop faciles pour lui. Il avait besoin d'autres espaces, d'autres possibilités. Il était à l'image de ses parures : éblouissant.
Comme toutes les personnes brillantes il était vu, remarqué et admiré. Ce n'est pas toujours facile de vivre au coté d'une personne si forte, mais c'est toujours passionnant.
D'où il tirait ça, le Gerei? Elle aurait pu rire jaune.
La passion, encore un de ses traits. Il n'était pas, vous le savez, dans la demi mesure. Il vivait complètement, entièrement, de tout son être. Ses batailles il les a menées sans peur, sans hésitations et sans regrets. Il taillait dans l'ennemi comme s'il s'agissait d'éclaircir une forêt, comme pour y voir plus clair, toujours à la recherche de plus d'espace et de liberté.
Il n'était pas difficile d'être sous son charme.
Sous son joug aurait été plus juste.
Si l'on pouvait mesurer l'intensité de la vie, assurément la sienne aurait été des plus denses et lorsque le T... Le T... Le Tout Puissant l'accueillera cette densité comptera encore plus que toutes ses magnifiques créations.
Si seulement cela pouvait être vrai. Combien d'autres mensonges allait-elle devoir prononcer pour paraître une bonne épouse?
C'est forcement le cur plein de peine qu'on le regarde aujourd'hui s'en aller vers le Soleil, rejoindre la pure lumière d'Aristote. Lui qui a tellement brillé dans sa vie il va enfin maintenant pouvoir être à sa juste dimension.
Il m'est extrêmement difficile de quitter cet être aussi prenant, même si je sais que là où il est il continuera de nous éclairer et d'une certaine manière de nous guider. Maintenant qu'il est au près du Tout Puissant.
Sa gorge se noua.
Georges, mon ami, j'aimerais te...
Quoi?! Du tutoiement? Gerei ne lui épargnait rien.
... dire un dernier mot. Puisses tu là où tu te trouves, enrichir ma foy et guider mes pas. J'aurai peut-être ainsi encore par moments la chance de te sentir à mes côtés, et me savoir ainsi accompagnée dans ma quête.
Elle porta une main à ses lèvres. Nauséeuse. Ce discours était beau. Trop beau. Quand tout était laid.
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Quelques fois, elle s'était tenue en amie ou famille du défunt. Jamais, pourtant, elle n'avait eu de pincement au cur. Jamais depuis Myrtillia. La mort de son aînée lui avait ôté tout cadrage dans sa candide vie, lui avait laissé un goût amer dans la bouche. Puis le temps avait fait son office. Elle avait oublié.
Mais quand vint le cercueil, elle n'eut pas à prétendre un visage grave pour l'adopter. Elle croisa ses doigts dès qu'Eloin prit la parole. Si elle savait... Si elle savait qu'elle enterrait un Spinoziste. Certes, au cours de son frauduleux mariage, elle avait bien fini par le baptiser. Il n'en restait pas moins un hérétique et c'était bien une des rares choses sur lesquelles il ne lui avait jamais menti.
Ses phalanges blanchirent. Elle serrait fort. Et si le Créateur avait détourné son regard et envoyé Georges purger ses péchés sur Sélène? Avant cet instant, elle pensait s'en moquer. "Qu'il brûle" crachait-elle en silence, depuis des années quand, éreintée de coups, elle s'effondrait sur sa couche.
Alors pourquoi cette crainte qui faisait trembler ses genoux? Cette terreur qui torturait son bas ventre?
Les cierges prirent feu. La croix fut posée. Elle était terrorisée. Elle-même n'était plus prête. Elle-même ne savait plus sur quel Astre elle finirait. Elle eut presque envie de se rouler en boule pour verser toutes les larmes de son corps.
Heureusement, Eloin l'interpella.
O... Oui. Oui. J'ai quelques mots.
Elle aurait pu lâcher ce papier qu'elle avait chargé un Gascon qu'elle ne connaissait même pas d'écrire. Oui, elle aurait parler librement, sans contrainte, de son époux, de ses faiblesses, ses démons, ses rares marques de tendresse. Elle aurait pu raconter le pourquoi de ce mariage, se débarrasser de ce fardeau.
Elle aurait pu être forte. Elle aurait pu croire en ceux qu'elle avait conviés.
Elle porta le papier à ses yeux. Le lut pour la première fois.
Mes amis, je regarde cette ....
Il avait écrit "salle", l'écrivain. Il ignorait. Son hésitation pouvait passer pour de l'émotion. Elle se reprit.
... ce cimetière où vous êtes venus ...
"nombreux"? Adjectif inutile. Elle s'en épargna la lecture.
... et je me dis que la mort à ce pouvoir étrange de nous rassembler. Je vous vois tous ici et cela me fait chaud au cur de nous sentir ainsi tous unis. Comme si au moment où un être cher nous quitte, nous nous rassemblons tous, pour mieux mesurer l'importance de notre union.
Quel miel! Allait-elle passer pour l'amie parfaite?
Moi qui fut son épouse pourtant aujourd'hui je me sens partagée. Partagée oui, entre la peine et la joie. Entre la tristesse d'avoir perdu un ...
"être cher"? Non, non, elle ne pouvait pas lire cela! Vite, vite, un mot de substitution!
... cheval. Heu. Non. Non. Pardon. Je... Je reprends.
Raclement de gorge. Elle déraillait.
Entre la tristesse d'avoir perdu un confident...
Il avait partagé nombre de ses secrets. Le reste, elle s'obligea à le lire vite, sans pause. De crainte de dire de nouveau n'importe quoi.
... et la joie de le savoir enfin libre. Georges était un homme remarquable, nous le savons tous, mais il était à l'étroit dans cette vie. Son génie, son talent et sa fougue en étaient la preuve et c'est sans doute pour cela qu'il était si débordant de créativité. Sa vie, il l'a menée comme il était, avec entrain et brio, mais toujours de manière décalée. Comme si les voies tracées étaient trop faciles pour lui. Il avait besoin d'autres espaces, d'autres possibilités. Il était à l'image de ses parures : éblouissant.
Comme toutes les personnes brillantes il était vu, remarqué et admiré. Ce n'est pas toujours facile de vivre au coté d'une personne si forte, mais c'est toujours passionnant.
D'où il tirait ça, le Gerei? Elle aurait pu rire jaune.
La passion, encore un de ses traits. Il n'était pas, vous le savez, dans la demi mesure. Il vivait complètement, entièrement, de tout son être. Ses batailles il les a menées sans peur, sans hésitations et sans regrets. Il taillait dans l'ennemi comme s'il s'agissait d'éclaircir une forêt, comme pour y voir plus clair, toujours à la recherche de plus d'espace et de liberté.
Il n'était pas difficile d'être sous son charme.
Sous son joug aurait été plus juste.
Si l'on pouvait mesurer l'intensité de la vie, assurément la sienne aurait été des plus denses et lorsque le T... Le T... Le Tout Puissant l'accueillera cette densité comptera encore plus que toutes ses magnifiques créations.
Si seulement cela pouvait être vrai. Combien d'autres mensonges allait-elle devoir prononcer pour paraître une bonne épouse?
C'est forcement le cur plein de peine qu'on le regarde aujourd'hui s'en aller vers le Soleil, rejoindre la pure lumière d'Aristote. Lui qui a tellement brillé dans sa vie il va enfin maintenant pouvoir être à sa juste dimension.
Il m'est extrêmement difficile de quitter cet être aussi prenant, même si je sais que là où il est il continuera de nous éclairer et d'une certaine manière de nous guider. Maintenant qu'il est au près du Tout Puissant.
Sa gorge se noua.
Georges, mon ami, j'aimerais te...
Quoi?! Du tutoiement? Gerei ne lui épargnait rien.
... dire un dernier mot. Puisses tu là où tu te trouves, enrichir ma foy et guider mes pas. J'aurai peut-être ainsi encore par moments la chance de te sentir à mes côtés, et me savoir ainsi accompagnée dans ma quête.
Elle porta une main à ses lèvres. Nauséeuse. Ce discours était beau. Trop beau. Quand tout était laid.
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