Dacien_de_chenot
« Remporter 100 victoires après 100 batailles nest pas le plus habile.
Le plus habile consiste à vaincre sans combat. »*
Le pas était lourd mais l'envie était grande, bien que mobilisées depuis deux mois, le moral des Lames ne s'en trouvait pas le moins du monde écorné lorsqu'ils installèrent un campement de fortune aux pieds de la capitale savoyarde. Quelques tentes furent dressées à la hâte, les tours de garde instaurés. La frustration du combat qui n'avait pas eu lieu faute d'ennemis, avait laissé place à la liesse devant Chambéry libérée, liesse toutefois contenue en raison de l'attaque de Luxeuil par les réformés lorrains qui en tenaient le siège.
Le temps était à l'orage en ce mercredi 10 juin 1463, en témoignaient les brumes qui restaient accrochées au sommet du mont Granier jusqu'au massif des Bauges. Sans doute pleuvrait-il avant la fin du jour. Bah ! Le savoyard songea qu'il serait ainsi plus aisé pour ses pisteurs de suivre les traces laissées par les français qui avaient fui probablement en direction du Lyonnais Dauphiné. La température avait quelque peu baissé mais c'était au profit d'un temps lourd et pesant, saturé d'humidité qui agaçait les chevaux et épuisait les hommes.
Peu de français étaient restés à Chambéry. Deux ou trois blessés qui attendaient probablement de recupérer suffisamment de forces pour rejoindre le Memento ou tout au moins les armées royalistes encore mobilisées le long des frontières de Franche Comté et de Lorraine.
Depuis qu'ils avaient quitté Dole, rares avaient été les jours où ils avaient pu profiter d'un peu de répit et d'un repas chaud. Leurs réserves étant suffisantes pour tenir un siège, ils allaient pouvoir se permettre de faire bombance en ce jour d'hui.
Estimant la précaution inutile, le Ténébreux se débarrassa de son armure, ne conservant qu'une cotte de mailles sous sa chemise de lin avant de parcourir le camp à la recherche d'Ava, que le sergent Adelheid lui avait dit enrôler à Belley mais qu'il n'avait eu encore l'heur de croiser. La jeune fille lui avait vanté, par courrier, ses qualités de cuisinière et il était grand temps qu'elle en témoigne.
Chacune des armées impériales avait planté ses oriflammes pour regrouper les hommes, l'or de la "Knochenjäger" du Général Rilana, côtoyait le brun de l'armée "1. badisches Banner" conduite par le Général Markart, quant aux Lames, faute d'armée portant leurs propres couleurs, elles avaient rallié l'étendard de gueules du Général Advokat qui menait la "viribus unitis". Mini, blessée lors des premiers combats, avait dû céder le commandement de la "E Capoë" à l'un de ses seconds, mais c'est bien à elle que revenait les honneurs de cette défense prodigieuse. A elle et à tous les savoyards, du plus humble au plus titré, dont le sergent Dody, tout nouveau sergent de l'Ordre des Lames qui avait vaillamment uni son bras à tous ceux qui s'étaient levés pour combattre lignominieuse ingérence du Royaume de France.
Un instant il leva les yeux pour observer les remparts. Ils avaient peu souffert du siège sans doute en raison de leur construction récente à moins qu'ils ne le doivent qu'à la maladresse française... l'Histoire n'en retiendrait pas les raisons, mais force était de constater qu'ils avaient tenu bon et que les savoyards n'avaient pas démérité, protégeant farouchement leur capitale des prétentions françaises.
Ainsi donc, tout comme à Dole, Carmin avait échoué à prendre la ville. Un sourire satisfait releva le coin de ses lèvres. Il étira sa longue carcasse et fit rouler sa tête pour dénouer ses trapèzes tendus. Plusieurs jours de chevauchée avaient raidi le moindre de ses muscles. Ce soir il se paierait le luxe d'un grand baquet d'eau chaude et de mains expertes à le remettre en état, mais pour l'heure il avait à faire.
*Sun Tzu
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