[rp] Creil-moi, creil-moi pas, une reine s'en vient don'!

La royale sosie ressentait chaque cahot du carrosse dans le bas des reins. Le voyage, long déjà de plusieurs jours, avait éprouvé la jeune fille et elle en venait à regretter le dur labeur des champs. Pour sûr, la pointe de nostalgie qui accompagnait ce souvenir venait idéaliser sa vie passée la rendant plus douce qu'elle ne l'avait été en réalité.

Son index dégagea le rideau masquant quelques rayons de soleil et de lourds nuages gris. Dehors déjà, les petites gens s'activaient : des uns menaient vigoureusement les vaches à leur pré, des autres marchaient à pas prestes pour certainement rejoindre le village voisin. L'équipage n'était plus très loin de la Baronnie de Creil. Les chevaux foulaient peut être même déjà la propriété. La Baronnie de Creil… Avant que le Connétable Watelse ne lui en parle, elle n'en avait jamais entendu parler. Quelques vallées boisées propres aux terrains de chasse, un temps humide à attraper la mort, et une hauteur de ciel ressemblant aux nefs des cathédrales : infinies.

Un paysage maussade, mais digne dans sa tristesse… prononça la brune pensivement, sans vraiment chercher à engager la conversation avec ses accompagnants. Et cette tournure de phrase la fit à moitié sourire car cela aurait pu être une parole prononcée par son professeur, et démontrait le chemin parcouru dans son éducation depuis son accession fictive au trône chypriote.

Le doigt s'attarda sur la broderie d'un blason ornant le rideau. La croix d'or de Chypre, mêlé aux lions de Jérusalem. Ou bien était ce l'inverse, elle n'arrivait jamais à retenir le symboles de ces deux endroits. Deux endroits sur lesquels on allait bientôt la questionner, et qu'elle devrait feindre de connaitre sur le bout des doigts. Elle en avait appris l'histoire, s'était imprégnée des coutumes, en connaissait assez la langue pour dérouter un éventuel suspicieux, allant même jusqu'à singer l'accentuation des insulaires.

Disparu, l'accent breton. Effacés, les jurons des gens de peu. Sa bouche faisait barrière à toute trace de vulgarité. Et pourtant, elles sentait les innombrables mots de sa vie passée remonter à travers sa gorge, percuter sa glotte et s’écraser contre ses incisives.

Regard lasse envers les personnes assises à ses côtés.

Ce paysage contrastait peu avec l'ambiance du carrosse. Le connétable Watelse l'avait accompagnée bien sûr. Austère compagnie que celle-ci . L'homme n'esquissait un geste que pour effleurer une mèche rebelle sur sa tempe, n'ouvrant alors qu'à moitié ses yeux. Sa bouche par contre restait définitivement close depuis leur dernière étape. Avait-il amené cette jeune noble de Ozta pour suppléer à son silence?

Le carrosse s'arrêta brusquement et, par devant, on entendait les cochers bousculer verbalement quelques bergers empêchant leur passage avec leurs bêtes. Eclat amusé dans le regard de la brune qui tendit l'oreille vers l'échange verbal : on houspillait, on prenait Aristote en témoin, on levait le poing, on levait le fouet... Rien de bien violent, juste une représentation rapide de la dominance et de la servitude. Les bergers dégagèrent le passage aussi rapidement que la laine pousse sur le dos de leurs moutons, c'est à dire pas bien vite. Cette lenteur relative permit à la sosie de capter quelques mots, bribes difficilement intelligibles à cause de leur patois :

Creil-moi, creil-moi pas, une reine s'en vient don'!
Choune reine? Ch pas elle qui va m'en tondre les boucs, choune reine.

C'est tout au moins ce qu'elle comprit. Soupire. Le carrosse reprenait la route et ses membres criaient de nouveau au désespoir.

hrp : je laisse volontairement le temps que le carrosse arrive pour permettre aux autres joueurs dans le carrosse par exemple pour s'exprimer.
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Lorsque le Watelse lui avait proposé -ordonné, presque- de le suivre dans le sillage de cette reine qu'il servait avec un zèle pour le moins suspect, Ursula avait rechigné. Subir à nouveau l'inconfort des heures en litière, le froid et les punaises des auberges et la compagnie de Richard ne la tentaient guère. Devant les justes réticences de la noble boulotte, le connétable avait brandi l'argument ultime: une place dans la suite de la reine en exil.

Avec Elianor dont le voyage s'éternisait et dont elle demeurait sans nouvelles en plus de tout le temps libre dont elle disposait pour réfléchir sur ses péchés de l'année, Ursula était sur le point de basculer dans la folie. Watelse ou le couvent, des deux maux mieux valait choisir le moindre. Watelse ce fut donc. Et elle se retrouvait là, dans un carrosse humide, aux côtés d'un connétable taciturne et d'une reine visiblement aussi lointaine qu'exotique. Malgré tout, la navarraise tentait d'être d'humeur joviale et d'animer quelque peu l'atmosphère morose qui régnait dans l'habitacle.

Remuant un peu sur son séant et resserrant les plans de sa cape doublée autour de ses épaules, Ursula rebondit sur la remarque de sa royale compagne de voyage.

-Maussade, certes, ma dame. Néanmoins plaisant à regarder, vous avez raison. Pleut-il autant chez vous? L'on dit que Jérusalem est inondé de soleil de façon perpétuelle et que les murs de la ville ont la couleur du sable. Voilà un tableau plutôt poétique et romantique.

Un regard de biais vers un Richard stoïque.

-Lors que nous serons arrivés et que vous aurez salué votre hôte, plairait-il à Votre Majesté de faire quelques pas le long du chemin de ronde? Cette immobilité m'engourdit...

Certes, Ursula avait été bien éduquée. Elle n'avait guère encore à apprendre sur l'art de la conversation, mais comme le françois n'était pas sa langue maternelle, ses tournures de phrases étaient parfois boiteuses et sa déférence peu marquée. Il y avait quand même une différence entre faire la conversation avec une duchesse et avec une souveraine... Et puis elle adorait babiller.

La reine Éléonore, lui paraissait bien austère et la jeune femme se sentait plus ou moins à l'aise en sa compagnie. Cela rendait le voyage encore plus désagréable. Ou peut-être était-ce la présence de Richard Watelse qui diffusait la sensation de malaise qui étreignait l'hirondelle depuis leur départ d'Alençon...

Une nouvelle inégalité dans le chemin de terre fit grimacer Ursula. Les sutures que la ventrière lui avait faites guérissaient, mais rendaient encore ses mouvements difficiles et douloureux. Voyager lui était donc encore plutôt pénible. Elle grimaça, et flanqua un discret coup de talon sur la botte de son voisin. Maudit Watelse!

Comme pour rajouter au tourment des voyageurs, l'attelage ralentit avant de s'immobiliser complètement. Tentant de garder pour elle son mécontentement, la navarraise soupira bruyamment et étira le cou pour voir ce qui bloquait la route. Ciel, des vachers! Et chacun sait que les paysans n'étaient pas des gens très pressés. De l'intérieur du véhicule, on entendait la rumeur de ces gens du peuple qui devisaient ou qui criaient des ordres à leur bétail. L'accent chantant fit néanmoins sourire Ursula, même si elle ne comprenait pas grand chose à ce qui se disait. On parlait de la venue d'une reine.

-Comprenez-vous ce qu'ils disent, connétable? Cela va-t-il durer encore longtemps?
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Le carrosse s'arrêta abruptement, si bien que le connétable faillit se mettre le doigt dans l'œil. Il s'apprêtait à remettre sa chevelure en place, et le doigt glissa sèchement contre le bout de son nez. Grimace qu'il ne cherche même pas à réprimer car l'homme est d'humeur bougonne depuis leur départ de Rennes, et car maugréer fait partie du caractère d'un Watelse. Partager un long périple avec des femmes ne permet pas à cet homme de combat de converser des sujets qui lui sont chers : la guerre et les catins. Deux sujets qui feraient trépigner sa promise, Ursula de Ozta, aussi dinde que dodue. Elle s'empiffrait de petits pâtés comme à son habitude, et parfois quelques morceaux de viande compressée tombaient entre son décolleté rebondi. S'il n'y avait eu la reine - enfin la fausse - dans l'habitacle, il aurait déjà dénudé plusieurs fois sans ménagement la blondinette nobliotte, avec ou sans son consentement. Pas qu'il en eut vraiment envie. C'était plutôt un besoin primaire. Pour passer le temps. Vider ses nerfs sur ou dans quelqu'un. Bref.
Il savourait le silence qui lui permettait à loisir de ruminer ses inombrables tortures de l'esprit: il pensait à sa soeur violée et dénigrée par ordre de leur propre frère ainé, il pensait à sa reine, la véritable, qu'il avait aimée avec dévotion, qui se révélait être une lâche fuyant son devoir de souveraine, il songeait à la sosie qu'il malmenait et se donnait bonne conscience en se disant qu'il n'avait pas le choix et que l'avenir d'un royaume en dépendait, il pensait, pensait.... pensait un peu trop à s'en faire des noeuds à la tête et exacerber sa culpabilité (qui n'avait pas besoin de cela). Ce soir, il se flagellerait. Comme tous les soirs, pour extraire sa noirceur quotidienne et ne montrer à Aristote que la pureté de son âme. Voeux pieux. Coups de fouets répétés à l'infini.

Le silence fut rompu par une réflexion semblant venir de nul part. La sosie se voulait-elle savant à utiliser d'élégantes tournures? Et qui était-il pour s'en offusquer? Le Connétable avait tellement fait pour qu'elle fut la copie exacte de la véritable souveraine qu'il ne pouvait se plaindre qu'elle en eut capté les réflexions. Le Connétable pourtant fronça l'entre-sourcils. La simple phrase royale avait ouvert la voie à pire monologue : celui de la Dame de Ozta. Et le "romantisme" fut mis à toutes les sauces, surtout sur ce qui n'avait rien de romantique.

Damoiselle de Ozta, il me semble que vous accrochiez un adjectif à un chemin de ronde bien mal approprié. Pendant votre promenade, prenez donc le temps d'en instruire les gardes qui y passent nuits et jours. nous verrons s'ils s'époumonent sur la beauté du lieu....
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La réplique du Connétable fut perçu par Ursula comme une attaque personnelle envers son intelligence et sa capacité de réflexion. Vexée, elle prit un moment avant de répondre, afin de concocter une répartie à la fois polie, candide et un peu mielleuse.

-Pardonnez mon ignorance relative aux murs entourant un castel, messer Watelse. Je n'ai que très rarement eu l'occasion de m'y rendre. Encore moins de croiser des sentinelles. Je préfère de loin les travaux d'aiguille aux choses plus... pratiques. Je disais cela simplement pour proposer quelque chose d'agréable à Sa Majesté.

Et elle lui adressa un sourire. Visiblement, Richard Watelse était d'humeur exécrable et il eut été fort mauvais pour elle que de lui échauffer encore plus l'esprit avec une joute verbale. Déjà que leur promiscuité était inconfortable, Ursula ne tenait pas à la rendre franchement désagréable. De plus, la jeune femme avait bien remarqué les regards appuyés du Connétable. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle s'entêtait à garder sa cape bien serrée autour de ses épaules malgré son humidité et son inconfort. Il était tout à fait hors de question que l'infâme animal pose ne serait-ce son index sur sa personne! Avec un peu de chance, la souveraine aurait besoin d'elle jusqu'à tard dans la nuit et elle n'aurait pas à s'inquiéter du risque d'une visite nocturne impromptue. Il l'avait eue une fois, Ursula ferait en sorte que ce soit la seule. Mufle de Watelse!

Et puis pourquoi le carrosse restait-il immobile? La journée s'étirait, et elle avait faim! La navarraise soupira à nouveau, franchement agacée.

-Auriez-vous l'amabilité, messer, d'aller vérifier ce qui se passe et faire en sorte que ces bestiaux quittent la voie plus rapidement? Si cela s'éternise, ma dame sera attendue et il est mal venu de faire attendre un hôte.

Lorsque l'on est privé de sommeil, de nourriture, d'intimité et de confort, il était extrêmement difficile pour une oiselle habituée d'évoluer au coeur d'un écrin de soie de ne pas manifester son irritabilité. Reine ou pas, Ursula ne pourrait se retenir très longtemps.

Reportant son attention sur la reine Éléonore, Ursula demanda:

-Ma dame, avez-vous faim? Je me permets de vous dire que vous n'avez guère mangé depuis hier soir. Désireriez-vous un macaron?

Et l'hirondelle de tendre à sa nouvelle maîtresse une petite boite de métal renfermant les douceurs.
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Ma dame… répétait Ursula de Ozta.

Ainsi donc, même les nobles bien nées s'exprimaient avec des fautes de temps à autres, et l'héritière de Ozta semblait ne pas reconnaitre l'erreur d'étiquette. "Sa Majesté" aurait été plus approprié sans doute. Ou était-ce "Son altesse"?? Finalement, la jeune sosie avait un doute, et eut un moment idée de demander une clarification au désagréable Connétable. Heureusement, elle se reprit à temps ne laissant pas paraitre au grand jour sa méconnaissance parfaite des convenances.
Par ailleurs, la remarque acerbe de Sieur Richard Watelse la convainquit d'éviter de lui adresser ne serait ce qu'un regard.

Le carrosse reprit le chemin et déjà, la sosie distinguait le haut d'une tour. Dans moins d'une heure, ils atteindraient le Château de Creil où le discret cortège royal était attendu.

Dame de Ozta, si vous voulez m'être agréable, racontez-moi encore une fois tout ce que vous savez de mon cousin, Pline de Sulignan….

Comme pour justifier cette demande farfelue, elle ponctua :

J'aime à entendre parler des miens.

Oui, elle aimait autrefois entendre parler de ses aïeux ou de ses oncles et tantes qui tous, vivaient dans les vallées voisines. On venait s'aider à récolter, à semer, à passer les mauvaises saisons. On se racontait les anecdotes qui ne font rire que ceux qui en ont aimé profondément les héros, ces paysans humbles mais fiers.
La royale sosie se reprit, et décidée à bien retenir sa leçon et à ne donner aucune chance au Connétable de lui faire des reproches, tendit l'oreille une nouvelle fois aux innombrables qualités de ce cousin plus éloigné que la Demoiselle Ursula ne le présumait.

Elle en profita pour lui piquer un macarons, petite gourmandise curieuse qu'elle n'avait jamais mise en bouche. Ce léger crissement sous les dents et la brisure de la pate se collant à la langue dégagea une trainée sucrée sur la bouche. Trop sucré. Trop "mietteux" pensa t'elle. Trop. Elle se dépêcha d'avaler, égratignant au passage sa trachée, les yeux piquetés de larmes de ne pas avoir avalé "par le bon trou". Pendant les périples du macaron, la blonde demoiselle ne cessait de parler. Elle aimait bavarder, cela se sentait, et presque malgré elle, elle ressentit une pointe d'envie pour cette personne qui pouvait ouvrir la bouche sans prendre garde aux conséquences. Personne n'irait lui couper sa tête blonde pour un fourchage de langue. Personne? Peut-être le connétable, car décidément, la rondouillarde de Ozta provoquait un agacement visible.

Elle tenta de se concentrer, tout en retenant les éléments clés: Pline avait la trentaine. Bientôt marié, selon quelques ragots de servantes….
Le père du sosie se serait sûrement moqué : " Achteu âge, la mariouille arrive ben tard. Achteu âge, quatre grands gaillards que chavais et un'tiote". Au vu des quelques nobles qu'elle avait déjà croisé, au même âge qu'un paysans, l'oisiveté semblait les préserver et expliquer qu'ils prennent plus de temps à faire des enfants. Peut-être.

… Il était le fils de feu Jacques, qui lui-même était le frère d'Eléonore. Enfin d'elle-même. Mais pourquoi l'appeler cousin, s'il semblait être le neveu? Quelque chose n'allait pas et malgré elle, un sourcil se leva de perplexité. Elle coupa la parole à la blonde qui continuait à débiter de bon cœur tout ce qu'elle connaissait de Pline de Sulignan.

Damoiselle de Ozta, pourriez vous me ….

Encore, elle se reprit. Une reine ne posait jamais de question. Elle exigeait et n'admettait aucun refus.

Damoiselle de Ozta, vous resterez à mes côtés à chaque rencontre avec mon cousin. Et apprenez tout ce que vous pouvez sur nos hôtes les de Troy.

Elle ne put s'empêcher de justifier :

Une maladresse pourrait si vite arriver...

Cette encyclopédie à potinages pourrait lui être d'une grande aide si la sosie venait à cours de ses infimes connaissances sur la famille des Sulignan, des Troy.. Bref, sur tous ceux qui pourraient devenir son cauchemar comme sa seule échappatoire. Elle profiterait sûrement aussi de la compagnie de l'hispanique pour en apprendre d'avantage sur ce taciturne geôlier qu'était Sieur Watelse.
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L’homme descendait une à une les larges marches en pierre du Château. Ses pas résonnaient tels ceux d’une âme en peine à la recherche d’un quelconque réconfort dans une sainte cathédrale. De ses pas, qui se voulaient légers et assurés, on pouvait néanmoins en déduire sans mal la prestance irréprochable de l’homme en question. Bien droit et de tenue sans défaut, c’était un seigneur de France et plus encore certains ne pouvaient le nier. L’écho du martèlement de ses bottes prit finalement fin lorsque le brun s’arrêta devant la lourde porte d’entrée du Castel familial pour s’adresser aux deux valets qui préparaient le départ.
En effet quelques minutes auparavant le Sulignan avait précisé à son futur beau père qu’il irait personnellement rejoindre la jeune fille qu’il n’avait plus croisé depuis des années et qui par ailleurs devait être une femme aujourd'hui. Des années bien lointaines dont seuls quelques souvenirs semblaient subsister à l’instar de certaines feuilles sur les arbres à l’approche de l’hiver. Du fait de rejoindre le carrosse avec les hommes au service des Troy Pline avait pour seule ambition de juger les arrivants, qu’ils soient de sa famille ou non. Sa cousine était certes sa Suzeraine par titre et logique, mais elle était aussi garante des Sulignan. Un nom que le seigneur ici présent s’évertuait de sa propre main à faire reconnaître en France ainsi qu’à la cour du Roy. Un nom que sa fiancée porterait un jour et que jamais l’homme n’accepterait de voir dénigré. Pensées à part et voyant que les deux valets l’attendaient avec les chevaux au dehors Pline se prépara. Une cape sur ses épaules en réponse au temps maussade qui se profilait et une fois la porte passée le brun lança d’une voix calme à l’intention des hommes.

Allons-y.

Pour être maussade le temps l’était. Et si Aristote lui même, tout prophète qu’il était, pouvait lui assurer en cet instant qu’une éclaircie était prête à pointer le bout de son rayon le Sulignan en douterait sans être honteux. Le ciel semblait plutôt d’avis à déverser sous peu quelques larmes. Un instant bien mal choisi d’ailleurs, pour une rencontre si attendue. Pline menait les deux valets sur la route, non pas car il l’avait choisi mais car c’était ainsi. La vie était toujours aussi injustement hiérarchisée, tout du moins injustement pour les moins titrés. Pour le brun en tête, chacun avait sa place en ce bas monde qu’il soit du plus bas au plus haut, et on lui avait enseigné à moult reprises ce principe lors de sa Licence de Théologie à l’Abbaye de Noirlac. C’était un homme des plus sincères et des plus aimables, nul ne pouvait le nier. Mais il savait ou était sa place, à tout instant.

Pressons, je vous prie. Un coup dans les étriers et les cavaliers prirent aussitôt de l’avance sur la route.

Finalement ils ne tardèrent pas à tomber sur le carrosse aux armoiries royales qui… était aux prises avec des bergers un peu plus au loin sur le chemin. Après tout, comment pouvaient-ils s’attendre qu’à l’instant même ou leurs troupeaux traverseraient la route, une Reyne emprunterait le même chemin. C’était une farce digne des plus malins que d’opérer cela et cette simple pensée fit finalement sourire celui qui menait les cavaliers. Le visage de Pline était de nature froid, beau tout autant que sévère, c’était un Sulignan. Mais ses sourires avaient le don de faire disparaître en un instant l’austérité que l’on pouvait lire sur ses traits aux premiers abords. Alors que les deux hommes qui l’accompagnaient s’en allèrent sous ses conseils rejoindre les bergers Pline avança au pas jusqu’au carrosse. Les armoiries de sa famille étaient donc toujours aussi resplendissantes ? Lui qui n’avait plus porté les siennes depuis bien des années… tout du moins il avait celles que la France lui avait donné. Paradoxe pour un homme qui disait défendre son nom. Cependant c’est au cocher que Pline adressa en premier lieu la parole, pour le mettre au courant de leur arrivée car nul n’approchait un carrosse royal sans se présenter.

Bonjour à vous ! Nous venons à l’encontre de la Reyne Eléonore pour la guider en la Baronnie de Creil. La route n’est plus longue d’ici et le ciel menace. Nous ne devrions point perdre plus de temps pour rejoindre le Château des Grasces de Troy et d’Orsenac.

Néanmoins le Sulignan faisait confiance à Aristote pour lui accorder encore un peu de temps avant que la pluie ne tombe sur les terres de la Baronnie. Ce pourquoi il fit approcher son cheval du carrosse afin de poser son regard de façon éphémère sur la fenêtre. Il n’avait jamais aimé voyager de telle sorte et avait toujours préféré l’inconfort des chevaux aux sièges des voitures aussi royales soient-elles. Probablement un reste des deux croisades auxquelles il avait participé. Le Sulignan prit cependant la parole à l’encontre du carrosse et de ses occupants.

Votre Majesté, je vous souhaite le Bonjour ici-lieu ! Et laisserai le Seigneur de ces terres vous souhaiter la Bienvenue une fois que nous serons en son domaine. Je m’excuse sincèrement du temps si triste qui s’offre à vous, sachez bien que si je le pouvais je vous accorderai un soleil radieux comme l’est l’or de nos armoiries familiales. Il lui plaisait de sous entendre être de la famille royale de Chypre sans pour autant le dire clairement. La bienséance ne voulait pas qu’un homme plonge son regard dans un carrosse pour en dévisager les occupants, de par ce fait, Pline ne savait pas à qui il s’était véritablement adressé et ne voulait donc point pour autant entièrement se dévoiler. Une fois au château, le voile serait de toute façon levé.

Ne tardons plus!

Ses pupilles d’azur quittèrent finalement le carrosse pour se poser sur le cocher, qui au hochement de tête de Pline comprit qu’il était l’heure de reprendre la route.
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Des cavaliers avaient atteint le niveau du carrosse. La sosie en percevait les ombres derrière les rideaux, un flou qui ne manquait pas de l'intriguer. Seules les voix lui parvenaient et la fausse reine peignait mentalement le portrait de ce cousin au ton grave. Une inflexion des consonnes marquait un menton porté haut et dignement. La sècheresse des fins de phrases laissait transparaitre un caractère où les fioritures cédaient la place à l'authenticité. L'articulation parfaite de chaque syllabe montrait un soucis de précision et de clarté comme si chaque pensée se devait d'être transparente pour tout interlocuteur. La sosie frémit, consciente à ce moment là d'être son total opposé : une fausseté complète, une illusion de noblesse, une statue modelée pour tromper l'œil. Elle redoutait à présent d'ouvrir la bouche pour lui répondre. Aurait-il la même clairvoyance qu'elle de dépeindre sa soi-disant cousine à travers ce mince tissu? Entendrait-il la fourberie dans de ses voyelles et les faux-semblants de ses modulations de gorge?
Car sa vie était désormais comme ce rideau : cousue de fils blancs où la supercherie serait simple à découvrir.

Elle reporta son attention envers le Connétable attendant de lui qu'il prenne la situation en main. Ce qu'il ne manquerait pas de faire dans la minute, le taciturne Watelse étant toujours prompte à devancer ses actes. Sa main enserra un pendant de sa robe et de l'index l'entortilla jusqu'à s'étouffer à moitié. L'ongle s'ankylosait et la sosie, distraite par cette diversion, laissa retomber un peu la tension.

Le Connétable se manifesta comme elle s'y attendait, lui indiquant sans détour comment approcher Pline de Sulignan. Il n'envisagea pas un instant de lui apporter un peu de réconfort. Non, ce réconfort serait une faiblesse avouée et le Watelse ne le supporterait pas. La sosie irait chercher cet appui dans les boucles blondes de la bavarde. Que le Connétable rabroua d'une simple phrase.

Comme il lui tardait de quitter cette prison sur roues!

Le Ciel sembla enfin entendre ses prières car bientôt, les portes s'ouvrir, et la fausse Eléonore de Sulignan fit ses premiers pas dans la cour des grands : la Cour du château de Creil.

Elle s'efforçait de ne pas manquer une marche, tout en gardant un front haut et le menton levé. On l'aidait à fouler le sol en toute légèreté, ce que ses vêtements, épais drapés, ne facilitaient pas.

Le regard à semi-fuyant capta celui du cavalier dont l'ombre l'avait paralysée tantôt. Nul retour en arrière possible. Elle débita la phrase qu'on lui avait faite apprendre par cœur durant le voyage, d'un dialecte à l'accent parfait de l'île, qui signifiait en françois ceci :

Cher cousin, voilà une journée qui égaye mon cœur dans ces temps mouvementés.

Elle lui tendit aussi gracieusement que possible la main, une lourde bague sertie de perles venant peser sur le geste. Ce mêmes perles ornaient le diadème de voyage dégageant son front. Rien de trop voyant mais assez pour montrer son rang.

Elle arrêta de parler le chypriote pour continuer dans une grammaire françoise faussement approximative :

Des ans nous ont séparés mais mon cœur bat mille fois devant Sa famille qu'il reconnait.

Un sourire accompagnait cette entrée en matière. Néanmoins la lèvre inférieure tremblait sensiblement d'appréhension sur la suite des évènements. Le moins en dire, tel était le mot d'ordre du sombre Connétable.
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Finalement, avant même que le carrosse ne reprenne route, un personnage s’adressa directement au Sulignan. Et si les mots de Pline avaient été pour une Reyne, c’était bien un homme qui lui répondait en cet instant. Quelques-uns auraient pu s’étonner d’une telle apparition, mais lui non. Il était de ces hommes qui se contentaient d’accepter les aléas de la vie, des plus prévisibles au moins logiques. Ce pourquoi Pline de Sulignan écouta attentivement les paroles qui lui étaient adressées. Après tout si le brun avait fait le chemin jusqu’ici, au lieu de rester au château de Creil, c’était pour en apprendre plus sur sa royale cousine mais aussi sur ceux qui l’accompagnaient. Il était de coutume de croire que l’on pouvait juger une personne en fonction de qui l’entourait.

Le Connétable Watelse ? Dans ses souvenirs il en avait eu vent, notamment lors de la Conquête de Chypre si ses souvenirs ne le trahissaient pas. Bien que pour sa part durant cet épisode Pline était en pleine croisade, marchant pour la Sainte Eglise au coté de la Garde Episcopale. Valait-il mieux nous assurer une place en ce monde ou dans l’autre ? … Noble question qui se pose et se posera à jamais. Bref, le Sulignan apprécia d’une part qu’une réponse se fasse entendre et d’autre part qu’elle soit courtoise. Oui, la bienséance était une obligation que Pline suivait toujours et à laquelle il apportait une attention toute particulière. Et la politesse du Sieur Watelse à l’encontre du cavalier, qu’elle soit forcée ou non, fut remarquée par ce dernier. Cependant le Sulignan, ne jugeant pas l’instant à l’échange de courtoisie, s’en retourna à l’avant accompagné des deux hommes aux armoiries des Grasces de Troy et d’Orsenac.

Le retour au château ne tarda que guère, certes la vitesse était moindre notamment par la présence du carrosse, mais les quelques éclaircies dans le ciel firent passer le voyage pour moins long qu’il ne paraissait aux yeux de tous…

Une fois sur place, l'homme pris de l’avance sur les occupants du carrosse afin de rejoindre la cour du château de Creil. Refourguant sa cape à un valet, le Sulignan dégageait une toute autre impression sans. Ses vêtements reflétaient largement l’aisance dont la vie lui faisait part. L’argent, jamais il n’en avait manqué et aujourd’hui encore il finançait des campagnes militaires de la Sainte Eglise au grand dam de sa fiancée. Autant d’argent en moins dans l’achat de ses futures robes ! Fichtre, il l’aimait tant et s’impatientait d’ailleurs de la présenter à tous. Mais pour l’heure s’était une autre femme qu’il devait rencontrer. Un à un les occupants de la voiture mirent pied à terre et de son regard d’azur Pline n’en manqua pas une miette. Cette femme, noblement vêtue et qui marchait à son encontre était donc sa cousine. La jeune fille de ses pensées était bien loin, mais après tout le temps jouait toujours de cet effet. Son visage des plus rigoureux s’éclaira d’un sourire bienveillant lorsque le regard de la Reyne se posa dans le sien. Et pour couronner le tout, du Grec à son encontre. Voilà des années qu’il n’avait plus entendu parler le Chypriote et pourtant c'était avec facilité qu'il lui donna une réponse.

Ma chère cousine, c’est un grand plaisir que de vous revoir. Votre connétable disait vrai tantôt en affirmant que votre simple présence suffit à nous éblouir…

Dans une éphémère révérence le Sulignan prit finalement soin de baiser la main que la sosie lui tendait avant de reprendre d’une voix calme.

Les années séparent, mais le sang reste. Nous prendrons le temps de nous remémorer nos souvenirs d’enfance sous peu et j’en profiterai pour en savoir plus sur ces années passées sans vous. A présent, il vous faut rejoindre les Grasces de Troy et d’Orsenac.

Et finalement Pline laissa sa cousine tout juste retrouvée entrer dans le château de Creil...
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L'ordre cinglant du Connétable fut bien entendu et bien compris par la navarraise. Néanmoins, elle se permit une dernière remarque.

-Je sais très bien, messer Watelse, comment il faut me comporter. Je répondais simplement aux questions que sa Majesté me posait sur son parent. Je vous remercie toutefois de ce rappel.

Watelse abusait de son importance pour lui montrer qu'il n'était plus le soldat sans le sous duquel elle s'était amourachée à Bordeaux. Son statut était, maintenant, presque supérieur à celui de la jeune espagnole pour le plus grand dam de celle-ci. Il ne se lasserait sûrement pas de le lui rappeler. ..

Devant la souveraine, elle n'irait pas plus avant. C'aurait été mal vu, et sa Majesté lui en aurait fort probablement tenu rigueur. Éléonore aura, de toutes façons, tôt fait de se rendre compte du fait que Richard Watelse était imbuvable.

Le bruit du trot de chevaux et le cliquetis des harnais se firent entendre. Des cavaliers approchaient. Le Watelse sortit pour saluer les hôtes de la reine de Chypre. Ursula profita de l'absence momentanée pour observer Éléonore. Elle était certes jolie. L'air un peu timide -trop timide- pour une royale personne. Austère, elle semblait l'être. Mais elle s'adressait de façon aimable à Ursula. Lorsque Watelse ne serait plus dans leur environnement immédiat, l'espagnole apprendrait sans doute à apprécier la reine exilée.

Un mouvement dans le carrosse sortit la demoiselle de Ozta, la porte s'ouvrit quelques secondes plus tard. Sa grâce Pline de Sulignan était prêt à rencontrer sa cousine. Retrouvailles royales.

Ursula descendit à la suite de la reine, puis attacha son pas au sien, quelques pieds derrière, en silence. Elle n'aurait de toute façons pas pu deviser avec l'un ou l'autre des Sulignan, ne comprenant pas le Grec.

Les présentations achevées, le groupe fit son entrée dans le château. Pendant qu'on ne lui prêtait pas attention, Ursula se permit de regarder aux alentours. Belle construction de pierre, tentures de brocard, âtre immense. Moins accueillant que le palais occitan d'Elianor, mais la demeure du Sulignan semblait agréable.

Combien de temps y resteraient-ils? Comment seraient les retrouvailles entre la reine et son parent? Certainement qu'Ursula laisserait trainer ses oreilles un peu partout dans les corridors, dans la suite d'Éléonore. Elle pourrait aussi s'immiscer parmi les suivantes de la châtelaine. Il paraît que c'est dans la chambre des dames que l'on en apprend le plus... Point positif: mieux elle servirait la reine, mieux elle serait lotie. Et plus grande serait l'influence de ses suggestions sur la personne royale. Et Watelse la laisserait inévitablement tranquille.

En attendant de pouvoir échanger avec la souveraine Chypriote sur sa rencontre avec ce parent lointain, elle attendait le moment béni où celle-ci demanderait qu'on monte leurs effets et s'informe sur l'heure du souper.

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Pline de Sulignan n'avait rien d'effrayant. Rien dans sa voix pour effaroucher. Rien dans l'invitation à entrer dans le château n'éveillait de crainte. Seule la peur même qu'il découvre la vérité la tenaillait.
Les souliers de cuir foulaient les premières dalles du château et la royale sosie s'efforcer d'alimenter la discussion avec son parent. En grec :

Les Grasces de Troy et d’Orsenac... Il me plait de voir l'un des nôtres faire briller notre nom auprès d'une famille aussi noblement reconnue.

Flatter. Flatter. Le Connétable lui avait si bien répété que l'égo d'un homme était le chemin le plus directe vers son coeur.Sa mère lui aurait dit qu'il fallait gagner le coeur d'un homme par le ventre "en le goinfrant de bonne tambouille". A chaque classe son moyen de séduction...
Les corridors et les salles étaient traversées à une vitesse rapide, ne lui permettant que de se rendre compte de la somptuosité des décors. Elle attachait plus d'importance aux serviteurs et servantes s'inclinant devant elle. S'ils savaient, ces braves gens comme elle pourrait s'incliner aussi devant eux...
Elle osa un petit coup d'oeil derrière elle, s'assurant de la présence de sa dame de compagnie et du Connétable. La blonde semblait ne pas perdre une miette de leur visite. Bien. Elle pourrait lui rapporter tout ce qu'elle voyait lors de leurs prochaines soirées à broder au coin du feu.
Le Connétable... Et bien, c'était le Connétable. La mine sombre et le regard d'acier, restant aux aguets de la moindre petite erreur venant de l'ombre royale.

Mon père pensait grand bien de vous enfant. Vous auriez fait sa fierté sans aucun doute. Ce sont des qualités qui n'auront pas manqué d'attirer l'attention de nos hôtes.

Elle le précédait d'un pas quand elle s'arrêta soudain, la mine faussement enjouée alors que sa gorge risquait à tout moment de s'étrangler d'angoisse.

Je vous laisse me guider, cher cousin, dans ce territoire encore inconnu pour moi.

Elle reprit en François à l'adresse de ses suivants:

Que Chypre fasse honneur à nos hôtes, que Jerusalem leur adresse Son respect.

Eléonore 1ère de Sulignan remonta le menton, tendit le cou et le regard le figea loin devant elle, vers les propriétaires du château qui l'attendaient.
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Il avait apprécié cet échange en Grec, après tout c’était sa langue natale, la langue de Chypre Kallistè* comme il aimait le dire. Mais l’homme qu’était Pline de Sulignan, si il avait à cœur la Bienséance, se lassait toujours rapidement des diverses flatteries que l’un ou l’autre pouvaient si ce n’est devaient s’échanger. Pline prendrait soin dans tous les cas de revoir en tête à tête sa cousine durant son séjour à Creil, tout comme ceux qui l’accompagnaient. Que ce soit sa dame de Compagnie qu’il avait remarqué ou le connétable Watelse. Tous avaient une histoire bien à eux, tous représentaient à présent le nom de Sulignan et cela Pline l’avait en tête. Marchant cependant aux cotés de la jeune femme il réalisa qu’il était temps qu’elle rencontre les Troy d’Orsenac, la véritable famille de ses lieux !

J’ai en effet la chance d’être tombé sous le charme de l’une des filles des Grasces de Troy, je me ferai un plaisir de vous la présenter d'ailleurs. A présent je vais vous laisser rencontrer vos hôtes… Nous aurons tout le temps pour discuter ensemble cousine et je l'espère de tout cœur prochainement.

Dans une aimable révérence, le seigneur prit donc congé de la Reyne en ralentissant le pas. Ce n’était pas à lui de l’annoncer, le Sulignan se contenterait de rejoindre Héloïse, sa fiancée, pour assister à la rencontre entre la Reine et ses hôtes. La rencontre était toujours un moment particulier, important, qui généralement annonçait la suite des événements. Mais tout se passerait assurément bien et mine de rien Pline avait hâte de participer à cette rencontre.

Croisant finalement, dans sa prise de congé, le connétable et la dame de Compagnie d’Eléonore qui suivaient le pas le brun se permit de leur adresser quelques mots avant que la famille de Troy accueil sa cousine.

Damoiselle, Messire Watelse… j’espère que nous pourrons échanger quelques mots en dehors de cette cérémonie, j’ai hâte d’en savoir plus sur les fidèles de ma famille.

Puis l’heure vint finalement à l’accueil en la Baronnie de Creil.


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Un pas devant l'autre, Richard évaluait le chemin parcouru depuis son départ des contrées d'Antioche. Il se souvenait des coups portés, des têtes coupées, du sang perlant sur sol sableux. Il se souvenait de sa reine, de la vraie reine, de l'attachement dévot qu'il lui avait témoigné en l'aidant à fuir la guerre, de son en et du mépris que lui inspirait maintenant son simple souvenir. Il l'avait aimé comme une sainte, intouchable et souveraine, et il ne voyait désormais que la lâcheté de celle qui avait fuit son devoir en disparaissant dans un lointain monastère.
Ses pas, l'un devant l'autre, suivait celle de la fausse reine. L'imparfaite sosie.


Et à ses côtés, l'opulente Ursula témoignait de son léger ennui par un vague soupir qu'il lui connaissait si bien. Elle avait eu le même lorsqu'elle lui avait appris qu'elle était grosse de lui, il y avait près d'un an de cela. Ses boucles blondes remontaient légèrement sur sa buque, enserrées dans une coiffe un peu trop voyante. Mais il savait ô combien la de Ozta aimait être regardée…

Le Connétable s'en voulu d'avoir perdu le fil de la discussion entre la sosie et son cousin à cause d'une donzelle exigeante et gâtée. Lui qui lui avait enseigné le peu de grec qu'il maitrisait, mesurait à distance les qualités de son élève. Elle appuyait encore les dernières syllabes de certains mots comme une vulgaire paysanne bretonne. Cependant, la mélodie restait crédible, et c'était tout ce qui importait finalement : la crédibilité de leur jeu. Fort heureusement, Ursula de Ozta n'était pas au courant de ce subterfuge. Entière de caractère, sans faux-semblant, et paresseuse (là où mentir demande un minimum d'effort), la blonde hispanique aurait eu tôt fait de les faire écarteler tous. Néanmoins, il ne pouvait se mentir sur le réconfort que lui offrait sa présence. Elle était son dérivatif à toute idée noire, et même s'il n'était pas très porté sur les sentiments, il en venait à apprivoiser cette idée de l'amour.
Elle était plutôt mignonne, et ses rondeurs lui donnaient un air jovial et sain que trop de femmes cachaient dans leur maigreur. Son éducation de petite noblesse lui donnait une audace qu'il prenait plaisir à titiller et il semblait parfois par delà cet énervement féminin sur-joué, que la noble appréciait leurs querelles.

Ils s'apprêtaient à passer une porte moins large. Il céda le passage à la blonde avant de s'arrêter net, le nez à moins de dix centimètres de la blonde: La reine allait être présentée et s'adressait à eux, débitant la phrase qu'elle avait apprise par cœur avant de quitter Rennes. Aucune faute d'articulation. Accentuation méditerranéenne toute en finesse. La sosie s'en tirait bien et Richard Watelse relâcha la tension de ses épaules.

Le plus difficile s'en venait.

Damoiselle de Ozta, souffla t'il très bas dans la nuque de la donzelle, vous avez un restant de petit pâté sur votre épaule droite...

Et ses lèvres figées se muèrent vers un infimes sourire moqueur. Le Connétable n'aurait jamais pensé pouvoir sourire dans un moment aussi crucial et risqué que celui-ci.
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Était-ce donc cela, les boniments de cour? De longues phrases creuses pour dire de façon compliquée que l'on était ravi d'être accueilli? Très certainement que cela était différent des coutumes sur les terres de la duchesse de Vergy. Lorsque l'on paraissait devant sa cousine, on s'exprimait de façon concise et efficace. Si Ursula avait eu l'occasion de côtoyer des seigneurs, des ducs et des vicomtes alors qu'elle se trouvait dans le sillage de sa chère Elianor, elle ne les avait que peu entendu deviser entre eux et encore moins s'adresser à elle, parente pauvre de la pluriduchesse de poche.

En fait, la jeune femme avait passé le plus clair de son temps à papillonner autour de Watelse et avait prêté fort peu d'attention aux apprentissages qu'elle aurait pu faire à Paris, Limoges ou Bordeaux. Maudit Watelse! C'était encore sa faute!

Watelse, d'ailleurs, paraissait plutôt nerveux. Elle ne voyait l'homme que de dos, quelques pas derrière la reine alors que celle-ci allait être présentée.

L'Ibère soupira. Que c'était long! Ses poulaines lui faisaient des ampoules aux pieds, son corselet l'étouffait et elle avait faim.

Le seigneur de Sulignan prit quelques instants pour saluer les suivants d'Éléonore. Ravie qu'on lui accordât une certaine importance, Ursula adressa un large sourire au maître des lieux et s'inclina poliment.

Ceci fait, elle releva la tête pour continuer d'observer la reine qui lui aurait semblé un peu mal à l'aise d'être le centre de toutes les attentions si elle n'avait pas été souveraine. La royauté n'était jamais mal à l'aise. Elle brillait, point. Pourtant...

La demoiselle de Ozta reporta son attention sur Richard Watelse qui, raide comme une barre de fer, surveillait la reine. Quelle sotte elle avait été! Dans quoi s'était-elle encore embarquée? La dernière fois que l'hirondelle s'était envolée seule avec cette crème d'anchois qu'était Watelse, elle était revenue chez sa cousine abandonnée, engrossée et humiliée. Mais au-delà de la rancœur qu'elle éprouvait pour le soldat, Richard représentait le père qu'elle n'avait plus, l'ami qu'elle n'avait pas, le seul amant qu'elle ait connu... Et puis il lui avait promis qu'il lui ramènerait son fils. Et puis il lui avait manqué. Malgré toutes ces heures passées à le haïr, il lui avait manqué. Le père, l'ami, l'amant. En d'autres mots, c'était une relation extrêmement malsaine.

Watelse s'arrêta pour laisser passer devant lui la blonde Ursula. Celle-ci s'arrêta une fois à la hauteur du connétable, un peu trop près toutefois. Les convenances voulaient que les suivants se tiennent en retrait lorsque la reine serait en entrevue avec sa famille. Un souffle chaud sur sa nuque, et la voix moqueuse de Richard qui lui dit qu'elle avait un restant de pâté sur l'épaule. Elle sursauta et se retrouva le nez dans le pourpoint de son interlocuteur. Proximité inconfortable.

Quelques secondes s'écoulèrent avant que la jeune femme ne fusille Watelse du regard et ne passe une main rapide sur son épaule pour en déloger le résidu imaginaire. Puis, elle répondit tout bas:

-Votre humeur excérable vous a quitté, Connétable? Vous ne perdez rien pour attendre. Je vous ferai un croche-pied juste au moment où vous vous y attendrez le moins!

Enfin, Ursula reporta son attention sur Éléonore Première.

-Elle est très belle. Et gracieuse aussi. Pourvu qu'elle ne trébuche pas...


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La pièce demeurait aussi silencieuse que le bruit des souliers royaux sur les dalles. Seuls les murmures de sa suivante perçait ça et là, donnant à ce néant une atmosphère moins pesante. Elle ne put que remercier mentalement le Connétable - une fois n'est pas coutume - d'avoir apporté cette blonde oiselle qui par sa naïveté allégeait la pression sur elle.

Elle porta son regard sur les personnes la jaugeant sans mot dire. Elle se sentait comme une brebis entourée de loups, prête à voir sa peau déchirée par des questions incisives, et son sang déversé au sol par autant de mensonges sortis de sa bouche.

Elle se surprit à reculer d'un demi pas.

Elle se surprit également à compter les secondes séparant son entrée et la première prise de parole des hôtes. De son cousin également.
Une seconde.
Deux secondes.
Trois secondes.
Cent soixante dix sept secondes.

Comme ses prairies et ses moutons lui manquaient à ce moment même. Elle les comptait autrefois comme elle comptait désormais les secondes. Mais avant elle ne savait pas aller au delà de dix : A chaque dizaine elle récoltait un petit morceau de bâtons, qui, s'accumulant dans sa paume fermée, lui permettait de garder le décompte de ses bêtes.

La chevelure bouclée de l'un des serviteurs présents dans la pièce lui rappelait les boucles joyeuses et pures de ses moutons. Ce qui la fit revenir à la réalité au même instant.

Que se passait-il??
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