Wallerand
Alors qu'il repartait de chez Bella après des retrouvailles ardentes et un déjeuner imprévu, Wallerand ruminait sa monumentale bourde de la veille et la discussion qui avait suivi le jour même, après leur départ de l'auberge d'Adalarde. Qu'avait-il eu besoin de garder pour lui le fait qu'il ne se considérait plus comme suivant seul le chemin de sa vie ? Oui, il y avait cette considération que l'honneur valait plus que l'honnêteté avec son amie patronne, mais lui-même l'avait balayée deux mois plus tôt et, en s'en expliquant avec Bella, il avait senti l'argutie que cela représentait. Avec une douceur qu'il savait ne pas mériter, elle lui avait répondu qu'elle n'avait pas honte de lui... Il s'en serait mis des gifles, des coups, il s'en serait cogné la tête dans tous les murs qui défilaient autour d'eux au gré des rues montoises. Et l'avoir rendue aussi manifestement malheureuse au lendemain d'une soirée d'allégresse empirait encore cette envie tant il s'en détestait.
Quand il l'eut quittée, après un dernier baiser volé pratiquement sous le nez du corbeau, solidement assise dans l'attente manifeste de sa Comtesse - autant dire qu'un coup d'oeil jeté avait suffi à faire faire machine arrière au Beauharnais et à l'envoyer dans le renfoncement le plus proche pour dire au revoir à sa maîtresse -, il l'abandonna dans les serres de l'oiseau noir qui guettait sa proie et repartit d'un bon pas vers la Chancellerie. Dans ses premiers temps en tant que Chancelier, et même pour la suite, il lui faudrait être à la hauteur de ses prédécesseurs. Pour autant, il ne parvenait pas à se sortir sa bêtise de la tête. Impossible. Même le travail, ce sédatif des pensées dont il voulait se défaire, n'avait aucun effet. Aussi, pour alléger quelque peu le poids qui pesait sur ses épaules, se résolut-il à écrire à Bella. C'était la seule chose dont il avait réellement envie... Il fallait "juste" passer le corbeau. Lisait-elle la correspondance de la jeune fille ? Mieux valait ne pas prendre de risque... A coup sûr, un pli à allure officielle aurait moins de chances d'attirer ses foudres sur sa maîtresse. Mais si elle lisait le mot, il fallait lui donner une tournure suffisamment neutre pour que Soeur Marie-Clarence n'y voie pas malice alors que Bella en saisirait le sens caché. Comment faire...
Soudain, un article du journal Paroles de Gascons lui revint en mémoire. Evidemment, c'était simple, limpide comme de l'eau de roche. Il fallait introduire toute une série d'éléments inutiles pour noyer le message. Autant dire que le fusain du Beauharnais ne chôma pas. Il essaya toutes les combinaisons qui lui passaient par la tête, modifiant la teneur de son message à mesure qu'il se voyait contraint par les altérations nécessaires à l'aspect inoffensif de la lettre. Quand il en eut fini avec elle, il se relut, dubitatif. L'esprit d'origine, les excuses, l'assurance de son affection profonde autant que passionnée - pour ne pas employer un autre mot qui, avouons-le, faisait peur au jeune homme -, bien des choses passaient à la trappe... Et il était difficile d'exprimer plus sans donner une tournure suspecte au message. Aussi, d'une écriture aussi déliée que le permettait le tremblement qui secouait sporadiquement ses mains, le copia-t-il avec soin dans cette version insatisfaisante sur un feuillet particulièrement étroit. Le cachet de la Chancellerie gasconne, apposé sur la cire qui scella le pli, acheva la préparation. Bientôt, un page se précipitait vers la demeure de la destinataire. Et, l'esprit un peu libéré - quoique pas totalement -, le Beauharnais reprit le travail.
Quand il l'eut quittée, après un dernier baiser volé pratiquement sous le nez du corbeau, solidement assise dans l'attente manifeste de sa Comtesse - autant dire qu'un coup d'oeil jeté avait suffi à faire faire machine arrière au Beauharnais et à l'envoyer dans le renfoncement le plus proche pour dire au revoir à sa maîtresse -, il l'abandonna dans les serres de l'oiseau noir qui guettait sa proie et repartit d'un bon pas vers la Chancellerie. Dans ses premiers temps en tant que Chancelier, et même pour la suite, il lui faudrait être à la hauteur de ses prédécesseurs. Pour autant, il ne parvenait pas à se sortir sa bêtise de la tête. Impossible. Même le travail, ce sédatif des pensées dont il voulait se défaire, n'avait aucun effet. Aussi, pour alléger quelque peu le poids qui pesait sur ses épaules, se résolut-il à écrire à Bella. C'était la seule chose dont il avait réellement envie... Il fallait "juste" passer le corbeau. Lisait-elle la correspondance de la jeune fille ? Mieux valait ne pas prendre de risque... A coup sûr, un pli à allure officielle aurait moins de chances d'attirer ses foudres sur sa maîtresse. Mais si elle lisait le mot, il fallait lui donner une tournure suffisamment neutre pour que Soeur Marie-Clarence n'y voie pas malice alors que Bella en saisirait le sens caché. Comment faire...
Soudain, un article du journal Paroles de Gascons lui revint en mémoire. Evidemment, c'était simple, limpide comme de l'eau de roche. Il fallait introduire toute une série d'éléments inutiles pour noyer le message. Autant dire que le fusain du Beauharnais ne chôma pas. Il essaya toutes les combinaisons qui lui passaient par la tête, modifiant la teneur de son message à mesure qu'il se voyait contraint par les altérations nécessaires à l'aspect inoffensif de la lettre. Quand il en eut fini avec elle, il se relut, dubitatif. L'esprit d'origine, les excuses, l'assurance de son affection profonde autant que passionnée - pour ne pas employer un autre mot qui, avouons-le, faisait peur au jeune homme -, bien des choses passaient à la trappe... Et il était difficile d'exprimer plus sans donner une tournure suspecte au message. Aussi, d'une écriture aussi déliée que le permettait le tremblement qui secouait sporadiquement ses mains, le copia-t-il avec soin dans cette version insatisfaisante sur un feuillet particulièrement étroit. Le cachet de la Chancellerie gasconne, apposé sur la cire qui scella le pli, acheva la préparation. Bientôt, un page se précipitait vers la demeure de la destinataire. Et, l'esprit un peu libéré - quoique pas totalement -, le Beauharnais reprit le travail.
Citation:
- Votre Grandeur,
Il est évident quune nouvelle arrivée attire lattention du
Chancelier qui sinquiète de manuvres étranges en Béarn,
soupirant, éperdu, peinant à trouver une idée pour communiquer
avec des personnes qui pourraient avoir un lien quelconque
avec vous. Je serais donc heureux de mentretenir avec vous
en la Chancellerie de Gascogne quant à ces événements,
dans le cadre privé qui sied à telle relation. Vous pouvez compter
sur la diligence des pages qui y oeuvrent, ainsi que
sur ma discrétion et un sincère hommage à vos dons desprit,
qui mont fort été loués par notre amie commune Alvira, qui allie
beauté, force de caractère et implication dans chaque action.
J'espère donc pouvoir discuter des provinces du Sud avec vous.
Soyez sûre que je languis de notre entrevue prochaine
tant est grande ma curiosité sur ce que vous mapprendrez,
et que je me tiens à votre service en tout temps.
Votre dévoué
Wallerand de Beauharnais
[Quelque temps plus tard]
Relevé par la clémence et la bonté de celle qui désormais, présente ou absente, occupait toujours une partie de son esprit après lui avoir conquis le coeur, Wallerand avait passé des jours plus sereins après cette journée-là. Entre la frustration des rencontres volées dans les tavernes, les joies et les angoisses des joutes en Toulousain, ils avaient trouvé le moyen de se revoir en évitant le corbeau... Mais presque jamais, à la notable exception des joutes du prince de Cetzes - où la complicité silencieuse de Tibedaud avait permis de passer des moments que le Beauharnais aurait qualifiés de merveilleux -, ils n'avaient retrouvé la même intimité que pour leurs retrouvailles. L'interdit et le secret, sans doute, avaient quelque chose de stimulant, fouettant l'imagination, suscitant plus de rêves encore que ceux qui emplissent naturellement les coeurs au début d'une romance. Pourtant... C'était si frustrant !
Chaque jour, Wallerand espérait un message, un signe. Quand il rentrait, il interrogeait Guilhem le savetier, ou son épouse, montait à son appartement, faisait un tour pour vérifier si par hasard un mot aurait été glissé par la porte, par la fenêtre ou par la cheminée (des fois que le Père Noël existe...), achevait ce qu'il pouvait avoir à y faire, comblait la dent creuse et ressortait. Regarder par la fenêtre des tavernes, vérifier si elle avait pu s'échapper était devenu une sorte de rituel. Un chemin s'était naturellement dessiné, de taverne en taverne. Ca lui occupait les jambes à défaut de solliciter sa tête... Que le temps pouvait sembler long, au mépris de la réalité, loin d'elle !
Et un jour vint le signe. Alors qu'il dînait, le jeune homme entendit deux coups discrets toqués à sa porte. La chose était suffisamment inhabituelle pour qu'il bondisse vers le battant, qui s'ouvrit sur Tibedaud. Wallerand l'aurait embrassé tant il était content de le voir... Mais n'en eut pas le temps. Le page tendait au Gascon un étui de toile qui s'avéra contenir un lourd livre, richement relié. Le regard s'éclaira. Le signe était arrivé ! Restait à le comprendre. Invité à entrer, Tibedaud obtempéra, récupérant une partie de la marmite envoyée par Adalarde. Pendant ce temps, tout appétit oublié, le Beauharnais examinait l'objet. Première page... Ah, un livre d'heures. Tournant doucement les pages, appréciant la qualité de l'enluminure et de la calligraphie de l'ouvrage, il cherchait ce qu'il devait trouver. L'astuce se révéla au final aussi inventive que simple : à la page correspondant à l'office des vêpres s'étalait, immaculée, une longue plume blanche. Le cygne...
Le page quitta l'appartement en même temps qu'un Wallerand au sourire inextinguible, la clef offerte serrée dans la main. Le livre, lui, avait soigneusement été caché dans le coffre qui servait de garde-robe au Beauharnais. Pas question que qui que ce soit le trouve et, a fortiori, l'embarque. Il courait presque quand, à l'orée de la ville, il déboula chez le paysan chez qui il laissait l'Acrobate en pâture. La brave monture eut l'air d'apprécier la balade qui s'ensuivit, quoique son cavalier ait sans doute été un peu pressant. "Y'a l'temps, non ?" semblait-il dire. "Non ! En r'tard, en r'tard, je suis vraiment en r'tard !" répondaient les talons et les genoux du jeune homme. Il n'en savait rien, à vrai dire, mais la hâte le poussait tant et tant qu'il n'eut de cesse de pousser l'Acrobate avant qu'un moulin, le long du Midou, n'apparaisse. Serait-ce le bon ? Bella lui avait un jour décrit l'endroit. Mais qu'est-ce qui ressemble plus à un moulin qu'un autre moulin ?
Pariant sur sa chance, d'autant plus qu'arrivé à proximité il lui sembla reconnaître la monture que Bella avait utilisée pour se rendre jusqu'à Toulouse, le Gascon attacha la bride de l'Acrobate à côté de celle de son camarade. Impatient comme un jouvenceau découvrant les joies de l'amour dans leur infinie complexité, il dut s'y reprendre à deux fois avant de la nouer correctement, avant de chercher au fond de sa poche la clef, la fabuleuse clef. Elle avait pu s'enfermer... Et son coeur rata un battement. Pas de clef dans la poche explorée. Comment ça, pas de clef ?! Misère, stupeur, acharnement du sort, à tous les coups les malédictions du corbeau le poursuivaient ! Ah, non, en fait. C'était dans la poche de l'autre côté. Sinistre boulet. Bref, bientôt la clef faisait basculer le mécanisme, ouvrant la voie à l'amant, yeux grand ouverts. Il ne s'attarda qu'à peine sur le mobilier tout simple qui occupait l'espace, non, il n'avait qu'elle en tête.
Bella ?
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