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[RP] De Denée et d'Anaon.

Calyce

A grande occasion, grande salle. La Grande salle de Brissac dont les murs ont été habillés de tenture empruntées/volées à l’hôtel andégave de Tiss. Pas le temps d'en commander au Limousin spécialiste de la tapisserie. De grandes planches de bois posées sur des tréteaux, couvertes de belles nappes (empruntées à Tiss, elles aussi) pour le buffet. Chouquette et compagnie. On a mis les petits plats dans les grands : c'est la fête. Le jour J.

A l'entrée de la pièce, un guichet de fortune tenu par un guichetier censé amasser fortune au nom de Denée.

-Deux cents écus, ça fait cher le spectacle quand même, vot'Archigrâce...
-Ah non ! Je vous assure qu'il en vaut bien deux milles au moins. C'est bradé là..
-Allez, cent cinquante ? Soyons raisonnables.
-Raisonnable ta soeur. La Reyne du jour qui a décidé du prix. On y touche PAS. Deux cents écus. Et celui qui est pris à zieuter clandestinement on lui fait payer une amende de...cinq cent écus...avant de le pendre par les pieds.
-D'accord...
-Bien. Maintenant allez voir si Melchiore et arrive et préparez vous à accueillir Anaon en fanfare.
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Anaon

C'est pour Judas.

Debout devant le miroir, l'Anaon contemple le reflet que lui renvoie le tain. Habillée en garçonne, comme à son habitude, la mercenaire n'a pas voulu faire l'honneur d'une robe en ce jour. La mise n'est pourtant pas aussi spartiate qu'à l'accoutumé, les fourreaux ne sont pas apparents, ni la myriade de détails qui font d'ordinaire l'arsenal de la sicaire. Mais le tissu est impeccable, rien dans la tenue ne dépasse, maniaquerie de la perfection qui aujourd'hui se dore d'une occasion particulière. Ce n'est cependant toujours pas le drapé de jupons qui vient recouvrir ses jambes.

C'est pour Judas.

La mine est sérieuse. Presque inexpressive. Comme toujours diraient beaucoup. Le pli entre ses deux sourcils est pourtant plus pincé. La pupille contemple son autre illusoire qui la fixe dans le miroir.

C'est pour Judas.

Et là est la seule phrase qui tourne dans sa tête.

Préoccupée.
Elle est préoccupée. Et elle use la glace de ses rétines comme si cela pouvait l'aider à apaiser toutes ses pensées. Plantée, comme un piquet dans la chambre de Brissac qu'elle occupe depuis maintenant des lustres avec les Von Faryner. Figée, depuis un temps infinitésimal. Seuls ses doigts se meuvent parfois pour refermer une énième fois les attaches de son gilet, tirer sur son col, ou réajuster les perles noires qui se pâment discrètement par son ouverture. Du reste, elle ne bouge pas d'un pouce. Quel drame la met donc dans un tel état méditatif ? Un drame qui n'est pas des moindres. Un drame qui n'en est pas un en fait. Un anoblissement.

Le sien.

Cette pensée plisse ses traits d'une moue légère tant l'association de ces deux notions lui semble improbable. Et pourtant c'est une fait, aujourd'hui, Anaon va être anoblie. Et c'est effrayant.

Beaucoup seraient excités. Impatients. Heureux même. Sans doute tenailler par cette angoisse étrangement euphorique qui vous prend les tripes dans les grands moments. Mais l'Anaon, non. Certain partent en quête de titres qui rajouteraient un chapelet plus long à la suite de leur nom. D'autre en rêverait pour s'extraire de leur situation et pouvoir enfin jouir d'une vie plus supportable – et comment les en blâmer. Mais l'Anaon, non. Sans doute l'une des rares de France qui aurait pu refuser un fief sans le moindre regret, dans le naturel le plus désarmant du monde. Non parce qu'elle vouerait aux nobles un mépris qui ronge la moitié de la population, mais parce que la balafrée n'en a simplement jamais trouvé d’intérêt. En tout temps, elle a su bâtir sa vie à la sueur de son front et de ses mains. Il fut une époque où elle vivait dans un confort absolu qui aurait fait pleurer d'envie les plus petits nobles. Elle a ensuite vécu une vie bien trop décousue pour songer à ce genre de fixité. Elle aurait pu demander à sa famille sa part du butin. Elle aurait pu quémander auprès de Yolanda une terre pour ses services. Et pourquoi grappiller auprès d'un Roy quelques privilèges pour prendre soin de sa bâtarde. Elle n'avait qu'à se manifester pour que Charlemagne lui remette les terres promises depuis deux ans. A bien se débrouiller, elle aurait pu accumuler. Mais l'Anaon n'en a jamais rien fait...

Intéressée par l'or, non pas par simple cupidité, mais pas nécessité, il y a bien une chose sur laquelle tout le monde pourrait tomber d'accord... L'Anaon n'a en rien la fibre arriviste.

Ses mains lissent pensivement ses flancs. Voilà qu'à trente-sept ans maintenant, quelqu'un aura bien fini par la faire anoblir.

Dieux, que c'est perturbant.

Denée, elle en avait fait quinze fois le tour, griffonnant parfois des myriades de vélin pour monter ses projets futurs. Elle l'a envisagé, comme on envisage un rêve. Comme on se fond dans la vie d'une autre. Elle avait tout calculé en fonction de Judas. Tout. Incapable de s'approprier pour elle-même ce genre de vie. Voilà, c'était un peu sa vie à lui et pour lui qu'elle ébauchait. C'était beau, un peu tendre, plaisant. Mais bien qu'elle ait réussi à amadouer l'idée, aujourd'hui devant l'inéluctable, la mercenaire se laisse envahir par ses craintes originelles.

Elle n'a jamais prêté des serments qui attachent vraiment. Elle s'est toujours gardé la porte ouverte pour ne plus jamais s'accabler de contraintes, elle qui s'en met déjà tant. La peur de l'engagement, sans doute peut-on le nommer ainsi. Judas serait ravi de l’apprendre celle-là. Syndrome de ceux qui ont tellement souffert de déceptions qu'ils ne veulent plus imaginer ce que sera demain et préfère se garder pour toujours toutes les échappatoires possibles et envisageables. On ne le croirait pas, non, mais l'Anaon à la fuite facile...

Elle est pourtant bien tombée. Calyce en suzeraine, gamine à laquelle elle voue une véritable affection, on pourrait bien se demander ce que demande le peuple. C'est juste parfait. On n'aurait pu imaginer plus parfait. L'Anjou lui plaît. Et pour une fois elle envisage avec sérieux l'angoissante idée de pouvoir se poser quelque part. Dieux, comme le loup à peur de se coucher dans un panier ! Mais c'est un miracle qui pourra se faire par la générosité de Calyce. Et c'est peut-être pour celà que l'Anaon est là aujourd'hui. Pour cela, et pour la raison qui a animé premièrement ses désirs de noblesse.

C'est pour Judas. Et pour Kenan.

Les paupières clignent sur le reflet-expectative qui lui fait face. Il y a fort à parier que ce grave se dissipe à la vue de la joyeuse troupe d'Anjou. Il y a du festif de prévu, mais pour l'heure, la chose est un peu loin des tracas anaons. La voix se lève enfin, dans le relatif silence de la chambre, comme pour conjurer les pensées plus sombres qui remontent comme des remugles à la surface de son âme. Et celles-ci auraient tôt fait de faire fondre définitivement toute la volonté de la mercenaire.

_ Ce sera une bonne chose n'est-ce pas ?

Oh Anaon... Femme de tant d'assurance et de si peu de certitudes. Mais le miroir ne lui répond pas. La tête de la sicaire se tourne vers la chambre en quête de Judas. Les azurites se baissent. Une inspiration se prend. Il va falloir y aller maintenant et reprendre de l'entrain.

Puisque que ce n'est que pour eux... ce ne peut être qu'une bonne chose.

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| © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |

Katina_choovansky.

Sur place, à Brissac

- « Comment ça 200 écus ? Et ma main dans la figure, vous la voulez en guise de pourboire ? »
- « Mais votre Grâce, j’y peux rien, c’est l’prix. »
- « C’est surtout le prix de la paire de bottes que vous allez me rembourser quand je vous aurai enfoncé les deux talons dans le même œil. »

Car il fallait préserver la rareté de l’aveugle.

- « Et si je vous fais une ristourne, ni vu ni connu, ça reste entre nous ? » supplia le guichetier d’un œil humide
- « Mais ristourne ta sœur ! » s’impatienta la Montmorency. « Je passe gratos et si t’es pas heureux, c’est la même chose, mais avec un souvenir sur ta joue ! »

Car Katina tutoyait quand elle s’emportait.
Chaussée de bottes neuves (car toutes les occasions sont bonnes pour acheter des bottes) et d’une robe fraichement cousue à son intention (ben quoi, faut bien assortir les bottes.), Katina rejoignit donc la salle préparée à l’occasion sans payer un denier, mais en laissant Gligor en guise de garantie.

Voui, c’était un jour J, un Moment M, un instant I : l’anoblissement d’Anaon.

Katina se souvenait peu de ses premières rencontres, parce qu’elle avait une mémoire de poisson rouge et parce que des gens, en plus, on en rencontrait à la pelle. En fait, elle se souvenait plutôt du moment où les gens devenaient eux même, où ils faisaient quelque chose qui la surprenait, parce qu’on a beau dire ce qu’on veut, mais les gens, dans l’ensemble, n’étaient pas hyper surprenants.
Anaon, elle l’avait aimé quand elle avait reçu une beigne de la part de Finam.
Elle n’avait pas chouiné. Elle avait râlé, ça oui, mais elle avait pas chouiné comme le font les filles en général.
Anaon avait encaissé une baffe finamienne avec classe, presque de manière familiale, avec ce stoïcisme propre aux héritiers angevins… Et ça, ça, ça avait plu à Katina.
Il n’en avait pas fallu plus à la Montmorency pour lui donner un nom rien qu’à elle: Marâtre, parce qu’elle n’en n’avait pas, parce que savoir encaisser les torgnoles c’est important dans la vie et puis aussi parce qu’Anaon s’était prêtée au jeu et qu’elle avait bien voulu devenir une Marâtre.
Et oui, ça semblait facile comme ça, mais à y réfléchir, une minute plus tôt ou plus tard, ça se serait peut-être jamais passé comme ça et on n’en serait pas là. Comme quoi, les gens qu’on aimait, ça tenait pas à grand chose.

Piochant une chouquette sur sa route, la brune s’avança vers la fanfare.
Fallait maintenant vérifier que les cornemuses avaient réussi à passer la douane sans se faire lapider en route…
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Maitre Troubadour à la Confrérie

Merlain

Merlain pensait ne pas avoir à payer ces 200 écus.
Il pensait même devenir le guichetier, celui qui encaissait les sousous. Question d'habitude, à faire ces pilles par dizaines de piécettes, qu'elles soient fines ou plus épaisses.

"Money Money Money !" Chantonnez vous...
Sauf que non, détrompez vous, lui, ne monnayera que dalle. Et pis c'est tout.
Anaon, c'était un peu comme Calyce, Katina, ou Tiss, des inclassables en somme. Oui, il était fauché, et non il n'avait pas l'argent - ne dit-on pas d'ailleurs que les cordonniers sont les plus mal chaussés?

Alors, la question du pourquoi étant réglée, restait celle du comment.

C'est là que l'idée avait émergé d'ailleurs, un soir de beuverie, alors qu'il faisait office de tavernier dans la taverne de Calyce. Il sera "buffetier". Comment ça, ça n'existait pas ? Et une fourmi de dix-huit mètres...pardon, je m'égare...
Et bien pourtant, c'est toujours plus parlant que serveur, parce qu'il contenait en lui-même toute la complexité du métier, que ce soit dans ses sonorités que dans le sens, ainsi tout ce qu'il y avait d'excessif. Et là, à n'en pas douter, Calyce aura mis les petits plats dans les grands. le service trois pièces qui va avec, accompagné du petit personnel. C'est donc habillé comme les autres qu'il s'afficha face au guichetier, et d'un œil avisé - j'ai pas dit aguicheur hein -, un plateau rempli de verres de toutes sortes. L'homme l'arrête.

Vous êtes ? Mais quel orchidoclaste cuilà !
Et le brun de marmonner un, à peine compréhensible...
cdjlzcn...ain! Enfin vous ne me reconnaissez pas? On a même révisé ensemble !
Révisé quoi?
Ben ça ! Oui quoi en fait? Compter, servir tout ça quoi! Han ! mais le boulet...Bon plan B à la Call of Duty: extraction dite plus communément "Go go go !"
Bon je vous laisse, c'est pas le tout, mais y en a qui ont du boulot hein !

Ou comment dire à l'autre qu'il a trouvé la bonne planque. Vexé, il n'osera rien ajouter, car oui, ça n'était pas faux.
Et hop, voilà qui était fait! A lui le buffet ! Ah non, c'est vrai, ça n'était qu'une couverture.

Débarrassé sur une table au hasard de son plateau, qui trouverait preneur, il ne se faisait pas de soucis, il s'engouffra dans un placard à balai - on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.

Et parce qu'il avait tout prévu, sous sa tenue de "buffetier" se cachait la vraie, celle qu'il avait pris soin de se confectionner, arborant une légère touche de fleur d'oranger, le voilà fondu dans la masse désormais, avec toute la classe qu'on lui connaissait.
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Sabaude

L'Anaon, c'est comme un petit poney qu'on offre aux anniversaires, elle vous met des paillettes dans les yeux.

Elle peut aussi vous mettre ses sabots dans la tronche, faites gaffe!

Remplacer sa garde robe d’aventurière mal dégrossie par des robes : fait! Bien que quelque peu puni ensuite, ayant écopé d'un traumatisme avec les cordes, il en rit encore parfois.

La voir sourire: fait! Et ça il préfère à la voir triste, car une Anaon triste c'est comme Flappy le chien, ça vous retourne les entrailles.

La faire cuisiner et goûter ses plats sans avoir l'estomac en vrac ensuite, le teint verdâtre et le corps qui convulse : fait! Les douceurs furent même une grande réussite.

L'entendre vous confier qu'elle va se marier, écarquillant ainsi vos yeux de stupéfaction et vous faire vous demander si elle a encore trop bu et trop fumé: fait! La pelle et la balayette sont prêtes pour ramasser les pots cassés, au cas où....

Entendre qu'elle va être anoblie, même si c'est pour pouvoir épouser le seigneur, là il a franchement rit, voire s'est foutu de sa poire! Mais bon, c'est Calyce la future suzeraine.... alors il n'y aura pas de perversion, donc il ne se moque plus. Un titre angevin c'est comme un poème, un bouquet de fleurs, une douce brise printanière...et son Archicanarde en est l'astre rayonnant.

Bref, la sicaire lui a fait part de la cérémonie, l'a invité et le voilà devant....

Vous êtes qui déjà?
Le guichetier et c'est deux cents écus.
Quoi? On vous a dit que j'étais royaliste c'est pour ça?
C'est quatre cents si vous êtes royalo...
Non mais oh.... je plaisante voyons. Reprenons... Le clou du spectacle est comme ma soeur.. ma mère.... On ne fait pas payer la famille hein.. Si ?!
C'est trois cents.
Je connais très bien sa radieuse canarderie!
Connais pas, cinq cents pour me faire perdre mon temps.

Comment ça il ne sait pas qui est.... ? Le poing Renard file droit vers le claque salade du drôle. Après tout, on est en Anjou.

Ça fait du bien!

Regard à droite, à gauche, personne n'a vu ? On redresse le bonhomme, on lui file une pièce dans la pogne et on glisse narquoisement à son oreille:

Vous devriez consulter plus tard dans la journée. Allez voir Merlain de ma part. Il vous prendra deux cents écus pour la consultation et les fioles. Hein hein hein!

Allez hop, on se tire vite fait l'air de rien vers les réjouissances.
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Anaon

La porte de la chambre se referme et un instant le dos en épouse le plat. Quelques secondes pour grappiller quelques grains de courage. Mais si elle escomptait remplir son bac à sable, il lui faudrait bien quelques années de plus à passer immobile contre le bois de cette porte. Retarder l'inéluctable ne sera point bien rentable. Il n'est pas de patience plus insupportable que celle qui précède la bataille. Un instant résolue, la sicaire se décroche du panneau pour commencer la longue traversée des couloirs, tentant de donner de la détermination à un pas qui ne peut pas bien suivre. La plaie à sa hanche a presque entièrement cicatrisée, mais le carreau laisse encore traîner ses stigmates macabres. Le pas est boiteux, l'équilibre asymétrique. Si elle est bon médecin, l'Anaon fait une convalescente bien piètre. Refusant l'abus de repos, l'excellence de ses cataplasmes ne peuvent en rien lui octroyer le calme qui lui fait défaut. Ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mal chaussés ? En la matière, l'Anaon est pire que cela.

Le nez sur ses pieds, elle relève de temps à autre quelques regards soucieux sur les couloirs quand un bruit de pas se fait bruissement, espérant croiser sur le chemin la bouille de son fils ou celle du père pour lui donner un regain de conviction. Mais la petite balade entre les murs de Brissac se fait bien calme et bien vite l'entée de LA pièce se dessine à sa vue. La mercenaire ne ralentit pas l'allure, avisant la présence du guichetier et de Gligor, elle s'apprête à pousser d'un air de conquérante les portes de la salle, telle un Aragorn à Fort-Le-Cor... mais en fait non. Sans rien perdre de son élan, la sicaire fait demi-tour à deux poils de la porte, repartant naturellement comme si elle n'était jamais venus, sous l'œil médusé des deux bonshommes.

Ô Ciel ! Quelle angoisse ! Mais quelle angoisse !

Elle gagne rapidement la discrétion rassurante d'une encoignure et sa plaque à nouveau contre le mur d'un corridor. Les yeux se ferment, un soupire digne d'un boeuf à l'agonie s'extirpe d'entre ses lèvres. Dieux, elle se sent comme une Calyce le soir de sa nuit de noce. A se demander où on l'on va. Une envie soudaine de fuir. De partir quelques jours à cheval se perdre dans on-ne-sait quel bois vivre comme une sauvage. Se terrer dans le premier trou venu et s'y laisser oublier. La tête se tourne sans pour autant dépasser du saillant de l'angle qui la garde de toute vue. Et combien sont-ils là dedans à l'attendre ? Ah ! L'envie d'inviter tout l'Anjou pour les extorquer à l'entrée était plus qu'alléchante, mais voilà que la pudeur excessive de la balafrée submerge à nouveau toute sa cupidité. Elle espère à l'instant qu'il n'y aura presque personne. Personne même. Juste Calyce, Melchiore et Elle. Ou mieux, qu'il ait tout le monde, mais qu'ils se débrouillent sans elle. Ces serments, elle les enverra un jour sur un joli papier... Ça devrait faire l'affaire, non ?

Le crâne retrouve la dureté de la pierre quand les paupières se plissent à nouveau. Petits grains qui se grappillent encore. Un relatif silence... Que des claquements bien singuliers viennent perturber. L'Anaon a à peine le temps de soulever une paupière qu'elle voit son énorme cabot lui atterrir dans les jambes. Une interjection conte ce pataud inconscient de sa force. Une seconde pour pester devant ce trop plein d'amour qui se manifeste avec un poil trop d'excitation. L'Anaon en vient à envier l'entrain de ce fils à quatre pattes. Elle parvient pourtant bien vite à canaliser la dévotion de ce chien qui tient plus du bœuf que du canidé. Presque aussi haut que son Danois de père, presque aussi lourd que sa Napolitaine de mère, Fenrir est loin du racé nerveux d'un lévrier de Judas. La mercenaire trouve pourtant dans le contact de cette montagne de muscles et d'amour le réconfort certain qui lui manque pour l'heure. Sans lâcher son chien d'une seule caresse, la sicaire penche cette fois la tête par-delà l'angle de sa cachette, pour jauger les terrifiantes portes de la Grand-Salle, tâtant du même fait sa détermination.

Promis... La prochaine fois, ce sera la bonne...

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Calyce

Le temps passe, passe, passe et...
...maintenant, on peut voir le guichetier du jour se petit-suicider en essayant de s'ouvrir les veines avec du vélin. Technique empruntée à la maitresse qui en use et abuse quand elle a besoin de se faire entendre par Tiss, la Suz'mère. Le guichetier, lui, ne veut se faire entendre de personne , il est juste dépité : personne ne paie, tout le monde l'entourloupe. Il faut qu'il trouve LE bon moment pour l'annoncer à l'Archi histoire d'éviter un coup de poulaine ou deux.
Pendant qu'elle cause chouquettes à Katina ? Non.
Alors qu'elle agite la main pour saluer "Cdjlzcn...ain", le collègue en valetaillerie ? Non.
Là ! Trop occupée à battre niaisement des cils et à se retenir de baver devant le Renard pour vraiment faire attention à ce que peut raconter le portier qui s'avance :

-M'dame, je vous avais dit que 200 c'était trop cher. ILS PAIENT PAS !
-Hinhin, c'pas grave.
-Ah...sinon on a vu la future annoblie faire demi-tour....elle a du oublier un truc.
-La fanfare ?
-Prête. Elle attend l'Anaon.
-Et l'Herauïne ?
-Elle se baffre en cuisine en attendant d'entendre la fanfare qui attend Anaon..

Puisque tout le monde attend Anaon, il faut la faire venir.
Lui envoyer le valet pas foutu de faire payer les invités comme elle l'avait demandé ? Hum.

-ANAAAAAAOOOOOOOOON. Parce qu'on est jamais mieux servi que par soi-même, hein.
Et si Anaon arrivait en trompe, catastrophée, paniquée par le cri ? Humpf.

C'est pour son bien !
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Anaon

-ANAAAAAAOOOOOOOOON

Un trémolo glacé lui fait vibrer la nuque au point d'en faire perler une goutte de sueur qui dévale le long de sa colonne dans une ligne froide. Le palpitant se bloque avant de bondir et de cavaler dans sa poitrine comme s'il voulait la fuir. Les bras se resserrent autour du cou molosse aboyant en échos à cet appel qui ricoche entre les murs. Non, elle n'arrivera pas en trombe, catastrophée, paniquée par ce cri dans lequel elle ne décèle aucun accent de panique. Elle gage que si Calyce était en train de perdre ses eaux sur les pieds, ou que si elle se faisait soudainement attaquer par un de ces lapins blancs qu'elle a en horreur, Brissac serait en train de s’effondrer sur sa tête, soufflé par le magistral séisme que sa voix aurait produit. Mais pour l'heure, voilà que c'est la mercenaire qui se racornit sur elle-même au son du timbre tonitruant de l'Archiduchesse.

Les azurites cherchent désespérément la silhouette du petit Frayner dans le défilé des couloirs, sans être rassasiée par la vision tant espérée. Peut-être sont-ils déjà à l'intérieur ? Sans doute. C'est pourtant avant qu'elle aurait voulu le voir. Revoir cet Argument sur pattes pour la regonfler à bloc. Partir à la guerre, risquer sa peau pour un contrat, plonger dans la fosse infâme du cimetière des Miracles, se livrer corps et âme dans une arène de combat face à des hommes montés comme des montagnes sont autant de choses qui font aujourd'hui office de cure de jouvence face à la monstrueuse épreuve qui l'attend dans cette salle. Anaon, où la femme la moins arriviste du monde... Et aussi la plus trouillarde à l'idée d'obtenir des privilèges qui feraient vendre leur mère à d'aucun pour les obtenir. La nouveauté pour la sicaire est devenue terrifiante, aussi prometteuse soit-elle, aussi heureuse le promet-elle, c'est toujours une ligne de calcul qui se rajoute dans le système qu'elle a peur de ne pas savoir résoudre. Avec des inconnues qui ne dépendent pas d'elle seule. Deux mots absolument terrorisants. Responsabilité et Engagement. Çà lui tire une nouvelle goutte de glace le long de la nuque ça.

Elle le sait... Quand elle aura les deux pieds dedans, elle ne faillira pas. Mais faut-il d'abord qu'elle ose sauter dans le gouffre. Ou qu'on l'y pousse...

Le sang-froid se carapate un instant. Il faudrait sérieusement que la mercenaire se remette en quête de sa dignité. Elle couine comme un chien en se redressant, songeant enfin à sortir de sa cachette.

Pourquoi déjà ?
Ah oui... Pour Judas...

Conviction se fait la malle... Et pourtant l’inspiration se prend et un pied émerge enfin de l'angle du mur. Il n'est plus question de reculer. Et puis Calyce trouvera bien à apaiser ses doutes. Et puis Denée n'est pas si mal, Denée est même parfaite, Amadeus y sera heureux... Puis elle pourra y chasser, y disparaître si elle le veut, y éradiquer autant de rousses qu'elle le voudra. En faire une merveille du monde pour combler ses exactions bien malhonnêtes... Et de toute manière, il va bien falloir prouver qu'après des mois de palabres, l'Anaon n'a pas que de la gueule...

Courage !

Alors voilà qu'enfin elle passe les portes, Fenrir fièrement en tête, un menton presque haut, et un pas presque déterminé.

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