Alicina
- « Vous prendrez bien un peu plus de thé ?
Je n'en ai pas encore pris, je ne peux donc en prendre plus.
Vous voulez dire que vous ne pouvez en prendre moins, c'est très facile de prendre plus que rien. »
Alice au Pays des Merveilles (Le Chapelier Fou et Alice) - Lewis Carroll
- - Un peu plus de trois semaines après le bal masqué -
Où était-ce ? Raah, pourquoi les plans étaient-ils tous si compliqués à lire ? Impossible de comprendre quoi que ce soit là-dessus. Peut-être que si j'avais été un peu plus attentive, j'aurais remarqué que je tenais la carte à l'envers, mais d'une manière générale, je ne faisais pas souvent très attention à ce genre de détail.
Cela faisait presque trois semaines que j'avais revu Patt' et l'envie de la retrouver m'avait soudainement pris au saut du lit, une tartine en main. La faute à la confiture sans doute. Absolument délicieuse, cette touche de miel dans les prunes était irrésistible, et j'aurais voulu pouvoir en distribuer un pot à chaque être humain sur cette Terre. Mais en attendant de trouver quelqu'un capable de me fabriquer de la confiture pour suffisamment de monde, j'allais me contenter d'en offrir un à ma sur aînée. Ce serait charmant. Je la savais à Paris pour ses emplettes, et j'étais absolument convaincue qu'une visite surprise de l'une de ses petites surs lui ferait infiniment plaisir.
Pour évoluer dans ce monde dangereux et étrange qu'était la capitale française, j'avais fait appel à quelqu'un. Quelqu'un qui me terrifiait autant qu'elle me fascinait. J'avais demandé son aide à Sélène, la capitaine des Unicornis. Avec elle, je savais que je serai tranquille. Aucune personne douée d'un minimum de raison et d'instinct de survie n'irait chercher des noises à Sélène. J'aurais fort bien pu demander à Niallan, si nous n'étions pas sur le fil dangereux de la dispute puissance mille. Il était certain qu'au bout du compte, nous tomberions d'un côté ou de l'autre de ce fil. A savoir si ce serait le pardon ou la séparation !
Mais qu'importait. Pour l'heure, je voulais chasser de ma tête tout ce qui avait trait au blond, et Paris était l'endroit idéal. Fort heureusement pour moi, Sélène avait accepté ma proposition. Ce fut donc armée de ma capitaine - oui, une femme dangereuse est une arme comme une autre - mon matou dans la sacoche, et un panier plein de victuailles que nous nous présentâmes devant la porte de l'hôtel de la Force. J'avais pris un pot de cette fameuse confiture, un sachet de plantes pour les tisanes - que j'avais trouvé dans les affaires éparses de Niallan - une succulente brioche tressée, et un bouquet de pâquerettes. Avec ma robe jaune à larges bretelles, et les manches blanches de ma chemise qui me serraient les coudes, j'étais fort joliment vêtue. J'avais oublié de me peigner les cheveux, mais j'avais tout de même réussi à les coiffer en un genre de demi-chignon, dans l'épaisseur, que j'avais agrémenté d'un ruban couleur paille, comme le tissu de ma robe. Enfin, j'avais troqué mes solides bottines contre des souliers légers.
Où était donc cet hôtel ? Quelle idée absurde aussi, qu'il y en ait autant. Un seul aurait suffit. Disons que cela m'aurait nettement simplifié la vie. Je ressortis mon plan, le tournai en tous sens pour finalement me rendre compte que nous n'étions qu'à quelques mètres de là. C'était déjà ça. Marcher sans cesse depuis une demi-heure m'avait épuisé. Pourtant, j'étais excellente marcheuse. Mais pas avec ces souliers là. Très joli pour le salon, plutôt pénible quand il s'agissait d'arpenter les pavés.
Mais Paris était pardonnée. Paris était grandiose. Paris faisait rêver. Avec les deux hautes tours de la cathédrale de Notre-Dame, le fleuve qui s'écoulait paresseusement, tout étincelant de soleil, comme s'il était couvert de diamants... Et puis les rues larges, les venelles étroites, les ponts, les murailles, les édifices en tous genres, le Louvres, les Dames en toilettes splendides et tous les preux chevaliers juchés sur leur fidèle destrier... Tous ces recoins où j'aurais pu me perdre mille fois... Ces pauvres à qui je donnais des pièces jusqu'à n'en avoir plus moi-même... Ces boutiques qui proposaient tant d'articles...
Mais nous n'avions plus le temps de flâner. Ce serait bientôt l'heure de siroter une petite infusion en mangeant de la brioche à la confiture de prune. Je me plantai devant la porte de l'hôtel particulier de mon aînée.
On ne restera que pour boire et manger ceci. Et merci de m'avoir accompagné.
Je souris à Sélène et agitait avec force la cloche devant la porte de l'hôtel. Je n'avais encore jamais gouté les plantes que contenait le petit sac. J'avais juste constaté qu'il s'agissait de feuilles odorantes, et après tout, s'il les possédait et les laisser trainer, ce ne pouvait pas être dangereux. N'est-ce pas ?
Comme la porte ne s'ouvrait pas assez vite, je tambourinai contre le battant en appelant ma sur haut et fort. La vue de cette brioche me donnait faim.